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La grève de l’amiante par Antonio Barrette, Ministre québécois du travail À partir de ce moment, la grève s'organisa rapidement dans l'industrie de l'amiante. Le Gouvernement avait eu mauvaise presse autour des discussions sur le Bill 5. Un arrêt général de travail dans une industrie importante, avec une opinion publique préparée par de grands journaux contre le Gouvernement, pouvait maintenant se produire sans risque. Les syndicats auraient assez de force pour mettre de côté les moyens légaux ordinaires de règlement, contrairement à ce qu'ils avaient fait lors de la crise du textile et en toutes circonstances jusque-là. C'étaient pourtant la façon de procéder des syndicats et l'intervention directe du ministre du Travail qui avaient donné une victoire complète aux syndicats des filatures et engagé dans une voie nouvelle toute la politique des relations patronales-ouvrières. La grève du textile de 1947 s'était terminée par une victoire pour la CTCC dont l'influence était montée en flèche à la suite des gains obtenus avec l'intervention du Gouvernement. Le prestige de celui-ci s'était accru en même temps, ce qui en offensait plusieurs. Mais quel mal y avait-il à cela ? Le retrait du Bill 5 fut une autre victoire pour la Confédération des Travailleurs Catholiques, contre le Gouvernement cette fois. Je suis convaincu qu'au Comité des bills privés, les unions ouvrières auraient fait retirer le bill ou l'auraient fait amender. Une chose certaine, c'est que les unions et syndicats ont manqué en cette circonstance l'occasion de faire un débat public complet avec le Gouvernement et avec les représentants patronaux sur toute la question des relations ouvrières, d'où ils seraient sortis avec des avantages doubles de ceux qu'aurait pu en recevoir le Gouvernement. Ce qui serait vraisemblablement arrivé, c'est que l'étude d'un projet de Code du Travail aurait été confiée au Conseil Supérieur du Travail, comme il arriva plus tard quand j'eus réussi à convaincre le Premier ministre de la nécessité d'agir ainsi. Mais une tactique s'était affirmée ; il fallait lutter contre un gouvernement trop puissant et pour aucune considération, il ne fallait manifester l'ombre de la plus légère coopération avec lui (1). Par les gains et avantages très considérables obtenus lors de la grève des tisserands, qui avait duré tout juste une semaine, et par le retrait du Bill 5, les syndicats avaient remporté deux victoires d'envergure mais, encore une fois, par l'appui et avec le consentement du ministre du Travail, dans les deux cas. Ils atteignirent à ce moment le sommet de leur influence qu'ils utilisèrent à la limite pour faire la grève illégale de l'amiante, qu'ils perdirent. Leur prestige diminua par la suite et ils ne reprirent jamais le terrain perdu, parce que leurs chefs, consciemment ou non, avaient alors cédé à des considérations plus partisanes que syndicales. Le nombre des affiliés aux syndicats a augmenté, mais la confiance des syndicats dans le jugement des chefs, dans leur valeur d'homme, a baissé. II n'y eut jamais une grève illégale qui fut gagnée dans la province de Québec par un syndicat ou une union, de 1945 à 1960. Leurs progrès et succès très considérables furent obtenus en procédant uniquement dans le cadre de la légalité. Ce sont les travailleurs qui ont demandé et obtenu une loi de Relations Ouvrières que les amendements de 1945 ont rendue efficace ; ce sont eux qui ont intérêt à ce que toutes les lois leur garantissant des droits soient respectées. La grève de l'amiante fut déclenchée, au début de février 1949, simultanément dans 90% des mines et de l'industrie de l'amiante des Cantons de l'Est. Comme on n'avait pas eu recours à l'arbitrage, c'était mon devoir de déclarer immédiatement que cet arrêt de travail était illégal et d'inviter les travailleurs à retourner à l'ouvrage en leur offrant d'étudier avec eux toutes les clauses d'un nouveau contrat et les causes de leurs griefs. Cette offre fut rejetée et la grève prit, dès les premiers jours, l'allure d'un conflit de taille (2). Pour situer la grève de l'amiante dans son cadre véritable, après treize ans, il faut recréer le climat de l'époque. Il faut même remonter à 1944, connaître les conditions de travail existant dans cette industrie quand je suis devenu ministre du Travail et savoir ce que nous avions fait, de 1944 à 1949, au triple point de vue de l'hygiène industrielle, des conditions de travail et des salaires. Il faut placer toutes les négociations dans l'atmosphère du temps et savoir ce qu'avait donné aux travailleurs l'application des lois régissant les négociations patronales-ouvrières pour bien juger de l'attitude des chefs syndicaux. Si l'on vient affirmer aujourd'hui, comme à l'époque, que la loi est injuste et que, dans ce cas, une grève devient juste et morale, même si elle est illégale, comme un éminent personnage alla le dire dans le temps aux ouvriers d'une filature de coton, je répondrai qu'il est dangereux d'amoindrir dans les esprits le respect des lois sans une nécessité absolue. En l'occurrence, cette excuse n'existait pas, comme on le verra. On encourageait la violation des lois. La lutte suscitée alors contre le Gouvernement, au nom d'une prétendue moralité, a certainement contribué au climat de violence que nous avons connu par la suite. C'est donc le 14 février 1949 qu'une grève quasi générale éclatait soudainement dans les mines d'amiante de la province de Québec. Cinq mille mineurs et employés de cette industrie se mettaient subitement et simultanément en grève, sans avoir recours à l'arbitrage et malgré mes avertissements réitérés de se conformer aux lois de la Province. Ces cinq mille mineurs et employés travaillaient, dans la presque totalité, pour les compagnies Canadian Johns-Manville, Asbestos Corp., Johnsons's Company et Flintkote Mines Limited. Presque tous ces travailleurs étaient membres de la Fédération nationale des employés de l'industrie minière. Cette grève possédait un caractère nettement illégal : le Gouvernement ne pouvait donc intervenir. On avait refusé d'avoir recours aux services d'un Conseil d'arbitrage ; on mettait de côté les moyens d'apporter un règlement équitable et juste avec l'appui des lois de la province, on ne pouvait donc demander l'assistance de ceux qui agissaient en vertu des lois ou qui étaient chargés de leur mise en application. Tout au début, les officiers de la Fédération dirent qu'ils n'avaient rien à faire avec la décision de la grève, mais plus tard, ils démentirent cette version et affirmèrent que la grève était survenue à cause d'un manque de confiance dans l'arbitrage. Ainsi donc, on répandait la rumeur que les mineurs d'amiante n'avaient pas obtenu justice par l'arbitrage, dans le passé, et que par conséquent, ils avaient raison de ne pas s'y fier dans le présent et pour l'avenir. Or, ni à la Cie Johns-Manville, ni à l'Asbestos Corporation, la Fédération n'avait eu besoin de recourir à l'arbitrage pour le renouvellement d'une convention collective, entre 1944 et 1949, et pourtant, les salaires avaient plus que doublé. Toutes les conventions collectives avaient été le fruit d'ententes à l'amiable ou de conciliations dirigées par des représentants du ministère du Travail. Comment en de telles circonstances, la Fédération pouvait-elle sérieusement prétendre ne pas avoir confiance à l'arbitrage? La question est demeurée sans réponse. Au cours de cette grève qui dura plusieurs mois, la Fédération, en soutenant que les compagnies payaient à leurs ouvriers des salaires trop bas, ce que j'endosse, affirma aussi que la poussière d'amiante mettait en péril la santé des mineurs. Il aurait été facile, dans ce cas, de collaborer à constituer un tribunal d'arbitrage, comme je l'ai demandé pendant des mois, de prouver ce que l'on disait, de montrer avec le témoignage de médecins compétents et de spécialistes l'incidence de certaines maladies, et de faire le comptage des poussières. