Date Published: |
Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents
Lettre de Louis-H. Lafontaine à Dominick Daly[1838]
[Cette lettre de Lafontaine fut expédiée au mois de juin 1838. Son récipiendaire – Dominick Daly – était le secrétaire du Conseil exécutif du Bas-Canada]
Monsieur,
En lisant, ce matin, les journaux du Canada, j'ai appris la formation du Conseil Exécutif du Gouverneur en chef. Comme vous êtes le seul membre de ce corps, que je connaisse, je prends la liberté de vous adresser, en cette qualité, la communication suivante.
En décembre dernier, par suite des troubles du Bas-Canada, j'ai pris, d'après l'avis de plusieurs amis, la détermination de partir pour Londres. Ce voyage n'avait pour objet que la situation politique de mon pays. Lors de mon séjour en Europe, j'ai été informé que, depuis mon départ, un mandat d'arrestation avait été émis contre moi, pour haute trahison probablement, suivant la formule ordinaire. Peut-être cette information est-elle inexacte; cependant je me crois justifiable d'y ajouter foi et d'agir en conséquence.
Ce n'est que mercredi dernier que je suis arrivé en cette ville, venant directement d'Europe. Je pensais pouvoir partir aujourd'hui pour Montréal où est mon domicile. Des circonstances que je n'ai pas pu maîtriser retarderont probablement encore mon départ de deux ou trois jours.
Quelle que puisse être mon opinion sur la ligne de conduite administrative qu'adoptera sans doute Son Excellence le Gouverneur en chef, et quoique cette opinion fasse naître chez moi, entre autres choses, l'espérance d'une amnistie, je vous prie néanmoins d'informer Son Excellence que cet espoir n'est pour rien dans les motifs de mon retour, dans ma patrie, et que le cas supposé arrivant, je n'entends nullement en profiter. Si quelque accusation plane sur moi, je suis prêt à subir mon procès, n'importe devant quel tribunal compétent. Loin de fuir le cours ordinaire de la justice, j'en réclame au contraire, et avec plaisir, l'application la plus étendue, quel qu'en puisse être le résultat.
Je ne répudie aucune de mes actions ou opinions politiques, soit en Parlement ou ailleurs.
La suspension de l'habeas corpus, décrétée sous l'administration temporaire de Sir John Colborne, me justifierait de retarder mon départ pour le Canada jusqu'au moment des sessions des tribunaux. Cependant, je n'hésite pas à y retourner immédiatement.
Il est vrai que si cette accusation dont je n'ignore pas le principal motif, n'a point de suite, je serai peut-être privé de l'exercice contre ses auteurs d'un recours légal appuyé sur la morale et la justice, tant qu'une ordonnance qu'ici je dois m'abstenir de qualifier sous son vrai nom, n'aura pas été révoquée. En cela, je serai forcé de partager le sort de plusieurs de mes concitoyens.
Je vous prie donc, en votre qualité de Conseiller Exécutif, de soumettre au Gouverneur en chef la présente réclamation, en assurant Son Excellence de mon profond respect et de mes souhaits sincères pour le succès de son importante mission.
J'ai l'honneur d'être,
Votre très humble serviteur,
L.-H. LAFONTAINE.
Source: Laurent-O. DAVID, « Lettre de Lafontaine à Daly », dans Les Gerbes Canadiennes, Montréal, Beauchemin, 1921, 328p., pp. 181-182.
|
© 2006
Claude Bélanger, Marianopolis College |