Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Novembre 2004

Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents

 

Écrits des Jeune-Canada

 

Les Canadiens français et la Confédération

 

PAR

 JEAN-LOUIS DORAIS

président des Jeune-Canada

 

Mesdames.

 Messieurs,

 

Pour répondre à l'appel que lançait il y a quelque temps Son Éminence le Cardinal Villeneuve, nous voulons aujourd'hui vous offrir le résultat d'un effort de pensée constructive. Des ruines du passé nous voulons voir surgir un idéal qui fera qu'à l'avenir le Canadien français aura plus conscience de sa valeur, de sa force, et de la grandeur de sa nation.

 

LA MENACE

 

Nous venons, mesdames et messieurs, de subir l'alerte d'une conférence interprovinciale. A la suite de certains pourparlers qui avaient eu lieu à Ottawa entre M. Bennett et les premiers ministres des diverses provinces du Dominion, la question de réforme de la constitution avait été mise à l'ordre du jour. On avait considéré qu'à la suite de l'évolution économique et du développement incessant de l'industrie, comme d'ailleurs à cause des charges nouvelles que la crise a jetées sur les épaules quelquefois chancelantes de nos pouvoirs publics, il devenait de plus en plus urgent de répartir plus équitablement entre le pouvoir central et les législatures les juridictions qui leur sont propres. Fort de ces motifs, dont l'importance ne peut être mise en doute, M. Bennett s'est avisé de lancer à grand fracas l'annonce de la convocation prochaine d'une conférence interprovinciale, qui aurait eu pour objet d'étudier la nature des changements à apporter à l'Acte de l'Amérique britannique du Nord. Les journaux sans tarder se sont emparés de la nouvelle; ils l'ont commentée, examinée sous tous ses aspects. Ils ont réussi, avouons-le, à jeter dans nos esprits le plus complet désarroi.

 

De quoi allait-on discuter ? Dans quel sens tenterait-on d'amender la constitution ? Se contenterait-on de remanier de-ci de-là quelques détails seulement, ou changerait-on le sens même de la Confédération ? Autant de questions auxquelles on se gardait bien de répondre. On convoquerait la conférence, c'était sûr, mais nous ignorions le vrai motif et l'objet réel de cette conférence.

 

Aucune date précise n'avait été fixée, mais M. Bennett nous avait dit que les premiers ministres se rencontreraient avant la fin de 1934..., et nous n'avions aucune raison de douter de la parole de M. Bennett. La menace était là, pendante sur nos têtes; nous n'en connaissions pas la nature, mais nous appréhendions l'inconnu.

 

Heureusement ensuite, pour une raison ou pour une autre, peut-être parce que les premiers ministres intéressés ne se sentaient pas particulièrement enclins à entamer une discussion qui risquait de mettre en échec leur autocratie, le nuage s'est dissipé : on a remis à plus tard la discussion de l'affaire. La conférence interprovinciale est temporairement ajournée; elle ne saurait constituer, pour le moment du moins, un danger immédiat.

 

LE DANGER DEMEURE

 

Cependant, la menace n'est pas définitivement écartée : la conférence nous reviendra un jour, plus tôt peut-être que nous ne l'attendons, mais elle reviendra cette fois comme un voleur, sans s'annoncer, sans nous donner le temps d'étudier et d'approfondir les divers problèmes auxquels il nous faudra alors faire face. Nous n'entreprendrons pas, remarquez-le bien, d'élaborer ici une étude des pouvoirs réels d'une telle conférence, pas plus que nous n'oserions prétendre qu'elle aurait juridiction pour effectuer les changements que l'on voudrait apporter à notre constitution. Qu'il me suffise de dire qu'elle pourrait tout au moins servir de motif ou de point d'appui pour donner essor à une série d'amendements plus ou moins heureux, et qu'une fois lancés dans la voie des amendements, il est rare que nos gouvernants sachent exactement où s'arrêter. Mais quelle que soit l'influence réelle que la conférence puisse avoir sur nos destinées, nous restons sûrs d'une chose : c'est qu'un jour elle reviendra, et ce jour-là, comme aujourd'hui, nous en ignorerons l'objet réel.

 

La conférence interprovinciale nous reviendra, vous dis-je, mais pour avoir tardé plus longtemps à nous découvrir ce qu'ont pu machiner dans le silence leurs fertiles imaginations, nos politiciens impérialistes et anglophiles n'en seront que plus forts. Pendant toute la durée de l'ajournement, ils auront aiguisé leurs armes, et ils ne pourront que plus facilement saper la base de nos droits les plus chers.