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? C'eût été le meilleur moyen de protéger les mineurs de Thetford-les-Mines, ou d’Asbestos, ou d'ailleurs. Les officiers de la Fédération connaissaient très bien les gains considérables en salaires réalisés par les mineurs d'amiante depuis 1945 et les améliorations successives obtenues en hygiène industrielle, ce qu'un arbitrage aurait démontré. C'est pour cela que les officiers de la Fédération et de la Confédération ont affirmé, au début de la grève, n'avoir rien à faire avec son déclenchement. Par la suite, forts de certains appuis, ils l'endossèrent pleinement ; la grève restait illégale mais elle était devenue morale, selon une formule nouvelle que l'on venait de mettre à l'essai. C'est sans doute par des appuis de ce genre que des orateurs influents, en chaire et sur la tribune, dirent aux grévistes : « Ces mines vous appartiennent autant qu'aux compagnies et aux actionnaires ! » Le secrétaire du doyen de la Faculté des Sciences sociales de l'Université Laval se rendit faire des discours aux grévistes, qui savaient d'où venait ce personnage et qui il représentait. Le prétexte et la réalité Mais pour en revenir au début du conflit, le lendemain de la déclaration de la grève, soit le 15 février 1949, je télégraphiai à la Fédération pour lui demander « d'inviter les ouvriers à se montrer respectueux des lois dans leur propre intérêt et celui de leur cause, en cessant la grève et en confiant à un tribunal d'arbitrage le soin de rendre justice aux deux parties ». Le 16 février 1949, je faisais la déclaration suivante devant l'Assemblée législative alors en session : « La raison principale de la grève d'amiante n'est pas la décision des ouvriers de se débarrasser de la poussière d'amiante. Il s'agit d'une grève étrange. C'est une grève illégale ; j'ai donné l'avertissement aux ouvriers de retourner au travail et de soumettre leurs demandes à un conseil d'arbitrage ». Dans Le Devoir du 17 février, on peut lire la réponse de Jean Marchand (3) qui cite la récente déclaration du Pape à l'effet « qu'il faut résister aux lois injustes ». Il ne disait pas que le Pape parlait à ce moment des persécutions communistes. Le même jour, la Commission des Relations ouvrières, en face du caractère vraiment illégal de la grève, ordonnait à la Fédération de recommander un retour immédiat au travail de ses membres en grève, à défaut de quoi, la Commission se verrait dans l'obligation de révoquer le certificat de reconnaissance syndicale émis par elle. Le 19 février, des grévistes de l'amiante forcèrent la mine Bell à Thetford-les-Mines à fermer ses portes. Les employés de cette mine n'étaient pas en grève, mais on les obligeait à quitter le travail. Deux jours plus tard, la Commission des Relations ouvrières révoquait les certificats de reconnaissance syndicale aux unions affiliées de la Fédération. Le 23 février, quelques jours après le déclenchement soudain et simultané de la grève générale, j'informai les autorités municipales de Thetford-les-Mines et d'Asbestos que j'étais prêt à agir comme médiateur, comme je l'avais fait tant de fois auparavant, pour en arriver à un règlement juste et avantageux, ajoutant qu'il fallait en premier lieu retourner au travail afin que cessât l'illégalité pour que je puisse intervenir. Pourquoi refuser mon offre et mon aide, toujours sollicitées auparavant, comme par la suite d'ailleurs ? J'avais consenti à prendre un très grand risque. Craignait-on que je réduisisse à néant les arguments dont on voulait se servir pour gagner à tout prix une grève illégale ? Au début de février 1949, avant la grève, non seulement le salaire était-il devenu uniforme dans toutes les mines d'amiante, mais bien plus, il avait doublé. Le salaire, qui variait de $0.44 à $0.55 l'heure, lorsque je devins ministre du Travail en septembre 1944, avait été porté, avant la grève de 1949, à $1.10, soit plus de deux fois ce qu'il était en 1944. Quant au danger de la poussière d'amiante qui avait toujours existé jusque-là, les textes de lois et les statistiques montrent avec clarté tout ce qui avait été accompli après 1944 sous la pression énergique du ministère du Travail en particulier, pour le traitement et la prévention des maladies industrielles dans les mines d'amiante, malgré toutes les difficultés rencontrées. Les spécialistes en pneumoconiose l'ont admis en ma présence, rien n'est plus difficile à faire que le diagnostic de l'amiantose, puisque la preuve n'en peut être établie par la radiographie et que seule la capacité d'expansion pulmonaire peut indiquer la gravité de la maladie. C'est pourquoi, dès le retour au pouvoir de l'Union nationale en 1944, le Gouvernement accorda à ma demande deux bourses d'étude, l'une à un avocat, Me Louis-F. Cantin, et l'autre à un médecin, le docteur Bertrand Bellemare, chargé particulièrement d'étudier les causes des maladies industrielles. Monsieur Cantin est maintenant juge, et le docteur Bellemare membre du bureau des commissaires aux Accidents du travail. Grâce aux services, gratuits pour les mineurs, de ces deux spécialistes, l'un pour constituer le dossier légal, l'autre pour établir la preuve médicale, les victimes de l'amiantose se trouvèrent en mesure de présenter à la Commission des réclamations irréfutables, du double point de vue médical et légal. La loi est indispensable, comme on le voyait, une fois de plus, pour établir des réclamations. Dans le même temps, de concert avec les officiers de la Fédération des travailleurs de l'amiante et des compagnies minières, nous travaillions à la prévention des maladies pulmonaires et nous nous employions à faire bénéficier d'indemnités ceux qui avaient contracté la maladie antérieurement à l'application des nouvelles mesures préventives. En fait, les griefs des mineurs étaient causés par ce qu'ils avaient enduré avant l'arrivée au pouvoir de l'Union nationale. L'explosion arrivait en retard, et nous en fûmes les victimes. Ceux qui nous accusèrent avec le plus de violence sont précisément ceux qui avaient toléré avant 1944 des salaires de famine et des conditions de travail insupportables. A l'automne 1946, une réunion conjointe des officiers de la Fédération nationale des employés de l'industrie minière, des représentants des ministères du Travail et de la Santé, fut tenue au Parlement de Québec, à ma suggestion et sous ma direction. Des résultats pratiques de cette étude et du programme d'action qui en découle ne tardèrent pas à se manifester. La Commission des Accidents du Travail créa un fonds de $250,000.00 pour vingt-six victimes de l'amiantose, comme conséquence des réformes et des innovations administratives tentées par le ministère du Travail. Il était bien de prévenir, mais il fallait aussi verser des indemnités à ceux à qui elles avaient été refusées antérieurement et qui y avaient droit. Toutes ces nouvelles mesures avaient un effet rétroactif parce qu'ils avaient été exposés auparavant aux poussières d'amiante. Par le fait même que les compagnies devaient payer des cotisations très élevées pour secourir les anciens réclamants, les décisions et recommandations faites par le Gouvernement furent acceptées rapidement. Dès 1946, les compagnies d'amiante de Thetford-les-Mines organisèrent conjointement une clinique où trois mille cinq cents travailleurs subirent un examen médical complet en 1949 seulement. La Canadian Johns-Manville construisait de son côté à Asbestos, en 1948, une clinique industrielle au coût de $160,000.00 dont les frais d'opération s'élevaient à $45,000.00 par année pour effectuer deux mille cinq cents examens médicaux. Ces cliniques furent ouvertes avant la grève. En quelques années, à la demande du ministère du Travail et du ministère de la Santé, les mines d'amiante opérant dans le Québec et employant près de cinq mille personnes ont dépensé des sommes considérables pour l'élimination de la poussière d'amiante au moyen de nouveaux dispositifs de ventilation. Dans les endroits où les installations n'étaient pas en place, elles devaient être commencées, ou bien les mines devaient arrêter leurs opérations. En résumé, l'industrie de l'amiante, avant la grève, de 1944 à 1949, avait déboursé près de trois millions et demi de dollars, soit une moyenne de sept cents dollars par mineur pour la prévention de l'amiantose (4). On avait, entre 1947 et 1949, prélevé dans les mines et manufactures d'amiante, huit cents échantillons d'air qui avaient été analysés dans les laboratoires du ministère de la Santé. Ceci représentait soixante-seize inspections dont plusieurs durèrent quelques jours. Cette oeuvre gigantesque et complexe a été accomplie en entier avant la grève. C'est ce qui fait que M. Rodolphe Hamel, président de la Fédération nationale des employés de l'industrie minière, m'écrivait le 3 décembre 1947 une lettre montrant la satisfaction et la reconnaissance profonde des membres de la Fédération, devant les progrès considérables réalisés par le Gouvernement dans son travail efficace pour combattre l'amiantose et pour assainir les conditions du travail. Voici deux extraits de cette lettre : (le premier paragraphe et le dernier)...
