Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Septembre 2006

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Le scandale du gaz naturel [1958]

Gérard Filion

« Ne répondez pas à côté de la question, M. Duplessis »

 

M. Duplessis a répondu à côté de la question. Sa conférence de presse hebdo­madaire, disons plutôt son monologue, cite le nom d'un certain nombre de per­sonnages politiques et autres qui ont acheté des unités de la Corporation de gaz naturel.

Mais il n'a pas pris la défense de ses ministres, de son chef de cabinet, des hauts fonctionnaires de l'Hydro-Québec. C'est cela qui nous intéresse.

Que MM. X, Y, Z, que M. le curé un Tel, que les bonnes soeurs de la congrégation de saint-frusquin se soient portés acqué­reurs de dix, cent, mille unités de la Corporation de gaz naturel, cela n'a rien à voir avec la question. Ils n'avaient pas, eux, la responsabilité de l'administration de l'Hydro-Québec, ils ne se sont pas ven­du à eux-mêmes un bien qui appartenait à la province. Car tout le fond de la ques­tion est là ; M. Duplessis n'en sortira pas. Ses ministres ont trempé dans une sale affaire. En Ontario, pour des cas moins graves, deux ministres ont démissionné à la requête expresse du premier ministre. Qu'est-ce que M. Duplessis attend pour faire le nettoyage de son cabinet ?

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L'article 75 de la Loi concernant la Législature se lit comme suit :

« Il est interdit à un conseiller légis­latif ou à un député d'accepter ou de recevoir directement, ou indirectement, quelques frais, honoraires ou récom­penses quelconques au sujet d'un projet de loi, d'une résolution ou d'une matiè­re quelconque soumis ou qui doit être soumis à la considération de l'une ou de l'autre Chambre, ou de l'un de ses comités, soit pour appuyer ou ne pas appuyer, soit pour repousser ou ne pas repousser ce projet de loi, cette réso­lution ou cette matière quelconques. »

L'interdiction sévère qui est décrétée dans l'article ci-dessus devrait s'appli­quer avec beaucoup plus de rigueur aux ministres eux-mêmes. Car si un député n'a pas le droit de laisser influencer son vote par une récompense ou une faveur, à plus forte raison un ministre doit-il écarter tout avantage susceptible d'influ­encer ses décisions. Seul le bien commun doit inspirer ses actes.

Dans le cas des fonctionnaires, il existe une règle qui n'est pas moins sévère. II s'agit du serment que doivent prêter la plupart des fonctionnaires permanents à l'emploi de la province de Québec. La formule se lit comme ceci :

« Je, ...................................... jure que je remplirai les devoirs de ma charge avec honnêteté et justice, et que je ne recevrai aucune somme d'argent ou considération quelconque pour ce que j'ai fait ou pourrai faire, dans l'exé­cution des devoirs de ma charge, dans le but de favoriser l'achat ou l'échange de quoi que ce soit par ou avec le gou­vernement, à part de mon traitement, ou de ce qui me sera alloué par la loi ou par un arrêté du Lieutenant-Gou­verneur en Conseil ».

Il convient de noter le passage où il est dit que le fonctionnaire ne devra recevoir « aucune somme d'argent ou considéra­tion quelconque ... dans le but de favori­ser l'achat ou l'échange de quoi que ce soit pour ou avec le gouvernement . »

Comment M. Cross, responsable du réseau de gaz à l'Hydro-Québec, peut-il concilier cet engagement avec l'option de cinq mille actions communes qu'il a reçues de la Corporation de gaz naturel, alors qu'il était encore à l'emploi de la province ?

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Dans cette sale affaire du gaz naturel, il y a eu deux groupes de personnes : celles qui détenaient le pouvoir et qui pre­naient les décisions : ministres, législa­teurs, hauts fonctionnaires ; celles qui, sans être trop informées de ce qui se passait, voyaient l'occasion de faire une spé­culation heureuse ou un placement avan­tageux.

Ce sont les premiers qui doivent ren­dre compte de leurs agissements à la po­pulation québécoise. C'est eux que nous avons le devoir de démasquer. C'est à leur sujet que M. Duplessis doit des explica­tions. Qu'il ne cherche pas à détourner l'attention sur Pierre, Jean, Jacques, qui n'ont jamais eu ni de près ni de loin la moindre responsabilité dans l'affaire.

Dites-nous, M. Duplessis, pourquoi et comment la moitié de vos ministres sont devenus actionnaires de la Corporation de gaz naturel. A répondre à côté de la question, vous ne faites qu'aggraver nos accusations.

 

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Source: Gérard FILION, « Ne répondez pas à côté de la question, M. Duplessis », Le Devoir, 21 juin 1958, p. 4.

 

 
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