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Documents in Quebec History

 

Last revised:
20 August 2001


Documents sur la grève de l’amiante de 1949 / Documents on the 1949 Asbestos Strike

Mise au point

par Jacques COUSINEAU, S. J.

M. PIERRE-ELLIOTT TRUDEAU, co-directeur de Cité libre, publie dans le numéro de mai 1959 une lettre adressée au R. P. Richard Arès, S. J., directeur de Relations et qui aurait été « refusée », sous des « prétextes » de ma part. Cet avancé exige une mise au point.

Voici les faits. Vu les doléances exprimées par son interlocuteur, lors d'une réunion d'Anciens du Collège Brébeuf, le P. Arès suggéra à M. Trudeau, au cours d'une conversation téléphonique subséquente, qu'il lui adressât une lettre résumant la défense personnelle qu'en toute équité il pourrait fournir contre la critique, faite à son propos dans Relations, par le P. Cousineau. Sa lettre arriva au début de mars; elle n'était pas une apologie, mais une attaque; elle contenait, de plus, de nombreuses références à des textes qui n'avaient pas été publiés dans la revue et se contentait d'affirmations déplaisantes sans apporter les preuves, qui paraitraient dans Cité libre, sous le titre « critique d'une critique ». Ce genre de correspondance (et d'annonce) ayant été jugé inacceptable, M. Trudeau vint à la Maison Bellarmin, le 19 mars, sur invitation du P. Arès. D'accord avec ce dernier, j'ai proposé trois conditions -- raisonnables et généralement reçues -- qui seraient les règles du jeu de l'affrontement proposé : 1. Puisqu'il s'agissait de légitime défense à soutenir dans la revue, M. T. s'en tiendrait à relever des textes parus dans Relations et qui le visaient personnellement ou ses écrits; 2. Son plaidoyer devait comporter allégués et preuves, et non renvoyer ailleurs pour la justification; 3. Il aurait, à sa disposition une colonne de la revue et le P. Cousineau, une également pour la réponse. Tout en regimbant, M. T. semblait tomber d'accord : il parla de refaire sa lettre et s'enquit de la date limite à laquelle elle devrait nous parvenir. Le temps passa, aucune lettre ne vint. Le 24 avril, je reçus une brochure de 16 pages, comme tiré à part du numéro 23 (avril 1959) de Cité libre introuvable alors en librairie et auprès des abonnés; Relations ne reçut l'exemplaire qui lui vient par échange que le 4 juillet. Ce fascicule contenait le texte de la lettre « refusée » et la « critique d'une critique ». (Les chiffres des pages y renvoient.)

À Relations, nous avons donc mis, à la publication d'une lettre de M. T., des conditions qui nous semblent normales. Telle fut et telle est la situation.

J'en viens à la « critique d'une critique »

La « critique d'une critique»

EN MAI 1956, paraissait aux Éditions Cité libre, un ouvrage intitulé la Grève de l'amiante, rédigé en collaboration et publié sous la direction de M. Pierre-Elliott Trudeau, qui en avait écrit le chapitre préliminaire et l'épilogue. Appelé à rendre compte pour Relations de cette recherche sur une grève que j'avais vue, vécue pour ainsi dire et que dès le milieu de son déroulement, j'avais estimée « l'un des événements les plus considérables dans l'histoire sociale du Canada français » (Relations, juin 1949), je fus frappé du contraste entre le caractère scientifique général des travaux des collaborateurs (moins un) et la manière fantaisiste avec laquelle le directeur, dans ses écrits, décrivait cinquante ans de notre histoire sociale pour aboutir à en prononcer la futilité. Certaines de ses affirmations surtout inquiétèrent en moi le sens de l'Église. D'après lui, « la pensée sociale officielle de l'Église enseignante, c'est-à-dire de notre épiscopat » (Grève, p. 62) aurait induit le peuple canadien-français dans des erreurs graves, puisque la doctrine sociale de l'Église, telle qu'elle fut comprise et appliquée au Canada français » (Grève, p. 19) par « nos penseurs officiels » (dont il est évident, par les citations, le contexte et la réalité que nos évêques font partie) « n'est rien d'autre que le prolongement de nos postulats traditionalistes, recouvert du vernis de l'autorité papale » (Grève, p. 20); en somme, « exploitation de l'autorité papale pour le compte du nationalisme » (ibid.). Convaincu, ainsi que plusieurs autres, que jamais une accusation aussi grave n'avait été portée chez nous au XXe siècle contre l'autorité spirituelle, j'entrepris d'en vérifier le fondement, laissant à mon ami, François-Albert Angers, le soin d'examiner, dans l'Action nationale, l'esquisse historique de M. T. sous l'angle nationaliste. Quatre articles parurent dans Relations (de novembre 1956 à mars 1957); le premier appréciait l'effort de recherche proprement dite sur les faits, tel qu'exprimé dans les monographies; le deuxième s'attachait à l'interprétation donnée à la grève surtout par M. T. et en montrait l'irrecevabilité à partir des faits; les deux autres étudiaient la méthodologie que révélaient les essais de M. T. (absence de définition des problèmes, méthode primitive de recherche, manière puérile d'argumenter), démontrait l'inanité scientifique de son échafaudage de faits et de textes et concluait à une vue surréaliste de notre histoire sociale.

