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Documents in Quebec History

 

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23 August 2000


Documents sur le Rapatriement de la Constitution, 1980-1982

Échange de lettres entre 1e premier ministre du Québec, René Lévesque, et le premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, 25 novembre, 1 et 2 décembre 1981

Monsieur le Premier ministre,

Au nom du gouvernement du Québec, je vous transmets officiellement le décret par lequel le Québec exerce formellement son droit de veto à l'encontre de la résolution portant sur le rapatriement et la modification de la constitution canadienne, telle que présentée à la Chambre des Communes par le ministre de la Justice en date du 18 novembre 1981.

Je vous souligne à cet égard que le gouvernement du Québec a toujours maintenu que l'assentiment du Québec était constitutionnellement nécessaire à tout accord qui permettrait de rapatrier la constitution et d'en fixer le mode d'amendement pour l'avenir.

Les discussions qui ont mené à l'accord interprovincial du 16 avril 1981 ont uniquement porté sur la façon de modifier la constitution après le rapatriement. D'ailleurs, cet accord étant maintenant caduc, le Québec n'y est plus lié et nous sommes revenus à la situation antérieure. Il n'a donc jamais été question de toucher au droit de veto que le Québec a toujours possédé et possède toujours sur le rapatriement et le mode d'amendement lui-même.

Quant au droit de veto du Québec sur le partage des compétences dont il était question dans l'accord interprovincial du 16 avril 1981, nous avons toujours dit que seul un droit de retrait accompagné d'une compensation pleine et obligatoire pourrait être une formule de remplacement acceptable. Cette contre-partie nous ayant été refusée, nous conservons donc intact notre droit de veto traditionnel.

En conséquence, je vous demande d'agir comme vous l'avez fait en 1971 lorsque le Québec s'est opposé à l'accord de Victoria et de suspendre votre projet jusqu'à ce qu'une entente intervienne non seulement avec les provinces anglophones mais aussi avec le Québec. Je vous saurais gré, également, de bien vouloir faire déposer le texte des présentes à la Chambre des Communes et au Sénat afin que les parlementaires canadiens soient formellement mis au courant de la position officielle du Québec. Je compte, pour ma part, en déposer une copie à l'Assemblée nationale du Québec.

Sur le fond de la question, je vous réitère que le Québec est prêt à signer tout accord qui satisferait aux conditions minimales exprimées dans la motion que j'ai déposée à l'Assemblée nationale le 17 novembre 1981 et dont vous avez déjà reçu copie. Ce sont là des conditions raisonnables qui représentent pour le Québec le minimum vital dont il a besoin pour protéger sa spécificité et ses droits historiques.

Veuillez agréer, monsieur le premier ministre, l'expression de mes senti-ments les meilleurs.

(René Lévesque)


Monsieur le Premier ministre,

Je donne suite à votre lettre du 25 novembre 1981, par laquelle vous m'avez transmis le décret du conseil exécutif du gouvernement québécois exprimant l'opposition officielle de ce gouvernement à la résolution constitutionnelle actuellement à l'étude à la Chambre des Communes, et dont je vous ai accusé réception le 17 novembre. Cette opposition, vous la fondez sur le droit de veto que posséderait le Québec relativement au rapatriement de la constitution du Canada.

Or, ce droit de veto touchant le rapatriement et la modification de la constitution n'est, à mon avis, fondé ni en droit ni en vertu de la convention constitutionnelle, si l'on se reporte à la décision rendue par la Cour suprême le 18 septembre 1981 sur le projet de résolution constitutionnelle de 1980.

En ce qui concerne la question de savoir si le consentement des provinces est légalement nécessaire pour que soit adoptée une résolution des deux chambres du Parlement demandant au Royaume-Uni d'adopter une modification de la constitution du Canada, la Cour a établi sans équivoque qu' «aucune loi ne requiert le consentement des provinces à une résolution des chambres fédérales ou à l'exercice par le Royaume-Uni de son pouvoir législatif».

