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Documents in Quebec History

 

Last revised:
20 August 2001


Documents sur la grève de l’amiante de 1949 / Documents on the 1949 Asbestos Strike

Une méthode historique sans valeur

LA LONGUEUR (pp. 1-91) du chapitre préliminaire (« La province de Québec au moment de la grève »), l'intérêt qu'il suscite dans tous les milieux, le ton et le sens enfin que lui donne l'auteur font de la contribution de Pierre Elliott Trudeau la pièce majeure du livre.

1. Contenu du chapitre préliminaire

Le contenu dépasse la portée du titre, au témoignage même de T.; il reconnaît en effet que, pour esquisser « l'image des réalités matérielles », décrire « l'état des esprits » et « les institutions qui donnaient alors un cadre à ces faits et à cette pensée » (ce sont les trois parties de son exposé), il lui a fallu « remonter quelque peu en arrière » (p. 3). Il s'agira donc de rien moins que de l'histoire sociale « au Québec, durant la première moitié du xx° siècle » , où « notre pensée sociale fut... tellement futile qu'elle ne réussit à peu près jamais à prendre corps dans des institutions dynamiques et vivantes » (p. 11).

D'où l' « intérêt à isoler (expression à retenir) quelques composantes de cette pensée » , qui « a gravité presque toute » autour d'un « axe principal », « le nationalisme » (p. 11), et a proposé cinq « panacées » (p. 27) en vue de la restauration économique et sociale : le retour à la terre, la petite entreprise, la coopération, le syndicalisme catholique, le corporatisme. Au point que « notre » doctrine sociale de l'Église (trouvaille de T. pour qualifier la « doctrine sociale de l'Église, telle qu'elle fut comprise et appliquée au Canada français » et la « distinguer nettement » de « la morale sociale catholique ») « n'est rien d'autre que le prolongement de nos postulats traditionalistes, recouvert du vernis de l'autorité papale » (pp. 19-20).

Après l'examen de la pensée, vient celui (plus long, pp. 38-87) des institutions : Société Saint-Jean-Baptiste, École sociale populaire et hoc genus omne, Ligue des droits du français et Action nationale, institutions d'enseignement en général, enseignement des sciences sociales, hiérarchie de l'Église (dont on signale la présence physique, mais l'absence intellectuelle), partis politiques, législation sociale et industrielle, capital en contradiction avec le nationalisme, syndicalisme enfin, qui recherche, lui, une pensée réaliste.

Heureusement, de conclure l'historien (p. 89),

notre peuple n'a jamais... épousé le nationalisme de notre pensée officielle, avec ses postulats sociaux. II n'y eut guère de retour à la terre ni de coopératisme; la petite entreprise s'anémia; le corporatisme resta aux limbes; et le syndicalisme catholique n'écrasa point l'autre.

« Comment donc avons-nous survécu à pareille tourmente » (venant de « nos idéologies », non de la crise, des guerres ou d'autres maux) ? « Précisément, en faisant fi de toute idéologie » (p. 88), de répondre avec assurance le jeune maître, qui, avec satisfaction, met un terme à son exposé, croyant avoir « démontré » qu' « à toutes fins pratiques » les travailleurs à gages et à salaire « ne comptaient pour presque rien dans notre pensée sociale, dans notre Église ». Alors, paraît-il, « nous vivions la fin d'un monde,... nos cadres sociaux -- vermoulus parce que faits pour une autre époque -- étaient prêts à éclater » (p. 90).

2. Examen de la démonstration

C. Q. F. D., semble-t-il. Mais est-ce bien démontré? La méthode de travail est-elle scientifique ou même simplement valable? Les faits sont-ils bien rapportés? Est-ce bien de l'histoire ou un autre genre littéraire? Trois questions qui exigent de l'attention.

Car, voici un essai considérable par son dessein : juger la pensée sociale des Canadiens français et les institutions qui l'ont incarnée depuis cinquante ans. Les gens informés savent que les solides monographies et les travaux historiques qui scrutent le terrain économique et social chez nous sont extrêmement rares (Hughes : French Canada in Transition, Minville sur le régime social du Québec, Sr Gaudreau sur les Semaines sociales, quelques-uns des travaux de la collection Notre Milieu et des Essais sur le Québec contemporain) et qu'une synthèse globale est actuellement prématurée, à moins que le champ n'en soit strictement limité et la méthodologie scientifiquement éprouvée. Or, d'un chercheur qui prétend que

nos penseurs officiels,... jusqu'à une époque toute récente, ignorèrent tout de la pensée juridique universelle, de Duguit jusqu'à Pound; tout de la sociologie, de Durkheim jusqu'à Gurvitch; tout de l'économique, de Walras jusqu'à Keynes; tout de la science politique, de Bosanquet jusqu'à Laski; tout de la psychologie, de Freud jusqu'à Piaget; tout de la pédagogie, de Dewey jusqu'à Ferrière (p. 19),

on s'attend à une méthode exemplaire, à une démonstration magistrale. Malheureusement, sur ce point, la performance se révèle lamentablement déficiente.

