Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2008

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

 

Discours de S. E. le Cardinal Merry del Val, au Congrès international des femmes catholiques,

tenu à Rome, en mai 1922

Mesdames,

Il y a cinq jours à peine qu'au milieu des occupations de ma charge l'invitation à présider vos séances m'est parvenue, et j'avoue avoir cherché à la décliner, non pas certes par manque d'intérêt dans vos grandes et belles initiatives, mais simplement parce que, sans préparation immédiate pour intervenir dans vos débats, j'estimais que le mandat était supérieur à mes forces. Un désir exprimé par Notre-Saint-Père le Pape et l'aimable insistance de quelques-unes d'entre vous m'ont obligé à m'incliner — et je viens vous offrir au moins l'assurance de ma bonne volonté. Mais, ce qui est bien plus, je vous apporte la bénédiction du Vicaire de Jésus-Christ, de Sa Sainteté le pape Pie XI qui, dans sa haute sagesse et dans son zèle apostolique, s'intéresse vivement au succès de vos efforts. Je vous apporte aussi, qu'il me soit permis de le dire, l'écho des encouragements du grand et saint Pontife qui veilla sur vos premiers pas et dont le nom et le souvenir survivent encore sur les lèvres et dans le coeur de tous: Pie X.

L'apostolat auquel vous vous êtes dévouées, car ce n’est rien moins qu'un apostolat, a une importance incontestable; et il me semble que si vous vous montrez à la hauteur de votre tâche, vous êtes appelées à prendre une large part dans la reconstruction de la société chrétienne, dont la nécessité urgente se fait sentir davantage de jour en jour. Mieux placées que tant d'autres ligues féminines qui ne relèvent pas de l'Église, quel que soit leur but, quels que soient les talents et les ressources dont elles disposent, vous n'avez pas à vous lancer à la recherche fiévreuse de doctrines nouvelles, destinées à faire naufrage comme tant de celles auxquelles jadis on s'est livré avec tant d'enthousiasme. Non inspirées par la foi, et s'appuyant sur les principes immortels de l'Évangile et les enseignements divins dont la défense est confiée par Notre-Seigneur au successeur de Pierre et aux pasteurs légitimes de son troupeau, vos ligues ont la mission d'étudier et d'effectuer l'application pratique de ces doctrines selon les besoins et les exigences du siècle où nous vivons, Nova et Vetera. Vous jouissez en conséquence d'une plus grande liberté d'esprit par le fait même qu'il vous est accordé de pouvoir affronter franchement les plus graves problèmes à résoudre avec la sécurité que vous donnent la lumière d'une doctrine précise et la voix d'une autorité indiscutable, chargée par Dieu lui-même de nous la transmettre et de la proclamer devant le monde.

Vous tiendrez haut l'étendard du Christ. Vous saurez concilier la juste revendication des droits légitimes de la femme avec l'assertion énergique de ses hauts devoirs. Vous ne permettrez pas qu'on lui enlève l'auréole de sa dignité, et, renversant l'ordre établi par la Providence, qu'on la fasse descendre de son piédestal pour en faire la rivale et presque l'ennemi de l'homme, au lieu d'en être la compagne éclairée et agissante sur le terrain très vaste de sa propre mission. Vous ne souffrirez pas qu'elle devienne le misérable jouet des passions d'autrui : glorifiée aujourd'hui, tant qu'elle attire et amuse, méprisée demain par ceux-là mêmes qui en ont fait la victime de leurs caprices. Tout en faisant la part des circonstances spéciales et des cas individuels, vous défendrez la femme contre les courants trompeurs d'une morale sans Dieu , qui tendent à arracher la femme du foyer familial, où elle est reine, car ce serait détruire ce foyer, qui est la cellule sacrée et inviolable de la société humaine.

Un coup d'oeil à l'ordre du jour de ce Ve Conseil international de l'Union internationale des Ligues féminines nous révèle l'importance des sujets à traiter. C'est d'abord la préservation et la propagation de la foi. Après le désarroi des esprits qui a suivi la terrible guerre mondiale, jamais peut-être comme à présent nous n'avons senti la nécessité de conserver et de remettre en honneur les enseignements de la foi, dont l'abandon apparaît clairement comme une des causes principales de notre indicible malheur. Ce n'est pas le christianisme, Mesdames, qui a fait faillite, mais c'est la chrétienté qui a fléchi, à la suite d'un paganisme renouvelé, inconsciemment assimilé par les uns, prêché et glorifié par d'autres. Et aujourd'hui, où le trouvera-t-on, sinon en revivant les principes de la foi qui a sauvé le monde ?

