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L'action du clergé et de la hiérarchie catholique dans la grève de l'amiante (13 février – 1er juillet 1949)1. Grève de l'amiante et son importance On sait que le Canada occupe depuis longtemps la toute première place dans l'industrie de l'extraction de l'amiante. Les gisements les plus étendus se trouvent dans les territoires orientaux de la province de Québec, où 30,000 habitants vivent du travail de la mine et du premier traitement du minéral. [sic] La plus grande partie des ouvriers de cette zone, qui, depuis des dizaines d'années, extraient silencieusement 85% de tout l'amiante mondial, interrompirent, il y a quelques mois, leur obscur labeur, en appelant sur eux, brusquement et tapageusement, l'attention non seulement du Canada, mais encore des États-Unis et de beaucoup d'autres pays où la fibre est travaillée et recherchée. Le 13 février de l'année courante, 1,800 ouvriers de la Canadian Johns-Manville Corporation, qui exploite un des centres minéraires, Asbestos, se mettaient en grève pour soutenir des revendications déjà formulées au moment où on allait renouveler le contrat collectif de travail. Deux jours après, la grève s'étendait à Thetford-les-Mines et à d'autres localités plus petites, de sorte que l'extraction de l'amiante subit un très fort ralentissement. Au mois de juin suivant, après plus de quatre mois, la grève durait encore, et la revue des Jésuites canadiens, Relations, pouvait écrire que, quelle que fût l'issue des pourparlers, cette grève resterait
2. Conditions hygiéniques et sociales des ouvriers de l'amiante Quelques données sur les conditions des ouvriers de l'amiante -- que nous extrayons fidèlement d'un long et dramatique rapport de M. Burton Ledoux, paru dans le Devoir de Montréal, le 2 janvier dernier -- expliqueront les causes de la grève. Si la grande richesse cachée dans le sous-sol de la zone de l'amiante procure d'énormes gains aux Compagnies qui l'exploitent, elle occasionne, par ailleurs, de nombreuses misères, maladies et morts aux travailleurs. Astreints à de dures fatigues, ils passent une grande partie de la journée au milieu de dangereuses concentrations de poussière, qui provoquent une maladie mortelle : l'amiantose. En pénétrant dans les poumons, l'amiante forme de longs filaments de tissu fibreux qui surchargent les alvéoles. Celui qui en est atteint devient de moins en moins capable d'aspirer l'oxygène nécessaire à l'organisme, et alors, lentement, mais non sans éprouver de terribles angoisses, il finit par mourir suffoqué. S'il est rare que la maladie conduise au tombeau sous une forme spécifique, cela tient seulement à la fécondité maléfique de complications très graves qui évoluent plus rapidement qu'elle-même : précoces maladies de coeur, pneumonies mortelles et phtisies inguérissables. En réalité, ses rapports avec ces dernières maladies ne sont pas nettement établis. Mais la comparaison, par exemple, de deux centres (Sorel et Granby), exempts de la poussière d'amiante, avec Thetford-les-Mines, est très éloquente. Voici, en effet, les pourcentages de tuberculoses pour chaque 100,000 habitants. En 1942 : Sorel, 64.2; Granby, 89.5; Thetford-les-Mines, 301.4; en 1943,: Sorel 39.3; Granby, 40.2; Thetford-les-Mines, 391.7; en 1944: Sorel, 61.8; Granby, 65.4; Thetford-lesMines, 236.1. Après ces chiffres, Burton Ledoux tient à nous faire visiter un des centres de l'amiante : East Broughton. Dans sa partie occidentale, le village est constamment enveloppé par la poussière qui ressemble à un nuage épais. Le phénomène est ininterrompu, la nuit comme le jour, sauf les dimanches, quand le travail est suspendu, ou lorsque souffle un vent opposé. Environ 150 familles vivent dans le tourbillon de poussière qui retombe sur les trottoirs et les chaussées, au point que les personnes et les véhicules, à leur passage, laissent une empreinte bien visible. Dans les maisons, on ne peut ouvrir les fenêtres; néanmoins, la poussière s'y infiltre abondamment. Même à l'école, fréquentée par 170 élèves, il faut tenir les fenêtres