a) Définition des problèmes

Ainsi, au témoignage de T., « au sein d'une civilisation matérialiste et contre des politiciens souvent sans pudeur, l'école nationaliste fut à peu près seule à dresser une pensée » (p. 13). Mais, comme « il y a eu bien des variétés de nationalistes » (ibid.), le lecteur se pose immédiatement quelques questions élémentaires. Quels sont nos théoriciens « reconnus comme typiques » (p. 13) ? Quelle est « notre pensée officielle » (p. 89) ? Quels sont les critères qui distinguent des autres un penseur officiel qui portera la responsabilité d'avoir été entraîneur? Une difficulté vient de ce que « nos maîtres à penser et nos chefs de file » (p. 13) n'ont pas, selon T., été suivis par le peuple (p. 89). Par qui et par combien faut-il avoir été suivi pour être un de « nos penseurs sociaux » (passim) ? La plus grande difficulté toutefois provient de ce que le mot « officiels » veut dire constitués en autorité. Constitués par qui ? Par le peuple ? Il n'a pas marché, paraît-il, et T. s'en réjouit. Par l'État ? Les Taschereau et les Duplessis ont-ils jamais consacré les chefs nationalistes de leur entourage ou de leur opposition? Par l'Église? Elle n'a pas de cérémonial prévu à cette fin; et, en fait, les abbés Perrier et Groulx n'ont pas été élevés à l'épiscopat. Suffirait-il d'avoir écrit une fois ou deux dans un périodique reconnu comme nationaliste, d'y avoir participé à une enquête, de l'extérieur? La solution la meilleure aurait été de s'arrêter au plus typique, sur le plan économique et social, à M. Esdras Minville; mais alors, la thèse était ruinée par une des bases, le « retour à la terre ». Aussi, nulle part T. ne procède à l'identification précise, exclusive de ces penseurs qui, du début à la fin de son long chapitre, vont devenir des accusés; procédé irrecevable devant tout tribunal, même celui de l'opinion publique. Les techniques modernes d'enquête accordent une importance primordiale à la problématique ou définition des problèmes à examiner et à l'établissement de l'échantillonnage. T. ne fait aucun effort en ce sens à ce point de départ de la démonstration. Parvus error in principio magnus in fine. Faute de normes indiquées dans le texte, j'en conclus que sont « penseurs officiels » ceux que T. consacre tels et qu'il cite. Mais alors, Olivar Asselin, Athanase David, Victor Barbeau, Henri Laureys, Dostaler O'Leary, Roger Duhamel en sont bel et bien; et, dans le clergé, les PP. G: H. Lévesque, Alexandre Dugré, l'abbé J.-B. Desrosiers et François Hertel. Pour ceux qui sont au courant des événements, la conclusion devient hilarante.

Mais T. n'a pas hérité de son ancien mentor, François Hertel, la vertu que celui-ci estimait la plus importante, après la foi : le sens de la blague. Aussi essaiera-t-il de prouver que, malgré toutes les oppositions de personnalités, les divergences d'opinions et les antagonismes régionaux, un « monolithisme idéologique » (p. 11) existe chez nous. Le procédé d'interprétation est simple et constant : prêter à Édouard Montpetit une attitude contraire à sa pensée, le faire «succomber à l'usure » du milieu (p. 15), en s'appuyant sur un texte qui, une fois rétabli dans son intégrité, exprime la conscience qu'a Montpetit d'une victoire remportée sur son milieu; citer indirectement Esdras Minville (p. 18), directement Olivar Asselin et Henri Laureys (p. 17), et en tirer des conclusions qui sont contredites par le contexte, le sens général de la carrière et la politique économique précise de ces mêmes hommes; ne jamais analyser la pensée des maîtres, tels Minville et Groulx, dans leurs ouvrages ex professo sur la question, mais puiser surtout dans des allocutions de circonstance (pp. 24, 25) citées souvent de seconde main (pp. 15, 18, 20); déformer les expressions de pensée au point de qualifier ironiquement de « retour à la terre » toute politique agricole positive et de résumer par cette même expression deux lettres pastorales entières, dont l'une ne parle même pas de la chose (lettre de 1941, p. 66) et l'autre ne la recommande aucunement (lettre de 1937, p. 65); taire les controverses et même les divisions qui ont marqué l'histoire de notre nationalisme et bouleversé ses institutions; négliger enfin toute l'évolution de la pensée nationaliste : citer en abondance l'Action française des débuts, du temps des enquêtes lancées pour trouver une orientation, et très peu l'Action nationale d'après 1937 (direction d'André Laurendeau), et alors seulement pour tenter une réfutation présumée péremptoire (pp. 36-37, 46-47). A ce compte-là, Radio-Canada pourrait, à même le kiné de la Prise de bec du 22 octobre 1956, nous fournir un parfait exemple de « monolithisme idéologique » entre Marcel Clément et Pierre Elliott Trudeau, qui sont tombés d'accord quelques instants sur un point accessoire : il suffirait d'un découpage habile et d'éliminer tout le reste, c'est-à-dire les neuf dixièmes!