C'est peut-être moins l'hostilité ouvertement déclarée, parfois haineuse et violente, contre la foi catholique, que nous avons surtout à redouter à présent : c'est plutôt, et le plus souvent, cette philosophie rationaliste que nous retrouvons tôt ou tard à la base de toutes les formes du protestantisme moderne, de tous les nouveaux systèmes religieux, de toutes les écoles de moralité dite laïque; à savoir, que la vérité et l'erreur, le bien et le mal, sont, au fond, des conceptions purement subjectives, jouissant des mêmes droits et dignes, au même titre, d'un égal respect et d'une même liberté.

Je dirais volontiers à ce propos, avec un grand orateur français, de Ravignan, que beaucoup, tout en se disant chrétiens et même catholiques, se livrent aux illusions et aux spéculations arbitraires, pour arriver à quelque forme d'idées religieuses et de christianisme à leur usage. « II y aura un christianisme de l'avenir. Quelques enseignements chrétiens que l'on garde ou que l'on rejette, peu importe; on y verra toujours une même et égale vérité. C'est ainsi qu'on ne daigne pas tenir compte de la vérité absolue et révélée. du christianisme catholique, du nôtre. Le positif de la foi s'élude plus qu'il ne se combat; on rêve un je ne sais quoi de transformé, d'indéfinissable, qui oblige à fort peu de chose, qui flatte et caresse de vagues penchants de religion; et, en définitive, on est le jouet des tristes fluctuations d'un rationalisme sceptique, sans appui, sans but, sans résultat. » A ce point, se rattache logiquement l'examen de l'attitude pratique à adopter par rapport à l'interconfessionnalisme. Vient ensuite le sujet de la campagne féminine pour la moralité des cinémas et théâtres, modes et danses. Tous les esprits sérieux et les hommes de gouvernement, conscients de leurs responsabilités, sont préoccupés des conséquences délétères pour la société de cette frénésie, dominante dans toutes les classes, de jouir à n'importe quel prix, même à celui de la dégénération la plus honteuse et de la destruction éventuelle des fibres vitales de l'humanité. Mais, hélas ! tandis que les mesures de police contre les ravages de l'alcoolisme et de la cocaïne se multiplient et s'appliquent avec une juste rigueur, on se soucie fort peu des « poisons de l'âme » que notre jeunesse surtout dévore avidement tous les jours dans les cinémas, dans les théâtres et à travers le dévergondage de la mode et de la danse. Le sujet du trafic des femmes, avec ses révoltantes ruines et celui des devoirs civiques de la femme avec ses responsabilités et ses périls, appellent aussi votre attention. J'estime que toutes ces questions sont si graves et si étendues que tout en les examinant sérieusement aujourd'hui, vous devrez y consacrer une étude prolongée au sein de vos différentes Ligues, avant de pouvoir arriver à bien préciser les mesures pratiques qu'il convient d'adopter pour une action vraiment efficace.

Je termine en exprimant le voeu que les discussions de ces journées romaines soient fécondes : elles le seront si, comme j'en ai la certitude, vous écartez de vos débats ce qui pourrait en troubler la sérénité par des vues trop personnelles, et cela dans le seul but de mieux pourvoir aux intérêts communs de toutes les nations que vous représentez et pour le bien des âmes que vous cherchez à secourir. Par l'intercession de la Vierge Mère, bénie entre toutes les femmes, Dieu daigne guider vos délibérations et vous accorder la joie de recueillir les fruits des sacrifices considérables que vous offrez sans cesse pour le succès d'une cause qui est la sienne et celle de son Église.

Source: Le Devoir, 6 juin 1922. Reproduit dans Henri Bourassa, Femmes-hommes ou hommes et femmes? Études à bâtons rompus sur le féminisme, Montréal, Imprimerie du Devoir, 1925, 84p., pp. 73-76.

 
© 2008 Claude Bélanger, Marianopolis College