Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Août 2007

Études de l’histoire du Québec / Quebec History Studies

 

Yves BÉGIN, Raison et sentiment : nationalisme et antinationalisme dans le Québec des années 1935-1939, Mémoire de maîtrise, département d'histoire, Université de Montréal, 2001.

 

CHAPITRE II

JEAN-CHARLES HARVEY, ANTINATIONALISTE?

L’attitude antinationaliste d’Harvey constitue une position intellectuelle relativement complexe. Si le journaliste polémiste est loin d’être un esprit brouillon, il n’est pas non plus théoricien. Il n’a pas particulièrement synthétisé et systématisé ses idées et une grande variété de sources est donc nécessaire pour en arriver à un portrait global de son attitude antinationaliste. La pensée d’Harvey, malgré la force de ses idées, apparaît souvent contradictoire ou inconséquente. Tout en cherchant à reconstituer de façon cohérente le cadre de sa pensée et à y fixer les divers éléments, nous ne pourrons éviter de souligner ces inconstances, qui sont souvent moins à notre avis le signe d’une faiblesse de la réflexion que le résultat d’une pensée qui semble se façonner d’une semaine à l’autre, au gré de l’actualité. Dans ce chapitre consacré à Harvey, nous verrons dans un premier temps que son antinationalisme n’est pas radical ou absolu. Ensuite, nous observerons les quatre principales raisons qui motivent son combat contre les nationalistes canadiens-français. Nous constaterons enfin qu’au cours des années trente Harvey a développé un discours nationaliste canadien qu’il opposera de plus en plus vigoureusement au discours nationaliste canadien-français.

1. UN ANTINATIONALISME RELATIF

La première chose qu’il convient de noter sur l’antinationalisme d’Harvey, c’est son caractère relatif. Parce qu’il a combattu le nationalisme et les nationalistes de son époque, on a tendance à en faire un adversaire irréconciliable. Pourtant, au cours des années 1935-1939, il n’est pas clair qu’Harvey ait totalement renoncé au nationalisme canadien-français, ou toujours dénoncé le nationalisme sans nuance.

Nous avons vu dans le chapitre précédent qu’il reconnaît l’existence de la nation canadienne-française et qu’il partage avec ses adversaires une conception similaire du fondement identitaire de cette nation. Cette présence chez Harvey d’un «sentiment national» canadien-français ne fait pas de lui un nationaliste, mais il s’agit néanmoins d’un fait important, qui nous indique déjà que son antinationalisme n’est pas d’abord motivé par une négation de l’existence de la nation canadienne-française telle que la définissent ses adversaires. Nous avons défini plus tôt l’antinationalisme comme une «idéologie ou une attitude d’esprit considérant le nationalisme en général ou un nationalisme en particulier comme relativement ou essentiellement inacceptable.» Malgré qu’à certaines occasions il tire à boulets rouges contre le nationalisme en général (1), Harvey n’est donc pas un antinationaliste radical, absolu, au point de ne pas pouvoir reconnaître une certaine légitimité au nationalisme, de se déclarer contre tout effort positif de conservation de la langue française ou d’émancipation économique ou encore de prôner l’assimilation pure et simple des Canadiens français.

Les différents analystes de la pensée d’Harvey l’ont tous remarqué, ce dernier se déclare même à certaines occasions nationaliste. Le passage le plus célèbre à cet égard date de 1939 alors qu’il déclare, lors d’un débat public sur le nationalisme avec le journaliste Louis Francoeur (2): «Je suis nationaliste comme tout homme de coeur doit l’être. Tenir aux traditions, à la langue, cela est beau, cela est grand, et par conséquent digne d’efforts collectifs et personnels. Il n’y a pas de discussion possible là-dessus (3).»

 

Les déclarations de ce genre, où Harvey se déclare nationaliste et où il reconnaît à cette attitude sa légitimité, sont relativement rares. Généralement, il prend soin de souligner que son attitude relève davantage du patriotisme que du nationalisme, la différence résidant entre autres à son avis dans le caractère non idéologique, non doctrinaire du patriotisme.

Cette «proximité idéologique» toute relative d’Harvey avec le nationalisme apparaît aussi à l’occasion dans ses textes. En effet, comment ne pas remarquer qu’il partage parfois un même langage avec ses adversaires? Est-ce par habitude, à cause de l’ambiance du milieu dans lequel il a formé son esprit et où il évolue toujours, où plutôt par stratégie rhétorique qu’il reprend ces thèmes (4)? Difficile de le dire, mais nous verrons dans les pages qui suivent que malgré un discours généralement antinationaliste, cette présence est bien réelle.

Harvey n’est pas désintéressé par le sort de ses compatriotes canadiens-français. Il reconnaît l’existence de la nation canadienne-française et il reconnaît au nationalisme une certaine légitimité. Il se déclare même à l’occasion nationaliste, comme nous l’avons vu, et il reprend de temps à autres des éléments nationalistes dans son discours. Ces faits ne nous permettent pas de voir en Harvey un antinationaliste radical. Mais qu’est-ce donc qui provoque chez lui une réaction antinationaliste? Qu’a-t-il à reprocher aux nationalistes canadiens-français? C’est ce que nous verrons maintenant.

 

2. ATTAQUES ET ARGUMENTS ANTINATIONALISTES

Les raisons d’Harvey de combattre le nationalisme sont nombreuses. Pour analyser l’argumentation antinationaliste d’Harvey, nous avons utilisé ses articles publiés dans Le Jour qui avaient le nationalisme comme sujet principal ou qui présentaient une argumentation relativement élaborée (5). Nous avons constaté qu’Harvey évoque en général quatre grandes raisons pour expliquer son rejet du nationalisme canadiens-français. La première est que pour lui, l’individu est plus important que la nation, et que ce qui constitue le caractère universel du genre humain est plus important que les différences entre les groupes qui le composent. La deuxième raison est que le nationalisme, et particulièrement le nationalisme canadien-français, est à son avis une attitude passéiste et antiprogressiste. La troisième raison est que le nationalisme est une attitude de haine, de racisme et de violence. La quatrième raison, enfin, est celle qui nous intéresse le plus dans la perspective de la raison et du sentiment dans le nationalisme et l’antinationalisme : les nationalistes ne se laissent guider que par les sentiments et non par la raison. Toutes ces raisons, qui prennent la forme d’arguments et d’attaques, reviennent plus ou moins fréquemment, selon le cas, dans la plupart des textes d’Harvey à caractère antinationaliste. Nous les présentons ici en ordre croissant d’importance, si la plus grande récurrence d’une idée sous la plume d’un intellectuel constitue une indication relativement sûre de l’importance qu’il lui accorde.

     

a) Primauté à l’individu par rapport à la nation, à l’universel par rapport au particulier

Ce type d’argument, que nous avons rencontré au moins une fois dans quatorze des quatre-vingt-deux articles que nous avons sélectionnés pour cette étude (17%), se présente sous diverses formes. Nous avons dit que pour Harvey l’individu prime la nation. Cela est vrai. Toutefois, remarquons que si l’individu est pour lui d’une importance capitale, c’est plutôt le terme «humain» qu’il utilise généralement par opposition à la nation (6). Par exemple, dans un article intitulé «Pourquoi je hais le nationalisme», il écrit : «Je le hais pour son oubli des valeurs humaines au profit des valeurs nationales, qui sont presque toujours secondaires, parfois malfaisantes [...] (7)». Mais c’est dans l’article intitulé «Les yeux dans le dos» qu’il exprime le mieux sa position à ce sujet :

Cet attachement au sol natal, dit-il, ne m’empêche pas de subordonner le national à l’humain. Le national est secondaire, l’humain est essentiel; le national est accidentel, l’humain est absolu; le national est sujet aux circonstances de lieux, de temps et d’ambiance, l’humain ne l’est point. Le national ne doit pas entraver ni écraser l’humain; le national n’est pas même un fait de naissance, car dix membres de la même famille pourront naître dans dix pays différents et avoir dix nationalités différentes tandis que ces mêmes dix naîtront n’importe où et seront tous également des hommes (8).           

Qu’apporte-t-on en venant au monde? Des besoins nationaux ou des besoins humains? Manger au biberon ou au sein, ce n’est pas national, mais humain; être vêtu, ce n’est pas national; être logé, ce n’est pas national; parler, ce n’est pas national; penser, ce n’est pas national; agir, ce n’est pas national; accomplir les besoins nécessaires de la nature, ce n’est pas national. Tout ce qu’on fait, tous les besoins de base sont humains, pas nationaux.

On me dira que la nationalité se forme par l’éducation, les habitudes, les traditions, l’histoire, les légendes... Oui, je l’admets, et on trouve, dans ces divers éléments de la vie, des richesses qu’il est bon de conserver parce qu’elles se rattachent à des souvenirs chers. Par contre, il faut avouer que ces différences entre les hommes de divers pays et même de races différentes sont bien légères et superficielles. Grattez de l’ongle cette mince couche surajoutée à l’être et tout de suite, vous trouvez l’humain. [...] On n’a pas le droit de tuer l’humain pour le national (9).

 

Dans ce passage, que nous avions rapporté partiellement dans le chapitre précédent, Harvey minimise par l’absurde l’importance de la nation dans la vie des hommes et des femmes. Il critique de cette façon les nationalistes qui font de tout des questions d’importance nationale. On voit bien que, dans son esprit, ce n’est pas que le désir de conservation des particularismes nationaux soit illégitime en soi : le danger, avec le nationalisme, c’est d’attacher trop d’importance à la conservation de la nation et de ses droits et d’oublier que derrière les différences entre les hommes se cachent des êtres qui partagent les mêmes conditions, qui aspirent au même bonheur :

L'à où on avait cru qu’il n’y avait que des adversaires irréductibles et des tempéraments incompatibles, à cause du malentendu créé par la voix du sang et par le choc des vocables aux sons étrangers, on sera tout étonné de retrouver des hommes, oui, de simples hommes comme il y en a partout dans le monde, avec des esprits pour comprendre, des coeurs pour sympathiser et des volontés pour agir dans la paix et l’entraide (10).

 

Cet «aveuglement» provoqué par le nationalisme aurait des conséquences funestes. Un mois après l’annexion des Sudètes par l’Allemagne à la conférence de Munich de septembre 1938, il critique ainsi le nationalisme pour son égoïsme et les guerres qu’il provoque :

Le nationalisme, qui est une maladie, et qu’il ne faut pas confondre avec le patriotisme (11), amour modéré du pays natal ou du pays d’adoption, signifie la guerre oui, la guerre, soit à l’intérieur d’une frontière, soit d’une frontière à l’autre. Il conduit fatalement à des conflits ruineux et insensés, parce qu’il dresse sans cesse des familles humaines contre d’autres, et qu’il donne aux unes et aux autres l’impression qu’elles sont d’une essence spéciale, qu’elles ont des droits supérieurs et imprescriptibles et que le simple droit humain et universel doit céder devant le droit national (12). 