fermées, mais, là encore, cela ne suffit pas à empêcher que l'amiante ne circule dans l'air que doivent respirer les enfants. Dans la mine, on pratique l'extraction à sec, ce qui favorise la production et la dispersion de la poussière. Courbés sur la perforatrice, les ouvriers sont contraints, par suite de la grande fatigue, de respirer profondément, tout près du point même où la poussière se produit. Dans les ateliers où les blocs d'amiante sont brisés pour en extraire la fibre, tous les locaux sont saturés de poussière, au point que machines et hommes, même à une courte distance, apparaissent comme des ombres imprécises. Bien qu'il vomisse à l'extérieur une incroyable quantité de poussière, le système de ventilation est tout à fait insuffisant. D'autre part, la Compagnie (la Quebec Asbestos Corporation) ne fait rien pour supprimer ce phénomène meurtrier et ne fournit pas de masques aux ouvriers. Par suite de l'irritation de la gorge, des bronches et des poumons, dont ils souffrent durant le travail, les ouvriers toussent et crachent fréquemment, même plusieurs heures après avoir quitté l'usine ou la mine. Les conditions de travail sont telles que bien peu d'ouvriers peuvent tenir longtemps sans préjudice grave pour leur santé. Le rapport Ledoux contient d'impressionnants exemples de jeunes existences brisées prématurément par le travail, et il s'agit en général d'hommes qui laissent derrière eux une famille nombreuse. L'ouvrier malade, en abandonnant la mine ou l'atelier, ne sort pas de l'enfer de la poussière, car s'il habite dans la partie de village qui en est infestée, il ne respire pas un air plus pur, dont ses poumons ont besoin. Moribond, il supplie désespérément qu'on ouvre les fenêtres, car il étouffe. Mais, même alors, la poussière ne respecte pas sa victime; pis encore, elle se hâte d'accomplir son oeuvre de mort. En périssant à cause d'un travail qui, tout en lui donnant du pain, lui a administré un poison, l'ouvrier ne laisse aux siens aucune ressource. Personne n'a appris à sa pauvre famille à demander au gouvernement provincial et à la Compagnie l'indemnité qui lui revient en vertu des lois statutaires et du droit commun. La femme d'un ouvrier -- qui, décédé à 45 ans, des suites évidentes de son travail, laissait onze enfants -- ne sut jamais rien de ses droits et, par conséquent, ne présenta aucune demande d'indemnité; plus tard, seulement, elle reçut le modique subside de 50 dollars par mois, c'est-à-dire le salaire d'un ouvrier pour environ six journées de travail. Autre chose : en affermant les travaux les plus « poussiéreux » et les plus pénibles à un sous-entrepreneur -- qui n'est pas à même d'offrir aux ouvriers la garantie à laquelle ils ont droit, -- la Compagnie croit ainsi se soustraire à la responsabilité de pourvoir aux exigences hygiéniques d'un travail nuisible à la santé; elle croit en même temps pouvoir éluder la charge de compenser les dommages qui en résultent. A cela s'ajoute le chantage inhumain, dont la Compagnie a usé à plusieurs reprises contre les protestations des ouvriers et des populations exaspérées, en menaçant de suspendre les travaux, ce qui équivalait à dresser le spectre de la famine contre d'innombrables familles. De 1944 à la fin de l'été dernier, les habitants de ce centre, individuellement ou en groupe, ont envoyé pétition sur pétition, aussi bien à la Compagnie qu'au gouvernement provincial. Mais sans aucun résultat tangible : les légitimes demandes n'ont donné lieu qu'à des réponses évasives, à des promesses et à des chantages, d'autant plus déplorables que plus fabuleux sont les profits des Compagnies. Telles sont, brièvement, les conditions d'existence d'East Broughton : on les a peut-être quelque peu exagérées, mais il serait bien difficile de nier que l'exposé vivant et passionné de M. Ledoux manque d'exactitude. Cependant, ce n'est pas à Broughton, mais dans d'autres centres, que va se développer la grève, ce qui laisse à penser que la situation dans ces derniers centres est, sinon pire, du moins guère meilleure. 3. Causes de la grève et revendications des syndicats Les causes de la grève découlent clairement de ce que nous avons rapporté jusqu'ici. M. G. Picard, président général de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (C. T. C. C.), les énumère comme suit dans le Messager de Sherbrooke du 11 juin 1949 :