Pour ce qui est de savoir si la convention constitutionnelle exige le consentement des provinces avant qu'il ne soit possible de faire apporter des modifications à la constitution par le Royaume-Uni, la Cour a effectivement conclu qu'il existe une convention qui prend la forme d' «un degré appréciable de consentement provincial», mais il m'apparaît que, si l'on étudie attentivement les motifs de décision de la Cour, ceux-ci n'indiquent nullement qu'une province, le Québec pas plus que les autres, posséderait un droit de veto qui permette de s'opposer à une telle modification de la constitution

De fait, en concluant que la règle conventionnelle actuelle consiste en «un degré appréciable de consentement provincial», la Cour a rejeté expressément l'argument relatif au principe de l'unanimité avancé par toutes les provinces à l'exception du Nouveau-Brunswick, de l'Ontario et de la Saskatchewan. Ce faisant, la Cour a affirmé que le consentement d'un certain nombre de provinces était nécessaire, sans faire allusion à la nécessité de tenir compte de la taille ou de caractère des provinces en question. La décision de la Cour suprême ne fournit par conséquent, à mon avis, aucun fondement à votre gouvernement pour affirmer que le Québec possède un veto à l'égard de la résolution actuelle.

Qu'en est il cependant de la formule d'amendement contenue dans cette résolution et dont vous parlez dans les paragraphes trois et quatre de votre lettre du 25 novembre? À ce propos, permettez-moi d'établir clairement une chose: le gouvernement du Canada a préconisé l'adoption de vetos régionaux, au moins depuis que je suis premier ministre. Je me permets de rappeler ici les faits sur lesquels j'appuie cette affirmation.

Premièrement, la formule d'amendement contenue dans la charte de Victoria de 19'71, que le gouvernement fédéral avait appuyée, aurait donné des vetos aux régions, dont un au Québec.

Deuxièmement, le 19 avril 1979, lorsque j'ai écrit à tous les premiers ministres provinciaux pour leur proposer de prendre sans délai les mesures voulues pour rapatrier la constitution, la formule d'amendement que je proposais était celle que renfermait la charte de Victoria de 1971. Le 14 octobre 1976, M. Lougheed m'informait que son gouvernement et celui de M. Bennett n'acceptaient plus la formule de Victoria, même si celle-ci était acceptable aux huit autres provinces.

Troisièmement, dans une lettre que je vous adressais, le 19janvier 1977, à vous-même et aux autres premiers ministres, je signalais que la formule de Victoria avait été acceptée par les onze gouvernements en 1971, et par huit en 1976. Vu l'ampleur de ce consensus, je proposais que nous essayions une fois de plus de rapatrier la constitution et je suggérais que nous adoptions la formule de Victoria qui, je le répète, donnait un veto au Québec.

Quatrièmement, lorsque les premiers ministres se sont réunis en conférence constitutionnelle, en octobre 1978, mon gouvernement appuyait toujours la formule de Victoria. Nous étions cependant disposés, pour rallier l'appui d'un plus grand nombre de provinces à la procédure d'amendement, à prendre en considération le «consensus de Toronto», qui s'était dégagé en 1978. Cette formule prévoyait que l'assentiment du Parlement et de sept provinces représentant au moins 85% de la population. La formule dite «consensus de Toronto» aurait en fait assuré un veto au Québec.

Cinquièmement, le projet de résolution constitutionnelle présenté au Parlement par le gouvernement du Canada au mois d'octobre 1980 aurait assuré un veto au Québec.

Sixièmement, la résolution officielle présentée au Parlement par mon gouvernement en février 1981, après plus de trois mois d'étude au comité mixte du Sénat et de la Chambre des Communes, retenait cette proposition.

Septièmement, enfin, lorsque j'ai rencontré les autres premiers ministres et vous-même, le 5 novembre, je défendais encore la formule de Victoria, qui prévoyait un veto pour le Québec.

Il est incontestable que cet examen rétrospectif de l'attitude adoptée depuis treize ans par le gouvernement canadien manifeste on ne peut plus clairement son désir de protéger les intérêts du Québec. Malheureusement, l'histoire de cette période révèle aussi que les divers gouvernements qui se sont succédé au Québec ont dans tous les cas refusé d'appuyer l'ensemble des propositions constitutionnelles mises en avant par le gouvernement du Canada, lesquelles propositions incluaient toutes un veto pour le Québec dans la formule d'amendement.

Examinons maintenant comment s'est développé le principe de l' «égalité des provinces» en ce qui a trait à la formule d'amendement.

Lors d'une réunion du comité permanent des ministres sur la constitution, tenue à Toronto en décembre 19'78, le gouvernement de l'Alberta, reprenant une opinion que cette province avait officiellement avancée en octobre 1976, soutint que la formule d'amendement, quelle qu'elle soit, devrait accorder une voix égale à toutes les provinces et qu'aucune de celles-ci ne devrait disposer d'un veto. On convint de façon générale à la réunion de donner suite à cette idée.