 

Harvey en a d’ailleurs contre le principe du droit à l’autodétermination des peuples pour les mêmes raisons. Il ajoute ainsi :

Dès le traité de Versailles, on exaltait déjà le droit des petites nationalités de disposer d’elles-mêmes et d’être libres. [...] On a oublié les droits de l’humanité. L’humain, qui est universel et éternel, et qui se rit des frontières comme des continents, est relégué au dernier plan, car l’humain procède de la saine raison et on doit abhorrer le rationnel chaque fois qu’on veut tromper les peuples et les faire servir à des ambitions monstrueuses (13).

 

Harvey veut rappeler à ses compatriotes ces faits parce qu’il les juge trop repliés sur eux-même. Lorsque Henri Bourassa dénonce certains traits du nationalisme canadien-français lors d’une conférence donnée à Ottawa et à Montréal à la fin du mois d’octobre 1937, Harvey les reprend à son compte et applaudit sa «conversion à l’humain (14)» : «[Ces passages, dit-il] suffisent à nous montrer un Henri Bourassa dégagé du nationalisme étroit, dont on nous a gavé et dont on gave encore nos compatriotes. Le tribun vieillissant s’est humanisé (15).» Cette «humanisation» semble d’ailleurs constituer un projet pour Harvey: «Je désire de tout mon être changer ces nationaux en hommes», dira-t-il en pensant aux nationalistes (16).

Un des aspects intéressants à remarquer dans cet argument est qu’Harvey associe à l’occasion la notion d’humanité... au Canada. En effet, s’il semble généralement opter pour une hiérarchie à trois niveaux lorsque vient le temps de décliner son identité («Que je sois Canadien tout court avant d’être Canadien-français, et que je sois homme avant d’être Canadien, je m’en vante [...] (17)»), il opère parfois une fusion étrange entre la qualité d’homme et celle de Canadien (18). Par exemple, dans un texte où il exhorte les Canadiens français à devenir de «vrais» Canadiens et à prendre leur place dans la Confédération par le travail et par l’effort, plutôt que de réclamer des avantages pour la simple raison qu’ils sont canadiens-français, il se plaint de n’entendre que «les jappements de quelques roquets patriotards, qui se contentent du titre de Canadiens français et qui refusent de devenir des hommes, de simples hommes! (19)» Il ne comprend pas d’ailleurs pourquoi ses compatriotes n’utilisent pas pour cela les talents qu’ils possèdent. Ainsi, utilisant à son profit l’exagération chauviniste qu’il reproche pourtant à ses adversaires, il déplore: «[...] nous gaspillons les dons nombreux et supérieurs d’une nationalité qui est, par nature, la plus brillante, la plus vive et la plus spirituelle du Canada (20)».

Voilà donc, pour l’essentiel, la première des raisons les plus fréquemment évoquées par Harvey pour expliquer son antinationalisme. Il refuse de sacrifier la liberté et le bonheur des êtres humains au nom de la protection ou de la promotion des caractères nationaux. Contrairement à ce que semblent lui reprocher certains nationalistes, il ne s’agit pas, dans cette perspective, d’un antinationalisme fondé sur un individualisme égoïste. Il s’agit d’une attitude de solidarité humaine, qui dépasse les frontières et qui  pour Harvey se veut plus ouverte que l’attitude d’isolement qu’il dénonce chez ses adversaires. Les nationalistes canadiens-français étaient d’ailleurs sensibles à cette critique, particulièrement en tant que membres de la communauté chrétienne universelle (21).

Cette première cause de son attitude antinationaliste constitue une partie importante de son discours, même si elle n’apparaît que dans environ vingt pour cent des articles retenus. D’ailleurs, on remarque que si l’importance de «s’ouvrir à l’humanité» est assez présente, les préoccupations «individualistes (22)» sont relativement peu présentes et n’apparaissent pas déterminantes dans son attitude antinationaliste. Pour un intellectuel libéral comme Harvey, cette relative rareté peut certes étonner. On se serait attendu à ce que l’importance de l’individu soit au coeur de son antinationalisme comme il peut l’être de l’antinationalisme contemporain. Mais il est vrai que nous sommes dans les années trente, et les préoccupations individualistes n’ont pas acquis l’importance qu’elles ont acquises depuis les années quatre-vingt dans les sociétés libérales. L’association du nationalisme à une attitude passéiste et antiprogressiste, qui constitue sa deuxième motivation antinationaliste, revient un peu plus fréquemment.

b) Association du nationalisme à une attitude passéiste et antiprogressiste (23)

On sait qu’un des principaux traits du nationalisme canadien-français de l’époque, c’est d’avoir été formulé et propagé en grande partie par un clergé très conservateur. Voici comment Linteau et Durocher décrivent ce «nationalisme traditionaliste» canadien-français, ou «clérico-nationalisme» :

[Il] tend à voir les Canadiens français comme un peuple – une «race», dit-on alors – dont la spécificité, voire la supériorité, provient d’abord, sinon exclusivement, de leur attachement aux traditions reçues du passé : leur origine française paysanne, leur langue, leur religion, ainsi qu’aux institutions vouées à la conservation de cet héritage : la famille, la paroisse, la vie rurale. Tout ce qui risque de porter atteinte à ces valeurs, qu’il s’agisse de l’urbanisation, de l’intervention de l’État ou des nouveaux modèles culturels en provenance des États-Unis, est perçu comme une menace qui doit être combattue (24).

 

Ce caractère passéiste et antiprogressiste du nationalisme canadien-français, Harvey l’a en horreur. Défendre les coutumes, la langue, la religion des ancêtres, d’accord, mais vivre dans le monde des ancêtres, non merci! Si l’individu (ou «l’homme»), comme nous venons de le voir, constitue l’une des grandes «valeurs» (libérales) qui lui font rejeter le nationalisme, c’est aussi vrai pour le progrès, tout le progrès : économique, social, culturel et politique. Individu et progrès forment d’ailleurs un couple inséparable dans l’esprit de Harvey : «C’est l’individu qui compte, c’est lui qui fait tous les progrès (25)», dira-t-il souvent.

Si l’équation entre individu et progrès se fait automatiquement pour Harvey, ce n’est pas vrai pour le nationalisme. Dans les quatre-vingt-deux articles que nous avons sélectionnés, l’association du nationalisme au passéisme ou à l’antiprogressisme se trouve à au moins une reprise dans vingt-six des articles sélectionnés, soit 32%. Selon Harvey, le caractère conservateur et tourné vers le passé du nationalisme canadien-français de l’époque conduit les siens vers la déchéance. Il se lamente d’ailleurs sur le sort fait au peuple par ses élites nationalistes trop traditionalistes :

Ce peuple que nous aimons, on l’a trop souvent nourri de mensonges pour que nous ne tentions pas de lui sauver la vie. On lui avait sans cesse proposé, comme moyen de progrès et de bonheur, deux grands mots vides : tradition et nationalité. À force de lui faire manger du traditionnel et du national, on a fait de lui un des groupes humains où il y a le moins de vie, le moins de désir de progrès, le plus de dégénérescence et le plus de sotte résignation (26).

 

Qui donc est responsable de cette situation? Qui est cet «on» qui combat le progrès et qui fait tant de mal aux Canadiens français? Harvey pointe du doigt le clergé catholique. La bourgeoisie serait-elle aussi responsable? Peut-être un peu. Mais Harvey la considère surtout comme une victime et à ce titre, la responsabilité du clergé reste entière puisque la «censure» opérée par le clergé contre la critique empêcherait selon lui la bourgeoisie de réclamer les réformes nécessaires (27). Pour Harvey, qui parle tout de même en connaissance de cause, attaquer le clergé, c’est courir le risque de se voir condamné à la marginalité, de s’exposer à la misère (28). Dans la citation qui suit, remarquable par les précautions qu’il prend pour éviter les habituelles accusations d’anticléricalisme, Harvey, habile rhétoricien, critique le clergé, mais seulement après l’avoir louangé :

La première de ces causes est le désir ardent, légitime dans son origine, qu’ont eu les chefs de la nationalité canadienne-française de garder intégralement la langue, la foi, les traditions et les coutumes de la province de Québec. Ici, je ne puis m’empêcher d’exprimer mon respect pour les intentions très nobles et très élevées qui ont animé les pasteurs de ce peuple, depuis la conquête jusqu’à nos jours. Sans eux, il faut le dire, il ne resterait plus rien de ce que fut la colonie française de 1760. Ils ont été les guides, les conseillers, les éducateurs, les gardiens (29). Ce passé-là est une beauté non seulement de l’histoire canadienne, mais de l’histoire humaine, et, devant elles, je m’incline bien bas. Depuis, le temps a marché, les conditions ont changé. On ne s’est pas aperçu qu’à des problèmes nouveaux il fallait des solutions nouvelles. Un jour devait venir où l’isolement, qui nous avait sauvés de l’anéantissement, devait, par son exagération, menacer notre existence même. [...] Les peuples pauvres, souffrants et non progressistes finissent tous par disparaître[...] (30).

 

Dans ce passage, qui illustre à merveille le goût d’Harvey pour les textes mi-miel, mi-fiel, la trop grande influence du passé est intimement liée dans son esprit à l’omniprésence du clergé dans la société, et c’est ce qui donne en partie à sa pensée sa couleur anticléricale. Toutefois, soulignons que cet anticléricalisme n’est pas radical, au contraire. La grande estime qu’il a pour le frère Marie-Victorin, précisément parce qu’il le considère comme un esprit avancé, ancré dans la réalité de son temps, en est une excellente preuve. C’est d’ailleurs avec une satisfaction évidente qu’Harvey reproduit quelques mois plus tard les propos du frère botaniste lors d’une conférence au congrès de l’ACFAS, propos qui ressemblent d’ailleurs étrangement à ceux de Harvey :

Le clergé canadien-français – et ses ennemis même ne peuvent pas ne pas l’admettre, dit Marie-Victorin (31) – a plusieurs fois déjà sauvé notre petit peuple en lui gardant sa langue et sa foi [...]. Il est indubitable aussi que les méthodes d’isolement mises en oeuvre étaient celles qu’imposaient et que favorisaient les temps et les lieux. [...] Il y a maintenant dans la vallée du Saint-Laurent un petit peuple homogène, français et catholique qui a un pied à terre géographique bien à lui, qui a son organisation plus ou moins parfaite, un peu archaïque peut-être, mais complète. Cela est un fait, mais c’est le passé. [...] Qu’est-ce à dire? Que les méthodes par lesquelles notre clergé sincère et têtu nous a sauvés comme peuple au cours de notre histoire non seulement sont périmées mais qu’elles ont acquis, dans les conditions présentes, une efficacité particulière pour nous perdre et nous détruire (32).