C'est pourquoi la Fédération de l'amiante et les syndicats rattachés à elle demandaient: 1° que les Compagnies reconnussent, au moins en principe, la nécessité de supprimer l'inconvénient de la poussière; 2° une augmentation générale des salaires, à compter du 1er janvier 1949, de 15 cents par heure pour ceux qui travaillaient à la journée et une augmentation équivalente pour les travailleurs à forfait; 3° que fût appliquée la formule « Rand » à Asbestos, ainsi qu'elle l'était depuis un an à Thetford (en l'acceptant, les entrepreneurs s'engageaient à « retenir du salaire de leur personnel les contributions syndicales, même pour ceux qui n'adhèrent pas à l'Union, à la condition que les inscrits aient la majorité, -- même la moitié seulement plus une voix -- par rapport aux non-inscrits); 4° un fond d'assurances sociales pour les indemnités en cas d'accident, de maladie et d'hospitalisation; 5° des dispositions pour les transports, les congés et les promotions; 6° des améliorations au système des congés payés et un certain nombre de fêtes chômées rétribuées. 4. Motif du défaut de recours à l'arbitrage de la part des travailleurs La grève, déclarée directement par les ouvriers et sans le recours préalable à l'arbitrage, comme le voulaient les lois de la province de Québec, avait été, pour ce motif, déclarée illégale par le premier ministre de ladite province, M. Maurice Duplessis, et par le ministre du Travail, M. Antonio Barrette. En même temps, et pour la même raison, la Commission pour les relations ouvrières retirait au Syndicat de l'amiante de la Fédération nationale des ouvriers de l'industrie minière le certificat de reconnaissance de son droit de représenter les ouvriers. La C. T. C. C. répliqua qu'aucune des autorités susnommées n'avait le droit de se prononcer sur l'illégalité de la grève, d'ailleurs fort discutable, ainsi que le signale, entre autres, Relations dans son fascicule de mai. Le motif le plus grave, outre ceux indiqués plus haut, pour lequel les ouvriers n'avaient pas recouru à l'arbitrage, était, selon M. Picard, le manque de confiance dans une procédure qui n'avait pas donné satisfaction, dans des cas analogues, à Thetford et à Asbestos.
Mais, même en établissant l'illégalité de la grève, on pouvait reprocher au premier ministre et au ministre du Travail d'avoir pris une attitude si rigide contre les ouvriers et d'avoir porté des jugements si catégoriques que le règlement du conflit a été ainsi rendu très difficile, d'autant plus qu'on s'est obstiné à l'ignorer. Plus grave fut le reproche adressé au gouvernement d'avoir, d'accord avec les Compagnies et avec leur appui, voulu réellement détruire, ou au moins discréditer, les organisations syndicales de l'amiante. 5. Accusations et menaces de représailles de la Compagnie Johns-Mansville Ignoble fut, certainement, l'accusation portée par la Johns-Manville contre les dirigeants syndicaux, comme si ces derniers visaient non pas à protéger les ouvriers, mais bien à violer les limites de la propriété privée. M. Lewis Brown, de New-York, président du Conseil d'administration de la Compagnie, disait, le 20 avril, dans un rapport adressé aux actionnaires :
M. Brown se trompait, car les ouvriers n'avaient pas demandé autre chose que ce qui a été rapporté ci-dessus -- tout cela ne touchait en rien à l'essence du droit de propriété, -- mais réclamaient seulement le respect pour le caractère social de la propriété et pour les droits tout aussi sacrés du travail. En même temps qu'était déchaînée cette attaque contre les dirigeants syndicaux, on exerçait d'odieuses pressions directes sur les ouvriers eux-mêmes. Notre Temps du 7 mai 1949 assurait que les Compagnies en étaient arrivées à menacer d'expulsion les grévistes qui occupaient les logements dont elles étaient propriétaires. La tentative échoua, grâce à l'intervention énergique du ministre du Travail. Tout aussi dur fut un communiqué de la Johns-Manville qui, le 2 mai, assurait aux « jaunes », raccolés pour la circonstance, un emploi permanent et régulier, à la place des grévistes (Front ouvrier, 7 mai 1949). La menace fut répétée et aggravée brutalement plus tard, dans une annonce parue dans la Patrie du 20 juin 1949 :