 

La conférence interprovinciale nous reviendra, je le répète : c'est une épée de Damoclès qui ne manquera pas un jour de nous tomber sur la tête. Mais le jour ou elle viendra nous frapper, serons-nous assez forts, je vous le demande, aurons-nous de notre idéal national une conception suffisamment nette, suffisamment précise, pour maintenir nos droits envers et contre tous, pour demeurer unis et ne former chez nous qu'un seul corps et qu'une seule âme ? Il nous faut pour cela, et à tout prix, mesdames et messieurs, ne pas perdre de vue le retour prochain de cette conférence interprovinciale. Il nous faut l'attendre et nous tenir prêts. Il ne faut pas perdre de vue, surtout, le cortège de dangers qu'elle traînera nécessairement derrière elle.

 

UN RAJUSTEMENT S'IMPOSE

 

La question des changements à la constitution sera discutée parce qu'il faut qu'elle le soit. En effet, il est évident qu'un rajustement s'impose : les charges qui incombent aux législatures provinciales et les pouvoirs de ,taxation qui leur appartiennent ne s'équilibrent pas Les provinces ont aujourd'hui, en vertu des juridictions ions qui leur ont été imposées par le pacte fédératif, . obligations trop lourdes à rencontrer, et les mon nits qu'elles sont à même de retirer des sources de venu dont elles disposent sont insuffisants pour 1 r permettre de faire face à ces obligations.

 

Du texte même de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, comme d'ailleurs de l'interprétation officielle plus ou moins exacte qu'en a donnée à plusieurs reprises ire Conseil privé, il appert que proportionnellement à l'étendue des pouvoirs de taxation accordés aux deux juridictions, les charges qui incombent au gouvernement central sont de beaucoup moins lourdes que celles que doivent supporter les législatures provinciales. Je n'ai pas l'intention d'entrer dans une étude approfondie de la répartition des droits et pouvoirs respectifs du gouvernement central et des provinces. Les textes semblent avoir été si malmenés qu'il est devenu pratiquement impossible d'en établir la vraie portée. Mais les rapports des finances fédérales et provinciales ne manquent pas de nous faire voir clairement le déséquilibre qui existe entre les charges et les pouvoirs tels que répartis entre les gouvernements. Les interprétations douteuses données à certains articles de notre constitution nous laissent à deviner le manque de précision de la répartition telle que faite.

 

Cette situation ne peut durer: un rajustement s'impose. Il importe de faire le jour sur cette question et de répartir plus équitablement entre le pouvoir central et les législatures les charges et les pouvoirs qui leur reviennent de droit.

 

DANS QUEL SENS S'OPÉRERA-T-IL ?

 

Pour répartir équitablement les droits et pouvoirs respectifs des juridictions, fédérale et provinciale, une des deux solutions suivantes s'impose : centralisation ou décentralisation, c'est-à-dire plus de pouvoirs concédés à Ottawa aux dépens des provinces, ou vice versa. Dans quel sens sera dirigée la conférence interprovinciale le jour où elle naîtra ? Nous ne pourrions le dire. Visera-t-elle à la centralisation ou à la décentralisation ? En ce moment, c'est le grand inconnu, c'est le mystère, l'inviolable secret de M. Bennett.

 

Tout, cependant, nous porte à croire que la réforme sera plutôt effectuée dans le sens de la centralisation. L'atmosphère d'insécurité où nous avons vécu pendant quelques mois, le fait même que certains premiers ministres se soient montrés peu empressés à discuter les modifications possibles ont une valeur de symptômes. La centralisation ne découlerait-elle pas nécessairement des sacrées doctrines politiques de certains de nos gouvernants, qui ne visent jamais qu'à mettre la main sur tous les ressorts de notre vie économique et nationale ? La mode est actuellement aux monopoles de tout genre : pourquoi alors ne verrions-nous pas surgir soudainement à Ottawa le monopole des juridictions et des pouvoirs ? La tendance normale du système démocratique est d'ailleurs à la centralisation, qui renforcit elle-même un gouvernement central, naturellement   faible, en lui mettant en main tous les guides de l'administration. Notre premier ministre actuel, il est vrai, ne s'est pas prononcé ouvertement sur la question; mais il est permis de fouiller sa pensée pour découvrir ses intentions les plus secrètes, à la lumière des doctrines autocratiques qu'il n'a pu s'empêcher jusqu'à date de prôner devant le public. Et d'ailleurs, je ne crois pas insulter à la capitale en affirmant que M. Bennett ne détiendra pas toute sa vie le pouvoir absolu... Mais alors ? Advenant le cas, peu souhaitable sans doute, mais possible quand même, où M. Woodsworth viendrait un jour, sinon à gouverner, du moins à tenir en main l'équilibre des partis, il n'y a plus à hésiter : M. Woodsworth s'est déclaré franchement en faveur de la centralisation, qui concorde d'ailleurs parfaitement avec la doctrine cécéeffiste.

