Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Octobre 2005

Documents of Quebec History / Documents de l'histoire du Québec

 

Le féminisme au Québec

Feminism in Quebec

 

Philippe Perrier

«La jeune fille d'aujourd'hui»

[1926]

 

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

 

Le programme me prescrit de vous dire « ce qu'il faut à la jeune fille d'aujourd'hui ». Permettez que, sans phrase, j'entre immédiatement dans mon sujet, puisque le mot d'ordre de ce congrès, inscrit sur nos insignes, est bien catégorique : « Res, non verba. » Laissez-moi tout de même la liberté de vous dire : « ce qu'il ne faut pas à la jeune fille d'aujourd'hui, » avant d'essayer de vous démontrer ce que doit être la personnalité d'une jeune fille moderne.

 

Ce qu'il ne faut pas à la jeune fille d'aujourd'hui, c'est le garçonnisme. C'est une maladie à la mode. Toutes n'en meurent pas, mais beaucoup en sont frappées. La théorie des petites oies blanches n'est plus ; et l'on peut craindre de voir nos jeunes filles devenir des garçons manqués et mal élevés. Elles se rasent les cheveux comme des hommes, raccourcissent en haut et en bas des robes déjà courtes, quand elles ne les troquent pas dans les sports pour la culotte. Elles fument, renversées en un fauteuil, comme des hommes ; elles parlent comme des jeunes collégiens émancipés. Elles jouent aux cartes et boivent comme des hommes. Dans leur désir d'être « dans le mouvement », elles oublient le mot profond et délicat de Pie XI, soucieux comme l'était saint Paul de la dignité de la femme et du rôle qu'elle doit jouer dans la société : « Il faut qu'une femme soit élégante et distinguée pour charmer, c'est son rôle. Mais dès qu'elle commence à perdre le sens du convenable, elle commence aussi à perdre de son charme et à cesser de plaire. »

 

Vos jeunes filles, en se masculinisant, rompent les lois de l'harmonie qui doivent présider à l'évolution de leur personnalité. « De même que les cheveux trop courts font saillir le nez et les traits, ôtent au visage les charmes féminins, sans pour cela le rendre viril, de même le velouté de l'âme neuve enlevé, les délicatesses de retenue parties, les nuances inquiètes fondues il n'y a plus le charme de l'âme, et bien proche pour la vertu est le danger. »

 

C'est que, des allures, on passe vite à un état d'esprit masculin, à ce que l'on appelle d'un vilain mot, paraît-il, « la mentalité masculine ». Il est des jeunes filles qui s'empoisonnent cérébralement par des lectures malsaines, pour faire comme les hommes. Elles oublient que l'homme propre ne lit pas tout ce qui lui tombe sous la main, et qu'il n'y a pas deux codes de morale, l'un pour l'homme et l'autre pour la femme. On se crée une âme où la pensée et l'imagination se plaisent en des raffinements troublés qui gagnent le coeur et l'atrophient. Les moeurs sont bien près de sombrer.

 

Il est un autre malaise moderne, qui menace la jeune fille d'aujourd'hui : c'est l'indépendance mal entendue et sans frein. Ah ! si elle voulait s'émanciper des modes indécentes ou grotesques, du snobisme qui lui fait craindre de passer « pour être en retard » ou trop style « grand'mère », ce serait superbe. Mais non. Elle s'émancipe des traditions sérieuses et nécessaires. « Pour vivre sa vie », elle échappe à l'influence familiale, méprise même parfois l'autorité des parents. Sous prétexte que chacun est libre de penser et d'agir à sa guise, on se façonne une âme prête à toutes les concessions, à toutes les compromissions. Il faut être large d'esprit et tolérant comme un homme ; et alors de la théorie on passe à la pratique du laisser-aller, du laisser-dire, du laisser-faire.

 

Tout conspire pour procurer à la jeune fille cette indépendance malsaine. Elle quitte la maison paternelle pour le travail parfois nécessaire, c'est son gagne-pain. D'autres fois, c'est une force centrifuge qui la précipite hors du foyer et de la surveillance des parents. C'est un engrenage sans arrêt de visites, de thés, de voyages ou de promenades en automobiles, de parties de plaisirs ou de danses lascives. Décidément la jeune fille moderne est exposée à une camaraderie déplorable. Et que l'on ne dise pas que l'usage le tolère. L'usage ne change pas le coeur des jeunes gens. Il ne rend pas l'imagination moins inflammable.