Ces représailles, qui avait fait échouer les négociations, représentaient un défi par trop fort pour les grévistes, surtout lorsque, après plus de trois mois de résistance unie, mais combien pénible, ils virent affluer à Asbestos les « jaunes », achetés par la Compagnie. 6. Excès de la police contre les ouvriers innocents Bien que le chef de police d'Asbestos n'eût jamais eu l'occasion de se plaindre des grévistes, la police provinciale n'avait pas tardé à envoyer ses hommes, grotesquement armés jusqu'aux dents de pistolets, de mitrailleuses, de bombes lacrimogènes : une vraie provocation. Aussi, quand, le 5 mai, les grévistes, exaspérés par l'arrivée des « jaunes », renversèrent et brûlèrent deux autocars qui avaient amené ces derniers, la police ouvrit le feu et, la loi martiale proclamée, avant même que la nouvelle pût être répandue, se mit à opérer des arrestations en masse. Coups de bâton, coups de pied, coups de poing ne furent pas épargnés; au dire de M. Picard, quelques ouvriers auraient été torturés. Le geste de la police fut vraiment peu glorieux. En effet, dans toute la zone de la grève, fleurit une intense vie religieuse et tous les ouvriers appartiennent aux syndicats catholiques. Le public européen, habitué à entendre un tout autre langage, sera stupéfait à la lecture du passage final du manifeste publié le 11 juin par le président de la C. T. C. C., pour expliquer les buts et le déroulement de la grève : « ... Malgré les difficultés, les mineurs restent admirables : ils assistent à la messe et récitent le chapelet, afin que la Providence éclaire tous ceux qui sont intéressés dans ce conflit social de grande importance et leur inspire la solution équitable, qui ramène la paix industrielle dans la région de l'amiante. » En réalité, ceux que les Compagnies dépeignaient comme des révoltés et traitaient de communistes, tous les jours, à 3 heures de l'après-midi, se réunissaient devant leur siège et se dirigeaient en groupe vers l'église paroissiale, pour y réciter le saint rosaire. Ces mêmes grévistes, dont un grand nombre se rendaient à la messe, organisèrent un pèlerinage à un calvaire voisin et, le 5 mai, au moment le plus dramatique de la grève, plusieurs centaines de femmes, épouses ou filles des ouvriers, récitant le chapelet, défilèrent en bon ordre devant les forces de police, qui montraient avec une ridicule ostentation leurs armes, à proximité des pompes à eau, toutes prêtes pour disperser les manifestants. 7. Intervention des autorités ecclésiastiques Les droits de gens pacifiques et travailleurs, ainsi que les principes évoqués durant le conflit, nécessitaient l'intervention des autorités ecclésiastiques. Le 29 avril, la Commission sacerdotale d'études sociales publiait l'appel suivant :
Cet appel avait l'approbation de la Commission épiscopale pour l'action sociale. Mais, de plus, un grand nombre d'évêques intervinrent personnellement pour adoucir les dures souffrances des travailleurs contraints à la grève pour la défense de leur pain et de leur vie. Le 1er, mai, devant la foule des fidèles qui se pressait dans la cathédrale de Montréal, l'archevêque, Mgr Joseph Charbonneau, déclara, durant la messe pontificale célébrée pour la fête des mères :
