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23 August 2000


Les Québécois, le clergé catholique et l'affaire des écoles du Manitoba / Quebecers, the Catholic Clergy and the Manitoba School Question, 1890-1916

Mgr. Langevin de 1896 à 1900 

CHAPITRE XII

SEMBLANT DE RÈGLEMENT

Le gouvernement du Manitoba ayant brutalement déclaré, que malgré la dernière décision du Conseil Privé, il ne ferait rien pour rendre aux catholiques les écoles confessionnelles dont il les avait traitreusement dépouillés, les autorités fédérales furent mises en demeure d'user en leur faveur des pouvoirs spéciaux dont le tribunal de Londres avait déclaré qu'elles étaient nanties.

En conséquence, en février 1896, le gouvernement d'Ottawa introduisit au parlement national un projet de loi qui fut officiellement déclaré satisfaisant par Mgr Langevin, en qualité de représentant de la minorité catholique lésée dans ses droits. Ce bill pourvoyait à l'ouverture et à l'entretien d'écoles confessionnelles pour les catholiques, qu'il exemptait aussi de l'obligation de subvenir aux besoins des écoles publiques dont ils ne pouvaient se servir.

Malheureusement, on voulut faire d'une question surtout religieuse une affaire de parti, et il est triste d'avoir à écrire que non seulement vingt-huit catholiques votèrent contre ce projet de loi, alors que quatre-vingt-six protestants le favorisaient, mais que le Canadien-français le plus en vue dans le monde politique du pays, M. Wilfrid Laurier, s'en servit comme de marche-pied pour arriver au pouvoir. Il prétendit ne point voir comment le remède proposé pourrait jamais être efficace, puisque les écoles fonctionnant sous l'empire de cette mesure ne pourraient pourvoir à leurs besoins financiers.

Quoi qu'il en soit, les partisans de Laurier parvinrent, au moyen d'une obstruction systématique, à empêcher que cette loi fût votée avant l'expiration du temps assigné à la tenue du Parlement. En sorte que ce furent, au fond, des catholiques qui, aveuglés par ce déplorable esprit de parti qui est la grande plaie du Canada français, se firent, les instruments inconscients des loges pour empêcher que justice fût rendue à leurs coreligionnaires du Manitoba! Rarement désastre aussi patent résulta de ce qui paraît avoir été la soif du pouvoir !

Inutile de le cacher, sans la déplorable résistance initiale des libéraux du Québec, le bill remédiateur proposé eût passé; les catholiques du Manitoba eussent probablement recouvré leurs droits scolaires, et les inexprimables angoises des dix-neuf années qui suivirent eussent été épargnées à ces catholiques, de même que les interminables misères qui, pendant ce temps, devaient assaillir leur archevêque.

Qui pourrait, après cela, faire un crime à celui-ci de n'avoir pas eu de tendresses toutes spéciales pour ceux qui s'étaient rendus coupables d'une si grande faute et pour leurs amis qui ont depuis cherché à les excuser, sinon à les approuver? On lui a maintes fois reproché de s'être montré trop conservateur et pas assez libéral. La vérité en est qu'il attachait fort peu d'importance à la politique en tant que politique, et ne se gênait pas au besoin pour blâmer l'un et l'autre parti.

- Je ne suis pas plus conservateur que libéral, assurait-il un jour à un M. Chéné, de Montréal; l'un et l'autre parti m'ont trompé.

Pour lui ce qui comptait c'étaient les principes, qui sont immuables comme la Source de toute justice, et le bien des âmes que ces principes favorisent ou auquel ils nuisent. Voilà pourquoi il ne tolérait point, par exemple, qu'on attribuât indistinctement au seul parti libéral le mal dont d'autres étaient aussi coupables.

Parlant d'un écrivain sérieux qui avait préparé un important travail pour la presse, il écrivait à Mgr Laflèche : « II me semble qu'il faudrait éviter de mettre sur le compte du parti libéral de Manitoba ce qui appartient à la franc-maçonnerie, laquelle a délégué en 1889 le fameux McCarthy, conservateur, pour venir déclarer la guerre aux écoles catholiques de la province entière, au Portage-la-Prairie (1). »

A la décharge des libéraux du Québec, il n'est que juste aussi d'ajouter que la plupart étaient persuadés que leur chef, catholique irréprochable dans sa vie privée, pourrait plus facilement régler la question que son adversaire, qui était un protestant anglais. La suite montrera si leurs espérances se réalisèrent.