 

Malgré la concession faite au clergé pour son rôle de conservation, Harvey tourne résolument le regard vers l’avenir. Et l’avenir, c’est en Amérique qu’il se trouve. Pour lui, l’Amérique s’est construite en réaction, par la volonté de gens qui ont voulu fuir le poids des traditions d’une Europe en décadence, rongée par les conflits religieux ou ethniques (33). Quand il énumère en vrac les raisons qui lui font détester le nationalisme, on remarque que l’association de ce dernier avec le passéisme, par opposition au progressisme (qui, incidemment, est associé à l’Amérique) revient à plusieurs reprises :

[Le nationalisme] je le hais pour [...] ses tendances à l’isolement, qui sont une entrave à la civilisation et au progrès de l’homme, [...] pour les traditions qu’il a conservées et qu’il faudrait détruire, [...] parce qu’il empêche trois millions de mes frères de s’adapter aux conditions de vie nord-américaines en les tenant volontairement deux siècles en arrière de leur temps, [...] pour avoir gardé, sous prétexte de coutume ou de tradition, des institutions qui ont refusé d’être de leur temps et qui ont empêché nos compatriotes de participer au bonheur de la vie américaine (34).

 

Dans sa biographie, M.-A. Gagnon affirme qu’Harvey n’a pas «abusé» dans ses textes de l’effet oratoire (35). S’il est vrai que le lyrisme ne fait pas partie de ses artifices favoris (36), il reste qu’il ne l’évite pas non plus à tout prix. Nous en avons un excellent exemple dans le passage suivant, où ce n’est pas le journaliste qui parle, mais le poète (37) :

On ne vit pas que de traditions et de souvenirs, dit-il. [...] Nous sommes des vivants! La vie n’est pas dans le passé! Elle est dans le présent! [...] Et nous ne voulons pas mourir. Notre peuple porte en lui des ferments d’immortalité. Ce sont ces ferments que l’on tente d’enfermer sous des cloches de plomb, sans lumière, sans air et sans sève. Il ne faut pas étouffer dans le passé, vous dis-je! La vie ardente, abondante, généreuse, la vie aux veines gonflées, au sein lourd, aux yeux profonds, veut nous abreuver de sa substance, sur cette terre d’Amérique toute remplie de promesses humaines!

Nous sommes ici non pas pour y rester seulement, non pas pour y mourir, mais pour y vivre! Ne regrettons pas le passé, ne nous inquiétons pas trop de l’avenir, surtout, ne boudons pas le présent! Ce n’est pas en nous repliant sur nous-mêmes et en évitant les contacts de la vie environnante pleine de substances nourricières que nous apporterons à ce continent le concours qu’il attend de nous. Puisque nous sommes mieux doués, qu’il y a des éclairs plus brillants dans nos yeux, des rayons plus pénétrants dans nos esprits, des réserves d’énergie plus grandes dans nos âmes, il est de notre devoir d’hommes de nous mêler au tourbillon immense des peuples et d’y affirmer par des réalités notre supériorité. Alors, si nous sommes vraiment mieux trempés, nous n’y entamerons pas notre personnalité : nous imprimerons partout notre sceau en caractères d’acier! (38)

 

Dans ce passage, qui a le mérite de nous faire observer une fois de plus l’habileté de Harvey à récupérer à l’occasion certains thèmes du discours nationaliste et à en détourner le sens à son profit, jusqu’à afficher cette prétention de supériorité dont il se moquait généralement quand elle était le fait de ses adversaires, on constate à quel point son regard est tourné vers l’avenir. Et l’avenir, pour lui, n’est pas l’affaire des hommes de sa génération, mais de la jeunesse. C’est donc vers eux qu’il se tourne pour lancer son appel à cesser de regarder vers l’arrière : «Si les jeunes, dit-il, veulent puiser dans le passé quelques leçons d’énergie, eh! bien, qu’ils n’accordent pas leur admiration à des enfantillages et qu’ils sachent que la tradition est mauvaise conseillère quand elle nous cristallise dans le passé. Laissons les morts ensevelir les morts; seul le présent et l’avenir importent (39).»

Le regard tourné vers le passé et la crainte du progrès des élites nationalistes constituent donc, on le voit, une autre des principales raisons d’Harvey de détester le nationalisme canadien-français. Le passé, pour Harvey, a son importance («Il y a, dans le passé, des richesses qu’il est bon de conserver, parce qu’elles se rattachent à des souvenirs chers»), mais c’est l’avenir qui importe le plus. Il y a en fait une dimension moderniste chez Harvey qu’il pourrait être intéressant d’analyser plus en profondeur. La rupture avec le passé (celui qui n’apporte plus les réponses aux problèmes contemporains, mais aussi le sien, nationaliste) est assez évidente et la valeur extrêmement positive qu’il accorde a priori au changement et au progrès sont à ce sujet révélateurs. Harvey, qui a le sens du sarcasme, se moque du leitmotiv traditionaliste de Groulx, «Notre maître, le passé» : «[...] On tombe dans des trous de boue, dit-il, dans des bouches d’égout, dans des poubelles, dans des vitrines, et on se relève chaque fois en murmurant: “Ô passé, cher passé, mon maître le passé, viens à mon aide!” (40)»

c) Association du nationalisme à une attitude de haine et au racisme

On a vu quelques passages où Harvey reconnaît des qualités et certains bienfaits au nationalisme canadien-français. Ces concessions, toutefois, ne représentent que des exceptions dans une charge continuelle et pas toujours nuancée contre le nationalisme et les nationalistes. Harvey, en effet, ne met pas souvent de gants blancs dans sa critique. L’association du nationalisme à une attitude de haine et au racisme, que nous avons retrouvées au moins une fois dans quarante-huit des quatre-vingt-deux articles sélectionnés (59%), prennent ainsi davantage l’allure d’attaques que de simples arguments. Dans le feu de la polémique, la nuance n’est pas toujours au rendez-vous et les arguments (attaques) les plus frappants et les plus efficaces ne sont pas nécessairement les plus développés ou les mieux fondés.

Quand vient le temps de caractériser les nationalistes, le registre de Harvey n’a pas de limites et il se laisse aller à l’exagération : des promoteurs de haine, de violence, de xénophobie, de chauvinisme, de sectarisme, de germes de révolution, de discorde, de défiance, de division, d’étroitesse «racique», voilà ce qu’ils sont. Dans son article intitulé «Pourquoi je hais le nationalisme» que nous avons déjà cité à quelques reprises, plusieurs des raisons qu’il invoque rejoignent clairement cette catégorie :

Le nationalisme qui consiste à porter aux nues tout ce qui tient à la “race”, dit-il, et à mépriser ou combattre tout ce qui n’est pas d’elle, je le hais! [...] Je le hais pour son orgueil fou, ses vantardises ridicules, ses ferments de discorde, ses tendances à l’isolement, [...] les amitiés qu’il a rompues, les préjugés qu’il a engendrés [...]. Je le hais d’avoir été ressuscité par des gangsters ou des fanatiques qui se sont servis de l’amour de la patrie pour replonger le monde dans la haine du voisin (41).

 

Celui qui avoue avoir été lui-même «nationaliste-raciste» dans sa jeunesse (42) se dit maintenant volontiers partisan de la «bonne-entente». Ce mouvement, critiqué et ridiculisé par les nationalistes parce qu’il faisait selon eux trop le jeu des «Anglais», un jeu de dupes (43), Harvey le considérait comme la seule option acceptable. Il disait l’avoir ignoré plus tôt dans sa vie : «j’imaginais que le devoir tout tracé d’un Canadien de langue française était d’éviter de tendre une main fraternelle aux hommes avec lesquels nous devrons, bon gré, mal gré, sous peine de morceler le pays en factions haineuses et irréconciliables, jeter les bases d’une patrie puissante, prospère et heureuse (44).» Dans le chapitre précédent, nous avons vu qu’Harvey s’est fait critiquer pour avoir évoqué au Canada anglais certains défauts des Canadiens français. En fait, il avait surtout critiqué les élites nationalistes, le peuple n’y étant pour rien selon lui (45). Mais dans sa défense, il rappelle qu’il n’a pas oublié d’évoquer les fautes des Canadiens anglais. Rappelant ses propres propos, il écrit :

Du côté des Canadiens de langue anglaise, on a trop souvent cherché à donner l’impression aux Canadiens de langue française que leur langue et leurs traditions n’étaient que tolérées, trop souvent on a nié aux descendants des pionniers du Canada leur droit de garder leur personnalité dans toutes les parties du pays, trop souvent on les a maintenus à des emplois inférieurs, tant dans le service civil que dans les industries importantes (46).»

 

Encore une fois, Harvey concède une certaine légitimité au nationalisme et comprend le ressentiment de ses compatriotes canadiens-français contre l’élément anglais de la province et du reste du Canada. Mais ce sont les exagérations et la radicalisation de ce discours qu’il combat. À ce qu’il considère être un discours de haine, Harvey oppose plutôt un discours d’ouverture et de tolérance.

Son attitude à l’égard de la communauté juive en constitue un excellent exemple. En effet, Harvey s’est élevé avec une certaine vigueur contre l’antisémitisme distillé par certains nationalistes ainsi que par les fascistes canadiens et leur leader local, Adrien Arcand. Victor Teboul, qui a analysé cette question (47), conclut qu’Harvey n’était pas particulièrement philosémite, mais qu’il a néanmoins développé une argumentation assez élaborée pour défendre les Juifs. Il publie ainsi par exemple les propos de Jean Rostand (48) qui affirme que «toutes les races se valent (49)»; il affirme qu’il «doute fort que les Sémites fassent plus de mal que les autres groupes humains» et demande qu’on lui fournisse des statistiques sur la criminalité qui prouveraient le contraire (50); il rappelle ensuite, ce qui devait donner à réfléchir aux antisémites canadiens-français, que le Pape s’est prononcé contre l’antisémitisme et que cette attitude est contraire à la simple charité chrétienne (51); il évoque aussi un argument original, selon lequel il faut défendre les Juifs au nom de la démocratie car «les Juifs sont les soutiens naturels des libertés démocratiques et les ennemis nécessaires des régimes totalitaires et tyranniques (52)»; il réfute l’idée que les Juifs contrôleraient l’appareil politique du pays (53) et, enfin, il croit que plutôt que de nuire, l’esprit entreprenant des Juifs comme des «étrangers» en général est un facteur économique positif pour les Canadiens français. Ce dernier aspect de l’argumentation est particulièrement important pour Harvey puisque une bonne partie du discours antisémite au Québec dans les années trente était véhiculé à travers le mouvement de «l’Achat chez-nous», ce mouvement de protectionnisme économique nationaliste qu’Harvey combat férocement au cours de ces années.