II

 

Educatrices, vous avez une grande tâche à accomplir con­tre cette invasion du garçonnisme et de l'indépendance ; et vous cherchez un programme de vie pour la jeune fille d'aujourd'hui ? Que lui faut-il ?

 

Il lui faut une personnalité féminine. Il faut rendre la jeune fille capable de penser, de vouloir, de se déterminer, de se gouverner autrement que par la routine, le snobisme et la servile imitation de l'homme. Toute éducation combine trois mouvements, un qui réprime, l'autre qui donne l'impulsion, le troisième qui dirige cette impulsion et la canalise où il faut. Dans la culture de la personnalité, il faut redresser ce qui est tortueux, mais aussi développer le plus possible chaque élève dans son sens propre, le laisser être lui, s'appliquer à ce qu'il le soit bien ; puis diriger sa volonté, lui apprendre à s'orienter et à garder ensuite cette orientation. Songez à former des esprits au lieu de communiquer des connaissances ; formez des caractères en inculquant des habitudes qui rendent facile la pratique de la vertu. Cette éducation est nécessaire aux femmes comme aux hommes. Pour mener sa vie dans la société moderne, dans la famille, la femme a besoin de toute son intelligence, de toute sa volonté. La destinée qui l'attend est au moins aussi rude que celle de l'homme et comporte autant d'énergie, de vaillance, de sang-froid et de raison.

 

N'est-elle pas associée par la sympathie à la vie de son mari, de ses fils ? Elle doit être prête à affronter pour les siens et pour elle-même toutes les situations. Il suit de là qu'on ne saurait trop cultiver sa raison et affermir son caractère. « Apprenez donc à bien penser, disait Pascal, voilà le princi­pe de la morale. » Ne croyez-vous pas que l'on forme des femmes frivoles par une éducation exclusivement littéraire et ar­tistique, et encore éducation parfois très superficielle ?

 

Pour que l'éducation devienne plus positive, ne pourrait-on pas donner un temps moins limité à l'étude des sciences et de l'économie domestique ? Nous donnerions aux jeunes filles l'occasion d'observer, de chercher, de trouver, d'ordonner. Cet enseignement habituera la femme à voir, à préciser, à chercher la vérité exacte, et à appliquer dans la vie, avec conscience et discipline, les données qu'elle saura vraies.

 

Vous tenez un congrès d'enseignement ménager. Je vous en félicite. Vous savez que l'application des sciences naturelles joue un très grand rôle clans la vie, surtout clans celle d'une femme, si souvent aux prises dans la famille et la société entière, avec les accidents, les maladies, les imprévus de toute sorte. La jeune fille doit comprendre qu'il n'est rien de petit dans l'ordre naturel et que souvent pareille ignorance peut entraîner de terribles conséquences.

 

Cette étude des sciences naturelles est un puissant remède contre la légèreté d'esprit des jeunes filles, contre l'excessive sentimentalité des rêveries vaines, qui font les neurasthéniques modernes. Celle qui doit élever la génération de demain, peut-elle ignorer la biologie et les lois de la vie ? Il ne s'agit pas de faire des femmes de laboratoire, mais on doit enseigner les sciences, même la physique et la chimie, voire un peu de médecine, en se bornant toujours aux notions adaptables à la vie de la femme. Mieux que moi vous connaissez les réactions chimiques de la cuisine.

Pour refaire à la jeune fille une âme féminine donnez-lui un cours de pédagogie familiale, maternelle et sociale.

Elle ne sera pas une écervelée qui ne voit la vie qu'à travers des plaisirs et des jouissances. Esprit cultivé, elle donnera à son intérieur un cachet d'art et d'intellectualité qui retiendra au foyer ceux qu'elle aime : le mari, les enfants.

 

Pour être fidèle à cet idéal d'une personnalité fémini­ne, il faut une forte et large vie chrétienne. La religion dans la formation de l'âme féminine ne doit pas jouer le rôle d'un cadre gothique qu'on aurait mis à une gravure du vingtième siècle, et où les ornements pieux ne manquent pas : prière, messe, médailles, scapulaires, banderoles et rubans.

 

Il faut que tout soit pénétré d'esprit chrétien et que l'on vive dans une atmosphère de vérité, de supériorité, de distinction, de profondeur qui pénètre l'âme des enfants.