Tout semblait, en 1896, sens dessus dessous dans le monde politique du Canada. Une élection générale devant avoir lieu le 23 juin de cette année, l'épiscopat canadien demanda, à la suggestion de Mgr Langevin, aux électeurs catholiques de ne voter que pour les candidats qui se déclareraient en faveur d'une loi remédiatrice. Tous ces candidats, à l'exception de Laurier et de deux autres, signèrent l'engagement de régler la question conformément aux droits de la minorité manitobaine. Le chef de l'opposition, W. Laurier, avait critiqué le bill des conservateurs comme n'étant pas pratique, et avait promis de faire mieux. On le crut sur parole, et son parti recueillit aux urnes la majorité des suffrages. Le 8 juillet 1896, il devenait lui-même premier ministre du Canada.

Mgr Langevin était si dénué de tout esprit de parti, que, dès le lendemain, il lui écrivait pour l'assurer de « son profond respect et de son sincère désir de traiter avec lui comme il l'avait fait avec les hommes de l'ancien gouvernement ». « A Dieu ne plaise », ajoutait-il, « que nous refusions de seconder votre bonne volonté. »

Malheureusement, cette bonne volonté ne devait se traduire que par des demi-mesures qui ne contenteraient personne. Les amis de Laurier étaient arrivés au pouvoir en arborant le mandement collectif des évêques; ils avaient presque unanimement promis par écrit de régler la question à la satisfaction de la partie intéressée, et par ailleurs Sir Charles Tupper, devenu chef de l'opposition par la défaite de son parti, avait déclaré le 24 août 1896,

« Je puis assurer le chef du gouvernement que, non seulement je lui souhaite de tout mon coeur qu'il puisse régler heureusement et promptement cette importante question, mais que tout ce que je pourrai faire dans le même but sera fait en tous temps et avec grand plaisir. »

M. Laurier ne devait donc avoir aucune difficulté à tenir parole et à régler cette question selon les exigences de l'équité. Que fit-il ?

Il commença par s'adjoindre un protestant fanatique du nom de Clifford Sifton, qui s'était montré à la législature manitobaine l'adversaire irréductible des catholiques, dont il avait grossièrement insulté l'Eglise. Puis il envoya un autre collègue, M. Israël Tarte, s'aboucher avec le gouvernement de Winnipeg, et voir quelles concessions il daignerait faire. à la minorité catholique. Ce monsieur, qui avait lui-même gravement outragé Mgr Langevin dans un journal, fut tout surpris d'en être bien reçu. Ce prélat avait le coeur trop généreux pour garder rancune à n'importe qui, surtout lorsque les intérêts sacrés de la religion étaient en jeu.

Mais l'archevêque de Saint-Boniface, ne fut pas longtemps sans s'apercevoir que, aux yeux de Laurier et de son émissaire, régler la question était à peu près l'équivalent de céder aux persécuteurs protestants la plupart des droits que garantissait la Constitution. Sa conscience d'évêque en fut indignée, et il refusa catégoriquement d'être de connivence dans une convention qui lui ferait trahir la cause qu'il était chargé par Dieu de défendre. Depositum custodi!

Quelque temps après, les journaux ministériels annonçaient sans broncher que la question était réglée et cela sans la coopération de l'une des deux parties, intéressées! Puis vint le texte du prétendu arrangement, qui ne rétablissait d'aucune manière les écoles catholiques, mais statuait simplement que désormais il pouvait y avoir dans les écoles publiques du Manitoba une demi-heure d'enseignement religieux lorsqu'il serait demandé par la majorité des commissaires ou par les parents d'au moins dix enfants à la campagne ou vingt-cinq en ville. Les écoles qui, dans les villes, comptaient au moins quarante enfants catholiques, ou vingt-cinq dans les campagnes, étaient autorisées à exiger un instituteur de la religion de ceux-ci.

