Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

Document de l’histoire du Québec / Quebec History Document

 

Écrits des Jeune-Canada

 

 

L'idéal historique de la nation

canadienne-francaise

 

par

 

Émilien Brais

 

 

Nous formons une nation. Des 65,000 que nous étions lors de la cession du Canada â l'Angleterre, prés de 3,000,000 sont nés et vivent aujourd'hui sur les bords du St-Laurent. Fermement enracinés dans le sol du Québec, où ils dominent par le nombre, ils y ont organisé leur vie propre en harmonie avec le culte catholique et la culture française qu'ils ont hérités de leurs pères. Prés d'un siècle d'expérience les a familiarisés avec les institutions politiques anglaises dont ils savent jouer en maîtres. Impossible de nier qu'ils ne puissent aujourd'hui, s'ils le voulaient, former une nation indépendante. "Toute nationalité, dit M. l'abbé Lionel Groulx, n'a pas le droit de s'ériger en État. Celle-là seule peut prétendre à cette dignité qui possède assez de ressources matérielles et spirituelles, un capital politique et moral assez riche, pour assurer à ses ressortissants ou nationaux le développement de leur personnalité humaine et l'obtention de leurs fins de citoyens." (Nos Positions, pp. 14-15.) Or ces qualités-là, nous les avions dès 1867 . Et c'est parce que nous les avions que nous avons pu exiger dans la Confédération la consécration de notre particularisme. "Sans nous, continue le même auteur, et quelles qu'aient été les répugnances, d'ailleurs modestes, les provinces de l'Amérique britannique auraient érigé en 1867 un État unitaire et non pas une Confédération. La Confédération, c'est nous qui l'avons voulue, c'est nous qui l'avons exigée." On ne peut nier d'ailleurs que ce nouveau régime constituât alors un immense progrès. L'Acte d'Union de 1840 avait été la négation de notre nationalité: formant de fait une nation, les Canadiens français d'alors cessaient en droit d'en être une; on les fondait avec les habitants anglais du Haut-Cariad4, précisément en vue d'abolir leur particularisme et d'en faire avec le temps des sujets britanniques sans mélange. La tentative échoua heureusement, et nous fûmes en mesure d'exiger avec la Confédération qu'on nous rendît notre statut juridique de nation.

 

Cette Confédération que nous avions accueillie avec enthousiasme semble maintenant tourner à notre perte. Les pouvoirs respectifs du gouvernement central et des provinces, mal définis au début, ont donné lieu à des difficultés et des litiges qui n'ont pas toujours été résolus selon l'esprit du pacte fédératif; à des empiétements du pouvoir central qui nous autorisent à entretenir des craintes sérieuses pour nos institutions particulières et, par conséquent, pour notre avenir national. Bien plus, il semble que d'inéluctables lois économiques justifient ces empiétements, et que, si nous voulions conserver le régime actuel et assurer le bon fonctionnement de notre gouvernement, il faille peu à peu dépouiller les provinces des plus importants de leurs pouvoirs pour les remettre au gouvernement central. Ce serait là cette fois la mort de notre nationalité; ce serait l'abandon de tant d'espoirs au nom desquels nos pères ont soutenu des luttes sans merci; ce serait le renoncement à tout un passé glorieux, à des traditions fécondes, peut-être à la douceur d'une religion dont ont vécu nos pères.

 

Cela, nous ne pouvons pas l'admettre. Est-ce dire que l'heure a sonné pour nous de brider le pacte fédératif et de nous ériger en État , complètement libre et indépendant? Grave gestion à laquelle nous devrons avant peu trouver réponse. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle se pose; mais des événements pourront bientôt surgir qui nous forcent à prendre immédiatement des décisions.

 

Il faut que notre nation se tienne prête.

 

II faut que chacun de nous ait constamment en vue notre idéal national et puisse, le moment venu, poser les premiers actes nécessaires à sa réalisation.