Sa tolérance vaut d’ailleurs pour tous les groupes issus de l’immigration «récente», immigration qu’il souhaite d’ailleurs voir augmenter. Mais pour cela, il sait qu’il doit combattre la crainte de l’étranger et les «préjugés de race pure (54)». Il tente donc de se faire rassurant en n’hésitant pas à utiliser un argument nationaliste à son avantage :

Au reste, dit-il, en dépit d’un peuplement intense, la semence française en ce pays ne sera pas perdue. J’ai confiance en l’extrême vertu prolifique des nôtres. Que les berceaux continuent à se multiplier et surtout, que, par une éducation appropriée, on donne aux Canadiens de langue française les armes nécessaires à la lutte pour la vie, à la force matérielle et spirituelle, et j’ai confiance que l’immigration, si forte soit-elle, ne réussira pas à interrompre notre résistante lignée (55).

 

Tous les nationalistes ne sont pas nécessairement racistes pour Harvey. Il existe aussi des «patriotes éclairés», dont il rapporte à l’occasion les propos pour démontrer qu’on peut aimer sa patrie sans détester tout ce qui n’est pas d’elle. Mais ces nuances n’apparaissent somme toute que rarement sous sa plume, et la dénonciation du caractère agressif des nationalistes constitue sans aucun doute une de ses attaques favorites.

d) Le nationalisme est trop l’affaire du sentiment, pas assez de la raison

Nous voici devant la dernière catégorie d’arguments, qui représente l’un des aspects les plus intéressants de son attitude antinationaliste et qui rejoint la préoccupation centrale de ce mémoire : les attaques concernant le peu d’usage de la raison chez les nationalistes. L’intérêt de cette question tient à principalement à deux choses. D’une part, comme nous l’avons déjà dit, il s’agit d’une constante du discours critique envers le nationalisme, que l’on retrouve par exemple chez Pierre Elliott Trudeau ou Esther Delisle, mais aussi chez le père Georges-Henri Lévesque de la fin des années cinquante (56). D’autre part, il faut voir que cet argument n’est pas seulement un argument parmi d’autres, mais qu’il a aussi, à un deuxième niveau, une fonction de légitimation du discours, dans la mesure où Harvey tente généralement de convaincre du bien-fondé de toute sa critique (et pas seulement sur ce point) en la présentant comme issue de la raison. Voyons comment s’articule cet aspect de la pensée antinationaliste d’Harvey, que l’on retrouve à au moins une occasion dans cinquante-et-un des quatre-vingt-deux articles que nous avons retenus, soit 62%.

Comme c’est le cas pour les attaques concernant la haine, le racisme et la violence, l’imagination et l’exagération d’Harvey ne connaît pas de limite lorsque vient le temps de caractériser les nationalistes dans le registre de la déraison et du sentiment : «fanatiques», «égarés», «endoctrinés», «illuminés», «déséquilibrés», «énergumènes», «écervelés», «fous», «malades», «maniaques», «détraqués», «crétins», «hystériques», «aveugles», «aliénés», «épileptiques», «attardés», «naïfs», tels sont les termes qu’il utilise souvent. Et qui trouve-t-on en face d’eux? Évidemment, «l’élément sain, pondéré ou pensant», ceux qui ont le «cerveau bien équilibré», ceux qui «parlent bon sens et raison», les «réalistes», et «tous ceux qui pensent juste, raisonnent et prévoient». On ne s’en étonnera pas, Harvey se réclame de ces derniers : «J’ai la raison pour moi, dit-il. Et la raison, c’est encore une force (57).»

Comme nous l’avons vu plus tôt, ce n’est pas le simple sentiment national que combat Harvey. Toutefois, il croit que ce sentiment («l’amour modéré du pays natal ou du pays d’adoption») risque toujours d’être exacerbé par des mauvais maîtres, ou combiné à d’autres sentiments plus vils comme l’égoïsme, et de dégénérer. Harvey ne  condamne pas a priori le sentiment national, mais il craint néanmoins son potentiel négatif.  Il lui reste donc à le placer sous surveillance, car «hélas!, dit-il, il y a, dans toute société, trop d’orateurs, trop de phraseurs, trop d’exploiteurs de sentiments nobles. Et les sentiments nobles eux-mêmes, quand on y regarde de près, sont fréquemment d’énormes mensonges (58).»

Mais ce n’est pas le pire problème aux yeux d’Harvey. Ce qui est plus grave encore, c’est qu’à son avis, les gens ont tendance à se laisser guider par le sentiment plutôt que par la raison, à laquelle il accorde une valeur supérieure (59). Cette tendance qu’il impute aux gens à se laisser conduire par le sentiment constituerait un terreau fertile pour le nationalisme qui, d’ailleurs, participerait lui-même à l’affaiblissement de la raison. Comme il le dit, «c’est le “national” qui, avec sa vaporeuse mystique, ses appels aux sentiments brumeux, diminue les saines données de la raison humaine, cette raison qu’on nous a appris à mépriser dès le berceau comme si la raison n’était pas la grande lumière de l’homme (60)!»

On a vu qu’Harvey ne se gênait pas pour qualifier ses adversaires de tous les noms dans le registre de la déraison et du sentiment. Un des termes qu’il utilise le plus régulièrement est le terme «crétins». Prié par un lecteur de définir ce qu’il entend par ce terme, il évoque les caractéristiques suivantes : «Proéminence de vanité et de crédulité, hypertrophie de prétentions, exiguïté du cerveau; mépris de la raison et du bon sens;  foi aveugle en la tradition et la coutume; surdité voulue ; incapacité de discuter sans colère, les gros mots remplaçant les arguments [...]». Et comment fabrique-t-on ces crétins, se demande-t-il? : «Au moyen d’une chirurgie mystérieuse [...] qui suspend les opérations rationnelles de l’être et qui donne libre cours aux sensations et aux sentiments (61).»

Pour Harvey les nationalistes, sous l’emprise de la force de leur sentiment national exacerbé, ne sont tout simplement pas en mesure de comprendre la réalité, d’accorder leur jugement aux faits, d’utiliser leur raison en somme. Cette accusation revient à tous moments. Article après article, Harvey oppose sa réflexion, qu’il présente comme issue de la raison, au discours nationaliste, issu du sentiment. Il oppose la «vérité» (la sienne, bien sûr, présentée comme universelle) aux «mensonges» des nationalistes,  les «nécessités de la vie et des faits» aux «mystiques fausses», les «réalités de l’existence» aux «chimères malfaisantes», le «réalisme» à «l’interprétation fantaisiste des faits», etc. Rien d’étonnant à ce que Le Jour ait quelques milliers d’ennemis farouches dit-il, car avant son arrivée, «aucun journal ne soutenait avec fermeté, dans la ligne de la raison et du bon sens, les idées qui, à notre avis, sont à la base de la civilisation et du progrès (62).»

Dans cette perspective, la situation de la jeunesse l’inquiète particulièrement. Selon lui, en effet, ce sont les jeunes – les «moins de trente-cinq ans», comme il les appelle –  qui sont les plus sensibles aux discours vibrants et à l’exaltation nationaliste (63). Harvey, qui aspirait au rôle de guide de la jeunesse, considère en fait les jeunes nationalistes comme des victimes de leur âge et de leurs maîtres : «Nos jeunes patriotes, dit-il, bernés par des maîtres égarés, [...] sont endoctrinés plus passionnément que jamais (64).» Sa crainte de voir la jeunesse se lancer dans un nationalisme exacerbé est toutefois nuancée par l’espoir de la voir emprunter le même chemin que lui. Harvey n’avait-il pas été un nationaliste «fanatique» dans sa jeunesse?

Des politiciens et des castes privilégiées ont cultivé, chez les jeunes, cet esprit de réclusion et de rétrécissement. J’en sais quelque chose, moi qui ai appris, dans ma jeunesse, à détester tout ce qui était anglais, à mépriser tout ce qui était américain, à faire le signe de la croix devant tout ce qui était France moderne. Les nationalistes de l’école de Lavergne, pour lesquels on fanatisait les collégiens, et nos maîtres d’histoire qui n’avaient, semble-t-il, d’autre but que de nous montrer la mission civilisatrice de notre peuple, avaient monopolisé tous nos enthousiasmes. Moi aussi j’étais Jeune-Patriote dans le temps, et contre les plus de trente-cinq ans qui voulaient modérer mon ardeur et me ramener au sens des proportions, je me portais à des violences de langage inouïes. J’avais, comme la plupart de mes camarades, la foi provinciale, la foi qu’on ne discute pas et qu’on ne permet à personne de discuter. Car rien n’est plus intransigeant qu’un petit «province» (65) .

 

Mais pour espérer voir un jour la jeunesse emprunter le «bon chemin», une réforme de l’éducation s’impose car, dit-il : «[l]es hommes réalistes ne sortiront pas d’usines éducatives où l’on apprend surtout la sensiblerie patriotique et mystique(66)».

La charge contre les nationalistes sur la base de la raison et du sentiment constitue un élément central du discours antinationaliste d’Harvey. Nous venons de voir deux niveaux à cette attaque : au premier niveau, on retrouve l’idée que le sentiment national n’est pas à condamner mais néanmoins à surveiller; au deuxième niveau, l’idée selon laquelle les nationalistes se laissent trop guider par le sentiment et pas assez par la raison. Mais il y  a dans cet argument un troisième niveau, qui va beaucoup plus loin : non seulement les nationalistes n’utilisent pas assez les lumières de la raison, mais ils déraisonnent. Ce dernier niveau, nettement abusif, Harvey n’hésite pas à le franchir pour traiter ses adversaires d’illuminés, de déséquilibrés, de fous et d’aliénés (67).

Pour Harvey, la raison est une valeur fondamentale. Il apparaît de façon évidente que cet aspect de son discours est lié, au même titre que l’importance qu’il accorde à l’individu et au progrès, à l’idéologie libérale qui constitue la pierre d’assise de sa pensée. Il se réclame toujours de la raison, perçue comme universelle, et nie fréquemment à ses adversaires cette qualité. Dans son esprit, puisque ses opinions sont issues des lumières de la raison, et qu’il conçoit la raison comme le «bon sens», ses adversaires, qui ont des opinions différentes des siennes, ne doivent vraisemblablement pas y avoir recours et ne peuvent donc se retrouver du côté de la vérité. Mais nous avons dit plus tôt qu’Harvey a  développé au cours des années trente un sentiment national canadien, et même un véritable nationalisme canadien, dont il se vante d’ailleurs assez fréquemment. Dans ce cas, si la raison est une valeur si importante, et si le nationalisme est une affaire de sentiments et qu’il est dangereux pour cela, comment Harvey réussit-il à concilier son nationalisme canadien avec la raison? Nous n’avons pas de trace d’une réelle réflexion à ce sujet, mais on comprend que dans son esprit, prôner l’avènement d’un sentiment national et un nationalisme canadien est une attitude fondée sur la raison.