Au demeurant, la direction des écoles restait aux protestants; il était (point important aux yeux des loges) strictement défendu de séparer les enfants catholiques des autres; les livres continuaient à être ceux qui plaisaient aux protestants - et l'on sait quels contes ridicules contre les catholiques leurs plaisent ! - le port du costume religieux, et même l'image du Divin Crucifié, étaient sévèrement défendus en classe (d'où ni Frères ni Soeurs à l'école !) ; la langue française y était mise sur le même pied que l'allemand, le russe ou le chinois, etc.

De toutes les paroisses manitobaines s'éleva, à la vue de cette honteuse capitulation, une clameur de réprobation contre la trahison des droits catholiques et français qu'elle eût voulu consacrer, et, le dimanche suivant, 22 novembre 1896, l'archevêque de Saint-Boniface protesta en chaire avec la dernière énergie contre un prétendu arrangement qui ne pouvait avoir d'autre résultat final que de livrer l'âme des enfants catholiques aux sectes protestantes.

Cet acte épiscopal lui valut peu après les éloges de l'évêque des Trois-Rivières, qui lui écrivait: « J'ai lu avec le plus grand plaisir hier l'énergique et vraiment épiscopale protestation que vous avez faite dans votre sermon du 22 novembre contre le prétendu réglement Laurier-Greenway de la question scolaire du Manitoba. Il va sans dire que je lui donne ma plus complète adhésion, et que j'en porte absolument le même jugement, c'est-à-dire qu'il est nul devant l'autorité impériale et canonique (2). »

Disons de suite que sur ce point Mgr Langevin ne devait pas connaître la moindre tergiversation. Aux prétentions des politiciens que la question des écoles manitobaines était réglée, il répondit sans cesse: « Une question n'est réglée que lorsqu'elle l'est dans le sens de la justice et de l'équité. »

Cependant les catholiques du Manitoba gémissaient sous le joug de l'odieuse loi de 1890, qui restait essentiellement la même après l'addition des clauses anodines qu'on venait d'y faire. En accepter les dispositions était hors de la question : c'eût été une véritable apostasie. Mgr Langevin fit alors appel à la charité de ses nationaux du Québec, qui l'aidèrent de leurs aumônes à soutenir des écoles catholiques parmi ses diocésains:

Le 29 décembre 1896, le Nestor de l'épiscopat canadien, Mgr Laflèche, lui envoya dans ce but un chèque de $100.00. Quelques jours auparavant, les anciens élèves du Grand Séminaire d'Ottawa s'étaient, pour la même fin, cotisés pour la somme de $55.00, et, au mois de janvier suivant, la Soeur Saint-Charles, supérieure d'une école aux Etats-Unis, lui envoyait de son côté la somme de $10.00.

Au commencement de 1897, un ami personnel, Mgr Emard, évêque de Valleyfield, avait été jusqu'à demander à ses prêtres, par une circulaire officielle, de souscrire chacun $5.00 au fonds des écoles catholiques du Manitoba, et, vers la fin de la même année, un inconnu envoyait généreusement $25.00 aux mêmes fins; un catholique des environs de Saint-Hyacinthe lui faisait cadeau d'une somme identique, tandis qu'une dame du diocèse de Québec et un Irlandais de Montréal envoyaient chacun $50.00.

L'archevêque de Saint-Boniface établit une espèce de bureau central pour recevoir, gérer et distribuer ces secours. Ce fut la direction de ce qu'on appela le Denier des Ecoles manitobaines, qu'il confia à M. Alphonse Cherrier, curé de l'église de l'Immaculée Conception, avec le titre de surintendant des Ecoles catholiques.

Ces offrandes, et bien d'autres, n'étaient que la consécration d'une manière tangible des encouragements que le Souverain Pontife avait daigné donner lui-même à une oeuvre qu'il avait enrichie d'une indulgence plénière, ce qui montre bien que le prélat n'avait point fait fausse route.

