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Document de l’histoire du Québec / Quebec History Document
Le nationalisme de Bourassa
Les questions auxquelles je vais tâcher de répondre dans cet article, je me les pose depuis plus de vingt ans – depuis l’époque où ma génération, celle qui eut vingt ans autour de 1930, commença de s’exprimer.
Le nationalisme canadien-français venait de s’affaisser avec l’après-guerre. Alors on avait connu une extraordinaire aventure économique, analogue à celle qui suivit le deuxième conflit mondial. Il n’y avait pas seulement la prospérité: c’était la fin du cadre idyllique où le Canada français avait jusque-là vécu ou cru vivre son histoire. Les échanges avec l’extérieur se multipliaient, le rythme de la vie s’accélérait, nous gardions les idées de la génération précédente, mais nous sentions déjà qu’il faudrait les rajeunir et les adapter.
Or une époque noire commença. Tous les contemporains en gardent le plus pénible souvenir. Presque sans transition la vie devint malaisée, plus douloureuse ici que ne furent les deux périodes de guerre. Des centaines de milliers d’hommes connurent le chômage prolongé, la vraie faim, toutes les détresses de la misère. La crise pourtant rendit aux gavés de la veille la faculté de réfléchir. Ils battaient la semelle à la recherche d’une situation, étonnés de n’en plus trouver et de ne plus vivre dans la facilité. Ils apprenaient à se contenter de peu, mais l’expérience avait un goût amer. Alors de vieilles questions redevinrent actuelles, on s’en posa qu’on n’avait pas encore connues. Un régime politique qui dépassait le quart de siècle était sourdement remis en question. On aurait pu chercher du côté socialiste; comment il se fait que la réaction s’engagea dans le nationalisme, ce n’est pas le moment de l’examiner aujourd’hui. D’ailleurs je n’ai pas la prétention d’écrire de l’histoire, je fais l’histoire de mes souvenirs.
Des jeunes furent parmi les premiers à ébranler les colonnes du temple. La peur et le respect avaient jusque-là fermé la bouche au plus grand nombre; ou peut-être n’avaient-ils pas encore assez souffert. Des jeunes donc se mirent à parler, à protester, à remettre en question; ils le faisaient naïvement, un peu au hasard, par goût de s’affirmer, peut-être pour se chercher, en tâtonnant, une missionpropre. Ils furent bien étonnés du retentissement qu’obtinrent leurs propos.
Ils venaient, par leur famille ou leurs professeurs, de milieux influencés par le nationalisme. Ils eussent aimé se trouver des maîtres. Qui se présentait en dehors des milieux officiels et des vieux partis contre lesquels se dressait leur révolte, sinon les chefs du nationalisme, et quelques intellectuels isolés dont on n’éprouvait guère la présence?
Ils avaient beaucoup entendu parler de la grande équipe, celle de Bourassa. Par eux-mêmes ils la connaissaient mal, mais on leur avait conté les luttes politiques menées par Bourassa, Asselin, Lavergne, Fournier, Lamarche et combien d’autres. Ils voulurent reprendre cette aventure et la mener jusqu’à ses ultimes conclusions.
De ces aînés, plusieurs vivaient encore: Lavergne, Asselin et Bourassa. En examinant leurs actes récents, les jeunes de 1930 éprouvaient un malaise, car les personnages ne correspondaient pas à leur légende. Lavergne, gouailleur et indépendant, venait d’accepter la vice-présidence de la chambre des Communes sous la férule du premier ministre R.-B. Bennett, successeur de M. Arthur Meighen. Asselin, l’homme qui avait giflé L.-A. Taschereau, dirigeait à Montréal, le quotidien de M. Taschereau. Quant à Bourassa, il passait la dernière partie de sa vie à détruire ce qu’il avait construit durant sa jeunesse et sa maturité. C’était du moins ce qui se disait… Les jeunes cherchèrent ailleurs; du côté du Devoir, qu’ils trouvaient cependant conservateur, et chez les hommes qui avaient pris figure de dissidents par rapport à Bourassa, l’ancienne équipe de l’Action française (de Montréal) défaut d’hommes d’action, ils se replièrent sur des intellectuels; au premier rang, ils trouvèrent l’abbé Groulx.
On ne pouvait cependant oublier les autres, qui ne cessaient d’agir. Un rapprochement s’opéra avec Armand Lavergne, d’ailleurs malade, et qui n’apportait que du panache. Devant Asselin, il y eut des moments d’hésitation, puis une hostilité farouche qui nous empêcha longtemps de comprendre ce que le directeur du Canada, puis de l’Ordre, apportait d’indiscutablement neuf et positif. Quant à Bourassa, les nationalistes respectaient et admiraient trop son rôle pour l’attaquer publiquement de front.