3. UN NATIONALISME CANADIEN

Nous venons de voir les quatre principales raisons d’Harvey de détester et de combattre le nationalisme canadien-français. Paradoxalement toutefois, Harvey prônait aussi un nationalisme canadien. Dans les pages qui suivent, nous verrons que ce nationalisme a deux origines, deux moteurs distincts. D’abord, il s’agit d’un nationalisme qui n’est que l’envers de son antinationalisme. Ensuite, il apparaît clairement qu’Harvey aimait sincèrement et profondément le Canada, et que son nationalisme canadien est aussi issu de ce sentiment et d’un idéal à construire.

a) Le nationalisme canadien comme antiséparatisme

Nous n’avons pas encore touché à la question du séparatisme, mais il est clair qu’il s’agit d’un facteur déterminant dans le développement de son nationalisme canadien. Le séparatisme n’est pas une idée nouvelle dans les années trente, et Harvey le sait bien. Toutefois, la résurgence de ce discours et l’attrait de ce mouvement chez les jeunes en particulier – on n’a qu’à penser aux Jeune-Canada – l’inquiétaient réellement. Cette inquiétude était double : d’abord, il est certain que dans son esprit,  la séparation de la province de Québec du reste du Canada serait un désastre pour les Canadiens français, mal préparés selon lui à faire face seuls à toutes leurs responsabilités. Un an et demi environ avant la fondation du Jour, dans une lettre à Olivar Asselin, il écrit à ce propos :

[...] Vous nous avez rendu le service de savoir que les Canadiens français, à l’heure présente, ne peuvent ni ne veulent se démerder. C’est pour cette raison que j’ai renoncé à tout nationalisme. [...] Au cours des deux dernières années, je me suis demandé si notre salut n’était pas dans le divorce avec la Confédération; en principe, j’aurais favorisé cette rupture; mais en voyant jusqu’à quel point nous avons affaire à l’ignorance et l’incompétence, dans tous les domaines, jusqu’à quel point nous sommes incapables d’organiser notre vie d’une façon sensée, je me demande si le séparatisme ne serait pas un enterrement de première classe (68).

 

Cette lettre, plutôt étonnante, suggère qu’Harvey aurait toujours été nationaliste en 1934-1935, et qu’il aurait même flirté avec l’idée d’une séparation du Québec. Qu’il ait été nationaliste, cela est bien possible, mais qu’il ait songé à prôner la séparation du Québec du Canada, cela apparaît tout de même difficile à croire. Il ne s’agit peut-être donc que d’un artifice pour se rapprocher d’Asselin, tout en affirmant son antiséparatisme. Toutefois, dans le cas où il s’agirait de la vérité, cela nous confirmerait que son détachement du nationalisme, amorcé au début des années vingt, n’était pas complété au début de la période et qu’il s’est davantage concrétisé au cours des années 1934-1939.

Ensuite, son inquiétude vient aussi de l’éventualité que les nationalistes les plus radicaux prennent le pouvoir et concrétisent la séparation du Québec du Canada. Dès le premier numéro du Jour, Harvey n’écrit-il pas dans un article intitulé «M. Lionel Groulx, premier ministre», que des discussions sont en cours pour convaincre l’abbé Groulx de prendre la tête d’un mouvement politique séparatiste dont la volonté serait «d’imposer à nos compatriotes, en même temps qu’une vie canadienne-française, un régime corporatif et une administration fasciste (69)»? Il reviendra à plusieurs occasions sur la possibilité d’une séparation et la création d’une «Laurentie (70)» indépendante sur les rives du Saint-Laurent, souvent sous la forme de moquerie, bien qu’on sente son inquiétude réelle. Par exemple, dans une projection fantaisiste intitulée «Laurentie 1955», il décrit le Québec devenu indépendant comme «[un] État mi-républicain, mi-dictatorial, mi-théocratique et mi-civilisé (71)». Dans l’esprit du démocrate épris de liberté et chantre du progrès qu’est Harvey, le projet séparatiste ouvre la porte toute grande à ce qu’il craint le plus, l’isolement et la stagnation, la dictature fasciste et la perte des libertés. Dans cette perspective, il semble qu’il considérait le Canada comme un rempart efficace contre ce qu’il considère être le «projet de société» des nationalistes canadiens-français. Exposant plus en détail les arguments qui le font «abhorrer l’idée même de séparation», il évoque par exemple la protection des libertés civiles que garantirait le lien confédératif : «Aussi longtemps, dit-il, qu’Ottawa nous donnera l’espoir de défendre, ne fut-ce que moralement, nos libertés de citoyens britanniques [...], tous ceux qui, chez nous, pensent par eux-mêmes, veulent conserver quelque peu leur personnalité, jouir des progrès intellectuels et moraux de ce continent, refuseront de se renfermer dans un isolement où probablement, des associations de forcenés les cloueraient au pilori (72).» Son nationalisme canadien, sa défense de l’unité du pays, prend donc ici la couleur d’un antiséparatisme motivé par la peur de voir se réaliser un projet de société nationaliste qu’il associe aux aspects du nationalisme qu’il dénonce. Cependant, ne l’oublions pas, il a aussi développé un nationalisme canadien sincère, fondé sur son amour du Canada.

b) Le nationalisme canadien d’Harvey : davantage qu’un simple sentiment national

 

Le nationalisme canadien de Harvey n’est pas seulement une réaction contre ce qu’il considère être le projet des nationalistes canadien-français. Il est aussi un nationalisme positif, issu d’un sentiment national canadien sincère et «autonome».

Nous avons déjà vu qu’Harvey, malgré qu’il se déclare souvent canadien-français, aimait mieux se dire «canadien tout court (73)». Bien qu’il l’évoque rarement en en précisant les causes concrètes, son amour du Canada ne fait aucun doute et il se plaît à dire et à redire que le pays qu’il aime va de l’Atlantique au Pacifique. Dès la deuxième parution du Jour, il évoque ainsi sa vision personnelle du nationalisme :

Mon nationalisme embrasse avec plus d’amour et de tendresse la terre québécoise, mais mon orgueil patriotique se complaît aux deux azurs de l’Atlantique et du Pacifique, à la grandeur des Rocheuses comme à la douceur des Laurentides, aux coteaux verdoyants du Niagara comme aux contours attachants du Saint-Laurent. Deux fois, j’ai visité le Canada, d’un océan à l’autre, et deux fois j’en suis revenu plus Canadien, c’est-à-dire plus patriote (74).

 

On s’en souvient, Harvey était fier de ses origines écossaises et il se plaisait à les rappeler. Il parlait aussi l’anglais et considérait que cette langue était la sienne «bien que, disait-il dans le même article, je la parle moins bien et que je l’écrive fort mal (75).» Mais on peut aimer un pays et s’y sentir chez soi sans être pour autant nationaliste. Y avait-il davantage que ce simple sentiment national chez Harvey? En fait, bien que son nationalisme canadien ne s’exprime pas avec la même vigueur, par exemple, que le nationalisme canadien-français de Groulx, il reste qu’il s’agit bel et bien d’un nationalisme idéologique en développement, pour lequel il tente d’établir un programme et qu’il assume de plus en plus dirions-nous, surtout vers la fin de 1939. Si dès décembre 1937 Harvey pouvait écrire qu’il «est temps de dresser le nationalisme canadien contre le simple nationalisme régional (76)», c’est réellement l’année 1939 qui voit naître le vigoureux défenseur de l’unité canadienne. Il devient même, au cours du mois de décembre, président d’une association vouée à l’unité nationale, l’Union pancanadienne.

Le but de ce mouvement, dont Le Jour, semble-t-il, devait devenir l’organe (77), était de rassembler «dans un sentiment d’amour et de loyauté tous les hommes qui, par naissance ou par choix, ont pour patrie unique le Canada (78)». Le désir de voir se créer un véritable nationalisme fondé sur le sentiment est patent. Ce Canada, poursuit-il, il le veut  «non seulement [...] une totalité ou une entité géographique, soumettant le sentiment provincial ou régional  au sentiment intégral de la patrie, mais aussi [...] une entité nationale, comprenant des hommes de toutes les origines, mais étroitement unis ensemble par le lien puissant d’un seul patriotisme (79)». Enfin dira-t-il, «que tous sans exception sachent s’unir dans un sentiment commun : le culte de la grande patrie. Nous serons tous des Canadiens (80).» Il est certain que ce discours à saveur nationaliste n’a pas échappé à ses adversaires. Dans le même article, Harvey en prend note, et se justifie ainsi :

On nous a reproché de donner dans le nationalisme. À ceci, je réponds que nous avons battu en brèche surtout le provincialisme, avec les tendances séparatistes et l’esprit racique, que le véritable nationalisme. Certes, je persiste à mettre les vertus purement humaines au-dessus des vertus purement nationales, mais personne ne peut s’empêcher d’aimer, de préférence à tout autre, le pays où il est né, où il a toujours vécu, où il a ses attaches les plus profondes; il est impossible aussi de ne pas tenir compte des exigences sociales, de l’organisation politique, des intérêts communs des grandes familles humaines. Ce large nationalisme, ce nationalisme sain et humain, qui constitue le vrai patriotisme, j’en suis, et j’en serai aussi longtemps que les frontières seront essentielles à l’ordre universel et à la sauvegarde des individus (81) .

 

Si on semble lui avoir reproché de donner dans le nationalisme tout en le combattant quand il est canadien-français, il reste qu’il s’agissait surtout de relever l’ironie de la chose. Mais ce qui faisait le plus réagir les nationalistes, c’est la compréhension qu’ils avaient des propos d’Harvey. Dans leur esprit, Harvey prônait l’assimilation des Canadiens français. En effet, bien qu’Harvey ait évoqué à de nombreuses occasions, comme nous l’avons constaté, la nécessité pour les Canadiens français de conserver leur identité nationale, certains de ses propos suggèrent qu’il n’y tenait pas à tout prix. Mais de prôner l’assimilation, Harvey s’en défend :

[Lors d’une conférence] quelqu’un exprima la crainte que le pancanadianisme fût un effort d’assimilation. [Ce n’est pas le cas], que tous gardent leurs souvenirs, leur littérature, leurs arts, leur science, leurs divers caractères! [...] Mais que tous sans exception sachent s’unir dans un sentiment commun : le culte de la grande patrie. Nous serons tous des Canadiens, et notre canadianisme sera d’autant plus beau et plus grand qu’il aura fusionné toutes les cultures, toutes les belles coutumes, tous les arts, toutes les belles aptitudes, tous les tempéraments, pour former une humanité plus parfaite. La fusion des peuples! Voilà la gloire, le charme et la mission (82)de l’Amérique du Nord (83).»