Et en parlant de ceux que j'avais associés au ministre du Travail dans cette tâche, M. Hamel continue :
Cette déclaration du Président de la Fédération, un an avant la grève, doit prouver, sans l'ombre d'un doute, que le recours à la grève sans arbitrage préalable en donnant comme prétexte les dangers de la poussière d'amiante, n'était pas justifié. À la lecture des deux paragraphes de cette lettre, on constate que M. Rodolphe Hamel exprimait officiellement ses impressions et ses sentiments et que les progrès réalisés pour la prévention des maladies industrielles par une collaboration étroite entre le ministre du Travail, le ministre de la Santé et les officiers de la Fédération des travailleurs de l'amiante étaient admis sans réserve. Au surplus, les négociations entre la Fédération et la Canadian Johns-Manville, principale compagnie d'amiante employant deux mille mineurs à elle seule, montrent la nature étrange de la grève de l'amiante. Dès le 14 décembre 1948, la Fédération commençait ses pourparlers avec la compagnie au sujet du renouvellement de ce contrat. On se servait à ce moment de la loi, qui était bonne lorsqu'elle obligeait la compagnie à négocier de bonne foi avec le syndicat, mais que l'on mettait de côté lorsqu'elle imposait l'obligation pour le syndicat de négocier avec la compagnie, comme on le verra. Le 30 janvier 1949, les négociations directes n'ayant pas amené d'entente, la conciliation prenait place. Le 10 février 1949, devant un nouvel échec, la Fédération et la Compagnie convenaient ensemble de référer leur différend à l'arbitrage. Donc, dix jours à peine après l'expiration du contrat en vigueur entre les syndicats et les employeurs, le désaccord sur le renouvellement de ce contrat était confié à l'arbitrage. Quatre jours plus tard, soit le 14 février 1949, sans avis, les syndicats au lieu d'aller à l'arbitrage auquel ils n'avaient jamais eu recours encore dans leurs négociations avec les compagnies pour le renouvellement d'un contrat de travail, déclenchaient soudainement et simultanément une grève générale dans l'industrie de l'amiante, violant de façon flagrante les lois de la Province et posant délibérément un acte illégal d'une ampleur qui ne s'était jamais vue dans Québec. On était à l'avance assuré de certains appuis depuis l'aventure du Bill 5. En quatre mois, du 1er octobre 1947 au 1er janvier 1948, une augmentation totale de $0.27 l'heure avait été accordée. Une nouvelle offre de $0.10 l'heure était faite au début des négociations, en janvier 1949. C'est donc une hausse de $0.37 l'heure qui avait été obtenue en seize mois, sans compter les augmentations du boni de vie chère qui accompagnaient la hausse de l'indice du coût de la vie. À l'époque, de tels gains représentaient un fait unique dans tout le pays. Mais cette levée en masse des syndicats de l'amiante était bien préparée. La lutte était engagée contre le Gouvernement, parce que les circonstances s'y prêtaient bien en donnant comme raison première le danger de l'amiantose, sous contrôle à ce moment. J'ai montré, je crois, le néant de l'affirmation que l'arbitrage n'avait pas donné justice. On a dit ensuite que cette grève était née spontanément. En fait, on avait préparé l'opinion publique en parlant d'amiantose et de silicose plusieurs semaines avant le conflit. On s'était servi d'un certain Burton Ledoux, citoyen américain d'origine française, je crois, qui avait rédigé quelques articles sur ce sujet qu'il ne connaissait pas et qui se permettait, même à première vue, de dire à des mineurs qu'ils étaient atteints de silicose. Bien que la silicose n'eut aucun rapport avec la grève de l'amiante, dans l'esprit des lecteurs non avertis, c'était un peu la même chose. Le Devoir et Relations donnaient de la publicité à Burton Ledoux et René Chaloult était son champion à l'Assemblée législative. On voulait, par tous les moyens, faire une lutte décisive et obtenir la mise en vigueur de la formule Rand par laquelle tous les mineurs, faisant partie ou non d'une union, auraient été obligés de payer les cotisations décrétées par le syndicat local. C'était là le but de la grève. Pour des raisons politiques, on recevait l'appui de journaux influents et de hauts personnages. Ces faits sont rappelés uniquement et simplement pour placer cette grève de l'amiante dans son atmosphère véritable, pour bien montrer qu'elle était préparée de longue main et qu'elle avait des buts inavoués. D'ailleurs, j'avais prévenu mes collègues à ce sujet au Conseil des ministres, en disant, un mois plus tôt, que l'endroit était choisi, et l'industrie désignée, que la grève serait illégale et que l'on voulait créer un précédent pour le règlement des futurs conflits en obtenant la formule Rand et un contrat de travail sans passer par les dispositions de la loi. Une comparaison entre certaines grèves J'avais été médiateur dans des conflits majeurs à la demande des Syndicats catholiques, notamment en novembre 1947, alors que les milliers de tisserands des filatures de la « Dominion Textile » avaient accepté le règlement que j'avais proposé. Cette entente, survenue après cinq journées de médiation avait accordé aux ouvriers une augmentation de $0.20 l'heure environ, en plus d'améliorations nombreuses. Chaque gréviste recevait une rétroactivité de salaires et de vacances payées, etc..., deux cents dollars en moyenne. A l'époque, l'augmentation était considérée comme étant très considérable. Ce règlement coûtait à la compagnie trois millions de dollars par année, plus les arrérages à payer. Le Front Ouvrier, organe officiel de la Jeunesse Ouvrière Catholique, écrivait en marge du règlement de cette grève, ce qui suit : « La grève du textile était légale. Ce fait était un atout pour la Fédération du Textile. Dès que le ministre fut informé du conflit, ce fut facile pour lui d'agir comme conciliateur ». Donc, d'après l'organe de la Jeunesse Ouvrière Catholique, on s'était bien rendu compte que la légalité et l'appui du ministre du Travail comme médiateur pouvaient apporter des résultats heureux. Dans ce court résumé des principaux conflits que j'ai connus entre le travail et le patronat, je dois aussi faire mention de la grève des employés de Gaspé Copper Mines Ltd., et rappeler ce qui a donné naissance à cette grève, qu'il eût été si facile d'éviter, comme d'ailleurs celle de l'amiante. Les grèves du textile et de l'aluminium étaient au moins aussi importantes pour les ouvriers que celles de l'amiante ou de la Gaspé Copper, mais elles furent totalement différentes de celles-ci ; elles furent calmes, sans aucun incident. Elles évoluaient dans le cadre de la légalité et se terminèrent par de grands avantages pour les syndicats. Les grèves de l'amiante et de Gaspé Copper furent par contre violentes et perdues pour les travailleurs, à qui elles n'apportèrent aucun avantage nouveau. Le bilan de la situation ouvrière dans les industries du textile et de l'aluminium devait être établi un jour. Je conviens qu'à cause de malaises qui semblaient incurables et qui existaient depuis de longues années dans ces deux industries, il fallait un examen sérieux et complet. C'est ce que je me suis efforcé de faire en présidant aux délibérations qui ont apporté dans les deux cas des règlements justes et durables. D'ailleurs, dans ces deux conflits, les syndicats, confiants dans la justesse de leur cause, n'infligèrent aucun dommage à la propriété ; il n'y eut ni piquetage, ni attaque d'aucune sorte. Chaque grève présente un aspect particulier et surgit pour une cause ou une raison différente. A Murdochville, la Gaspé Copper Mines, contrairement à ce que la population québecoise a toujours cru, n'était pas opposée à une union nationale ou internationale, mais refusait.de transiger avec la United Steel Workers of America. À Noranda, la même société et la même Union sont en lutte depuis une douzaine d'années et cela continue. Je ne veux ici ni analyser les causes de ce refus de transiger avec une union, ni me prononcer en cette matière, mais je veux uniquement nous reporter à l'affaire de Gaspé Copper Mines et ce qui l'a provoquée. Il est important que tous ceux qui ont parlé ou écrit à propos de cette grève en connaissent les origines et sachent que l'Union internationale des employés de mines du district de Gaspé (local 544) fut certifiée par la Commission des relations ouvrières le 26 mai 1954 et que, le 16 juillet suivant, une convention collective de travail, pour une durée de deux ans, était signée entre cette union internationale et Gaspé Copper Mines. Un contrat de travail fut donc signé en un temps record de sept semaines, après la reconnaissance syndicale et avec une union affiliée à une grande centrale syndicale. En 1956, les grandes centrales (C.M.T.C. et C.C.T.) se fusionnaient pour donner naissance au Congrès du Travail du Canada. À ce moment, les mineurs de Murdochville ont été mutés à la United Steel