b) Méthode de recherche

La méthode de recherche saura-t-elle racheter le reste? Examinons son application à la « pensée sociale officielle... de notre épiscopat » (pp. 62-68). Un simple étudiant préparant une thèse de maîtrise aurait délimité le champ de sa recherche dans le temps et dans l'espace; il aurait dit quels diocèses il entendait examiner, pour combien de temps, et se serait tenu à son propos; il aurait distingué dans les actes épiscopaux les déclarations ou lettres des archevêques et évêques de tout le Canada, les lettres pastorales collectives des évêques de la province civile de Québec, celles des évêques de différentes provinces ecclésiastiques, les lettres pastorales particulières d'un évêque, les circulaires au clergé diocésain, les communiqués, etc.; il aurait établi une hiérarchie, analysé avec soin les écrits plus autorisés et développés, sans négliger les autres; il aurait enfin essayé de les comprendre et de les faire comprendre en les situant dans un cadre et une atmosphère. T. n'en a rien fait. Ses références semblent montrer qu'il s'attache surtout à Montréal; mais comme il parle aussi des chefs spirituels de Québec, Rimouski et Saint-Hyacinthe, son dessein devient confus, et l'on conclut qu'il a négligé plus de la moitié de ses sources. Tous les documents de provenance épiscopale reçoivent la même attention : aucun, pas même le plus important, n'est analysé en plus de deux lignes. D'ordinaire, T. mentionne la date de publication et le titre officiel, parfois accompagné d'une citation qui toujours déforme le sens général du document et n'en souligne qu'un aspect, saugrenu et ridicule aux yeux de T. (Ainsi, Mgr Bruchési exhorte les ouvriers (p. 63) à penser « au ciel » et à « l'heure des éternelles rétributions ». Dans leur lettre sur la colonisation (p. 68), les évêques redoutent « la fascination des villes », incitent les « descendants des défricheurs apôtres... à agrandir le corps mystique du Christ ».) Quand T. consacre trois lignes et plus au document, il y a un « par contre » ou un « malgré cela » qui tourne à la confusion de l'épiscopat. D'ailleurs, tout ce passage vise à prouver que le « retour à la terre » constitue le leitmotiv et le péché capital de la politique épiscopale. Les oublis et les déformations de T. pointent là. Même ses illogismes. Voyez : une fois, T. est pris d'un scrupule méthodologique; c'est devant la lettre pastorale collective sur le Problème ouvrier, intimement liée à la grève de l'amiante, couronnement des attitudes de notre épiscopat depuis plus de trente ans, synthèse de « notre » doctrine sociale de l'Église. Alors, il se récuse (p. 66) : « Mais cette dernière date de février 1950, un an après le déclenchement de la grève de l'amiante, et ce n'est pas mon affaire d'en parler ici. » Le scrupule tombe cependant lorsqu'il s'agit de déguster certains morceaux de choix de viande cléricale. Qu'est-ce que trente ans alors? En effet, T. remonte à 1873, pour citer (p. 62) des expressions savoureuses des Pères d'un concile provincial sur la protection de nos couvents de campagne contre l'exode vers les États-Unis; à 1885, pour camper (p. 62) le duel cardinalice Taschereau-Gibbons; enfin, aux environs de 1900, pour signaler (p. 63) l'absence de promulgation à Montréal de l'encyclique Rerum novarum. Hors-d'oeuvre de plus d'une page, mais quelle magnifique entrée! D'ailleurs, l'affaire ne doit pas être prise au sérieux: des indices suggèrent que T. n'a lu aucun des documents qu'il ridiculise, mais s'est inspiré d'un travail inédit, qui aurait puisé aux sources, dit-on.