Le jour suivant, l'administrateur du diocèse de Sherbrooke prescrivait une collecte en faveur des grévistes et de leurs familles, en disant au préalable que « quelles que fussent les opinions sur l'origine de la grève, c'était un fait devant lequel on ne pouvait rester indifférent ». L'archevêque de Québec, lui-même, Mgr Maurice Roy, prescrivait, en date du 4 mai, au nom de la charité, que tous les dimanches une quête fût faite dans les églises à cette fin. Plusieurs autres évêques publièrent la même ordonnance. Le chanoine Groulx, professeur à l'Université de Montréal, historien du Canada français, proposa une collecte nationale et demanda en même temps qu'on organisât « une campagne de prière pour faire plier l'obstination des responsables... Ces grévistes -- on ne l'a peut-être pas suffisamment. noté -- ne sont pas comme les autres... Ils se battent contre une industrie homicide. Ils luttent contre des Compagnies qui, jamais -- pour autant qu'on le puisse savoir, -- ne se sont engagées clairement et loyalement à réparer le tort regrettable qu'elles causent depuis longtemps... On parle de légalité. Ce serait le cas de crier: « Légalité, que de crimes on commet en ton nom! »... Il est plus que temps de faire cesser une grève qui finit par déshonorer la province de Québec... » (Le Messager de Sherbrooke, 7 mai 1949.) A ces appels répondit une véritable émulation de charité. Nombreuses furent les offrandes en argent, tandis que de tous les coins du pays affluaient des camions remplis de vivres et de vêtements pour les familles frappées par la grève, lesquelles accueillaient les secours avec des larmes de joie et de reconnaissance. De tels secours avaient une valeur particulière, car ils signifiaient la présence de l'Église au milieu de ses enfants dans le besoin, en lutte pour leurs droits, confirmant dans un langage éloquent ce qu'un aumônier de la C. T. C. C. déclara un jour, durant une distribution de secours : L'Église que nous représentons est avec vous ! Diverses organisations syndicales , se prodiguèrent aussi en faveur des victimes de la grève. 8. Réaction conséquente de la Johns-Manville M. Brown n'en fut pas content. II rappela, dans son rapport du 22 avril, que l'Église s'était opposée au radicalisme de la A. F. L. (American Federation Labour) et de la C. I. O. (Congress Industriel Organisations) qui, en 1930, menaçaient de s'emparer des organisations ouvrières dans la province de Québec; à cette fin, l'Église avait été sollicitée pour la formation d'une plus saine organisation syndicale. Il ajoutait ensuite : « ... Au cours des dernières années, les dirigeants du groupement ouvrier, auquel appartient notre syndicat local, ont profondément changé, en prenant une attitude toujours plus radicale. II y a un an environ, la qualification de catholique a été supprimée dans la dénomination du syndicat représentant les membres de la Johns-Manville... Il y a maintenant une tendance croissante de la part des chefs du syndicat à prêcher une doctrine qui s'oppose au capitalisme et soutient une philosophie plus semblable à celle du communisme et du socialisme. » Un peu plus loin, M. Brown accusait les dirigeants des syndicats catholiques de combattre non en faveur des revendications ouvrières; mais littéralement contre le droit de propriété. L'attaque était dirigée aussi, indirectement, contre l'Église, parce que, ainsi que le rappelait Brown lui-même; elle avait constitué
Ce que nous avons rapporté jusqu'ici a déjà fourni une réponse à M. Brown qui, peut-être à cause de l'amertume éprouvée devant les pertes infligées par la grève à sa Compagnie, montrait un certain trouble de jugement. Il a pu constater, concernant l'abandon du nom de catholique par les syndicats, que dans leur sein travaillent toujours et avec la plus grande satisfaction les aumôniers, signe certain que leur esprit traditionnel n'a pas disparu. Il fallait en même temps donner à M. Brown une élémentaire leçon de morale sociale, et c'est ce qu'ont fait divers journaux, en lui rappelant le caractère et la fonction de la propriété selon les principes de l'Église, laquelle était indubitablement bien éloignée de soutenir le capitalisme cher aux Compagnies. Contrarié par la prolongation de la grève massive, M. Brown n'a même pas vu ses propres intérêts : il a accusé les syndicats catholiques et les représentants de l'Église de tendre vers le socialisme et le communisme, alors que -- ainsi que le lui fit remarquer, entre autres, R. Boisvert dans le Front ouvrier (7 mai) -- d'eux précisément venait la