C’était pourtant le cas le plus pénible: d’abord parce qu’il avait été le chef prestigieux et à peu près incontesté du mouvement; à cause de son immense talent et du dynamisme de sa personnalité; enfin parce que son caractère personnel rendait irrecevables toutes les explications basses ou mesquines de sa «volte-face».
Privément on lui reprochait bien des choses, et en particulier sa série d’articles contre le mouvement sentinelliste: était-ce à lui, créateur du nationalisme contemporain au Canada français, de frapper des malheureux que Rome venait de condamner et qui se préparaient à faire leur soumission? Dans leur résistance aux évêques irlandais, ces Franco-Américains avaient commis de graves imprudences de langage, mais leur exaspération s’excusait; ils avaient bien deviné le rôle assimilateur joué par la hiérarchie irlando-américaine, et n’obéissaient-ils pas au slogan de la langue gardienne de la foi, précisément lancé par Bourassa? On rappelait là-dessus d’autres griefs: notamment les articles, les conférences, les conversations privées mais si souvent et si rapidement divulguées, où le directeur du Devoir ratait rarement l’occasion de dénoncer les excès du nationalisme canadien-français, en particulier celui de l’Action française, au nom d’un sentiment religieux aussi sincère et estimable que mal orienté. On opposait à ces incompréhensibles violences, toujours dirigées contre d’anciens amis ou d’anciens disciples, les directives que Bourassa n’avait cessé de donner avant 1920: alors, malgré d’évidentes faiblesses pour le canadianisme, primait toujours chez lui l’impératif canadien-français.
* * * *
Je résume ici ce qui courait à Montréal, de 1930 à 1940, dans les milieux nationalistes de Montréal et de Québec. Ces propos, je les ai entendus chez les interlocuteurs les plus divers, dont la bonne foi était évidente. Ils expliquaient les «retournements» du chef par une crise de scrupule, une semonce du Pape, l’isolement, le goût de la contradiction.
Il en résultait que pour nous la vie de Bourassa se divisait en deux parties. Il y avait d’abord l’homme du discours de Notre-Dame, des luttes pour les minorités et contre l’impérialisme, l’initiateur d’un mouvement dont nous prenions la suite. Puis il y avait celui qui est revenu de Rome, qui est transformé, perdu pour nous, n’affirme que le devoir religieux et la patrie canadienne, et entreprend de raser la moisson qu’il avait semée.
J’ai donc parlé sans le moindre remords, dans une conférence sur Lavergne, en 1935, de «Bourassa mort à Rome en 1923» (1). A l’automne 1937, j’ai dénoncé son «jansénisme» et montré fort irrévérencieusement un aïeul qui occupe les loisirs de sa vieillesse à dévorer ses petits-enfants: c’était au Gésu, après une conférence du chanoine Groulx sur l’échauffourée de 1837, et je l’évoque comme un mauvais souvenir. Car au fond de moi-même, je commençais à me demander si nous avions raison de parler d’un revirement de Bourassa. Après tout, nous nous exprimions sur la foi de disciples très fervents, qui, avec le recul des années, pouvaient avoir inconsciemment déformé la pensée du maître. Le problème était-il aussi simple? N’aurions-nous pas commis l’erreur de prendre rétrospectivement la pensée de Bourassa pour celle de l’abbé Groulx? Quelle a été la vraie nature du nationalisme prêché par Bourassa?
Pourtant, restaient les trois conférences de 1935 à la Palestre Nationale. Celles-là, je les ai entendues. Bourassa avait eu, à l’endroit des jeunes nationalistes, des duretés et des sarcasmes qui continuaient de nous faire mal. Il nous prêtait des idées que nous n’avons jamais eues ou les produisait dans un tel éclairage que nous ne nous reconnaissions pas. Il prononça une confession publique de ses erreurs et pratiqua lui-même, sur ses oeuvres, une sorte d’autodafé. Il paraissait s’accuser d’avoir fait passer la langue avant la foi et de s’être montré trop Canadien français. Il détectait, à l’origine de notre pensée, je ne sais combien de schismes et d’hérésies. Bref c’est nous qu’il traitait en adversaires. Et je ne pouvais douter de mes oreilles, j’étais là. Comment tout cela s’organisait-il?
…Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Nous avons connu la déception de 1935-36, puis l’atonie des années d’avant-guerre. Bourassa se faisait entendre moins souvent, on avait peu à peu l’impression d’un demi-apaisement… Et ce fut la tourmente universelle, le silence des premiers mois de la guerre, l’atmosphère de ghetto moral que nous avons respirée tous ensemble – et l’imprévisible rapprochement avec Henri Bourassa. Il s’opéra sans explications. Nous fûmes ensemble parce que nous possédions des idées communes que nous sentions menacées. Jamais nous n’aurions risqué de compromettre cette unité nouvelle, si réconfortante, pour le plaisir de poser des questions qui ne cessaient de nous hanter. D’ailleurs l’action nous talonnait, il y avait mieux à faire que des rétrospectives. – Ce fut enfin la maladie de Bourassa, son long silence, sa mort.
C’est en préparant le numéro spécial du Devoir que mes soupçons se sont confirmés. En lisant pour la première fois de vieux textes, en interrogeant plus rigoureusement des témoins, en examinant de près des discours déjà connus, nous avons mieux compris l’unité de la vie de Bourassa.
Certes, chez un homme riche et spontané comme lui, le problème demeure complexe. Pour le résoudre il faudrait bien plus qu’une lecture, même attentive, de ses principales oeuvres. Seule une étude systématique de la pensée politique au Canada français permettrait de connaître ses origines intellectuelles, les influences qu’il a subies, les nuances d’une doctrine beaucoup moins simple que les formules oratoires ne laisseraient croire.
On n’enferme pas un être comme Bourassa dans une formule: il dépasse toujours par un côté ou par un autre. On peut toujours opposer les textes entre eux. Mais les lignes générales de sa pensée se dégagent avec assez de netteté.
Bourassa, si Canadien français par ses racines et par la nature même de sa personnalité, a toujours prêché un nationalisme canadien. Mais il donnait à l’expression un sens qui lui faisait tout de suite rejoindre le nationalisme canadien-français. Il a certes évolué durant sa longue vie active; pourtant la structure intellectuelle de son oeuvre n’a guère subi de modifications. Ses variations les plus sensibles sont d’ordre émotionnel et sentimental bien plus que d’ordre rationnel; aux jours où il pourfendait les nationalistes canadiens-français, il ne trahissait pas son propre nationalisme, et sa confession publique revient à peu de chose. La pensée religieuse, chez lui, a pris de plus en plus de place, et ce que gagnait le sentiment religieux à un certain moment, le sentiment national l’a perdu. Sa passion de l’équilibre – peut-être parce qu’il sentait que chez un être véhément et passionné comme lui l’équilibre est dur à conquérir et surtout à maintenir – l’a porté certains jours à écraser les exigences temporelles sous des exigences spirituelles qui nous paraissent un peu crispées et tendues: ce sont sans doute les moments de sa vie qui furent les plus durs, mais ils gardent une admirable noblesse.
Ce qui nous importe, ce n’est pas de chercher à confirmer nos propres idées, ni de baptiser erreurs les moments qui l’ont éloigné de nous: c’est d’essayer de le voir tel qu’il fut, et de déterminer la nature exacte de son nationalisme. Mais nous pouvons dès l’instant l’affirmer: cet homme n’a cessé de se chercher, de s’élargir, de s’approfondir; il ne s’est jamais renié.
– I –
La première fois que Bourassa aborde avec une certaine ampleur le problème de ce qu’il appellera plus tard le nationalisme, c’est par le biais de la lutte à l’impérialisme. Cela paraît assez révélateur.
Dès 1901
Nous sommes en 1901. On a demandé au jeune député (il a trente-trois ans) de «définir rigoureusement, par a plus b, l’impérialisme et le contre-impérialisme». Il s’exécute le 20 octobre 1961 dans une conférence au Théâtre National français, et définit l’impérialisme du moment: «la contribution des colonies aux guerres de l’Angleterre». Il en examine la genèse et le développement: en Grande-Bretagne et dans les colonies. La réaction australienne et néo-zélandaise lui paraît plus saine que la nôtre. Car ici:
Pour la question des races, voici comment il s’explique:
Bourassa établit tout de suite après sa position, et la primauté, évidente à ses yeux, de la patrie canadienne:
Bourassa veut-il l’autonomie complète du pays? L’indépendance ne lui apparaît pas comme un «sujet d’actualité», parce que le Canada n’est pas assuré de la paix intérieure et extérieure. A l’extérieur, Bourassa craint le voisinage «immédiat et exclusif de la république américaine» et analyse longuement les dangers qu’il nous fait courir; ce passage se termine par le paragraphe fameux:
Ce paragraphe conclut une analyse fort serrée des risques que nous aurait fait courir une émancipation prématurée (5)
Pour la paix intérieure:
On peut être assuré que cet amoureux passionné de l’autonomie canadienne ne soulèvera jamais à plaisir les deux «races» l’une contre l’autre.