Le procédé ne doit pas étonner. Devant l'immense tâche de l'évaluation de notre pensée sociale, T. a pris des méthodes rapides, mais contestables. La plus condamnable me parait être sa recherche du contenu (nature, tendances et qualités) de cette pensée par l'exploitation mathématique des tables de matières. Pour apprécier l'Action nationale de 1933 à 1946 (p. 46), l'Actualité économique de 1925 à 1950 (p. 54), l'Ordre nouveau de 1936 à 1940 et enfin Relations de 1941 à 1950 (p. 42), la seule opération intellectuelle à laquelle s'adonne T., c'est l'addition du nombre de fois que ces périodiques ont parlé de telle question. Notre historien ne reconnaît à la méthode qu'une valeur d' « approximation ». Complaisance étonnante! Comme si de classer les points de vue de Jean Vincent et de Jean Després sous la même rubrique, « critique théâtrale », nous donnait une « approximation » de la vérité sur Anastasia ! Prenons le cas de Relations : la revue offre des éditoriaux, des commentaires, des articles, des chroniques et des citations; tout cela est loin d'avoir la même importance, mais figure dans la table décennale des matières; tout cela est additionné sans distinction par T. On peut, dans ces éditoriaux, commentaires, articles, etc., parler juste ou faux, concret ou abstrait, dans tel sens ou tel autre, cela n'a aucune importance pour T. Lisez plutôt :

L'Ordre nouveau fut remplacé, au début de la guerre, par la revue mensuelle Relations. D'après la table de matières qui couvre la période 1941-1950, l'agriculture y fut discutée 33 fois, la colonisation 54 fois, la coopération 18, le corporatisme 8, l'industrie 5, l'ouvrier 16, le salaire et le travail 10, le travail féminin 20 (principalement pour le déplorer), le syndicalisme 16, la grève 6 (dont 4 fois pour parler contre), les syndicats catholiques 5, le syndicalisme anglo-américain 1 (pour dire que l'adhésion au parti C. C. F. était une menace de totalitarisme), l'Union des cultivateurs catholiques 7 fois. (P. 42.)

Point final. Il écrit pourtant (p. 41) :

L'institution par excellence qui se chargea de l'enseignement de la doctrine sociale de l'Église au Canada français fut l'École sociale populaire (devenue plus tard l'Institut social populaire)... Les Jésuites donnaient le ton sur toutes ces questions.

De fait, l'équipe qui fonda Relations (un apôtre chevronné à la vaste expérience sociale, un expert en questions internationales et deux jeunes diplômés, l'un de Rome, l'autre de Paris, auxquels devait se joindre un autre spécialiste diplômé de Georgetown et de Harvard) eut large audience, puisque le tirage de la revue dépassa d'au moins cinq fois celui de nos revues analogues; elle parla ferme et concret, parce que ses jeunes membres étaient engagés dans l'action, tellement ferme et concret que des puissants s'en émurent... Pour l'historien de notre pensée, ce qui résume tout cela, ce qui en reste, c'est que... la grève y fut discutée 6 fois... Devant la précision et la nuance de cette méthode de recherche concernant les tendances de notre pensée et devant l'évidence et la portée de ses conclusions, « il faut gloser le moins possible » (p. 87), dirait T., et après lui, il n'y a qu'à tirer l'échelle.

c) Manière d'argumenter

Examinons enfin la manière d'argumenter: sur deux points importants seulement, faute d'espace.

La thèse de T. repose sur le pivot suivant: « nos penseurs sociaux », incapables de « comprendre le phénomène industriel et la prolétarisation des masses » (p. 20), « comblèrent... les lacunes de leur pensée... d'un ensemble qu'ils nommaient la doctrine sociale de l'Église » (p. 19) ; mais faussement, car ils auraient subordonné la vraie doctrine à « nos postulats traditionalistes » (p. 20), l'autorité papale à notre nationalisme. La preuve qui engage tout le reste, la voici (pp. 20-21). D'abord, une citation de l'abbé Groulx: « Ce ne sont pas seulement des classes qui sont opprimées, c'est une nation. » Cette simple addition du motif national à l'autre qui est social dans la condamnation des abus du capitalisme suffit à T. : la conclusion s'impose. Ces Hongrois ont donc « leur » doctrine sociale de l'Église, -- les malheureux! -- puisqu'ils se révoltèrent contre les abus de la dictature russe, aussi par motif national : parce qu'ils voulaient être maîtres chez eux. Mais patience! un bon debater garde toujours son meilleur argument pour la fin. Deuxième citation, empruntée à Maria Chapdelaine, de Louis Hémon: « Autour de nous des étrangers sont venus... Rien ne doit changer. » Pas un mot de plus : lisez par vous-même, « De la sorte », conclut imperturbablement T. (p. 21),

la doctrine sociale de l'Église, qui en d'autres pays ouvrait la voie large à la démocratisation des peuples, à l'émancipation des travailleurs et au progrès social, était invoquée au Canada français à l'appui de l'autoritarisme et de la xénophobie.