plus formidable et la plus juste réponse à l'ennemi, qui, lui, pour des raisons un peu différentes, avait à craindre. Le 1er mai, l'archevêque de Montréal, faisant écho aux paroles que, le même jour, le Saint-Père adressait à une représentation d'ouvriers italiens, avait demandé justice contre la conspiration destinée à étouffer les travailleurs : par là, il avait, pour ainsi dire, enlevé aux communistes leurs armes les plus efficaces. En réalité, ceux-ci avaient tenté divers efforts pour tirer profit de la misère du district d'Asbestos, ainsi que leur candidat pour Montréal-Cartier qui avait essayé à plusieurs reprises, au cours de la campagne électorale, de prendre la défense des ouvriers catholiques. C'est grâce à l'appui donné par les autorités ecclésiastiques et par les syndicats aux ouvriers, animés de leur côté d'un profond esprit chrétien, que l'on parvint à éviter de dangereux abandons, auxquels la faim et la violation ouverte des droits pouvaient facilement conduire. Les Compagnies auraient eu contre elles une bien autre opposition, si les ouvriers avaient suivi d'autres guides. 9. Attitude du gouvernement provincial La conduite de l'Église choqua aussi la susceptibilité du gouvernement provincial, décidé à exiger que les ouvriers reprissent le travail, comme condition de son intervention dans la question, exigence qu'il basait sur la prétendue illégalité de la grève. On sait que le gouvernement Duplessis avait présenté, lors de la récente session parlementaire de la province, un Code du travail d'inspiration capitaliste et antisyndicale. La Commission sacerdotale pour les études sociales se prononça contre ce Code, en le déclarant inacceptable, parce que non conforme aux sains principes de la sociologie catholique. En ce qui concerne la grève de l'amiante, l'Ensign d'Ottawa (21 mai) affirmait que M. Duplessis avait envoyé des personnes de confiance auprès de différents évêques et de plusieurs ecclésiastiques des plus influents, dans l'espoir d'obtenir que l'Église se désintéressât de ce problème. II aurait même fait des démarches par un évêque avec le Saint-Siège, tandis qu'il s'efforçait de réduire au silence les prêtres en quête de secours pour les grévistes et leurs familles. D'après le même journal, un porte-parole du gouvernement aurait protesté contre les secours sollicités par les autorités ecclésiastiques. L'intervention de l'Église fut qualifiée d'immixtion dans les affaires du gouvernement, et la mauvaise humeur ne se borna pas à des plaintes ni à de pures menaces. En effet, disait encore l'Ensign, pour cette raison on supprima le subside de 50,000 dollars, accordés d'ordinaire à la Faculté d'études sociales de l'Université Laval dont est doyen le P. Lévesque, O. P.; on prévoyait, en outre, le retrait d'autres subventions gouvernementales à celle de Montréal. Mais quelles que fussent ses visées, le gouvernement ne pouvait prétendre que l'Église restât muette devant la très profonde misère de tant de familles. Tout en rendant son intervention aussi pondérée que possible, elle devait manifester son désir que le conflit fût réglé promptement et sur le fondement de la justice et de l'équité. 10. L'action de l'archevêque de Québec pour le règlement du conflit C'est pourquoi l'archevêque de Québec, Mgr Maurice Roy, n'avait pas tardé à s'interposer dans le conflit, qui connut des moments dramatiques, même lors des négociations. Les Compagnies et le gouvernement ayant posé comme condition préalable de la discussion la reprise du travail par les ouvriers, c'est à l'archevêque que revint le mérite, suivant un communiqué du Canada du 18 avril, d'avoir assuré le contact entre les représentants de la C. T. C. C. et ceux des Compagnies. Une déclaration du secrétaire de la C. T. C. C., M. J. Marchand (le Devoir, 22 juin), rappelait que le nom de l'arbitre présenté plus tard par les représentants des ouvriers avait été suggéré par les autorités religieuses. Cependant, la Johns-Manville s'étant opposée au caractère définitif des délibérations de l'arbitre et à sa personne elle-même, de nouvelles propositions