De son côté, pour se ménager l'appui de Léon XIII, Laurier obtint de Rome l'envoi d'un délégué spécial, Mgr Merry del Val, qui devait étudier la question sur les lieux et faire rapport à l'autorité suprême. La foi vive de Mgr Langevin le porta à voir comme le vicaire de Jésus-Christ dans l'envoyé du Pape. Il alla à sa rencontre à la gare de Winnipeg, et ne cessa dès lors de le traiter avec les plus grands égards.

 

Le Délégué Apostolique s'informa de tout, convoqua à Montréal (22 mai 1897) les archevêques et évêques du Canada, qui s'y réunirent en grand nombre et se prononcèrent unanimement pour le maintien des droits constitutionnels reconnus par le Conseil Privé, puis retourna en Europe en recommandant le silence jusqu'à ce que Rome eût parlé.

Et pourtant certaines circonstances portèrent Mgr Langevin à craindre une décision contraire à ce qu'il sentait être la justice.

Il s'y résignait presque, car il en écrivait: « Si à Rome on croit devoir me sacrifier; je me résignerai à tout... Je ne perds pas espoir ni courage, je fais un peu de pénitence et je m'efforce de vivre plus saintement. J'ai appris depuis longtemps à Saint-Sulpice et dans la Congrégation à faire mon devoir en toute conscience et à ne craindre que Dieu. » (3)

Pendant ce temps, les journaux libéraux criaient sur tous les toits que l'archevêque de Saint-Boniface avait bel et bien reçu communication d'une décision du SaintSiège, mais qu'il la cachait parce qu'elle était défavorable.

Enfin, le 8 décembre 1897, Rome parla, et sa parole fut pour Mgr Langevin une justification éclatante. Tout en demandant le calme et l'esprit de conciliation, et en prescrivant d'accepter toutes les concessions que l'autorité civile pourrait offrir, le Souverain Pontife déclarait formellement que le prétendu règlement de M. Laurier n'était point satisfaisant, et qu'on devait faire beaucoup plus pour se montrer équitable.

C'était la fameuse encyclique Affari vos, dont voici quelques passages

« Nous n'ignorons pas qu'il a été fait quelque chose pour amender la loi. Les hommes qui sont à la tête du gouvernement fédéral et du gouvernement de la province ont déjà pris certaines décisions en vue de diminuer les griefs, d'ailleurs si légitimes, des catholiques du Manitoba. Nous n'avons aucune raison de douter qu'elles n'aient été inspirées par l'amour de l'équité et par une intention louable. Nous ne pouvons toutefois dissimuler la vérité: la loi qu'on a faite dans le but de réparation est défectueuse, imparfaite, insuffisante. C'est beaucoup plus que les catholiques demandent et qu'ils ont, personne n'en doute, le droit de demander ».

Ce document fut un grand soulagement pour la conscience de Mgr Langevin. Il le promulga le 25 janvier 1898, et en montra sa reconnaissance en prescrivant aux prêtres de son diocèse l'oraison pro gratiarum actione. Il n'avait alors pas moins de quatrevingt-deux écoles catholiques en plein fonctionnement sous leur surintendant, M. Cherrier.

Il est vrai d'ajouter que si, par impossible, le Pape eût donné tort au vigoureux prélat, celui-ci eût reçu sa décision avec le même respect; car il professa toujours une soumission à toute épreuve pour le Saint-Père. Il aimait à le proclamer : « nous autres évêques obéissons au Pape en conscience, dans tous les cas, et non pas seulement lorsqu'il pense comme nous (4). »

Au cours des longs tiraillements occasionnés par l'épineuse question des écoles manitobaines, ses détracteurs lui reprochèrent maints écarts de langage. Il parlait trop, disait-on; il n'était pas assez conciliant et aurait dû faire preuve de plus de diplomatie: jamais on n'osa révoquer en doute sa parfaite soumission au Saint-Siège.