Workers of America (local 4881). Une nouvelle demande de reconnaissance syndicale fut faite le 1er août 1956. Cette fois, Gaspé Copper Mines s'opposa à la certification. Après toute une série de procédures et requêtes par l'union et la compagnie, la demande de la United Steel Workers fut rejetée par la Commission des Relations ouvrières. Dans l'intervalle, Gaspé Copper Mines accorda un ajustement de salaires allant de $0.07 à $0.18 l'heure. Quelques mois plus tard, le 8 mars 1957, la Compagnie suspendait M. Théo Gagné, président de l'union locale, ce qui était maladroit, et deux jours plus tard une grève fut déclarée. Elle était illégale et fut perdue par la United Steel Workers, comme d'ailleurs toutes les grèves illégales précédentes. L'union actuelle, qui fut reconnue en juillet 1958, se nomme l'Association des travailleurs de Murdochville. Voilà des faits que tout le monde ignore, à l'exception des principaux intéressés. Quand je dis que cette grève aurait pu être évitée, on comprendra que s'il n'y avait pas eu de transfèrement de local d'une centrale syndicale à une autre, cette transformation d'un local (544) de l'Union internationale des employés de mines en un local (4881) de la United Steel Workers, la grève de Murdochville n'aurait pas eu lieu. Plus encore, après que la grève fut déclenchée, connaissant le refus tenace de Gaspé Copper Mines, on n'avait qu'à revenir à l'ancienne Union Internationale des Employés de Mines. Gaspé Copper refusait de transiger avec la United Steel Workers pour mettre fin à la grève. On conviendra que tous ces faits indéniables sont bien différents de tout ce qui fut dit au cours d'une campagne venimeuse, par les adversaires de l'Union nationale. Que l'on n'aille pas dire que je blâme le syndicat, non. L'intransigeance de la Gaspé Copper Mines fut inexplicable. Mais tout de même on savait à quoi on s'exposait en cherchant à imposer une union en lutte avec cette société depuis des années. Sachant à l'avance la réaction de Gaspé Copper, il était facile de rester avec l'ancienne union qui, elle, était acceptée et qui était aussi puissante que les United Steel Workers. Avec la législation ouvrière actuelle, une grève dénote un manque de maturité chez ceux qui la causent sans raison suffisante ou chez ceux qui la font durer pour une longue période de temps. L'amiante La grève de l'amiante, différente des autres il est vrai, aurait pu être évitée, ou considérablement écourtée. Durant les deux mois qui suivirent l'arrêt du travail, il se produisit plusieurs incidents regrettables qui firent les manchettes des journaux. Je veux surtout faire le récit de ce qui ne fut pas connu ou très peu. Après deux mois de grève et de nombreuses démarches, je pouvais enfin déclarer, le 22 avril, qu'il avait été convenu entre la Fédération et la Canadian Johns-Manville que les deux parties désigneraient chacune avant le lendemain midi, samedi 23 avril, leur arbitre respectif dans un conseil d'arbitrage qui siégerait immédiatement après le retour au travail des grévistes. Les arbitres une fois choisis, c'était en principe la fin de la grève, pour le moment. Jean Marchand s'empressa de démentir cette nouvelle réconfortante. Le Devoir du 23 avril rapporte ma déclaration et la dénégation de M. Marchand sous ces titres : « La grève de l'amiante en voie de règlement », et plus bas: « M. Barrette dit OUI; M. Marchand répond NON » et en ces termes :
Aussitôt que cette communication fut rendue publique, M. Marchand s'était précipité vers Asbestos et disait, selon Le Devoir du même jour :
Jean Marchand savait, le 22 avril, que, par suite de l'intervention conjointe de Son Excellence Monseigneur Roy et du ministre du Travail, la Fédération et la Johns-Manville devaient chacune désigner, le 23 avril, leur arbitre dans un conseil d'arbitrage. Dans un communiqué, Jean Marchand acceptait avec ambiguïté la formation possible d'un conseil d'arbitrage par l'entremise d'une tierce personne, (Son Excellence Monseigneur Maurice Roy), mais il trouvait le moyen de nier que cette rencontre dût avoir lieu. Et quand les journalistes me demandèrent : « Lequel des deux dit la vérité ? », je répondis: « Eh bien ! soyez au ministère du Travail lundi après-midi, vers trois heures ; si les arbitres sont rendus, j'aurai dit la vérité et vous tirerez vos conclusions ; s'ils ne s'y rendent pas, j'aurai un communiqué à vous remettre ». A trois heures, le 25 avril, Ivan Sabourin et Théodore L'Espérance firent leur entrée dans mon bureau. Malheureusement, dans aucun journal, il n'y eut d'article soulignant ce fait en relation avec la dénégation de M. Marchand et mon affirmation. Tout au début de la conférence, je demandai à Me Théodore L'Espérance, à cause du démenti apporté à mon communiqué, en quelle qualité et pour quelle fin il était présent à la réunion. Avait-il un mandat ? Oui, il avait un mandat. Était-il arbitre de la Fédération ? Il avoua difficilement qu'il était l'arbitre des syndicats. Il était réticent ; il fallut une bonne heure pour lui arracher des bribes de réponse. Cependant, il finit par admettre ce qui était nécessaire pour commencer mes explorations dans le but de nommer un président. Elles devaient être longues, pénibles et inutiles. D'habitude, en pareil cas, les deux parties s'entendent ou refusent de collaborer au choix d'un président ; l'on s'en remet alors, comme le dit la loi, au ministre du Travail. J'ai désigné d'office deux cents présidents au moins. Dans ce cas particulier, L'Espérance refusait de participer au choix d'un président, sans dire qu'il y avait échec, c'est-à-dire en évitant de s'en remettre au ministre du Travail. Finalement, après quatre jours de négociations, cette conférence aboutissait à une impasse pour accomplir un travail qui, d'habitude, prend moins d'une heure. Cet échec était donc voulu ; il était prévu ; l'on voulait continuer la grève : c'en est une preuve. Il y en a bien d'autres, comme on le verra. Dès le début de la conférence, je proposai d'abord à Me Théodore L'Espérance, comme président du conseil d'arbitrage, n'importe quel juge des Cours des Sessions de la Paix ou des Cours de Magistrat de Québec ou de Montréal, à l'exception d'un seul qui m'avait été proposé hors de mon bureau au nom d'une seule des parties directement concernée ; deuxièmement, n'importe quel président des commissions provinciales : Accidents du travail, Relations ouvrières, Services publics, Affaires municipales, etc... et, finalement, l'un ou l'autre des juges-en-chef de la Cour des Sessions de la Paix ou de la Cour de Magistrat de Québec et de Montréal. Me Théodore L'Espérance refusa tous les juges des Cours de Magistrat ou des Sessions de la Paix, tous les présidents des commissions et tous les juges-en-chef des cours provinciales de justice. Par contre, Me Ivan Sabourin souscrivait à l'avance au choix de l'arbitre syndical. La Fédération était résolue de n'accepter comme président du conseil d'arbitrage qu'un seul juge de la province, celui qui m'avait déjà été proposé, ex-parte, et que j'avais, pour cette raison, écarté. Un personnage qui n'avait rien à faire avec ce conflit avait voulu m'imposer un juge dans des circonstances dramatiques en présence d'une autre personne de haut rang (6) ; je ne pouvais plus nommer ce juge. Ainsi, sur une liste de cinquante juges des cours provinciales, la Fédération en rejetait en bloc d'un seul coup quarante-neuf ! On aurait pu comprendre le rejet d'un juge, mais refuser quarante-neuf juges pour n'en accepter qu'un seul constituait un fait sans précédent dans les annales judiciaires du Québec. Un gouvernement soucieux du bon renom des tribunaux et jaloux de l'honneur de la magistrature du Québec ne pouvait tolérer la mise au ban de l'opinion publique de tous les juges et magistrats disponibles de nos cours provinciales. Les négociations entre L'Espérance et Sabourin pour le choix d'un président allaient se terminer le vendredi soir, 29 avril, d'une façon bien imprévue. A l'ajournement de notre séance du vendredi après-midi, aux nombreux journalistes qui étaient assemblés dans l'antichambre du ministère et qui désiraient connaître le résultat des négociations commencées le lundi après-midi, je déclarai que j'avais invité les deux représentants à me rencontrer de nouveau, le samedi matin, en leur faisant connaître ma volonté de négocier tous les jours y compris le dimanche, à Québec, à Montréal ou ailleurs, jusqu'à ce qu'une entente eût été conclue pour le choix du président d'un conseil d'arbitrage. Je demandai, vers six heures vendredi soir, aux deux avocats s'ils étaient prêts à revenir le samedi matin, à neuf heures, à mon bureau. Me L'Espérance me dit qu'il ne savait pas au juste s'il pouvait siéger le samedi. Mon offre de poursuivre les discussions dans la matinée du samedi et dans la journée du dimanche embarrassait à l'extrême le représentant de la Fédération qui déclara ne