En bref, nos évêques et penseurs n'ont pas suivi les directives du Vatican; preuve : le Français Hémon fait dire à Maria que « rien ne doit changer ».

Quand T. décide de s'attaquer à l'institution qui « est une des grandes responsables de ce que, au mépris de la réalité, la pensée sociale au Canada français se soit orientée dans une voie nationaliste » (p. 41), -- il s'agit de l'École sociale populaire, -- vous comptez assister à un de ces combats! (« Restait cette redoutable infanterie d'Espagne. ») Comment s'y prendra-t-il? L'argumentation par la table des matières est écartée (p. 41): « A en juger par les titres, on fit... une très large part aux questions ouvrières et syndicales. » Alors, pour juger « le contenu » de 400 brochures, T. en prendra une: ab uno disce omnes, et pour démontrer qu'on y part « des grands principes plutôt que des faits » (p. 41), il choisit la brochure qui porte le numéro 232-233, celle précisément dont l'E. S. P. dira plus tard qu'elle s'attachait aux principes:

Les auteurs du programme (no 1) avaient voulu s'occuper surtout des principes. Bien accueilli en général, plusieurs trouvèrent cependant qu'il demeurait trop sur les hauteurs, dans des généralités. Telle fut notamment l'opinion de quelques laïcs qui proposèrent d'eux-mêmes d'en faire une application plus concrète aux problèmes du jour. (E. S. P., n• 239-240, Introduction.)

D'où le programme n° 2, que commente la brochure numérotée 239-240 et que signent Albert Rioux (« Restauration rurale »), Philippe Hamel (« Trust et Finances »), Alfred Charpentier (« Question ouvrière ») et Wilfrid Guérin (« Réformes politiques »). Ainsi donc, au lieu d'étudier le no 239-240, qui ruinerait sa thèse, T. s'en tient au n° 232-233, s'en prend à Minville et surtout (à cause de la C. C. F.) au P. Lévesque, et réserve ses faveurs aux « suggestions très bienvenues » (p. 52) du P. Chagnon. La tauromachie n'aura pas lieu!

Car, même des Semaines sociales, par lesquelles principalement « l'École sociale populaire réussit à répandre notre doctrine sociale de l'Église » (p. 43), T. n'analysera pas la « doctrine traditionnelle et sûre » (p. 43), qui s'exprime en plus de trente volumes; il ne concentrera même pas son attention sur un document plus représentatif, le manifeste Pour un ordre meilleur, expressément loué par les archevêques et évêques du Canada dans leur célèbre déclaration du 13 octobre 1943, et dont le P. Archambault, directeur de l'E. S. P., publia un commentaire (brochure no 360-361). Occasion unique! Pour juger cette institution-clé, T. s'en remettra entièrement à l'autorité d'une religieuse, Soeur Gaudreau, dont il cite les appréciations restrictives, mais dont il admire le sens critique au point d'avoir compté le nombre de pages qu'elle accorde dans son résumé à telle idée plutôt qu'à telle autre. L'argumentation par la table des matières devenait trop précise, ou trop longue à établir; pour mesurer la qualité de la pensée, il suffit maintenant de computer l'index du résumé d'un autre. C'est proprement un sommet de méthodologie scientifique.

Il faut en descendre pour examiner les faits rapportés et l'histoire réalisée avec cette méthode de travail. Ce sera le sujet du prochain chapitre.

Source : article de Jacques Cousineau publié originellement dans la revue Relations, No 194, février 1957, pp. 37-40. Il fut reproduit dans Réflexions en marge de « La grève de l’amiante ». Contribution critique à une recherche, Les Cahiers de l’Institut national populaire, No 4, septembre 1958, 80p., pp. 23-31. Je remercie la direction de la revue Relations qui a accepté que ce texte soit reproduit au site d’histoire du Québec.

© 2001 Pour l’édition sur la Toile Claude Bélanger, Marianopolis College