Quebec HistoryMarianopolis College
 HomeAbout this siteSite SearchMarianopolis College Library
 


Documents in Quebec History

 

Last revised:
23 August 2000


Tentative de créer un Ministère de l'Instruction publique / Attempt to create a Ministry of Education, 1897-1898

Lettre de J. - A. Chapleau à Mgr Bruchési

HOTEL DU GOUVERNEMENT

QUÉBEC

le 24 novembre 1897

(privée)

SA GRÂCE MONSEIGNEUR PAUL BRUCHÉSI,
Archevêque de Montréal,
Séminaire Canadien.

ROME

MONSEIGNEUR.

J'ai bien reçu votre dépêche, datée de Rome, le 22 novembre courant. Mon premier ministre, auquel vous aviez adressé une dépêche semblable, est venu me voir dans la soirée du 22, en compagnie de deux de ses collègues. Après avoir sérieusement discuté la chose, l'honorable M. Marchand vous a câblé, vous informant de la publicité déjà donnée à la mesure que le gouvernement doit présenter à la Législature qui a été ouverte hier. Par déférence pour la source auguste d'où provenait la demande de sursis à la loi en question, le premier ministre vous a informé qu'il attendrait, pour soumettre sa mesure aux Chambres, la réception de la lettre annoncée par votre dépêche. Il ne pouvait être question de supprimer l'annonce de cette mesure dans le Discours du Trône sans de très graves inconvénients, et peut-être sans causer une rupture au sein même du Cabinet, étant donné les éléments mixtes dont est composé celui-ci, et à cause de l'état d'esprit dans lequel se trouve actuellement la minorité protestante de la province. Du reste, les députés - anglais et français - choisis pour proposer et seconder l'adresse en réponse au Discours du trône étaient déjà en possession de ce Discours, ce qui rendait impossible la suppression du paragraphe annonçant la mesure.

D'ailleurs - et j'aborde ici le mérite même de la question - cette mesure n'intervient en aucune façon dans les droits et privilèges que peut réclamer l'Eglise dans l'éducation de la jeunesse; l'enseignement religieux, le choix des livres d'école, la morale et la discipline qui doivent y présider, sont laissés, comme auparavant, sous le contrôle absolu du Conseil de l'instruction Publique et de ses Comités. Le seul changement important apporté, par cette mesure, à la Loi actuelle n'est, en vérité, que l'obligation, que s'impose le gouvernement, de donner effet à la responsabilité à laquelle il ne saurait se soustraire, dans la question la plus importante de son administration de la chose publique, savoir, l'éducation de la jeunesse. C'est donc un nouvel appoint à l'efficacité des lois sur l'éducation.

Du moment que la loi elle-même contient des garanties surabondantes pour la surveillance la plus complète de toutes les écoles par l'autorité religieuse, l'Eglise ne saurait, il me semble, refuser le concours effectif de l'Etat dans l'oeuvre de l'instruction publique. Le Gouvernement avec la loi actuelle, et de l'essence même de la Constitution, a déjà le contrôle de toutes les sources d'enseignement, ayant en ses mains la source de l'assistance qui fait vivre les institutions scolaires. Et je suis sûr que le Gouvernement lui-même et la Législature ne feront que confirmer, par leurs déclarations, ces garanties, que l'Eglise a toujours réclamées, et que le peuple entier de la province de Québec lui a déjà si largement données. Exiger plus de la Législature et du Gouvernement, serait ouvrir la porte aux reproches d'empiètement sur les pouvoirs constitutionnels de l'Etat. Je vais plus loin, et je ne crois pas me tromper en disant qu'il y aurait dans l'opinion, un sentiment marqué de désapprobation, si le gouvernement revenait sur la décision, qu'il a proclamée partout, de donner un secours efficace et une impulsion encore plus vigoureuse aux choses de l'éducation; et c'est là absolument le sens du bill que propose le gouvernement. La personnalité du premier ministre, la composition même du Cabinet qu'il a formé, le grand sens religieux de tout l'électorat de la Province, demandent, il me semble, de la part de l'Eglise, une reconnaissance cordiale, et le plus léger sentiment de défiance pourrait être très mal interprété par ceux-là, comme une injure à leur fidélité et à leur dévouement envers l'Eglise. C'est dans une confiance réciproque et dans une cordiale collaboration que grandiront les affections et les dévouements d'une population si sincèrement catholique.

Voilà, Monseigneur, l'exposé bien sincère de mes vues et de mon expérience sur les questions d'éducation qui peuvent se soulever dans notre province. Autant je déplore les ennuis, les entraves et les persécutions dont l'Eglise et les consciences catholiques peuvent souffrir dans d'autres parties de notre pays, autant je redoute de voir s'affaiblir la fructueuse cordialité qui existe chez nous entre le peuple, les pouvoirs civils et l'autorité religieuse. J'ignore quelles seront les décisions du Chef auguste de la catholicité sur ces matières; mais je croirais ne pas faire mon devoir, comme fils soumis de l'Eglise, si je ne disais pas, franchement et ouvertement, les craintes que j'éprouverais pour l'avenir, si l'on adoptait, sur ces questions, une politique qui pourrait être interprétée comme une défiance des bonnes dispositions qui règnent partout ici. Une direction religieuse et morale de la jeunesse, par la voie de l'instruction publique, est trop bien appréciée parmi nous pour qu'il soit nécessaire de stimuler encore un zèle qui n'a jamais faibli dans son oeuvre, ni dévié de la droite ligne.

Je n'insiste pas sur les dangers qui pourraient naître d'un conflit entre catholiques et protestants dans ces matières; vous êtes, sur ce point, aussi bien renseigné que je pourrais l'être. Mais je crois qu'il est bon d'indiquer d'avance où retomberaient les responsabilités du mal que ne manquerait pas de produire un aussi malheureux conflit.

Veuillez croire, Monseigneur, à mon entier dévouement, à ma sincère soumission aux ordres qui pourraient émaner du Chef suprême de l'Eglise, et veuillez agréer pour vous-même l'expression de mes sentiments d'affection, d'estime de haute considération.

signé J. A. CHAPLEAU

Source: Louis-Philippe Audet, « Le projet de ministère de l'instruction publique en 1897 », dans Mémoires de la société royale du Canada, Vol. 1, quatrième série, juin 1963, pp. 133-161, pp.138-140

© 2000 Claude Bélanger, Marianopolis College