pouvoir me donner de réponse à ce moment, mais qu'il le ferait un peu plus tard. Je n'avais donc rien de définitif à dire aux nombreux journalistes qui attendaient, mais ils constatèrent ma bonne foi lorsque je fis répéter à Me L'Espérance, dans l'antichambre, ce qu'il venait de déclarer dans mon bureau et quand je lui dis, devant plusieurs personnes, que j'attendais son téléphone durant la soirée pour me faire connaître l'endroit et le moment de notre prochaine rencontre. Comme Me L'Espérance me demandait de nouveau de faire l'inverse et de lui téléphoner, j'insistai fortement pour dire que je serais dans ma chambre entre sept heures et minuit, constamment près du téléphone et que j'attendrais sa réponse. J'avais la certitude d'avoir beaucoup de difficultés à l'atteindre et je préférais le rendre responsable de l'appel qui devait permettre la poursuite de nos négociations. Nous nous sommes donc séparés sur cette entente qui eut lieu devant quelques journalistes, un sous-ministre et des employés du Ministère. Durant toute la soirée plusieurs représentants d'agences de presse et des journalistes communiquèrent avec moi pour savoir si les négociations se continueraient le lendemain ; je répondis dans l'affirmative, mais en rappelant que j'attendais toujours la réponse de l'avocat de la Fédération. Finalement, vers dix heures, on annonça à la radio la rupture des négociations, sans que j'eusse été informé de ce qui se tramait durant toutes ces heures passées à attendre un appel téléphonique de Me Théodore L'Espérance. Tout cela se passait le soir du 29 avril, soit quelques jours avant les troubles les plus graves de toute la grève, à Asbestos. Au cours de la soirée, Me L'Espérance avait téléphoné à ma chambre à deux reprises pour me dire, une première fois, qu'aucune décision n'était encore prise sur la poursuite des négociations, qu'il venait à peine de finir son repas et qu'il devait rencontrer les principaux officiers de la Fédération et de la Confédération avant de pouvoir me faire connaître l’heure et l'endroit de la prochaine réunion des deux arbitres et du ministre du Travail. L'avocat des syndicats me téléphona de nouveau, entre neuf heures et neuf heures et demie, pour me répéter que la conférence de la Fédération était commencée mais qu'il n'était pas encore en mesure de me dire quand les pourparlers se continueraient. Dans l'intervalle, Marc Thivierge, représentant de la British United Press, m'avait aussi téléphoné pour avoir des nouvelles ; il me rappela vers dix heures pour me dire : « Écoutez le communiqué qui passe à la radio en ce moment et vous saurez que les négociations sont rompues définitivement ». Par ces appels téléphoniques durant la soirée, Me Théodore L'Espérance et ses compagnons savaient que j'étais retenu à ma chambre et hors d'état de découvrir que, pendant ce temps, des communiqués de presse et de radio étaient rédigés. Durant les longues heures passées près du téléphone à attendre la réponse, on préparait la publicité de fin-de-semaine pour annoncer d'une façon dramatique, vendredi soir à la radio, et le samedi matin dans les journaux, la fin de nos discussions et l'organisation des collectes publiques à la porte des églises, qui eurent lieu le dimanche suivant. Durant cette soirée mémorable, on me faisait croire que la CTCC et la Fédération étaient réunies pour étudier l'à-propos de continuer les pourparlers pour le choix d'un président, alors qu'en fait on assurait la continuation de cette grève inutile et désastreuse. Pendant que j'attendais une réponse que l'on m'avait promise, Gérard Picard, président général de la CTCC, Mgr Jean-Charles Leclaire, président de la Commission sacerdotale d'Études Sociales, et Me Théodore L'Espérance, rédigeaient leurs communiqués pour assurer, encore une fois, la rupture des négociations et la continuation de la grève. Ces communiqués étaient diffusés avec fracas à la fin de la soirée de vendredi et occupaient les manchettes des journaux, le samedi matin ; les trois stratèges avaient bien préparé leur complot. Ils prévoyaient que je n'aurais pas le temps de répondre avant le lundi suivant, soit après le dimanche où l'on devait annoncer les collectes publiques. Le communiqué de Mgr Leclaire, joint à ceux de Gérard Picard et de Me L'Espérance, devaient m'empêcher de dénoncer comme il convenait les auteurs d'une supercherie inqualifiable. Contrairement à ce que laissent supposer ces communiqués, les négociations qui avaient duré toute la semaine avaient porté uniquement sur le choix d'un tribunal d'arbitrage. En marge de la formation de ce conseil d'arbitrage, j'avais obtenu des sociétés intéressées qu'aucune objection ne serait faite pour la remise des certificats de reconnaissance syndicale et qu'aucune discrimination ne serait exercée contre aucun des employés en grève. De plus, j'offrais aux syndicats de me mettre à leur disposition pour faire toutes les démarches possibles et utiles en vue d'amener un règlement à l'amiable des procédures civiles pendantes devant les tribunaux. Les syndicats, de leur côté, avant de se soumettre à l'arbitrage exigeaient que les employés soient remis au travail dans un délai maximum de cinq jours, à moins de raisons incontrôlables, et que toutes les actions et injonctions intentées contre certains organismes syndicaux soient considérées réglées. Je ne pouvais vraiment promettre plus que ce que j'étais autorisé à faire de par ma fonction de ministre du Travail. Mais, encore une fois, ces propositions et contre-propositions ne furent nullement discutées au cours de cette semaine de négociations. Il fut question uniquement du président d'un conseil d'arbitrage. Les négociations furent donc rompues sans que j'eusse, en aucune façon, été prévenu. L'on avait attendu la fin de la soirée pour remettre ces déclarations à la radio et aux journaux avec la certitude que je n'aurais pas le temps de faire quoi que ce fût avant le lundi. Tout était calculé minutieusement, on pourrait dire scrupuleusement, s'il ne s'agissait précisément d'une manoeuvre que la conscience de ses auteurs eût dû leur défendre. Lorsque ces déclarations furent transmises à la radio, il ne me restait qu'une heure pour confirmer aux représentants des agences de presse, que les négociations en vue du règlement de la grève dans l'industrie de l'amiante avaient été rompues par les Syndicats. Je disais que les réunions qui avaient eu lieu à mon bureau du Parlement toute la semaine à partir du lundi après-midi venaient de prendre fin à dix heures et quart vendredi soir, que ces entrevues avaient été laborieuses et pénibles et que je n'avais rien épargné pour constituer le conseil d'arbitrage que j'avais proposé (7). Qui pourrait douter un moment que l'heure de l'émission des trois communiqués de Gérard Picard, de Me Théodore L'Espérance et de Mgr Leclaire avait été soigneusement choisie, afin d'empêcher une explication complète sur tous les événements des jours précédents, que j'aurais pu donner avec preuves à l'appui ? Des journalistes étaient demeurés dans mon antichambre toute la semaine ; ils avaient vu le démenti apporté à Jean Marchand par l'arrivée des deux arbitres, dont le représentant de la Fédération nationale des employés de l'industrie minière ; ils avaient vu, le vendredi en fin d'après-midi, l'embarras évident de Me Théodore L'Espérance et ses hésitations quand je lui demandai s'il pourrait revenir à mon bureau le lendemain pour continuer les négociations. J'avais peu de confiance dans l'utilité de toutes ces démarches, mais j'essayais quand même de les conduire à bonne fin. À la séance du début, le lundi, voyant que l'avocat de la Fédération prenait des moyens provocants pour me faire répondre avec impatience à ses atermoiements et à ses hésitations, je lui avais dit : « II est inutile, Maître L'Espérance, d'essayer de me faire mettre en colère, vous perdez votre temps ; nous allons négocier toute la journée et nous négocierons tous les jours tant et aussi longtemps que nous ne tomberons pas d'accord sur une formule quelconque conduisant à l'arbitrage ». Cet avis, apparemment, n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Il changea de tactique et se contenta de refuser toute proposition et toute collaboration. Il ne faut pas oublier que le syndicat n'était pas obligé d'accepter la décision majoritaire arbitrale ; il était obligé d'aller à l'arbitrage, mais pouvait refuser la sentence et, ensuite, faire la grève légalement, comme cela s'est produit bien des fois. J'avais montré durant la semaine beaucoup de déférence et de politesse envers les deux savants avocats. Le vendredi soir, il ne me restait plus, après la rupture sournoise de nos pourparlers, qu'à faire une déclaration laconique, que je remis à la presse et où je ne me départis pas de cette ligne de conduite que je m'imposais malgré tout. Par suite de la rupture des négociations, des collectes furent