L'Alberta élabora donc, au cours de l'hiver 1979, une nouvelle proposition de formule d'amendement qui s'appuyait sur ce principe. C'est cette proposition, à laquelle furent apportés une série de raffinements successifs, qui aboutit au consensus de Vancouver, lequel fut préconisé par plusieurs provinces - dont le Québec - lors de la conférence constitutionnelle de septembre 1980.

Cette formule de Vancouver - sans veto pour le Québec - fut proposée également par les conservateurs fédéraux, dont le chef, M. Joe Clark, présenta une motion en ce sens à la Chambre des Communes le 22 octobre 1980.

Finalement, la formule de Vancouver se retrouva dans l'accord des premiers ministres provinciaux d'avril 1981. Comme vous le savez, cet accord - que vous avez signé - prévoyait une procédure d'amendement qui ne donnait pas de veto au Québec. Or, c'est cette formule que vous avez de nouveau préconisée au cours de nos séances des 2, 3, 4 et 5 novembre et qui s'est finalement retrouvée dans l'accord qu'ont signé, le 5 novembre 1981, le gouvernement canadien et neuf provinces.

Il est donc clair que, du 11 septembre 1980 au 5 novembre 1981, vous avez souscrit à l'opinion initialement avancée par l'Alberta en 1976, opinion qui forme la base de la formule d'amendement que renferme la résolution actuellement à l'étude au Parlement, à savoir que cette formule devrait accorder une voix égale à toutes les provinces et qu'aucune de celles-ci ne devrait disposer d'un veto.

L'Ontario et le Nouveau-Brunswick n'avaient pas adhéré à l'accord d'avril 1981 mais, pour réaliser «un degré acceptable de consentement provincial» à la conférence des premiers ministres de novembre 1981, ils ont consenti à appuyer le principe que votre gouvernement favorisait. Le gouvernement du Canada s'est à son tour rallié à cette position le 5 novembre bien que, comme je le signale plus haut, nous aurions préféré une formule qui aurait assuré un veto à toutes les régions, y compris le Québec.

En un mot, entre l'année 1971 et le 5 novembre 1981, tous les gouver-nements quej'ai dirigés ont préconisé une formule d'amendement qui aurait assuré un veto au Québec. Nous n'avons abandonné ce principe qu'après que vous l'eûtes fait vous-même.

Le seul élément de la formule d'amendement contenue dans l'accord des premiers ministres provinciaux qui ne se retrouve pas entièrement dans la résolution actuellement à l'étude au Parlement est la disposition relative à la compensation financière. Or, il est instructif de retracer l'évolution de cette idée dans les diverses propositions de formule d'amendement.

Au cours des discussions qui ont eu lieu à l'été de 1980, votre gouvernement a mis en avant le principe de non-pénalisation financière d'une province qui se dissocierait d'une modification de la constitution ayant pour effet de transférer des pouvoirs provinciaux au Parlement. Mais, de façon générale, les autres gouvernements étaient d'avis que la question de la compensation financière devrait être envisagée au fur et à mesure des besoins, à la lumière des circonstances de chaque cas, et qu'on ne devrait inscrire dans la constitution aucune obligation rigide à cet égard.

Vous vous souviendrez que, le 11 septembre 1980, au cours de la conférence des premiers ministres sur la constitution, votre gouvernement a diffusé un document intitulé «Proposition de position commune des provinces», par suite surnommé «consensus du Château». Bien que cette proposition reprît la formule d'amendement de l'Alberta et s'assortit d'une «disposition prévoyant des arran-gements financiers entre les gouvernements», les projets de textes législatifs qui l'accompagnaient dans le but d'en faciliter la compréhension ne renfermaient pas de disposition tendant à constitutionnaliser la notion d' «arrangements financiers». Ce n'est qu'en avril de cette année, lors de la publication de l'accord des premiers ministres provinciaux, que les dispositions relatives à ces arrangements virent le jour sous la forme d'une obligation constitutionnelle.

Le 5 novembre 1981, vous avez continué d'affirmer qu'il faudrait, pour que vous acceptiez la formule de modification de la constitution qui figure dans la résolution actuellement à l'étude au Parlement, que des dispositions relatives à la compensation financière y soient incorporées. Or, je vous ai fait savoir à maintes reprises que j'étais disposé à étudier ce point avec vous, mais vous vous y êtes refusé.