 

On ne peut pas dire qu’Harvey est parfaitement clair. Que veut-il dire par cette fusion des cultures, des tempéraments? Comment peut-il affirmer que son discours est fondé sur la raison lorsqu’il dit en avril que «tenir aux traditions, à la langue, cela est beau, cela est grand et par conséquent digne d’efforts collectifs et personnels» et qu’il célèbre en décembre la «fusion des peuples» comme «la gloire, le charme et la mission de l’Amérique du Nord»? Il a beau s’en défendre à quelques occasions, certaines de ses déclarations laissent peu de place à l’interprétation, comme la suivante, en date du 11 mars 1939 : «Je crois au mélange des “races”, à l’effort combiné de tous les atavismes sains et de toutes les civilisations reconnues, pour former, en terre canadienne, comme on l’a fait aux États-Unis et ailleurs, une grande et belle nation (84).» Dans son esprit, cela semble clair, les États-Unis réalisent le  modèle parfait d’intégration des gens de différentes origines («melting pot»). Il voudrait que tous les citoyens canadiens puissent à leur tour dire «“Je suis canadien”, sans épithète, avec autant de fierté et d’assurance qu’un Américain dit : “I am an American and nothing else” (85).» Mais il y a une grande part d’aveuglement dans l’admiration d’Harvey pour les États-Unis. On le constate par exemple dans ce passage datant du 12 août 1939 : «Il n’existe pas, aux États-Unis, un fanatisme racique, qui se transforme en xénophobie qui porte à des séries de provocations et de menaces enfantines à l’adresse des prétendus étrangers (86)»... Qu’en penseraient les Noirs américains?

Dans son esprit, nous l’avons constaté à plus d’une occasion, les petits pays étaient voués à la médiocrité et à devenir des victimes des grandes puissances. Pour le Canada, Harvey a donc des rêves de grandeur : «J’ai la conviction [dit-il] que le Canada deviendra l’une des grandes puissances du monde (87.» On ne compte plus les passages où il exprime le «rêve d’un Canada uni, puissant et civilisateur», ou encore celui de «jeter les bases d’une patrie puissante, prospère et heureuse(88)». On remarquera que cet aspect du nationalisme qui recherche la puissance de la nation, les nationalistes canadiens-français ne le possédaient pas (89). Si on combine cette idée avec le fait qu’Harvey refuse le droit à l’indépendance des petites nations, ou avec des commentaires suivants : «l’indépendance des petits pays sud-américains ne vaut pas grand chose, même le titre de Canadien vaut beaucoup plus que celui de Bolivien, d’Uruguayen ou de Péruvien (90)», on peut se demander jusqu’à quel point Harvey a une conception nationaliste tellement plus sympathique et inoffensive que celle des nationalistes canadiens-français.

Enfin, il y a donc chez Harvey un sentiment national canadien fort, qu’il a développé au cours de ces années et qui s’est progressivement renforcé, s’exprimant avec le plus de force durant l’année 1939, au point de devenir, selon ses propres mots d’ailleurs, un véritable nationalisme canadien. Mais il s’agit d’une conception de la nation et du nationalisme qu’on ne retrouve pas fréquemment à l’époque. En effet, il semble qu’Harvey se soit approché progressivement d’une conception de la nation (canadienne) que l’on qualifierait aujourd’hui de civique. Même s’il constate l’existence de deux nations au Canada, des nations d’ailleurs de type ethnique, il semble qu’il se soit de plus en plus forgé l’idée d’une nation canadienne basée sur l’association d’individus possédant des caractéristiques diverses, mais unies sous une seule et même allégeance. Cette conception civique avant la lettre de la nation constitue une attitude conséquente pour Harvey, pour qui l’individu (l’humain) prime la nation et ses «exigences». On remarque aussi que ce nationalisme canadien ne se fonde pas sur la conservation d’un héritage et des grandeurs du passé, mais sur le rêve d’une grandeur à venir.  Le nationalisme canadien d’Harvey ne fait presque jamais référence au passé : c’est l’avenir qui compte. Mais enfin, si la nation civique telle qu’on l’entend généralement aujourd’hui ne devrait pas se fonder sur le sentiment, mais au contraire sur la volonté, la raison, l’intérêt, on remarque plutôt chez Harvey un réel désir de créer une nation canadienne liée par un sentiment national puissant. Comme si la raison, qui lui fait combattre le nationalisme canadien-français pour ses erreurs (provoquées justement par un manque de raison), devait provoquer un amour plus fort pour le Canada. En faisant la promotion de l’unité canadienne par la création d’un sentiment national fort et par l’entretien de ce sentiment par un discours nationaliste, Harvey se place donc dans une drôle de position. Comment peut-il concilier ce nationalisme avec ses opinions sur la raison et le sentiment? Rien de plus simple : le nationalisme canadien est conforme à la raison et le nationalisme canadien-français n’est que du sentimentalisme.

Il existe encore chez nous une multitude de bien pensants qui croient en l’avenir du Canada comme puissance de premier ordre. Ceux-là travailleront jusqu’au bout pour unir davantage les provinces et les nationalités, afin de créer une nation forte et redoutable, et non pas un pays dérisoire et provincial. Nous pouvons et devons en arriver là, sans perdre notre langue et nos traditions. L’unité canadienne, voilà le vrai nationalisme. Tout le reste est d’ordre sentimental et perte de temps (91).

 

* * *

Que Jean-Charles Harvey ne soit pas un antinationaliste radical, nous croyons l’avoir assez démontré. Il a des raisons assez précises de s’en prendre au nationalisme des nationalistes canadiens-français et, sans oublier les autres, son insistance sur la raison par rapport au sentiment semble déterminer le plus profondément son attitude. Cela est vrai de façon générale, mais dans le chapitre suivant, lorsque nous analyserons la relation entre Harvey et Groulx, nous constaterons que la crainte du séparatisme et la haine du racisme sont aussi très importantes. Ses contradictions sur la question du nationalisme et le glissement que nous avons observé vers un véritable nationalisme canadien nous font penser que les années 35-39 constituent chez Harvey une période de réflexion et de questionnement qui n’a pas encore accouché d’une pensée tout à fait cohérente et systématisée. C’est ce qui en rend si difficile l’analyse, mais c’est aussi ce qui en fait la richesse. Que l’on accepte ou non ses jugements, il y a quelque chose de profondément sympathique chez cet homme qui tente de se libérer d’un carcan intellectuel qui semble l’oppresser. C’est cette recherche d’une pensée qui lui appartiendrait en propre, une recherche qu’il dit fonder sur la raison, qui fait d’Harvey un des intellectuels les plus anticonformistes de sa génération. Dans les chapitres suivants, nous aurons l’occasion de comparer sa pensée avec celle de Groulx et de Lachance. Cela nous permettra de mettre plusieurs idées soulevées ici en perspective et de mieux comprendre son attitude antinationaliste.

(1) Dans un article du 22 juillet 1939, pp. 1 et 8 («Pourquoi je hais le nationalisme»), il énumère plusieurs raisons qui lui font détester le nationalisme en général. Ces raisons tiennent pour la plupart à l’utilisation du nationalisme à des fins néfastes : «Je hais le nationalisme pour les guerres qu’il a suscitées, les millions d’êtres humains qu’il a fait massacrer, les barrières qu’il a fait élever entre les peuples [...] les tyrannies qu’il a servies, les bandits qu’il a engraissés [etc.]».

(2) Décédé à l’âge de 46 ans en même temps que le prêtre nationaliste Wifrid Morin lors d’un accident d’automobile, Louis Francoeur (1895-1941) a collaboré aux Débats, à La Patrie, au Star, à L’Illustration, à la Revue moderne et au Bulletin des agriculteurs. Il a aussi fondé l’hebdomadaire Le Journal, qu’il a quitté en 1934. En 1941, on le retrouvait à Radio-Canada comme animateur («La Situation ce soir») et traducteur de nouvelles.

(3) «Débat sur le nationalisme». Propos de Jean-Charles Harvey rapportés dans un compte rendu du Devoir reproduit dans Le Jour, 15 avril 1939, p. 8. On remarquera qu’Harvey ne mentionne pas la foi. Comme nous le disions plus tôt, Harvey mentionnait rarement la foi en tant qu’élément constitutif de l’identité nationale. Mais  cela se produit néanmoins à l’occasion. Par exemple, critiquant les groupes nationalistes en ironisant sur le «monopole» qu’ils exerceraient sur le nationalisme, il affirme que leur idéal consiste à «s’assurer la propriété exclusive de l’amour du pays natal, du culte des morts et de la foi ancestrale», J.-C. HARVEY, «Le trust du patriotisme», Le Jour, 23 octobre 1937, p. 1.

(4) Reprendre l’argumentation de l’adversaire pour en arriver à une conclusion différente, n’est-ce pas là un procédé rhétorique classique?

(5) Au total, nous avons retenu quatre-vingt-deux articles.

(6) Harvey connaît certainement la distinction entre «individu» et «personne humaine», mais il ne la respecte pas  toujours. Sans que cela ne constitue une règle stricte, on remarque par ailleurs que c’est souvent davantage par rapport à l’État qu’Harvey utilise le terme individu.

(7) J.-C. HARVEY, «Pourquoi je hais le nationalisme», Le Jour, 22 juillet 1939, p. 2.

(8) On notera que ce dernier argument porterait à faux si on l’appliquait à Groulx ou à Lachance. Pour ces nationalistes, si le lieu de naissance semble être le «pré-requis» le plus évident pour la formation des «nationaux» (des gens qui se reconnaissent comme membres d’une nation), cette naissance n’est en aucun cas suffisante. La «nationalité» (au sens d’identité) est pour eux surtout une affaire d’éducation et de volonté. La «nationalité» au sens de citoyenneté n’est pas la même chose, elle n’est qu’un fait, généralement déterminé par la naissance puisque l’on devient citoyen du pays dans lequel on naît, ou par l’immigration et la naturalisation.

(9) J.-C. HARVEY, «Les yeux dans le dos», Le Jour, 18 mars 1939, p. 1.

(10) J.-C. HARVEY, «Aux bon-ententistes, salut!», Le Jour, 13 novembre 1937, p. 1.

(11) On remarquera ici la distinction qu’établit Harvey entre nationalisme et patriotisme. Mais dans les faits, cette distinction n’est pas toujours respectée par Harvey.