faites aux portes des églises pour les grévistes de l'amiante. Le Crédit Social, condamné aujourd'hui par Jean Marchand, était dans le temps un allié précieux, puisque des paniers de nourriture étaient distribués aux grévistes par les adeptes du nouveau parti. Evidemment, l'annonce d'une entente par la création d'un tribunal d'arbitrage aurait rendues inutiles ces démonstrations de sympathie pour des gens en grève contre la loi. II n'était plus question du tout des compagnies minières d'amiante, mais uniquement du Gouvernement ; toutes les manifestations étaient dirigées contre le Gouvernement. On ne parlait plus d'amiantose ; on luttait contre le Gouvernement. Le dimanche précédent cette longue semaine passée en négociations illusoires, j'avais reçu à Joliette la visite de Camillien Houde, alors maire de Montréal. M. Houde me téléphona tôt dans l’après-midi et il se présenta chez moi vers quatre heures avec un projet qui devait, selon lui, amener un règlement rapide et complet de la grève de l'amiante. C'était trop simple ; il s'agissait d'appliquer immédiatement la formule Rand à toute l'industrie de l'amiante. Il avait l'assurance d'un retour immédiat au travail avec cette concession. Je savais cela depuis le début de la grève (8). Camillien Houde était délégué, me disait-il par S.E. Monseigneur Charbonneau, archevêque de Montréal. Je lui répondis que je ne pouvais accéder à une telle demande avec toutes les conséquences qu'elle impliquait pour les relations futures entre le capital et le travail dans notre province. Lorsque je lui dis qu'à la Faculté des Sciences Sociales à Québec on appuyait cette grève et que le secrétaire du Doyen de la Faculté s'était rendu dans les Cantons de l'Est pour encourager les grévistes à continuer la grève, Camillien Houde fut bien surpris. II le fut davantage quand je lui prouvai la fausseté des déclarations faites pour tenter de motiver le refus de se soumettre à l'arbitrage, sous le prétexte qu'il n'avait jamais rendu justice aux travailleurs de l'amiante, alors qu'en fait, il n'y avait jamais eu d'arbitrage pour le renouvellement d'une convention collective dans cette industrie depuis que j'étais ministre du Travail. Lorsque je lui montrai, preuves en main, ce que nous avions fait pour assainir les conditions de travail et qu'en fait, il n'était plus question de poussière d'amiante, mais que l'on résumait toutes les demandes à l'application de cette formule de cotisation obligatoire, il fut tout à fait renversé et me demanda si je pouvais, le soir même, parler à S.E. Mgr Charbonneau, qui était allé chez lui la veille et qui devait y retourner le soir même pour connaître ma réponse à sa proposition. II fut convenu que vers huit heures, Mgr Charbonneau me parlerait au téléphone de la résidence de Camillien Houde, que ce dernier m'appellerait sans se nommer, que je ne devais mentionner aucun nom dans la conversation. À l'heure indiquée, je répondis à un appel téléphonique ; je reconnus la voix de Camillien Houde qui me dit: « Le personnage dont il a été fait mention entre nous cet après-midi est ici à mes côtés et veut vous parler ». Immédiatement, l'Archevêque de Montréal, que je reconnus aussi sans peine, engagea la conversation : « J'apprends des choses renversantes ; vous auriez dû me faire connaître cet aspect de la question que j'ignorais, il est encore temps d'arrêter ce qui a été annoncé ». Je conclus de cela que les collectes n'auraient pas lieu. Mais il était trop tard sans doute pour empêcher ce qui avait été décidé et, le dimanche suivant, à la porte de l'église de ma paroisse, des jeunes gens me poursuivirent sur une bonne distance pour me demander ma contribution. Un autre dimanche, on fit de même à la campagne où je m'étais réfugié. Il en fut ainsi pour plusieurs de mes collègues. On conçoit que cette conversation avec S. E. Monseigneur Charbonneau et les événements qui suivirent me laissèrent un peu perplexe. Après cette conversation, j'avais espéré une meilleure compréhension de la situation et une intervention salutaire de l'Archevêque de Montréal pour empêcher les troubles qui se préparaient. Toutefois, je ne dis rien de cela à Maurice Duplessis. Même lorsque les négociations furent rompues, je gardai pour moi tout ce que j'aurais pu dire et qui aurait davantage semé la confusion dans les esprits. D'ailleurs, avant d'aller plus loin, je dois écrire que quelques jours plus tôt, j'avais reçu dans mon bureau du ministère du Travail, la visite du Révérend Père Georges-Henri Lévesque, dominicain, Doyen de la Faculté des Sciences sociales de Québec. Le Révérend Père s'était rendu à mon bureau sans me prévenir, d'accord, j'en suis certain, avec quelqu'un du ministère, puisqu'il entra par une porte donnant sur un bureau privé et non par l'antichambre. J'allai à sa rencontre au milieu de la pièce. Sans beaucoup de préambule, le Père Lévesque me dit: « Je sais que vous traversez une période extrêmement difficile ; je viens vous offrir le concours de ma parole pour expliquer au peuple québécois toute cette situation dont vous n'êtes pas responsable. L'on dit que vous allez démissionner comme ministre du Travail. Si vous posez ce geste, je suis prêt à monter sur les tribunes à vos côtés partout où vous irez dans la province ». Sans inviter le Père Lévesque à s'asseoir et sans répondre à sa proposition, je marchai lentement vers la porte par où il était entré et je l'éconduisis poliment, sans hâte, mais d'une façon très évidente. Je reçus cette visite vers l'époque où les étudiants de la Faculté des Sciences sociales, après avoir ramassé une somme d'argent chez leurs confrères des autres facultés, se proposaient d'aller à Thetford-les-Mines faire une visite d'amitié aux grévistes et remettre dans une assemblée publique le montant de la souscription aux dirigeants de la grève. Ils en furent empêchés par les sages conseils du Recteur de l'Université Laval, ce qui lui attira une protestation de Gérard Filion dans Le Devoir du 23 avril, résumée ci-après :
Mgr Ferdinand Vandry fit une vive riposte, de Trois-Rivières où il se trouvait, quelques jours plus tard, que Le Devoir reproduisit en entier et dont voici quelques passages :
LA GRÈVE DE L'AMIANTE, MGR FERDINAND VANDRY, ET LE DEVOIR Déclaration de Mgr Vandry à Trois-Rivières. LES TROIS-RIVIÈRES, 28 (D.N.C.)
Comme on peut le voir, la situation était tendue ; tout le monde était entraîné dans ce tourbillon que l'on tentait d'accéléler encore pensant qu'il finirait par nuire assez au gouvernement de l'Union nationale pour assurer sa défaite. Le T.R.P. Georges-Henri Lévesque en avait contre Maurice Duplessis et tentait, par tous les moyens et dans tous les milieux, de lui susciter des ennuis, d'enrégimenter dans sa croisade toutes sortes d'influences. J'en eus bien souvent des preuves. Un jour, après cette visite qu'il m'avait faite, il essaya de convaincre M. Sydney Smith (8) président de l'Université de Toronto, de donner l'exemple d'une protestation pour amener les universités canadiennes à sa suite sous le prétexte que Duplessis avait voulu s'immiscer dans l'administration de l'Université Laval. Le Père Lévesque avait raconté à sa façon une intervention présumée du Premier ministre, probablement en rapport avec l'interdiction faite aux étudiants de Laval d'aller à Thetford. M. Sydney Smith, avant d'aller plus loin, avait consulté le Colonel Wilfrid Bovey, C.L., dont il connaissait l'impartialité et la largeur de vues. Le Colonel Bovey vint me voir, me raconta sa conversation avec Sydney Smith et me demanda ce que je pensais de cette démarche du Père Lévesque. Je lui donnai quelques-unes des raisons du désaccord entre le Chef du Gouvernement et le Doyen de la Faculté des Sciences sociales. Je lui donnai aussi l'assurance formelle que les autorités de Laval ignoraient tout de cette démarche intempestive et l'affaire n'alla pas plus loin. (9) Cela non plus je ne l'ai pas dit à Maurice Duplessis ni à mes collègues. Ces conversations rendues publiques à ce moment auraient tellement compliqué les choses, non seulement au niveau des relations patronales-ouvrières, mais à des échelons supérieurs, que je me suis astreint au silence. La meilleure façon de servir dans les circonstances, c'était d'éloigner la mèche du baril de poudre. Avec toutes ces interventions et la grande publicité qu'accordaient les journaux aux moindres détails qui se rapportaient au conflit, on était en passe de faire d'une grève illégale une crise nationale. Tous les adversaires du Gouvernement jetaient de l'huile sur le feu ; on avait même fait signer une requête chez des artistes et des intellectuels encourageant les grévistes. Cette requête me fut remise un jour. J'avoue que, dans la longue liste de noms qui la composaient, je n'en ai pas vu un seul que l'homme moyen aurait reconnu. Après ces événements venant à la suite d'un triple communiqué de la CTCC qui prenait beaucoup de