 

Donc, centralisation ou décentralisation. Nous n'entreprendrons pas d'étudier dans le détail la valeur intrinsèque de ces diverses modifications. Mais ce qu'il nous faut étudier avant tout, ce sont nos droits en face de cette réforme imminente. En d'autres termes, il importe que nous nous posions franchement la question : avons-nous le droit, nous, Canadiens français, citoyens de la province de Québec, d'accepter ou de refuser des changements   à la constitution canadienne, selon que ces changements seraient faits à notre avantage ou à notre détriment ?

 

LA CONFÉDÉRATION ET LES DROITS

DES CANADIENS FRANÇAIS

 

Avant que d'apporter une réponse à cette question assez lourde de conséquences, il importe d'établir franchement notre position chez nous et de bien définir nos droits dans la Confédération.

 

De par sa nature, la confédération est l'union de deux ou de plusieurs nations pour la défense d'intérêts communs à ces nations. Cette définition, un peu sèche peut-être, décrit cependant parfaitement notre situation à nous. La nation canadienne-française a consenti à s'unir à la nation canadienne-anglaise, parce que, vivant toutes deux sur un même territoire, ces nations avaient des intérêts matériels qui devaient fatalement un jour ou bien venir en conflit, ou bien être uniformisés en vue d'une meilleure administration.

 

Il ne faut pas oublier cependant qu'il découle de cette définition que la confédération est nécessairement le résultat d'une entente. C'est une union librement consentie : ce n'est pas, comme on a souvent voulu le faire croire, une forme gouvernementale imposée aux parties intéressées. C'est un pacte, un contrat bilatéral, conclu entre les nations concernées. Comme dans tout contrat, qu'il intervienne entre nations ou entre particuliers, les droits respectifs des partie contractantes doivent y être respectées; c'est le pacte qui fait loi, ce n'est pas la volonté souvent intransigeante de la partie la plus forte.

 

Or, notre constitution à nous, le pacte fédératif de 1867, résulte comme tout autre de l'entente intervenue entre Canadiens français d'un côté et Canadiens anglais de   l'autre. Nous avons participé à cette entente. Nous l'avons même imposée. Elle est une espèce de compromis entre les deux nations qui vivaient alors et qui vivent encore côte à côte chez nous. En vertu de ce contrat, des droits et des pouvoirs déterminés ont été donnés à la province de Québec. Une situation d'égalité et un droit de cité officiels ont été reconnus à notre nationalité canadienne-française.

 

Mais comme nous représentons encore une minorité dans le Dominion, et que c'est le sort des minorités, qu'elles aient ou non des droits acquis sur le territoire qu'elles occupent, de se faire écraser à tout propos et sans raison ni justification, par la majorité, spécialement, dirais-je, quand cette majorité possède entre autres attributs la suffisance britannique, nous sommes exposés à trouver dans la réforme de la constitution un amoindrissement de nos droits.

 

Si de fait les changements et modifications que l'on veut apporter sont à notre préjudice, je dirai qu'en droit nous pouvons parfaitement les refuser. Ce droit n'est pas reconnu par un texte de loi, c'est vrai. Mais il existe au-dessus du droit écrit quelque chose de plus sacré, de plus inviolable : le droit naturel, le droit que nous avons acquis chez nous au prix de tant d'efforts et de tant de sacrifices. (Appl. prolongés )

 

En tant que citoyens de la province de Québec, l'Acte de l'Amérique britannique du Nord nous a concédé un statut précis. Il nous a reconnu des droits déterminés. Si aujourd'hui on voulait   changer ce statut, si on voulait nous enlever un seul de nos droits, on changerait l'esprit même de la constitution telle que faite, on manquerait insolemment à la parole donnée, et nous serions libres de refuser catégoriquement les changements proposés. Puisque, en droit privé, celui qui a volontairement concédé un droit ne peut ensuite le reprendre au cessionnaire, de même en droit constitutionnel serait-il absolument illégal que l'on enlevât à notre province une seule des prérogatives qui lui ont été reconnues officiellement en 1867.

 

Je dirai plus. J'ajouterai qu'en tant que Canadiens français, nous avons le droit, un droit absolu, de refuser toute modification par laquelle on tenterait d'une façon quelconque de préjudicier à nos intérêts. La Confédération, avons-nous dit, est issue d'une entente entre les deux nations. Nous sommes partie à cette entente, nous en avons déterminé les clauses. On ne peut donc aujourd'hui en changer les termes sans résilier le contrat existant. Tout autant qu'un particulier, nous sommes justifiables de revendiquer les droits qui nous sont acquis en vertu de ce contrat. On ne saurait impunément nous imposer un changement. Et d'ailleurs, nous ne devons pas oublier qu'en exigeant la plénitude des droits qui nous sont acquis, nous ne venons en conflit avec aucun intérêt légitime. Pour amender la constitution, il faut en toute justice obtenir l'assentiment des deux parties contractantes, et je ne crois pas que légalement la volonté d'une seule de ces parties puisse en modifier les termes ou le sens.