furent faites, cette fois encore par l'entremise de l'autorité ecclésiastique; mais elles furent rejetées, en particulier parce que la Compagnie ne voulait pas renoncer aux représailles contre les grévistes. Les négociations, reprises à la mi-juillet, échouèrent à nouveau pour le même motif. Malgré ces insuccès, Mgr Roy poursuivit ses efforts, qui duraient déjà depuis des semaines. Ils devaient enfin aboutir à un résultat satisfaisant. On lui doit, en effet, le compromis qui mettait fin à une grève désastreuse, d'une durée de cent trente-huit jours, et dont les répercussions se firent gravement sentir dans tout le secteur de l'industrie mondiale de l'amiante. L'accord spécifiait la renonciation par les Compagnies aux représailles contre les grévistes, une augmentation de 10 cents par heure (on en avait demandé 15), et quatre fêtes chômées payées sur les nouvelles bases; quant aux autres questions, elles devaient être réglées par un tribunal, ainsi que l'avaient demandé les syndicats, dont M. Thomas Tremblay devait être le président. Celui-ci avait pour tâche aussi d'examiner les revendications des ouvriers concernant la sécurité syndicale, industrielle et sociale, entre autres le problème de la poussière, l'un des principaux objets du conflit et probablement la cause première de la grève. Des ententes séparées avaient été conclues pour les 2,500 mineurs de Thetford-les-Mines et les 125 de Saint-Rémi-de-Tingwick. À Asbestos, le compromis fut signé, après avoir été approuvé par les chômeurs, vers 1 heure de la nuit, le 1er juillet. L'accord conclu, les ouvriers sortirent de la salle et, après avoir réveillé leurs compagnons, parcoururent les rues du petit centre, au son des fanfares et aux cris joyeux de : « La grève est finie! » Les nombreuses manifestations de réjouissance se calmèrent devant l'Église, vers les 8 heures. Les ouvriers se recueillirent alors pour une messe solennelle de remerciement. Après le saint sacrifice, le curé, qui est aussi l'aumônier du syndicat local, formula l'espoir que tous, ouvriers et dirigeants, uniraient leurs efforts pour la prospérité d'Asbestos. Pendant ce temps, les cloches sonnaient à toute volée. La presse du jour fut unanime pour saluer en l'archevêque de Québec l'infatigable médiateur, qui avait mérité la reconnaissance des ouvriers. 11. L'Église catholique pour l'organisation syndicale au Canada Le rôle joué par les autorités ecclésiastiques dans cet épisode ne concerna pas seulement les familles frappées par la grève; il ne se borna pas non plus à favoriser la solution du conflit, car il visait en même temps à sauver l'organisation syndicale des ouvriers catholiques, gravement menacée par un échec éventuel. Le dimanche 4 septembre, à Québec, à l'occasion de la fête du Travail, devant une imposante assemblée d'ouvriers, Mgr Roy déclara que l'Église veut que tous les hommes travaillent ensemble comme des frères à construire la société chrétienne, et il ajouta:
(1). Traduction de l'italien par J. Thomas-d'Hostie. Les citations de la presse canadienne sont données d'après le texte de la Civiltà Cattolica. Les sous-titres et les notes sont de la Civiltà Cattolica. (N. D. L. R.) Nota. -- La direction de la revue, en publiant les rapports de ses correspondants, a confiance dans la sûreté de leurs informations et respecte la juste liberté de leurs jugements, mais ne leur laisse pas moins la responsabilité des renseignements fournis et des opinions émises. Source : article publié dans l’officieuse Civiltà Cattolica du 3 décembre 1949. Cet article fut traduit en français et imprimé dans la Documentation catholique, No du 7 mai 1950, pp. 599-611. Il fut reproduit dans le livre de Jacques Cousineau, Réflexions en marge de la « Grève de l’amiante ». Contribution critique à une recherche, Les Cahiers de l’Institut social populaire, No 4, septembre 1958, 80p., pp. 67-76. Quelques erreurs typographiques ont été corrigées ; de même, des changements de formatage du texte ont été effectués. © 2001 Claude Bélanger, Marianopolis College
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