Quant à ces prétendus écarts de langage qui scandalisaient les sages du libéralisme, les lâcheurs et les pacifistes à outrance, il les expliquait avec son originalité ordinaire, à travers laquelle perçait une pointe d'humilité toute chrétienne:

« On nous prend à la gorge », disait-il, « on veut nous étouffer, on nous étrangle. Quoi d'étonnant que, dans les notes du râle qui nous échappe alors, il y ait quelque discordance? Les sons que produit en pareil cas la gorge de la victime d'une injuste agression sont-ils jamais bien harmonieux? »

Tout en lui donnant raison sur la question de fait, le Pape demandait indirectement à Mgr Langevin de chercher à obtenir le plus de concessions possible. C'était toute une série, de négociations dans laquelle il lui fallait s'engager. Avant de le suivre sur ce terrain, et pour montrer qu'il ne passa pas sa vie uniquement à réclamer contre l'injustice, nous allons donner une idée de son ministère purement pastoral pendant les premières années de son épiscopat, et l'accompagner au cours de la première visite qu'il fit à la ville éternelle.

Il nous faut donc maintenant rétrograder un tant soit peu, et passer en revue des événements d'ordre plus intime, sur lesquels les exigences du récit et la parfaite intelligence des difficultés scolaires nous ont forcé à passer.

 

 

[…Chapitre XIV]

Le 10 février 1897, il était de retour dans sa ville épiscopale.

Malgré certaines voix discordantes, qui s'élevaient quelquefois sous l'impulsion d'un déplorable aveuglement politique, les catholiques manitobains étaient alors unis à leur premier pasteur dans la revendication de leurs droits scolaires, et une élection qui eut lieu à Saint-Boniface même, juste après la promulgation du soi-disant règlement Laurier, montra bien l'unanimité de leur indignation contre ce misérable compromis qui les livrait, pieds et poings liés, au fanatisme orangiste. Le candidat protestataire, M. J.-B. Lauzon, fut élu avec une si écrasante majorité que son concurrent en perdit son dépôt.

« La victoire de la cause catholique est grande », écrivait peu après Mgr Langevin; « mais il faut maintenant panser les blessés et tâcher de ressusciter les morts. Ici, à Saint-Norbert, trois ont demandé pardon et les deux P. sont venus pour s'arranger sans réussir. Tout cela me torture. Un père qui frappe ses enfants se frappe lui-même, et il souffre avec eux (5). »

[…]

L'année 1898 fut signalée par des négociations avec le gouvernement Laurier ayant pour but d'améliorer la situation scolaire du Manitoba. Ces pourparlers commencèrent dès les premiers jours de l'année, et l'archevêque de Saint-Boniface se garda soigneusement de rien dire ou faire qui pût nuire à leur succès (6). De son côté, le premier ministre paraissait animé de bonnes intentions, ce que Mgr Langevin reconnaissait sans peine lorsqu'il écrivait à Mgr Bégin, alors administrateur de Québec

« Vous trouverez ci-inclus une copie du mémoire que le Premier Ministre m'a remis », dit-il. « Je lui ai fait de vive voix les remarques contenues dans l'autre mémoire qui lui a été présenté, ainsi qu'à M. Sifton, mercredi dernier, le 2 courant. M. Laurier est prêt à tout accorder... L'idée de M. Laurier est de faire accepter les divers articles de mon mémoire et de les présenter au Board of Éducation, ou Advisory Board, de Winnipeg, qui a droit de faire des règlements scolaires... Il parait décidé à régler la question et il m'a promis de parler lui-même au Dr Bryce, le fougueux ministre (7), qu'on a dû faire venir de Winnipeg, et il va essayer de le rendre raisonnable (8). »

Les propositions de Sir Wilfrid Laurier étaient les suivantes

1. L'archevêque de Saint-Boniface sera membre du Bureau d'Éducation avec droit de se nommer un substitut; 2. il sera représenté au bureau des examinateurs; 3. on nommera un certain nombre d'inspecteurs approuvés par l'archevêque de Saint-Boniface; 4. les diplômes d'instituteurs ne seront point requis pour le moment dans le cas des congrégations religieuses; 5. les livres de classe seront les mêmes que ceux dont on se sert aujourd'hui dans les écoles [séparées] de l'Ontario et devront être approuvés de la même manière; 6. on adoptera le système scolaire en vigueur au Nouveau-Brunswick et dans la Nouvelle-Ecosse en ce qui est de la séparation des enfants selon leur religion.