Un an et demi après, devant l'absence de dialogue ou de réponse, je me décidai de céder aux demandes faites; je publiai mes articles sous la forme d'un cahier (le n° 4 dans la collection des « Cahiers de l'Institut social Populaire »), en y ajoutant un épilogue qui étudiait la réception faite à l'ouvrage par les critiques qui se sont donné la peine d'exprimer publiquement dans des périodiques reconnus une appréciation verbale--, et en dégageait une synthèse. Cette forme permanente de publication devait permettre aux chercheurs de bonne volonté d'aboutir plus rapidement à un jugement personnel et à une idée exacte des faits en comparant le livre qui consigne les travaux de recherche et le cahier qui fait la somme des critiques parues et apporte les correctifs qui s'imposent. D'une part, ce cahier aura servi à restituer aux solides monographies l'importance que leur juxtaposition au texte brillant de M. T. a pu leur faire perdre dans l'esprit de plusieurs; d'autre part, le dossier accumulé par les critiques et consigné au cahier sur les erreurs méthodologiques de M. T. constitue une preuve irréfutable que son essai ne relève ni de l'histoire ni de la sociologie.

Un exemplaire du Cahier no 4 de l'I. S. P. fut envoyé partout où avait pénétré le livre, en particulier dans les milieux syndicaux où M. T. travaille assez souvent; ce qui l'inquiéta peut-être plus vivement que le fait de toucher quinze ou vingt mille abonnés «bien-pensants » de Relations; c'est alors que s'élabora « la critique d'une critique ».

Du texte lui-même que constitue cette « critique d'une critique » il convient de dire peu ici. C'est un travail de grignotage (M. T. avoue sa répugnance d'agir ainsi « comme un pion », tout en le faisant, p. 37); travail assez inintelligible pour qui n'a pas lu avec attention les documents antérieurs parce que l'auteur s'y livre à une manipulation effrénée et capricieuse de textes coupés de leur contexte. Pour dissiper dans l'esprit des lecteurs les préventions contre ma personne qu'il déclare vouloir me causer (p. 39), il faudrait trop de temps et de papier. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. A chacun de juger, en confrontant livre et cahier.

De plus, sous prétexte que je lui « cherche querelle » (p. 36) et me soucie surtout de le « confondre personnellement » (ibid.), alors que j'ai toujours voulu distinguer son oeuvre, ses idées et sa méthode, de sa personne, y compris son caractère, ses intentions et sa sincérité, l'auteur me fait des personnalités tout au long de son texte, soupçonne mes intentions de critique (« il était normal qu'il... mit un excès de zèle à prouver à ses supérieurs qu'ils avaient eu raison de rappeler d'exil un champion peu banal » , p. 37), caricature un peu partout mes actions (pas toujours sans esprit), me lance un défi (« démontrez-le... », p. 38), se répand en insinuations sur mes compagnons de travail et moi-même (« restrictions mentales », « style maison », p. 40), et se permet même une espèce de chantage concernant mes conversations privées. Qu'on se rassure: à défaut d'autre motif, « la prudence et la discrétion », qu'on apprend chez les Jésuites et dont se moque cet ancien élève (pp. 7 et 8), m'auraient commandé de ne rien révéler à Pierre-Elliott Trudeau. Le débat ayant donc été porté sur ce terrain si peu démocratique et chrétien des personnalités, chacun comprendra que je m'abstienne de répondre.