«Le patriotisme canadien-français»
L’année suivante, Bourassa étudie au Monument National Le patriotisme Canadien-Français, ce qu’il est, ce qu’il doit être. Il y montre nos devoirs envers la Grande-Bretagne (fidélité à la couronne, affaire de raison), envers les Canadiens anglais (ni fusion ni isolement, «nous devons chercher tous les terrains communs où il nous est possible de donner la main à nos concitoyens anglais sans faillir à notre dignité et sans altérer notre individualité nationale»), envers le Canada (fédéralisme modéré), et envers nous-mêmes:
Bourassa analyse ce que nous devons à la France et conclut:
Que penser, alors du séparatisme? Bourassa écrit d’une plume à la fois sympathique et détachée:
Retenons que dès 1902, pour Bourassa, le séparatisme n’est qu’un rêve: à moitié souvenir d’hier, à moitié aspiration de demain… Mais le vrai devoir du moment, c’est de collaborer loyalement avec nos associés:
A remarquer cette notation, sur un thème qu’il orchestrera plus tard, mais qui exprime à la fois sa fierté et son goût de la mesure:
Bourassa maintient son attitude
La Ligue Nationaliste est fondée en 1903. Henri Bourassa expose son programme à Québec le 8 décembre, puis à Montréal le 21 février 1904. Il commence par affirmer qu’il ne s’agit pas d’un «mouvement de race», mais avant toutes choses d’une protestation contre l’impérialisme britannique. Il a d’ailleurs défendu les mêmes idées dans les provinces anglaises, et trouvé des partisans jusqu’à Toronto. Le discours de Québec se termine par l’envolée suivante:
En 1905, le Parlement canadien organise les Territoires du Nord-Ouest en provinces (Saskatchewan et Alberta). Après avoir voulu donner justice aux minorités, Laurier cède devant Sifton et l’opinion anglo-protestante. Bourassa, au Parlement et dans le Québec, défend la thèse catholique et canadiennefrançaise. En résumé, dit-il aux députés anglo-canadiens, l’Ouest est promis à un immense avenir; si vous voulez qu’il soit canadien, rendez-le attrayant aux Canadiens français. Bourassa voit «avec douleur» se développer dans le Québec «le sentiment que le Canada n’est pas le Canada de tous les Canadiens». On nous rend provincialistes malgré nous; mais Bourassa résiste à cette tendance et donne toujours la primauté au sentiment canadien.
Remarquons que plusieurs adversaires de Bourassa le combattaient au nom de «l’autonomie provinciale», c’est-à-dire des droits exclusifs des provinces en matière d’enseignement – y compris, à leurs yeux, le droit de brimer les minorités. Il haussait alors le ton, portait sur la Confédération des jugements sévères, mais refusait à la fois d’attaquer le principe de l’autonomie provinciale et de se replier sur la province de Québec. Ainsi en 1912, lors de la nouvelle affaire du Nord-Ouest, on trouvera sous sa plume ou dans ses discours des affirmations de ce genre:
Même plongé dans la plus vive indignation, Bourassa se proclame «Canadien avant tout». Et son amertume, qui s’exprime pendant des pages et des pages, ne l’accule jamais à la solution sécessionniste.
Durant la guerre
En pleine guerre, avec une insistance qu’on trouvera peut-être monotone, l’orateur réaffirme que «le Canada doit transmettre aux générations à venir de son peuple les avantages inappréciables de sa double origine…» car
Ces affirmations sont à double tranchant: Bourassa y défend d’abord les droits des siens (et les «siens», il l’a déjà écrit, ce sont les Canadiens français); mais il choisit toujours de le faire en des termes qui valent pour tous.