Mgr Langevin ne demandait pas beaucoup plus. Mais la bonne volonté de Sir Wilfrid se heurta à l'intransigeance, des fanatiques de Winnipeg, trop habitués depuis quelques années à être choyés, et il n'eut pas assez d'énergie pour passer outre et user des pouvoirs que le Conseil Privé avait reconnus au Parlement dont il était le chef

[… Chapitre XV]

En attendant, Mgr Langevin donnait en toute occasion des preuves incontestables de son désir de se conformer aux moindres désirs du Saint-Siège en ce qui était de la question des écoles. Un incident qui arriva dans l'été de 1899 le montra bien. Il avait reçu, à une place appelée Oak Lake (Lac aux Chênes), deux adresses, dont l'une en français et l'autre en anglais, lesquelles contenaient sur le compte des libéraux des choses assez peu plaisantes, et semblaient demander une direction à suivre dans une très importante élection générale qui s'annonçait comme imminente. Sa réponse fut caractéristique: il refusa d'accepter la partie politique des dites adresses, parce que, dit-il, le Pape veut l'union de tous les catholiques. Puis il ajouta:

« Je n'entends vous tracer aucune ligne de conduite pour les élections qui se préparent; mais je ne puis m'empêcher de déclarer que le Pape ne défend nullement aux catholiques d'apprécier les hommes et les choses et de rendre à chacun ce qui lui est dû. Toutefois il serait indélicat d'engager publiquement le chef du diocèse en appréciant, dans une adresse, les hommes et les choses, et c'est la raison pour laquelle je vous aurais prié de retrancher certaines phrases de vos adresses si je les avais lues à l'avance. »

Cet incident fit quelque bruit; mais l'archevêque de Saint-Boniface ne s'en émut aucunement. Il avait fait son devoir, puisqu'il avait suivi la direction du Pape. Cela ne devait nullement empêcher ces journaux, genre Manitoba Free Press, qui ne vivent que de l'animosité des partis, de le représenter avec une persistance digne d'une meilleure cause comme un « bleu » enragé lorsque leurs propres amis « rouges » eurent été battus aux élections de décembre 1899.

Par suite de cette chute du ministère Greenway et des hommes néfastes qui avaient causé les troubles scolaires dont le pays se ressent encore au moment où nous écrivons, les conservateurs reprirent les rênes du pouvoir. Disons de suite que, s'ils ne traitèrent pas les catholiques avec toute la justice à laquelle ceux-ci avaient droit, ils firent preuve dans les campagnes d'une tolérance dont Mgr Langevin leur sut gré.

Car, à l'encontre de plusieurs, s'il ne pouvait garder la moindre rancune, même après les plus grandes injures, il témoigna toujours la plus vive reconnaissance pour tout service qui lui était rendu. Il était vraiment touchant de voir à quel point il avait la mémoire du coeur.

[… Chapitre XVI]

D'un autre côté, les Irlandais de Winnipeg se plaignent, non sans raison, d'avoir à payer double et triple taxe scolaire. A son instigation, leurs représentants s'abouchent (mars 1900) avec les membres du Bureau d'Education de Winnipeg, qui les reçoivent avec courtoisie, mais veulent leur imposer des conditions aussi injurieuses pour des catholiques que mesquines chez des hommes publics. Le costume de nos religieuses a surtout le don de les offusquer: pour être reconnues comme institutrices, il faudra qu'elles le quittent. Et puis le Christ n'est point à sa place dans l'école: qu'on l'enlève! Tolle ! tolle !