La « critique d'une critique » a ceci d'intéressant qu'elle ne révèle chez l'auteur aucun effort pour défendre et reprendre la thèse fondamentale du chapitre préliminaire de son livre sur « notre » doctrine sociale de l'Église et sa corruption par le nationalisme, sur le «monolithisme idéologique » de notre milieu et la « pensée futile » de ses dirigeants « nationalistes ». La construction systématique demeure donc par terre, la machine de guerre ne menace plus rien. Il faut se réjouir de ce que la critique, d'après l'aveu de M. T. lui-même (p. 36), aura « servi à rétablir la mesure que parfois j'avais dépassée ». À mon avis, le point essentiel est acquis.

Sur un autre point, important lui aussi, puisqu'il s'agit du sens de la grève, il y a eu retraite appréciable (p. 45), L'auteur préfère maintenant dire que la grève s'est déclarée, déroulée et conclue sans la pensée nationaliste et la doctrine sociale de l'Église, et non plus contre elles, comme il s'en exprimait auparavant (Grève, pp. 90, 392 et 401). Cette position est aussi intenable que l'autre devant les démonstrations faites par l'abbé Dion sur le rôle déterminant de l'Église et par Gérard Pelletier sur le rôle primordial du Devoir ; sans la solidarité des foyers de pensée nationaliste et des foyers de doctrine sociale catholique, la grève aurait été un échec retentissant; tous les participants et les observateurs sérieux l'admettent comme un fait indiscutable.

Si l'auteur maintient avec obstination (« La discussion est donc inutile », p. 39), qu'Asbestos fut une rupture, c'est qu'il s'appuie sur un postulat qui devient un dogme : avant 1949, dans les syndicats catholiques, l'Église dictait les solutions (« L'époque est révolue où elle dictait les solutions » p. 39). On aura beau lui faire remarquer que dans les cinq grands conflits majeurs de la C. T. C. C. (chaussure 1926, textile 1937, Sorel 1937, Arvida 1941, Price 1943), l'Église, loin de dicter aucune solution, n'est pas même intervenue par ses représentants dans quatre d'entre eux, que dans la grève de Sorel en 1937 on trouve tous les éléments spectaculaires d'Asbestos : ville assiégée par une centaine de policiers provinciaux, attentats à la propriété et émeute, organisation de secours venus des coins reculés de la province, et que c'est dans la grève d'Asbestos, censée être une rupture, que l'intervention cléricale a été la plus forte, il n'en démordra pas. Dans le fond, il a les préjugés de l'ignorance; il connaît mal le mouvement syndical qu'il décrit, il avoue (p. 41) qu'il ne savait pas que la constitution de la C. T. C. C. contient toujours une clause de veto, il puise ses statistiques sur la C. T. C. C. non dans les publications du mouvement mais ailleurs (p. 44), il me reproche (p. 42) d'appeler comité de boutique un organisme qui dans les conventions collectives de l'époque était ainsi désigné; il me fait jouer un rôle important (pour me ridiculiser évidemment : « c'est le père soi-même qui était la vedette », p. 39) dans la grève de Sorel (1937), alors que je n'ai pas mis les pieds dans la ville, étant encore aux études, à Montréal puis en Europe.

La synthèse qu'il a faite de la période 1921-1949 « où certains aumôniers menaient tout dans certaines fédérations et où les chefs n'avaient guère qu'une initiative : celle de boire de la bière pendant les congrès », donne la mesure de son ignorance méprisante et passionnée de la C. T. C. C. et du degré d'objectivité que gardent ses jugements.

On peut présager dès lors la valeur scientifique d'un examen critique conduit dans cet esprit. La méthodologie de l'auteur que j'ai déjà analysée se révèle ici à plein.

La méthodologie

Voulez-vous mettre en doute la sincérité du clerc que je suis ? Prenez une remarque que j'ai faite à l'abbé Dion (Réflexions..., p. 65) sur ce qui reste à faire concernant la description de l'influence des hommes d'Église en cette grève, point sur lequel l'abbé et moi sommes parfaitement d'accord, et savons, avec d'autres, pourquoi nous ne pouvons parler. Affirmez que cette remarque est un reproche adressé aux laïcs (p. 39). Vous aurez « fait la preuve » que je ne suis pas sincère, faisant porter aux laïcs la responsabilité des clercs. Incroyable, mais vrai.

Voulez-vous me prendre en contradiction? Prenez le jugement d'un autre que je cite sans l'endosser (Réflexions..., p. 61), puis, sur le même sujet, sur l'importance de la grève, citez un passage authentique d'un de mes articles, en le soulignant en caractères gras (p. 41). Vous aurez « fait la preuve » de ma contradiction. Incroyable, mais vrai.

