Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Septembre 2005

Documents of Québec History / Documents d'histoire du Québec

 

La contre-campagne féminine :

A propos du suffrage féminin.

[1922]

 

 

Le Canada de samedi annonçait que les initiatrices du mouvement en faveur du suffrage féminin se proposent de faire déposer l’Assemblée législative un projet de loi en forme. Il ajoutait qu'un « comité local sera organisé dans chaque comté de la province dans le but de poursuivre  une campagne systématique et énergique afin  d'en arriver à un résultat unanime si possible ». A l’heure où nous écrivons ces lignes (lundi matin), rien n'est encore venu contredire ces deux assertions. Elles devront donc inciter les femmes qui ne veulent pas du suffrage à appuyer avec netteté et ensemble le mouvement contre. Autrement, il y aurait danger que les quelques manifestations pour qui se sont déjà produites fissent illusion sur le sentiment de l’immense majorité des femmes de la province. (Il est d'ailleurs très probable que l'opposition n’est point confinée aux milieux canadiens-français. On nous affirme qu'à Québec la pétition abondamment signée par les Canadiennes françaises a recueilli sa part de signatures anglaises. Il est intéressant, à ce propos, de noter que la Winchester Press disait récemment: « Nous croyons que la grande majorité des femmes de l’Ontario préféreraient n’avoir pas le suffrage » et que l'Orillia Packet, autre journal ontarien, ajoutait:  «Nous ne croyons pas qu'une femme sur dix désirât le suffrage et des milliers d’entre elles seraient maintenant très heureuses (heartily glad) d’en être débarrasées. »)

 

En fait, les femmes qui font campagne contre le suffrage n'auraient pas dû avoir à se mêler d'une pareille besogne. Le sentiment traditionnel, chez nous, le souci de garder à chacun sa place normale auraient dû être suffisamment forts, assez énergiquement manifestés pour leur éviter cette corvée, qui doit profondément leur répugner. Mais c’est un fait que l’état des mœurs n’est pas tel qu’il ait pu la leur épagner. L’attitude du premier ministre est là-dessus particulièrement significative. Nous le constatons sans la moindre intention désagréable à l’endroit de M. Taschereau, uniquement comme symptôme. La solidarité ministérielle est l'une des assises de notre régime politique. Sur toute question d'intérêt général, le cabinet a sa politique — agriculture, colonisation, voies ferrées, etc. Un ministre qui ne partage pas là-dessus l'avis de son chef n'a d'autre alternative que de remiser ses opinions pour des jours meilleurs ou de sortir du cabinet. Sur cette question du suffrage, le premier ministre, qui (avec raison, pensons-nous) est contre, jette tout de suite au premier plan le trésorier provincial, qui est pour et proclame que ses collègues pourront prendre sur ce point l'attitude qui leur conviendra. C'est donc dire que ce problème — nous ne voulons pas l'accuser de manquer de courage — lui apparaît comme d'une importance tellement secondaire qu'il ne vaut point la peine que  le gouvernement, comme gouvernement, prenne sur le sujet l’attitude tranchée qu'il prendrait sur toute question de politique générale. Et pourtant, partisans et adversaires s’accorderont à dire qu'il s’agit d’un problème qui intéresse seulement l’ordre politique, mais l’ordre social et la vie familiale, les sources mêmes de la grandeur nationale.

 

Encore une fois, nous ne cherchons pas ici de querelle à M. Taschereau; nous ne relevons dans son attitude de neutralité officielle qu’un symptôme de la situation anormale qui a contraint à descendre dans la rue les femmes qui ne veulent pas qu'on les jette dans l'arène électorale. Et, dans cette situation même, nous apercevons la plus forte raison d'aider celles-ci dans la contre-campagne qu’elles ont eu le courage d'entreprendre et qui vient de leur valoir un si haut encouragement.

 

Les femmes qui ne veulent pas de l'action électorale n'auraient pas dû être obligées de défendre de la sorte leur point de vue; mais puisqu'elles y sont contraintes et qu'elles organisent cette salutaire contre-campagne, le moins que nous puissions faire, c'est de les féliciter et de les aider.

 

D'après les renseignements que nous avons déjà publiés, d'après ceux qui nous ont été personnellement apportés, la contre-campagne prend des proportions considérables. Elle ne fait au reste que donner forme publique et expression directe au sentiment de l'immense majorité des femmes de la province. Là-dessus, nous ne croyons pas que les observateurs désintéressés se puissent faire la moindre illusion. La dernière campagne électorale fédérale — la seule qui ait été faite avec le suffrage féminin généralisé et qui ait donc pu permettre de prévoir les conséquences du  régime — a même rejeté de côté des antisuffragistes un certain nombre de femmes auxquelles la perspective des luttes électorales ne répugnait d'abord point. Nous avons déjà noté en ce sens des exemples topiques. Un Québecois [sic] en vedette nous disait l'autre jour que le nombre des femmes de député (et il s'agit de femmes dont les maris ont largement bénéficié du suffrage féminin) qui ont signé la contre-pétition des antisuffragistes est particulièrement remarquable.

 

Plus la contre-campagne sera forte, active, généralisée, mieux cela vaudra. On dit que la grande majorité des députés sont fortement opposés au suffrage féminin. Quelques-uns peuvent redouter qu’un vote hostile, si le projet de loi est présenté, leur vaille des représailles féminines. Quelques autres peuvent s’inquiéter de l’exploitation qu'on ferait dans les autres provinces, de ce même vote hostile. Une expression d'opinion nette et générale de la part des femmes de notre province calmera cette double inquiétude.

 

Souhaitons donc à la contre-campagne féminine le plus large succès. Aidons-la dans toute la mesure de nos forces.

 

Source: Omer HÉROUX, « La contre-campagne féminine. A propos du suffrage féminin. » Éditorial dans Le Devoir, 20 février 1922, p. 1. Document transcrit par Christina Duong. Révision par Claude Bélanger.

 
 
 

 

 

 

 

 

 
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