(12) J.-C. HARVEY, «La semence maudite», Le Jour, 1er octobre 1938, p. 1. Remarquons qu’il parle ici du nationalisme comme d’une maladie mentale. Comme on le verra plus loin, cette association entre nationalisme et «déraison» constitue un thème majeur de son attitude antinationaliste. Pourtant, six mois plus tard, il déclare qu’il est «nationaliste comme tout homme de coeur doit l’être». Voir page 41.

(13) Ibid. Cette réflexion nous apparaît plutôt étonnante. Pourquoi Harvey nie-t-il la légitimité du droit des «petites nationalités»? Son argument est que les petites nationalités, devenues de petits pays, risquent d’être «avalées» par des puissances impérialistes et créer des guerres. Pour éviter la domination, conservons la domination, telle est la conclusion qui paraît s’imposer pour Harvey.

(14) Cette expression, nous le verrons plus loin, vient peut-être de l’ouvrage de L. Lachance, Nationalisme et religion, qui vient de paraître l’année précédente. Groulx l’utilise aussi quelques mois plus tôt : «Votre foi, dit-il, vous indiquera surtout les vrais règles et la fin suprême de votre dévouement social : dégager, sauver, en haut comme en bas, la dignité humaine; préparer, chez les grands comme chez les petits, ce que l’on a appelé d’un fort beau mot : la conversion à l’humain», L. GROULX, «Préparation des jeunes à leur tâche prochaine», dans Directives, 1937, p. 256. Cours professé en août 1937 à Vaudreuil devant un groupe de la Jeunesse catholique indépendante.

(15) J.-C. HARVEY, «Vérités à la Bourassa», Le Jour, 30 octobre 1937, p. 2.

(16) J.-C. HARVEY, «Pourquoi je hais le nationalisme», Le Jour, 22 juillet 1939, p. 2.

(17) J.-C. HARVEY, «Attaques et contre-attaques», Le Jour, 7 janvier 1939, p. 2.

(18) Bien que nous reviendrons plus loin sur cette question, il n’est pas inintéressant de remarquer qu’il fera la même association entre le fait d’utiliser sa raison et celui d’accorder sa première allégeance au Canada.

(19) J.-C. HARVEY, «Pourquoi ces cris d’impuissants?», Le Jour, 29 octobre 1938, p. 2.

(20) J.-C. HARVEY, «Le paradis des illettrés», Le Jour, 9 juillet 1938, p. 1.

(21) Nous verrons par exemple Lachance consacrer plusieurs pages à tenter de réconcilier nationalisme et universalisme.

(22) Nous n’accordons aucun sens péjoratif à ce terme.

(23) Par passéisme, nous entendons la valeur «excessive» accordée au passé comme modèle pour le présent et l’avenir. Le terme antiprogressisme fait davantage référence au refus du progrès en soi. Les deux termes, qui se recoupent en partie, ne sont donc pas tout à fait interchangeables.

(24) P.-A. LINTEAU et al., Histoire du Québec contemporain. Tome II. Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal compact, 1989, p. 114. Évidemment, quelques nuances seraient nécessaires avant d’appliquer cette définition à la pensée de Groulx et de Lachance. Chez Groulx, malgré les apparences peut-être, la tradition n’a pas nécessairement ce caractère figé et immobilisant, et il s’en est expliqué à plusieurs reprises : «À parler net, qui dit tradition, dit continuité, avance constante, enrichissement perpétuel : et par cela même, l’on ne saurait concevoir de tradition que la tradition vivante», L. GROULX, «L’histoire, gardienne de nos traditions vivantes», dans Directives, 1937, p. 209. Discours prononcé à Québec le 29 juin 1937 au 2e Congrès de la langue française.

(25) J.-C. HARVEY, «Soyez forts!», Le Jour, 25 juin 1938, p. 1. Comme nous le faisions remarquer plus tôt, c’est souvent le terme «humain» qu’Harvey préfère à «individu». Quoiqu’il en soit, le lien qu’il fait entre l’individu et le progrès est sans équivoque : «Il n’y a pas de civilisation possible sans une somme importante de liberté, sans  le respect de la personne humaine. C’est dans la personne humaine, livrée à son inspiration et à son initiative privée que s’accomplit le progrès», J.-C. HARVEY, «Les horreurs du fascisme», Le Jour, 1er janvier 1938, p. 2. 

(26) J.-C. HARVEY, «Nous avons fait nos dents», Le Jour, 17 septembre 1938, p. 1.

(27) J.-C. HARVEY, «Pourquoi ne vous plaignez-vous pas?», Le Jour, 6 mai 1939, p. 1.

(28) Dans le premier numéro du Jour, Harvey écrit à ce propos : «Pour me tenir debout dans l’à-plat-ventre général, j’ai sacrifié les places, les honneurs, la considération des âmes timorées. Tout ce drame pour être resté fidèle à mes pensées généreuses, pour avoir eu le courage de mes convictions [...]», «Confessions sans ferme propos», Le Jour, 16 septembre 1937, p. 2. Rappelons que cette frilosité des gens à critiquer les autorités religieuses constitue le thème d’une conférence de Harvey restée célèbre et intitulée «La Peur». Le texte de cette conférence vient d’être réédité aux éditions du Boréal.

(29) Même s’il ne le mentionne pas explicitement dans ce passage, il s’agit bel et bien à notre avis des membres du clergé. Qui d’autres, sinon eux, pourraient avoir été les «pasteurs», les «guides», les «conseillers», les «éducateurs», les «gardiens» dont parle Harvey? Il mentionne d’ailleurs le clergé immédiatement après le passage cité : «Or, le clergé de la Province de Québec, dont il faut admirer la mission spirituelle [...]», J.-C. HARVEY, «What Quebec Thinks of Canada?», Le Jour, 16 juillet 1938, p. 2.

(30) Nous tenons à souligner que cette citation se termine ainsi : «à moins qu’un chef énergique ne survienne un jour, qui les réforme et les remonte malgré eux et au prix d’énormes sacrifices. Il n’y a pas d’alternative». Étonnant passage, qui rappelle étrangement «l’appel au chef» des nationalistes comme Groulx. Le texte ne permet pas de savoir si Harvey craint ou espère ce chef, ni de quel type de chef (simple leader ou dictateur?) il s’agit. Présumons qu’il s’agit d’un leader, mais l’utilisation par Harvey de l’expression «remonte malgré eux» ne nous permet pas de l’affirmer.

(31) En effet, si on se fie à la dernière citation d’Harvey.

(32) J.-C. HARVEY, «Bravo, Marie-Victorin», Propos du frère Marie-Victorin au congrès de l’ACFAS (1938) à Trois-Rivières, reproduits dans Le Jour, 22 octobre 1938, p. 1. Harvey commençait son article ainsi: «Si nous avions, dans la Province de Québec, une demi-douzaine de Marie-Victorin, les Canadiens français seraient transformés en moins de vingt ans.»

(33) Voir, entre autres, l’article «Un pas vers l’indépendance», Le Jour, 2 avril 1938, p. 1 : «Il faut venir sur cette terre d’Amérique, tant bafouée, tant ridiculisée par les vieilles mères-patries pour retrouver non seulement la paix, mais le sens de la vie. Aux États-Unis et au Canada ont afflué, depuis plus de trois siècles, des milliers de familles qui fuyaient la douleur, la misère, les traditions avilissantes, même les persécutions, pour se refaire un monde où l’existence serait possible sans fanatisme, sans sectarisme et sans la puanteur des cadavres du passé.»

(34) J.-C. HARVEY, «Pourquoi je hais le nationalisme», Le Jour, 22 juillet 1939, p. 1 et 8.

(35) «[...] il se laissait emporter quelquefois par la magie des mots, mais assez rarement. On peut dire que son style visait rarement à l’effet oratoire et, à ce propos, Arthur Buies et Olivar Asselin, par comparaison, ont abusé plus que lui de la rhétorique.», M.-A. GAGNON, op. cit., pp. 162-163. Harvey n’a peut-être pas abusé du lyrisme, mais de la rhétorique et de l’exagération, cela est moins sûr.

(36) À l’inverse de Groulx, par exemple, souvent critiqué pour sa capacité à «enflammer» les foules. Mais on doit admettre aussi qu’Harvey écrit d’abord dans un journal, et non pour une foule.

(37) À ce propos, rappelons qu’Harvey publiait à la Une de chaque parution du Jour un «billet» à saveur poétique.

(38) J.-C. HARVEY, «Culte de l’encens ou de la vérité?», Le Jour, 4 février 1939, p. 1.

(39) J.-C. HARVEY, «Soyez forts!», Le Jour, 25 juin 1938, p. 1.

(40) J.-C. HARVEY, «Les yeux dans le dos», Le Jour, 18 mars 1939, p. 1.

(41) J.-C. HARVEY, «Pourquoi je hais le nationalisme», Le Jour, 22 juillet 1939, pp. 1-2.

(42) J.-C. HARVEY, «L’école antibritannique», Le Jour, 20 novembre 1937, p. 2. Voir aussi les articles «What Quebec Thinks of Canada?», Le Jour, 16 juillet 1938, p. 2, et «Attaques et contre-attaques», Le Jour, 7 janvier 1939, p. 2.

(43) Groulx dira à ce propos : «Mais la bonne-entente que je veux, c’est la bonne-entente à deux. La bonne-entente debout. Pas une bonne-entente de dupes. Pas une bonne-entente à n’importe quel prix [...], mais la bonne-entente fondée sur le respect mutuel, sur l’égalité des droits», L. GROULX, «L’histoire, gardienne de nos traditions vivantes», dans Directives, 1937, p. 236.

(44) J.-C. HARVEY, «Le geste fraternel», Le Jour, 13 mai 1939, p. 1.

(45) Par exemple, il écrit dans l’article «Attaques et contre-attaques», Le Jour, 7 janvier 1939, p. 2, qu’il n’a «jamais attaqué les Canadiens de langue française, mais certains de leurs chefs [...]». Cette distinction, que Louis CORNELLIER qualifiait de «bonne vieille stratégie populiste» dans «Qui a peur de Jean-Charles Harvey?», Le Devoir, 6-7 mai 2000, Yves Lavertu y voyait plutôt selon Cornellier un «thème essentiel de la pensée d’Harvey».

(46) J.-C. HARVEY, «Culte de l’encens ou de la vérité?», Le Jour, 4 février 1939, p. 1.

(47) Voir les très bonnes pages de Victor TEBOUL sur la question dans Le Jour. Émergence du libéralisme moderne au Québec, Hurtubise HMH, 1984, pp. 102-11. Yves LAVERTU, dans Jean-Charles Harvey. Le combattant, offre aussi une bonne analyse de la position d’Harvey à l’égard des Juifs.

(48) Biologiste et écrivain français (1894-1977).