En dépit, néanmoins, de votre refus persistant, le gouvernement du Canada a, avec l'accord des neuf autres provinces, incorporé à la formule d'amendement acceptée le 5 novembre une modification permettant d'offrir une compensation financière à une province qui se dissocierait d'un amendement ayant trait à l'éducation ou à d'autres matières d'ordre culturel. Cette mesure avait manifestement pour objet de protéger les intérêts particuliers du Québec.

Pour résumer, donc, il est clair que votre gouvernement a, dès septembre 1980, abandonné toute prétention de veto pour le Québec dans une quelconque formule d'amendement. Il est vrai que l'abandon de ce principe a été rattaché à des «arrangements financiers»; mais dès lors il ne s'agissait pas tant du principe du veto que de l'assurance de compensation.

Néanmoins, si vous n'êtes désormais plus certain que la proposition de l'Alberta, que vous avez appuyée pendant plus d'un an, corresponde à vos besoins, vous aurez toute latitude, une fois la constitution rapatriée, de proposer aux autres provinces et au gouvernement du Canada de modifier la formule d'amendement.

Voilà, monsieur le Premier ministre, comment je comprends le droit et l'histoire constitutionnelle en matière de prétendu veto provincial. Qu'il s'agisse de rapatriement ou qu'il s'agisse de formule d'amendement, il est difficile de comprendre comment vous pouvez - que ce soit par décret ou autrement -soutenir qu'un veto existe pour le Québec en vertu de la loi ou de la coutume.

Je vous prie d'agréer, monsieur le premier ministre, l'assurance de ma haute considération.

(Pierre Elliott Trudeau)


Monsieur le Premier ministre,

C'est avec regret, mais sans surprise, que j'ai pris connaissance de votre lettre du 1er décembre 1981 dans laquelle vous niez explicitement au Québec un droit de veto que les Québécois, depuis des générations, ont toujours considéré comme une protection minimale dans le présent régime et qu'ils ont à maintes reprises exercé. Que cette lettre soit signée par un Québécois en dit long sur le déracinement qu'engendre le système fédéral actuel.

Je n'ai pas l'intention de répondre, point par point, aux nombreuses inexactitudes que contient votre lettre. Je me contenterai de vous souligner que, dans son jugement du 28 septembre dernier, la Cour suprême a expressément réservé son opinion sur le «degré de consentement» qui était requis de la part des provinces. Si elle n'a pas explicitement reconnu le droit de veto du Québec, la Cour suprême ne l'a pas non plus écarté: elle ne s'est tout simplement pas prononcée sur ce point.

Je me permets également de relever une contradiction flagrante entre l'attitude que vous prenez aujourd'hui et le processus historique que vous décrivez dans votre lettre. Vous donnez en effet une longue liste des diverses propositions que vous avez faites, depuis que vous êtes premier ministre, au sujet de la formule d'amendement; et vous mentionnez qu'aucune n'a pu être adoptée puisque «les divers gouvernements qui se sont succédé au Québec ont dans tous les cas refusé d'appuyer l'ensemble des propositions constitutionnelles mises en avant par le gouvernement du Canada». Pouvez vous alors m'expliquer pourquoi il en va autrement aujourd'hui? Si le Québec a pu bloquer vos formules antérieures, pourquoi ne pourrait il pas bloquer votre formule actuelle, d'autant plus que cette dernière, outre qu'elle est contraire à ce que les Québécois ont compris de vos promesses référendaires, met en danger les droits et pouvoirs du Québec comme jamais aucune autre ne l'a fait auparavant?

Puisque vous ne voulez pas respecter un droit qui l'a toujours été depuis le début de la confédération, nous n'avons d'autre choix que de faire reconnaître ce droit par les tribunaux. C'est pourquoi le gouvernement du Québec a décidé de soumettre la question à sa Cour d'appel et de prendre les mesures législatives nécessaires pour que la question puisse ultérieurement être soumise à la Cour suprême du Canada. Vous trouverez ci-joint une copie du décret accepté à cette fin.

Je vous demande en conséquence de surseoir à la poursuite de votre projet jusqu'à ce qu'un jugement final soit prononcé sur cette question, comme vous avez accepté de le faire lorsque la Cour suprême a été saisie, au début, de l'année, de la question plus générale du consentement nécessaire des provinces. Autrement, cela équivaudrait à empêcher le Québec de faire valoir ses droits en temps utile.

(René Lévesque)

 

Source : Claude MORIN, Lendemains piégés. Du référendum à la nuit des longs couteaux. Montréal, Boréal, 1988, pp. 354-9.