« Mieux vaut mourir que de vivre souillé en acceptant les honteuses conditions qu'ils ont l'audace de nous dicter », s'écrie alors l'archevêque de Saint-Boniface dans une lettre à Mgr Begin. (9)

Car si Mgr Langevin était personnellement d'une humilité admirable et faisait preuve d'une indulgence peu ordinaire avec les prêtres et les fidèles qui le fréquentaient dans l'intimité de la vie, il avait trop de foi et une trop haute idée du caractère épiscopal. pour ne pas sentir vivement tout ce qui, devant le public, pouvait lui porter atteinte. C'est ce qui explique ce qu'il mandait en 1901 à Mgr Cloutier, des Trois-Rivières:

« Le coeur meurtri à la suite des négociations humiliantes qu'on m'a imposées et de l'insuccès causé par le fanatisme protestant, je ressens plus vivement que jamais tout le mal que nous a fait le funeste règlement Laurier-Greenway. On comprend pourquoi Dalton McCarthy l'a approuvé. Il est vrai que M. Laurier fait quelques efforts en notre faveur...

« Dieu soit béni! Je reste confiant dans l'avenir, et je sais que le disciple n'est pas plus que le maître, et que les grains de blé ensevelis et morts donnent seuls une moisson (10). »

Et dire qu'avec une conscience plus élastique il se fût épargné la plupart de ces déboires! Mais il était trop le fils de son père pour sacrifier la moindre parcelle de son honneur à la perspective d'un repos acheté à prix d'argent. On était fatigué de ses revendications dans les hautes sphères politiques; aussi pensa-t-on, pour le faire taire, à un moyen qui eût peut-être réussi avec un autre qu'un évêque de sa trempe.

Un jour, deux étrangers, l'un de l'Est, l'autre (un protestant) de Winnipeg, vinrent le trouver en grande confidence. Après quelques détours, ils voulurent lui faire comprendre que l'état des esprits ne permettait pas de restaurer directement les écoles catholiques, surtout à Winnipeg. Mais, dirent-ils, on pouvait le faire par des voies détournées. Ils lui offrirent donc une très forte somme d'argent, apparemment pour soutenir ses écoles. Tout ce qu'on lui demandait, c'était le silence: désormais plus de réclamations

Un instant la pensée d'un repos bien gagné miroita devant son esprit comme les yeux du serpent qui cherche à fasciner sa proie. Mais vite l'image de son père, qui avait été l'honneur personnifié, s'interposa entre lui et le tentateur. Se ravisant donc immédiatement et sans trahir aucunement le conflit d'une seconde ou deux qui s'était élevé dans son esprit

- Vous n'êtes pas sérieux, Messieurs, ou bien si vous l'êtes, voici! fit-il en accompagnant ce dernier mot d'un geste impérieux qui montrait la porte.

Et voilà pourquoi on n'a jamais pu dire que Mgr Langevin avait vendu son silence.

Le protestant fut si impressionné par cette noble conduite que, le lendemain, il retournait à l'archevêché faire des excuses au prélat, et déclarait que jusque-là il n'avait pas su ce qu'était un évêque catholique.

Or cet évêque n'avait pas qu'à protéger ses ouailles contre les empiètements d'un pouvoir protestant en matière d'éducation. Il se reposait de ses luttes avec les politiciens en s'adonnant à certains genres de ministère de nature plus exclusivement épiscopale.

[…]

(1) Saint Boniface; 26 mars 1898.

(2) Trois-Rivières; 2 décembre 1896.

(3) Au Provincial des Oblats de l'Est; Saint Boniface, 30 mai 1897.

(4) « J'avoue que j'ai la passion d'obéir », écrivait-il un peu plus tard à Mgr Cloutier, successeur de Mgr Laflèche sur le siège des Trois-Rivières, « obéir à tout pris, obéir jusqu'à la mort ! Que tout périsse plutôt que l'obéissance. » (Saint Boniface; 28 septembre 1901).

(5) Saint Norbert; 8 mars 1897.

(6) Cf. lettre à Mgr Laflèche, 9 février 1898.

(7) Protestant, ou prédicant.

(8) Montréal; 5 février 1898.

(9) Saint Boniface; 30 mars 1900.

(10) Ibid.; 28 septembre 1901

Source: R. P. Morice, O.M.I., Vie de Mgr Langevin, Oblat de Marie Immaculée, Archevêque de Saint-Boniface, Saint Boniface, Troisième édition, Chez l'auteur, 1919, 398p., pp. 138-149, 167, 172-174, 183-184, 189-191.

 

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