 

« Pauvres âmes ! s'écriait il y a quelques années Melchior de Vogue, elles tournoient, cherchent un guide, comme les hirondelles, rasent le marais sous l'orage, éperdues clans le froid, les ténèbres et le bruit. Essayez de dire qu'il est une retraite où l'on ramasse et réchauffe les oiseaux blessés ; vous les verrez s'assembler toutes ces âmes, monter, partir à grand vol par-delà les déserts arides, vers celui qui les aura appelées d'un cri de son coeur. » Celui qui les appelle, c'est le Christ-Jésus. Que vos jeunes filles le suivent ! Qu'elles étudient son Évangile et sa doctrine pour elles-mêmes et pour les autres. Elles doivent en prendre une notion exacte qu'elles puissent à leur tour exposer sans la déformer, sans la rétrécir, sans la compliquer. Dans la société, les femmes sont les conservatrices de la doctrine d'en-haut. Les pratiques pieuses ne suffisent plus ; il faut une notion approfondie de la science religieuse. C'est que la jeune fille, épouse et mère de demain, doit garder la foi au coeur de ses fils ; c'est le grand désir de la mère, c'est sa pensée légitime et constante. Avec une énergie remarquable elle s'emploie à cette tâche, et ses fils sentent bien la vérité des vers de Lamartine :

 

Heureux l'homme à qui Dieu donne une sainte mère : Qui peut douter sur son tombeau ?

 

Mais il faut que la mère connaisse et défende la religion qu'elle professe, et le Christianisme à l'eau de rose ne suffit pas. Il faut le sens catholique qui rende le coeur capable des plus hautes énergies. « Je voudrais passer ma vie à semer des actes de bonté, d'indulgence, de tendre charité, de pensées hautes, lumineuses, consolantes, écrivait un jour une jeune fille dans un élan d'amour ; il s'en perdrait beaucoup sans doute, mais quelques-uns de ces actes et de ces pensées porteraient leurs fruits et ainsi, il y aurait un peu plus de dou­ceur et de joie sur la terre.

 

Pour former cette personnalité féminine chez vos jeunes filles, faites appel, éducatrices distinguées de ce congrès, à votre amour du Christ, et à votre zèle pour former l'image de Dieu dans les âmes qui vous sont confiées. Vous éclairerez les esprits, vous formerez les volontés, vous tromperez les caractères ; mais vous agirez sous l'influence de la charité divine qui donnera à votre vie morale une merveilleuse unité que Monseigneur Mercier compare à une cathédrale.

 

« Contemplez, dit-il, la majesté sereine de nos cathédrales gothiques : ces arceaux qui retombent sur les piliers auxquels s'arc-boutent les contreforts, base d'élan de la voûte qui monte légère vers l'éternel ; ces deux rangées parallèles de co­lonnes qui mènent le regard vers le sanctuaire, tous ces organes de pierre dont les fonctions convergent vers l'autel silencieux où s'immole mystérieusement Celui qui s'est chargé de nous conduire à Dieu, quelle concentration de forces, quelle synthèse d'ordre, quelle stabilité, quelle suite!

 

La personnalité, fruit du travail d'une volonté énergique qui se développe normalement, est ce chef-d'oeuvre vivant de l'art constructif. Sur les assises naturelles du tempérament établissez les vertus. N'essayez pas de détruire les passions ; disciplinez-les, et qu'elles deviennent les auxiliaires de vos élèves. Apprenez-leur à maîtriser toujours les forces de la nature et à utiliser le divin mécanisme de la grâce sanctifiante et des vertus infuses.

 

L'édifice intérieur se dressera avec une âme vivante, la charité qui transfigurera la vie morale de vos élèves.

Vous aurez la consolation de les conduire vers le centre de l'attraction universelle des âmes, le Christ-Jésus. Leur vie de labeur et de sacrifices continuera l'oeuvre des mères admirables qui ont fait ce qu'elle est la race française en Amérique...

Source: abbé Philippe PERRIER, « La jeune fille d'aujourd'hui », dans l'Action française, Vol. XVI, No 3 (septembre 1926): 163-170. Texte d'une causerie faite au Congrès de l'Enseignement ménager à Saint Pascal de Kamouraska. Quelques erreurs typographiques ont été corrigées.

 
© 2005 Claude Bélanger, Marianopolis College