 

Si donc, malgré nous, on tentait de nous imposer des changements qui ne seraient pas à notre avantage, nous pourrions, en droit, les refuser. Si notre refus n'était pas pris en considération, il ne nous resterait plus qu'une seule solution, la mesure suprême : la résiliation du pacte fédératif, justifiée par l'inexécution des obligations de l'une des parties signataires. Et la partie en défaut, ce ne serait pas la nation canadienne-française, ce serait la nation de ceux-là mêmes qui, au mépris de leurs engagements les plus solennels, auraient tenté de violer un pacte sacré pour nous voler un peu plus de nos droits.

 

Vous me direz peut-être que la résiliation du pacte fédératif, que la sécession (applaudissements), puis qu'il faut l'appeler par son nom, est une chose bien sérieuse, une chose à laquelle il faut penser à deux fois, un mot qu'il ne faut pas prononcer à la légère. Vous avez raison : c'est une chose bien grave, c'est un mouvement qui pourrait comporter bien des responsabilités, bien des conséquences. Aussi ne faut-il en parler que comme mesure suprême, que pour le cas où nos droits deviendraient sérieusement menacés.

 

Mais, mesdames et messieurs, si l'esprit conquérant de messieurs les Anglais voulait encore nous dépouiller, nous arracher les droits que nous avons acquis au prix de notre sang, nous serions justifiables, je crois, de lancer le mot de sécession, car nous agirions alors à notre corps défendant, ayant en vain revendiqué nos droits. Si l'on ne veut pas respecter le contrat tel que fait, si l'on s'obstine à vouloir transgresser les obligations contractées, nous le résilierons, le pacte fédératif, (longs appl.) puisqu'on l'exigera, mais ce ne sera sûrement pas pour en accepter un nouveau plus humiliant et plus avilissant.

 

Notre fierté canadienne-française s'oppose à ce qu'encore une fois on lésine sur nos droits. Nous sommes ici chez nous, nous avons sur cette terre du Québec des droits sacrés et inviolables, notre province nous appartient. C'est pourquoi si, à la faveur de la conférence interprovinciale qui s'en vient, on tentait d'apporter à la constitution   canadienne des modifications qui seraient de nature à préjudicier à nos prérogatives, nous serions justifiables en droit de nous opposer énergiquement à ces modifications, d'imposer même le maintien du minimum de justice que nous a concédé l'Acte de l'Amérique britannique du Nord. Nous serions même justifiables d'exiger la sécession, si la volonté impérieuse d'une majorité dictatoriale tentait de violer malgré l'opposition formelle du groupe canadien français notre particularisme national consacré par le pacte fédératif de 1867. (Appl.)

 

CONCLUSION

 

Mesdames et messieurs, telle est la situation exacte dans laquelle nous nous trouvons : un danger nous menace, celui de voir nos droits les plus chers outrageusement meurtris par l'inexplicable fantaisie d'une dictature impérialiste. Ce danger nous menace d'autant plus sérieusement que la conférence interprovinciale pourrait justement servir de tremplin à nos amateurs d'acrobatie constitutionnelle. Or en face de ce danger, nous venons de voir quels sont les droits qui nous appartiennent: droit d'imposer notre volonté nationale, droit inné à notre existence nationale, droit de garder jalousement pour nous, et pour nous seuls, notre province et de la défendre contre l'envahissement d'une centralisation avilissante. A nous maintenant de juger de la situation, de chercher si nous avons de notre idéal national une conception suffisamment claire, suffisamment nette, pour surmonter les multiples embûches qui peuvent se dresser sur notre route. C'est précisément, mesdames et messieurs, afin de nous mieux préparer à surmonter les dangers qui pourraient menacer notre existence nationale, que nous voulons vous offrir ce soir un effort de pensée constructive, qui réussira, nous l'espérons, à redonner aux nôtres la légitime fierté d'être avant tout et par-dessus tout des Canadiens français. (Appl. prolongés.)

 

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Source : Jean-Louis Dorais, « Les Canadiens français et la Confédération », dans Les Cahiers des Jeune Canada , No 3, Qui sauvera Québec, Montréal, l'Imprimerie populaire, 1936, 84p., pp. 9-21.

 

 
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