place dans les journaux du samedi, 30 avril, il devint évident que l'on ne reculerait devant rien. Quelques jours plus tard, le 5 mai, la province de Québec fut témoin de troubles qui n'auraient pas eu lieu si les ouvriers en grève avaient été bien renseignés. Après le rejet en bloc, pour la présidence de ce conseil, de tous les juges des cours provinciales ; après les mensonges des communiqués, les discours révolutionnaires et les collectes, l'encouragement d'artistes, l'appui de la Faculté des Sciences sociales de Laval ; après toutes ces prises de position et ces défis rapportés dans la plupart des grands journaux, tout pouvait arriver. Il faut convenir que les grévistes pouvaient bien faire fi de la légalité, avec l'aide qu'ils recevaient de partout de toutes sortes de gens pour qui la grève et la loi étaient choses secondaires, qui disaient représenter une élite quelconque, mais qui voulaient surtout combattre le Gouvernement. Tout cela obligeait la Fédération à continuer la grève coûte que coûte. C'est dans un climat presque insupportable que je travaillais depuis des semaines. J'essayais toujours cependant de réunir les représentants des syndicats et des compagnies minières. Durant les deux dernières semaines du mois de mai 1949, j'ai rencontré Gérard Picard, président général de la CTCC et Ivan Sabourin, c.r. procureur de la Compagnie Johns-Manville, qui négociait au nom de toutes les compagnies minières d'amiante, toujours dans le but d'amener une entente pour le choix du président d'un tribunal d'arbitrage. Ces efforts furent encore vains. Le 2 juin, j'annonçai avec un profond regret que les négociations entre la Fédération et la Compagnie étaient de nouveau rompues. Ici encore, l'unique obstacle sur la voie d'un règlement venait de la Fédération. Gérard Picard, au nom des grévistes, réclamait cette fois pour la présidence du conseil d'arbitrage la nomination du juge-en-chef de la Cour d'Appel ou, à tout le moins, d'un de ses collègues. Après avoir refusé tous les juges provinciaux pour la présidence du conseil d'arbitrage, on prenait un autre moyen pour empêcher qu'un accord intervienne ; on exigeait, cette fois, un juge de la Cour d'Appel comme président, sachant bien que le gouvernement provincial ne pouvait se rendre à une telle demande. Le respect des tribunaux constitue la pierre angulaire de l'ordre social ; c'est la base, c'est aussi la clé de voûte de l'édifice, et les tribunaux, il faut bien le dire, sont plus utiles aux petits et aux faibles qu'aux puissants ; ceux-ci peuvent mieux se défendre et ne sont pas menacés de la même façon que peuvent l'être des individus obligés de compter uniquement sur la justice et qui doivent pouvoir s'y fier. Lorsque l'on peut manifester impunément un tel manque de confiance envers les juges ou ceux qui administrent la justice, que l'on déprécie les tribunaux de la sorte, on fait un tort immense, non seulement à la justice, mais à ce peuple que l'on feint de servir. Lorsqu'un peuple ne croit plus dans la justice de son pays, il monte à l'assaut des barrières et veut tout renverser pour reconstruire sur de nouvelles bases. Il est bien étrange que pas un journal n'ait écrit quoi que ce soit à ce sujet, pas un personnage en autorité n'a élevé la voix contre ce sabotage social outrageant, et dangereux, dont étaient responsables quelques personnes seulement. Les représentants de la Fédération se rendaient bien compte de ce qu'ils faisaient, mais en mettant le Gouvernement dans l'obligation de refuser une proposition, qui paraissait facile d'acceptation, il le plaçait dans une situation fausse et la grève se poursuivait. Ce n'est que le 23 juin que les dirigeants de la CTCC décidèrent d'y mettre fin, en ordonnant aux grévistes de retourner au travail. Ils proclamaient avoir gagné la grève. En fait, ils n'avaient rien obtenu depuis le 14 février. Ils devaient d'abord retourner au travail avant de négocier, comme je l'avais toujours demandé. Tout était à recommencer. La Fédération des travailleurs de l'amiante consentait à soumettre ses griefs à l'arbitrage. Je proposai donc, du consentement des parties, le juge Thomas Tremblay que j'avais suggéré comme Président du conseil d'arbitrage précédemment. Ce choix aurait pu s'effectuer à l'amiable, dès le début de la grève. Me rendant aux demandes du syndicat, j'avais informé les compagnies qu'aussitôt les arbitres nommés, je ferais une demande formelle pour que les certifications de reconnaissance syndicale soient remises et que j'espérais ne pas avoir d'opposition à cette requête. J'obtins l'assurance qu'il n'y aurait pas d'objection de la part des sociétés minières auprès de la Commission des relations ouvrières. Cela redonnait aux syndicats un statut légal qui obligerait les employeurs à négocier avec eux immédiatement après le retour au travail. La loi redevenait utile et on s'en servait. Ainsi donc, après cinq mois de grève inutile et obstinée, je m'employai à faire disparaître toutes les objections, toutes les causes de retard, les sujets de discussion, réclamant toujours et seulement le respect de la loi et le maintien de l'ordre, que j'obtenais enfin. Si le ministère du Travail n'avait pas insisté auprès des compagnies pour que fût retirée la demande qu'elles avaient faite d'un vote au scrutin secret pour savoir si les grévistes favoriseraient encore le syndicat, il est difficile de dire ce qui serait arrivé. II se peut que la majorité des ouvriers, désireux depuis longtemps de retourner au travail, eussent abandonné la Fédération, même après la grève. J'ai demandé et obtenu qu'un tel vote ne fût pas ordonné. En juillet, j'annonçai la formation du conseil d'arbitrage qui tint sa première séance à Thetford-les-Mines, le 6 août 1949. Le juge Tremblay déclara d'emblée que la sentence arbitrale serait rétroactive au 1er janvier. Le retour au travail se fit graduellement. Enfin, le 6 octobre, le conseil d'arbitrage tenait sa dernière séance à Montréal et prenait le différend de l'amiante en délibéré. Quant à la poussière d'amiante, la sentence arbitrale, après avoir souligné les dépenses considérables effectuées à date pour l'éliminer, mentionnait les dispositions des compagnies à continuer le bon travail déjà commencé et à recevoir, comme auparavant d'ailleurs, les suggestions de la Fédération à ce sujet. De grands spécialistes canadiens et américains en maladies pulmonaires furent entendus. Les représentants de la Fédération eurent l'occasion de faire valoir leurs revendications et de faire assigner leurs témoins, médecins et autres. Le 16 décembre 1949, la sentence arbitrale de la commission présidée par le juge Tremblay était rendue publique. Quelques jours plus tard, je partais pour Rome, représenter la province aux cérémonies d'ouverture de l'Année Sainte. Le 28 décembre, Maurice Duplessis recevait Gérard Picard et demandait à ma suggestion la révision de l'indice du coût de la vie. Jusque-là, plusieurs contrats de travail comportaient une clause à l'effet de majorer automatiquement de $0.25 le salaire hebdomadaire à chaque point de hausse dans l'indice du coût de la vie. Le Premier ministre intervint pour relever de $0.25 à $0.40 cette compensation. À partir de janvier 1950 jusqu'à janvier 1952, à cause de l'augmentation rapide du coût de la vie, le bonus de vie chère de $0.40 par point de hausse a rapporté aux mineurs de l'amiante $12.80 par semaine. Ce bonus, qui n'était pas une conséquence de la grève, qui n'avait rien à faire avec la grève, puisqu'il existait auparavant, s'ajoutait évidemment aux augmentations horaires de salaire accordées par le conseil d'arbitrage de 1949. Lorsque la sentence arbitrale fut rendue publique, Gérard Picard fit ce commentaire :
Contrairement à cette déclaration le journal Le Travail, organe officiel de la CTCC, dans un article éditorial de janvier 1950, soulignait le rapport Tremblay et le règlement de la grève de la façon suivante :