Voulez-vous découvrir des erreurs de fait dans mes textes ? Prenez le passage où j'affirme que « Trudeau ne dit pas un mot » de la lettre pastorale collective de 1950. Affirmez alors avec force (p. 40) : « Or au contraire, j'en ai parlé dans le contexte d'un « tournant dans l'évolution de la pensée officielle de l'Église du Québec » (Grève, p. 66). La « preuve est faite », puisque la citation y est, avec la référence. Or, à la page indiquée, la citation se rapporte à la lettre de 1941, non à celle de 1950. Incroyable, mais vrai.

Voulez-vous me convaincre d'erreurs de fait sans nombre? Il suffit, par exemple, là où j'affirme que la lettre pastorale collective de 1941 ne parle pas de retour à la terre, de citer le passage où il est question de conquêtes des terres nouvelles et de survivance par la terre (p. 42); il suffit, autre exemple, là où j'affirme que M. T. n'a rien dit « sur l'initiative de la C. T. C. C. dans les cartels... », de renvoyer au paragraphe qui parle des cartels (p. 45). « La preuve est faite. » Incroyable, mais vrai.

Devant ces « preuves » ainsi faites, je croirais que la méthodologie de notre auteur s'est plutôt détériorée depuis 1956. Mais voici le fond de la courbe descendante. Pour conclure sa « critique d'une critique », il lui fallait un punch définitif; ce serait un appel à l'autorité du P. Arès, qui dirige la revue à laquelle le P. Cousineau collabore comme rédacteur. « Puisque, d'après le père Arès, « nous n'avions pas de doctrine sociale et nationale nettement définie » devant la révolution industrielle (cité dans Grève, p. 18), il était temps de s'y mettre sérieusement », p. 48. Ainsi donc le P. Arès paraissait couvrir Pierre-Elliott Trudeau, garantir son orthodoxie et corroborer ses thèses. Or, si l'on se reporte au texte original et au contexte, on trouve ceci : le P. Arès parle de la révolution industrielle déterminée par un double événement survenu l'un « vers la fin du XIXe siècle », l'autre « au début du XXe ». Donc ce que le P. Arès disait de notre impréparation de 1910-1920 -- qu'on se rappelle que l'École des Hautes Études commerciales est de 1907, le Devoir de 1910, l'École Sociale Populaire de 1911, l'Action française de 1917, les Semaines sociales de 1920 et la C. T. C. C. de 1921-- M. Trudeau veut le lui faire dire de 1945-1949 et minimiser ainsi tout l'apport des foyers de pensée nationale et catholique qui ont rayonné leur doctrine pendant trente ans. Incroyable, mais vrai. Au lecteur d'apprécier le procédé.

Un jour, je me rendais aux bureaux de la C. T. C. C. pour consulter des documents en vue de mes articles de 1956-1957 et j'y rencontrai Pierre-Elliott Trudeau. Me conformant à la règle de saint Ignace suivant laquelle « si l'on ne peut interpréter en bien les paroles du prochain, on doit lui demander comment il les entend » , je demandai à mon interlocuteur comment il pouvait concilier ses affirmations avec certains faits historiques. Il me répondit : « Je n'ai aucune prétention à l'objectivité. Je n'ai jamais voulu écrire une histoire. Prophétisme serait le mot le plus approprié au genre que j'ai choisi. » Par délicatesse, je rapportai ces paroles authentiques comme résumant une rencontre éventuelle : M. T. m'accuse de faire des prophéties! Comme toujours, il veut jouer... sur les mots, cette fois. M. T. avait raison : de fait, comme essai historique, sa contribution à la Grève de l'amiante était un insuccès total; comme essai prophétique, elle pouvait avoir sa valeur mais elle n'était plus à sa place dans un ouvrage de recherche scientifique.

Que dire maintenant de la « critique d'une critique » ? Un essai critique sérieux ? L'auteur semble plutôt s'être amusé à un essai satirique. La même ambiguïté demeure donc chez lui; ce qui s'accentue malheureusement, c'est le manque de vraie sympathie pour la réalité de chez nous, hommes et institutions, et l'absence de rigueur scientifique dans les oeuvres. Je lui souhaite de dominer sa crise de déception. (p. 36) et de retrouver la saveur humaine et le sens de l'Église.

Source : Jacques Cousineau, « Mise au point », dans Relations, août 1959, pp. 207-209. Je remercie la direction de la revue Relations qui a accepté que cet article soit reproduit au site d’histoire du Québec.

© 2001 Pour l’édition sur le web, Claude Bélanger, Marianopolis College