 

L'idéal, vous savez ce que c'est. Le mot le dit: c'est d'abord une idée. idée de perfections dont on conçoit l'excellence et où l'on essaiera d'atteindre, idée d'une oeuvre à accomplir et que l'on tentera de mettre sur pied. Que l'idée se précise et qu'on prenne conscience de la série d'actes qui en feront une réalité, elle devient un but. Ce but, c'est l'idéal. Il n'est pas le but immédiat de telle ou telle de nos actions, mais le point où l'on voudrait les faire converger toutes, le but ultime de notre vie. Tel est l'idéal chez l'individu. Plus ou moins noble ou élevé, plus ou moins conscient même, l'idéal existe chez tous les hommes. Car tous sont faits pour le bonheur; tous ils conçoivent une certaine manière de bonheur et des moyens pour y arriver. Or qu'est-ce que tout cela, sinon un idéal ?

 

Mais il n' y a   pas que l'idéal individuel. La société, tout autant qu'à un besoin de nature, répond à un idéal ou, plutôt à de multiples idéals: idéal d'ordre moral et politique, idéal religieux, idéal de progrès intellectuel, de progrès ès matériel, de vie heureuse, etc. Ce sont là les idéals communs de l'humanité. Mais si la société n'est pas une et se divise en une infinité de groupements, n'est-ce pas parce qu'à chaque groupe appartient un idéal différent et parfois opposé à celui des autres groupes? Nul groupe ne peut rester cohérent, uni et fort, à moins que chacun de ses membres ne prenne conscience et ne travaille à la réalisation de cet idéal qu'il n'a pas lui-même élu, mais que le passé, la religion, la culture, les circonstances particulières où son . peuple a vécu se sont chargés de façonner pour lui: Nul groupe ne peut vivre à moins qu'il ne sache ce qu'il est, ce qu'il a fait et vers quoi il tend. Nous, Canadiens français, savons-nous quel est notre idéal national? L'avons-nous résumé dans une formule magique qui soulève tous nos coeurs ?

 

Ouvrons notre histoire. Vous connaissez la période des explorations et des découvertes, des luttes contre l'Indigène et contre l'Anglais. On venait de découvrir un monde qu'il s'agissait de conquérir à la religion catholique et à la culture française. Tel était alors l'idéal. On rêvait grand; on ne craignait pas de s'étendre, de disséminer ses forces. Il fallait avoir partout des points de contact avec l'Indigène, garder toutes les avenues du Nouveau-Monde. D'où ces innombrables établissements français qui s'étendent depuis le golfe St Laurent jusqu'à la tête   des Grands-Lacs et de là sur tout le pars du Mississippi jusqu'au golfe du Mexique; d'où les courses vers le nord jusqu'à la baie d'Hudson, vers l'ouest jusqu'aux montagnes Rocheuses.

 

Cet idéal est-il mort avec la Cession? Nullement. C'est parce qu'il vit toujours dans leur coeur que nos pères ont voulu survivre; c'est parce qu'ils croyaient toujours à cet idéal qu'ils ont bataillé pour la conservation de leur langue, pour la pratique de leur religion, pour leurs traditions, leurs coutumes, leur droit français. Autrement, pourquoi ne pas devenir de véritables Anglais. Matériellement, ils n'en eussent été que mieux. Ce que l'on appelle "le miracle canadien", c'est cet idéal apporté de France et toujours vivant qui l'a fait. Rien d'autre.

 

Et maintenant? Religion, langue, droit, il est entendu que nous avons conservé tous ces biens. Ce fût sues doute beaucoup de les avoir gardés. Mais, ne sommes-nous pas en train de dormir sur des lauriers que nos pères ont conquis pour nous? N'est-il pas trop tard maintenant pour nous rendre compte qu'on nous enlève peu à peu ce que nos pères ont tant lutté pour conserver? Trop tard, non! Mais il est grand temps que nous nous mettions à l'oeuvre. Le travail entrepris par nos pères n'est pas terminé. Chaque jour d'inaction marque un recul; certaines positions conquises nous seront bientôt reprises si nous n'y prenons garde. Il nous faut commencer tout de suite.

 

Ce que voulons, nous le savons: c'est M. l'abbé Groulx qui nous   l'a résumé d'un mot : « Un peuple français dans un pays français ».

 

Et nous l'aurons!

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Source : Émilien Brais, « L'idéal historique de la nation canadienne-française », dans Le Canadien français, ses droits, son idéal, Tract des Jeune Canada, No 3, avril, 1935, 21p., pp. 16-21.

 

 

 

 

 

 

 

 
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