On voit la contradiction entre l'article du journal Le Travail et la déclaration de Gérard Picard. Ce dernier gardait en outre le silence absolu sur la participation de Maurice Duplessis à l'ajustement du bonus de vie chère. Cette formule de retenue syndicale irrévocable, que je favorisais, signifie que la retenue ne peut être révoquée ou ne peut cesser avant la fin du contrat dans lequel elle est incluse. C'est une protection très grande accordée aux syndicats. Au moment du retour au travail, il y eut des questions délicates à régler : la compagnie Johns-Manville avait embauché des travailleurs durant la grève en promettant à chacun d'eux qu'il conserverait son emploi quoiqu'il advînt et cet engagement avait été rendu public en donnant aussi un avis aux grévistes qu'ils devaient reprendre leur travail au risque de perdre leur emploi. Il y avait trois cent cinquante de ces nouveaux employés dans les mines lors du règlement de la grève, et la Fédération exigeait le renvoi de ces mineurs non syndiqués. En mon absence de Québec, Lewis Brown, président de la Compagnie Johns-Manville, et son procureur Me Ivan Sabourin, s'étaient rendus à l'Archevêché de Québec pour dire à S. E. Monseigneur Maurice Roy qu'ils étaient bien consentants à ne pas objecter à la remise des certifications syndicales, qu'ils acceptaient toute la formule du règlement, à l'exception d'une condition : le renvoi de ces trois cent cinquante employés. Il n'y avait pas de règlement possible dans ces conditions. Quand je revins à Québec, Me Ivan Sabourin vint m'apprendre cette décision prise par la Compagnie. Je ne pus accepter son point de vue : « Vous saviez que vous deviez éventuellement signer un contrat avec vos anciens employés ; vous saviez que la grève se terminerait un jour : si vous vous êtes mis dans une situation fausse, c'est à vous, la Compagnie, d'en sortir ». Ivan Sabourin prit sur lui de téléphoner immédiatement au président de la Johns-Manville à New York pour lui faire part de mon attitude et lui demander de se rendre à Québec. Dans sa hâte de venir discuter cette situation nouvelle, Lewis Brown vint le même jour me demander la raison de mon objection. Je lui dis que la Johns-Manville s'était mise dans une situation fausse et très dangereuse en s'engageant à garder les nouveaux employés et que le règlement de la grève était impossible si l'on persistait dans cette voie. Lewis Brown se rendit entièrement à mon point de vue, de même que son conseiller Me Ivan Sabourin, surtout quand j'eus démontré l'inutilité de cette procédure. Voici sur quoi je basais mes objections et comment je voulais procéder pour ramener les deux mille mineurs et employés de la Johns-Manville au travail ; il ne pouvait être question de les faire tous entrer le même jour. Les opérations d'une industrie se font progressivement ; elles commencent à un point donné et elles s'ajoutent jusqu'à l'autre extrémité de la ligne de production, quelle que soit la manufacture ou la mine. II faudrait donc trois semaines avant que la totalité des employés puisse retourner au travail. Je proposai tout d'abord de rappeler à l'ouvrage tous les hommes mariés demeurant à Asbestos, puis ceux qui demeuraient dans les campagnes environnantes. On le conçoit, chez les mineurs qui étaient propriétaires de leur maison, ou chez les cultivateurs qui habitaient leur ferme, les besoins étaient moins immédiats. Suivant les hommes mariés, les célibataires de la ville seraient appelés au travail et ensuite ceux de l'extérieur. Ainsi, quatre groupes distincts étaient formés et ce mode de retour au travail tenait compte des obligations de familles comme des besoins des individus. Tous ces gens devaient reprendre l'emploi qu'ils occupaient au moment de la grève. Les employés embauchés durant la grève seraient gardés au travail, mais n'auraient aucun droit d'ancienneté ; ils seraient considérés comme des employés nouveaux et viendraient tous à la suite de ceux qui avaient fait la grève. « Si vous voulez procéder de cette façon dis-je à M. Brown, vous allez vite constater que vous pouvez reprendre tous vos anciens mineurs et conserver en même temps les nouveaux embauchés. C'est mathématique qu'au cours d'une grève aussi longue, il y ait un pourcentage de travailleurs qui partent et ne reviennent pas, soit que la grève les effraie et qu'ils ne veulent plus y être exposés, soit qu'ils venaient d'ailleurs et sont retournés chez eux, ou pour toutes sortes de raisons. Vous pouvez donc conserver les trois cent cinquante employés nouveaux qui ne feront que remplacer ceux qui sont partis au cours de la grève ». Et c'est exactement ce qui arriva. On conçoit qu'il n'y aurait pas eu de règlement en annonçant qu'on laissait à l'écart trois cent cinquante grévistes. Je donnai des instructions au chef du Service de conciliation, Noël Bérubé, en présence de Me Ivan Sabourin, et en conformité de ce que j'avais fait accepter par Lewis Brown. Cette intervention aussi passa sous silence. Il n'était pas nécessaire d'étaler les difficultés que nous avions et d'ajouter à la tension publique provoquée par les rumeurs vraies ou fausses lancées au cours de la grève. Un peu plus tard, comme conclusion de cette entente, au moment de la signature du contrat, je reçus la visite du Président et du Secrétaire de la Fédération, Rodolphe Hamel et Daniel Lessard, du Président d'un local syndical, Armand Laurier, et du Secrétaire général de la Confédération, Jean Marchand ; ils venaient discuter du retard apporté à la réintégration dans leurs fonctions d'un petit groupe d'ouvriers ; environ 3 % du total des travailleurs retournés après la grève dans les mines n'avaient pas encore été rétablis dans leurs occupations antérieures. Il fallait mettre fin à cette situation. J'offris ma médiation à la Fédération et je proposai un règlement de la difficulté qui fut acceptée par la Fédération et par la Compagnie. Et voici pour terminer ce qu'on pouvait lire, deux ans après la grève, dans le journal Le Travail, organe officiel de la CTCC, le 1er février 1952 :
Ce n'était pas la grève qui était la cause de cette heureuse situation, puisque l'augmentation accordée par la sentence arbitrale était exactement la même qui avait été offerte au début de la grève. (1) Comme je le dis ailleurs, il y a déjà des années qu'un Code du Travail a été étudié, mis au point et accepté unanimement par le Conseil Supérieur du Travail. Et, si je ne l'ai pas présenté avant juin 1960 c'est que les principaux représentants ouvriers au Conseil m'ont demandé eux-mêmes de n'en rien faire. (2) Il faut préciser d'abord qu'en février 1949, l'amiantose était définitivement reconnue comme maladie industrielle par la Commission des Accidents du Travail; des cliniques avaient été ouvertes dans les Cantons de l'Est par les compagnies minières à la demande du Gouvernement. À plusieurs reprises, j'avais rencontré les dirigeants des syndicats; le Président de la Fédération des travailleurs de l'amiante m'avait félicité officiellement pour le travail accompli dans la prévention de l'amiantose. (3) Jean Marchand, ex-Président de la Confédération des syndicats nationaux, et maintenant ministre de la Citoyenneté et de l'immigration dans le Cabinet fédéral. (4) Pour combattre les maladies pulmonaires industrielles, amiantose et silicose, 46 compagnies employant 16 380 hommes ont dépensé de 1944 à 1949 la somme globale de $12,686,000 ou $825.00 par ouvrier. Ce sont des chiffres que j'ai cités en Chambre. (5) Il ne s'agissait pas d'un accord définitif sur le mode de retour su travail, mais uniquement d'un accord sur la formation d'un conseil d'arbitrage. (6) Ces deux personnages sont encore vivants. (7) Ces communiqués sont reproduits ailleurs dans la collection de documents. (8) J'avais toujours prétendu que ce privilège donné à un syndicat par la formule du juge Rand, de faire payer une cotisation par tous les employés d’une industrie, qu'ils fassent partie d'un syndicat ou non, et d'obliger l'employeur à faire la perception de ces cotisations pour les remettre au syndicat, équivalait en somme à un pouvoir de taxation. Une telle concession faite su cours d'une grève illégale dans une industrie basée sur les ressources naturelles aurait créé un précédent et ouvert la porte à des abus qui auraient nui au bon renom de la province de Québec et retardé l'exploitation de nos ressources naturelles. (8) Plus tard Ministre des Affaires extérieures dans le Cabinet Diefenbaker. (9) Le Père Lévesque avait félicité Maurice Duplessis au retour dune conférence fédérale-provinciale. Il était même allé jusqu'à sa chambre ce soir-là pour l'encourager à continuer sa lutte. Maurice Duplessis n'avait pas répondu à ces avances. Le Père Lévesque, un peu plus tard, froissé de l'attitude du chef de l'Union nationale, commença une lutte acharnée contre lui. (10) C'était l'offre qui avait été faite avant la grève. (11) Il s'agit ici d'un cent de l'heure par semaine de 40 heures, ce qui revient à 40 cents par semaine, par point. Source : Antonio Barrette, Mémoires, Montréal, Librairie Beauchemin, 1966, 448p., pp. 117-155. Quelques erreurs typographiques mineures ont été corrigées. Malgré des efforts qui ont été déployés dans ce but, il n’a pas été possible à l’éditeur de recevoir la permission de reproduire ce document de la Librairie Beauchemin puisque celle-ci n’existe plus depuis plusieurs années et qu’il s’est avéré impossible de pouvoir rejoindre toute personne responsable pour cette librairie. S’il s’avérait qu’une telle personne existe, j’apprécierais qu’elle entre en contact avec Claude Bélanger (C.BELANGER@marianopolis.edu) pour régulariser cette situation. L’éditeur affirme que la publication du document reproduit ci-haut est faite de bonne foi, sans but lucratif, et qu’il reconnaît les droits de la Librairie Beauchemin. © 2001 Pour l’édition sur le web, Claude Bélanger, Marianopolis College |