(49) J.-C. HARVEY, «Déclarations de M. Jean Rostand», Le Jour, 21 mai 1938, p. 5.

(50) J.-C. HARVEY, «Vatican et question juive», Le Jour, 6 août 1938, p. 2.

(51) Paul RIVERIN [pseud.], «La charité chrétienne et les Juifs», Le Jour, 5 août 1939, p. 2. On notera qu’ici Harvey utilise son pseudonyme pour écrire sur cette question. Ce qui est encore plus intéressant, à notre avis, c’est qu’il ne l’utilise pas systématiquement pour parler de cette question.

(52) J.-C. HARVEY, «Vatican et question juive», Le Jour, 6 août 1938, p. 2

(53) J.-C. HARVEY, «Mentez, mentez toujours!», Le Jour, 20 mai 1939, p. 2.

(54) J.-C. HARVEY, «Iroquois, Québécois et immigrants», Le Jour, 1er avril 1939, p. 8.

(55) Ibid.

 

(56) Voir à ce sujet la série de six articles de F.-A. ANGERS intitulée «Patriotisme et raison», publiée dans L’Action nationale, vol. XLVIII, nos 3-4/5/6/7/8/9-10 (nov.-déc. 1958 à mai-juin 1959). ANGERS, directeur de L’Action nationale, s’en prend au père Lévesque pour certaines déclarations faites au sujet du caractère sentimental du nationalisme canadien-français. Les trois premiers articles sont coiffés de sous-titres évocateurs : (1)«Par où péchons-nous, par excès de sentimentalité ou de réalisme?»; (2)«Qu’est-ce qu’un patriotisme rationnel?»; (3)«Patriotisme réfléchi et clairvoyant!».

(57) J.-C. HARVEY, «Est-il défendu de dire la vérité en anglais?», Le Jour, 23 juillet 1938, p. 8.

(58) J.-C. HARVEY, «Que faut-il pour être Canadien?», Le Jour, 30 juillet 1936, p. 2.

(59) «Peu d’hommes ont la raison pour guide, dit-il; la plupart glissent sur la pente plus facile du sentiment – qui est à un degré inférieur de l’être [...]». J.-C. HARVEY, «L’école antibritannique», Le Jour, 20 novembre 1937, p. 1. 

(60) J.-C. HARVEY, «La peste du Québec : le nationalisme», Le Jour, 5 août 1939, p. 2.

(61) J.-C. HARVEY, «Qu’est-ce qu’un crétin?», Le Jour, 24 septembre 1938, p. 1. Si on se fie à Eugène L’Heureux, il semble qu’Harvey affectionnait déjà ce terme lorsqu’il était rédacteur en chef au Soleil. Voir Lionel GROULX, Mes mémoires, Tome 3, p. 256.

(62) J.-C. HARVEY, «Culte de l’encens ou de la vérité?», Le Jour, 4 février 1939, p. 1.

(63) «Les plus de trente-cinq ans, écrit-il dans le premier numéro du Jour, sont moins accessibles aux emballements inconsidérés», J.-C. HARVEY, «M. Lionel Groulx, premier ministre», Le Jour, 16 septembre 1937, p. 8.

(64) J.-C. HARVEY, «Nationalisme versus provincialisme», Le Jour, 2 octobre 1937, p. 1.

(65) J.-C. HARVEY, «Le geste fraternel», Le Jour, 13 mai 1939, p. 1.

(66) J.-C. HARVEY, «Vers la banqueroute!», Le Jour, 10 juin 1939, p. 1.

(67) C’est ce même niveau qu’a atteint Esther Delisle en qualifiant de «délire» la pensée de Lionel Groulx et d’autres nationalistes canadiens-français des années trente. Notons qu’il n’utilise pas ces termes quand il parle de Groulx.

(68) Lettre de J.-C. HARVEY à O. ASSELIN, Québec, 3 janvier 1936. 2 p. dact (copie), BAUS, FJCH, F11, 57. Notons qu’on retrouve encore cette idée un an plus tard, dans une lettre qu’Harvey écrit à Maurice Laporte : «Croyez bien que je suis entièrement de votre opinion quant au séparatisme. C’est une impossibilité et une erreur à la fois. Notre peuple est, en général, encore trop crétin pour être livré à lui-même», Lettre de J.-C. HARVEY à M. LAPORTE, Québec, 10 décembre 1936, 2 p. dact. (copie, non signée), BAUS, FJCH, F11, 90.

(69) J.-C. HARVEY, «M. Lionel Groulx, premier ministre», Le Jour, 16 septembre 1937, p. 8.

(70) «Laurentie», c’est le nom que voulaient donner de nombreux séparatistes au Québec une fois devenu indépendant. Cet État devait prendre la forme d’une république. On retrouve ce terme jusque dans les années soixante, notamment avec l’Alliance laurentienne de Raymond Barbeau. À ce sujet, voir Éric BOUCHARD, Raymond Barbeau et l’Alliance laurentienne : les ultras de l’indépendantisme québécois, Mémoire de maîtrise (Histoire), Université de Montréal, 1998, 219 pages.

(71) J.-C. HARVEY, «Laurentie 1955», Le Jour, 14 octobre 1939, p. 1.

(72) J.-C. HARVEY, «Réponse à un jeune groulxiste», Le Jour, 22 janvier 1938, p. 2. Dans une perspective plus large, rappelons aussi qu’Harvey croit que les petits pays, les petites nations, deviennent nécessairement «les jouets des grandes puissances». Enfin, il évoque ici et là d’autres arguments d’ordre divers, selon lesquels les industries possédées par des intérêts anglophones quitteraient le Québec ou encore que le territoire risquerait d’être morcelé suivant les revendications territoriales légitimes des «Canadiens [anglais] de cette partie du pays, qui ont autant que nous des droits acquis sur la patrie.»

(73) Pour le plaisir, nous rapportons ici la boutade de Groulx au sujet de ceux qui se déclarent «Canadiens tout court»: «Pour la plupart de nos prétendus guides politiques, le type canadien le plus chic, le plus orthodoxe, n’est-ce point le Canadien français passé à la lime, démarqué comme un vieux sou, ou encore le Canadien français raccourci au lit de Procuste, ce qui nous permet de dire si élégamment : le “Canadien tout court”?». Voir L. GROULX, «L’histoire, gardienne de nos traditions vivantes», dans Directives, 1937, p. 221.

(74) J.-C. HARVEY, «Quand se taira le “cri de race”?», Le Jour, 25 septembre 1937, p. 1. On remarquera que dans cette affirmation, faite en 1937, Harvey semble mettre son nationalisme canadien-français au premier rang, ce qu’il ne fera pas deux ans plus tard. Voir pp. 46-47 du présent mémoire

(75) J.-C. HARVEY, «Culte de l’encens ou de la vérité», Le Jour, 4 février 1939, p. 1.

(76) J.-C. HARVEY, «Les “directives” de l’abbé Groulx», Le Jour, 11 décembre 1937, p. 2. On remarquera qu’il disait trois mois plus tôt que  son «nationalisme embrasse avec plus d’amour et de tendresse la terre québécoise».

(77) «On a daigné choisir notre journal comme organe de cette association patriotique [...] Nous sommes heureux d’être le premier noyau, ou plutôt le centre de ralliement, de cette association [...]», J.-C. HARVEY, «Les amis de l’unité canadienne serrent les rangs», Le Jour, 4 novembre 1939, p. 8.

(78) J.-C. HARVEY, «Un merveilleux alliage de peuples et de caractères», Le Jour, 9 décembre 1939, p. 8. En voici le programme concret, qu’Harvey résume en quatorze points : Réunir tous les Canadiens sous une même dénomination; Habituer les gens à s’attacher avant tout à leur titre de citoyens canadiens; Supprimer énergiquement les mouvements tendant à dresser une nationalité contre l’autre; Combattre toute tendance au séparatisme et à l’isolement; Favoriser les prises de contact entre les Canadiens de diverses langues, croyances et origines; Étendre le bilinguisme; Travailler à l’échange de professeurs entre provinces; Organiser des colonies de vacances «mixtes» (anglophones et francophones); Activer  le tourisme interprovincial; Acquérir une influence pancanadienne pour favoriser l’adoption de lois qui unissent plutôt que divisent; Obtenir des manuels communs, en histoire surtout, et un livre spécial, qui aurait pour fin première de former un esprit pancanadien; Maintenir sans cesse notre idéal démocratique; Empêcher l’affaiblissement de l’influence du gouvernement central et enfin, réunir en conférence les gens favorables à l’unité canadienne une fois l’an. Le texte est signé : L’UNION PANCANADIENNE par J.-C. HARVEY, «Le pancanadianisme s’étendra d’un océan à l’autre», Le Jour, 11 novembre 1939, p. 8.

(79) J.-C. HARVEY, «Un merveilleux alliage de peuples et de caractères», Le Jour, 9 décembre 1939, p. 8.

(80) Ibid.

(81) Ibid. On notera que Groulx ou Lachance pourraient répéter essentiellement les mêmes mots pour justifier  leur propre nationalisme.

(82) Sans y attacher une importance trop grande puisqu’il ne s’agit pas d’un thème majeur chez lui, on pourra néanmoins remarquer qu’Harvey, qui rejette l’idée d’une mission providentielle accordée aux Canadiens français, croit à cette idée d’une «mission» associée à l’Amérique du Nord. À ce sujet, voir aussi l’article «Les amis de l’unité canadienne serrent les rangs», 4 novembre 1939, p. 8. et «Nids à chicanes», Le Jour, 21 octobre 1939, p. 8.

(83) J.-C. HARVEY, «Un merveilleux alliage de peuples et de caractères», Le Jour, 9 décembre 1939, p. 8.

(84) J.-C. HARVEY, «L’immigrant et nous», Le Jour, 11 mars 1939, p. 1.

(85) J.-C. HARVEY, «Le pancanadianisme s’étendra d’un océan à l’autre», 11 novembre 1939, p. 8.

(86) J.-C. HARVEY, «Jean-Baptiste chez l’Oncle Sam», Le Jour, 12 août 1939, p. 1.

(87) J.-C. HARVEY, «Un merveilleux avenir!», Le Jour, 12 août 1939, p. 1.

(88) J.-C. HARVEY, «Le geste fraternel»,13 mai 1939, p. 1.

(89) C’est-à-dire qu’ils en affirmaient et voulaient en faire reconnaître la valeur, mais non la puissance comme telle.

(90) J.-C. HARVEY, «Les séparatistes manquent d’intelligence», 30 septembre 1939, p. 1.

(91) J.-C. HARVEY, «Les “directives” de l’abbé Groulx», Le Jour, 11 décembre 1937, p. 2.

 

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© 2007 Claude Bélanger, Marianopolis College