Il s’inspire du même esprit, qu’il parle français ou anglais et ce serait facile à démontrer.14 Même quand son sujet l’amène à manifester les plus grandes duretés aux Anglo-Canadiens15 il n’y a jamais un ton de rupture, il dénonce les «préjugés raciaux» où qu’il les trouve (y compris dans son auditoire qu’il lui arrive de rabrouer). Il porte des coups au prétendu fair play britannique, va presque jusqu’à identifier anglais et protestantisme, français et catholicisme; ses résumés historiques tendent au réquisitoire contre les Britanniques, il prêche «la résistance à la domination anglo-canadienne», c’est l’exaspération du temps de guerre et du règlement XVII, mais Bourassa ne se laisse pas arracher sa conviction de base:
Sans doute il le proclame contre l’impérialisme, contre la «fureur tyrannique et tracassière» des persécuteurs ontariens. Mais il n’oublie pas de le réaffirmer. Ses sentiments de l’époque ne le font pas dévier de la route qu’il s’est tracée. Et quand éclate le drame de la conscription, n’est-il pas émouvant de l’entendre dire, en dépit de tout, comme sourd à ce qu’il perçoit par ailleurs, comme enfermé dans son idéalisme et son rêve de canadianisme:
«En dépit des désenchantements»…
Le jugement le plus dur sur la Confédération, c’est quatre ans plus tard qu’il le formulera. «L’oeuvre, dira-t-il alors, a lamentablement avorté», tant pour l’évolution extérieure (impérialisme) que pour la paix intérieure. Il détaille avec amertume les circonstances de l’échec. On croirait que, blessé par l’expérience, il va modifier son credo politique. Mais il se reprend en dernière page:
Il consent à aller jusqu’au doute, et alors il livre le fond de sa pensée, qui est, si je puis dire, la méthode des idéalistes lucides: «faire comme si», agir comme si, malgré la pression des faits, le rêve demeurait viable – et c’est du reste la seule façon de le faire vivre.
Nous ne reproduirons pas pour l’instant de textes postérieurs. Après 1923 ils surabondent, et sont d’ailleurs plus connus.(19) Ce serait le moment de nous demander si Bourassa n’a pas subi l’influence de Laurier bien plus qu’on ne l’a reconnu. Nous sommes mal armés pour cette recherche et nous ne pouvons que déplorer une fois de plus l’absence d’études approfondies sur le mouvement des idées au Canada français.
– II –
Pourtant, avant de quitter cet aspect de la pensée bourassiste, nous devrons nous attarder un moment sur un incident qui nous paraît extrêmement révélateur. II remonte à 1904, c’est-à-dire à l’époque de la Ligue Nationaliste.
Bourassa vient de tenir des assemblées pour expliquer les buts de la Ligue, dont il est le porte-parole et à l’oeuvre de laquelle il s’identifie. Là-dessus J.P. Tardivel, directeur de la Vérité, entreprend dans son journal de dissiper tout «malentendu». Il écrit:
Ainsi donc, celui qui sera considéré plus tard comme le chef du nationalisme canadien-français se fait d’abord accuser de déviationisme [sic]; celui qui l’attaque est un vieux patriote militant. Bourassa va-t-il encaisser le coup?
Il rend hommage à Tardivel, défenseur courageux de la nationalité canadienne-française contre les «anglicisants» et les «gallicisants». Mais, ajoute-t-il, «cette lutte prolongée a développé chez lui une méfiance exagérée à l’endroit de ceux qui conçoivent autrement que lui le patriotisme et le sentiment national». Quelle est donc sa conception à lui, Bourassa? Il écrit:
Mais la Ligue Nationaliste – c’est-à-dire, dans le cas présent, Bourassa – entend couronner le patriotisme canadien-français par un patriotisme «plus général»:
Bourassa résume en termes fort nets la pensée de la Ligue, c’est-à-dire la sienne propre:
Laurier et M. Louis Saint-Laurent, à quelques expressions près, eussent pu signer cette page, et peut-être aussi Cartier. Mais la vie politique de Bourassa lui donne un contexte auquel il faut prendre garde.
Quand Bourassa se proclame d’abord Canadien, notons que son canadianisme ne flotte pas entre ciel et terre: il n’y a pour lui que deux façons de le pratiquer, l’une française, l’autre anglaise. Il n’est pas un «fusioniste»; il est d’ailleurs assez clairvoyant pour se rendre compte que le «fusionisme» jouerait au bénéfice du groupe le plus fort par le nombre et la richesse. Le nationalisme canadien prend donc appui, dans sa conception, sur deux nationalismes culturels solidement enracinés et encadrés. La patrie, pour lui, c’est le Canada tout entier, oui; mais le Canada est une fédération de races distinctes et de provinces autonomes. Il croit à la nation canadienne, mais la voit composée de Canadiens français et de Canadiens anglais, c’est-à-dire de deux éléments séparés (le mot est fort) par la langue et la religion, et par les dispositions légales nécessaires à la conservation de leurs traditions. Le patriotisme canadien n’est donc pas un reniement mais un dépassement de l’amour qu’on porte aux siens; le patriotisme canadien unit deux entités très différentes l’une de l’autre, qui se rejoignent dans un commun attachement à la patrie commune. Bref, Bourassa se proclame d’abord Canadien, mais pas Canadien tout court. Il croit au patriotisme «à trait d’union», il ne croit même qu’à cela. Canadien est le dénominateur commun d’êtres qui ne sont pas de simples dénominateurs. Canadien et canadien-français, canadien et canadien-anglais sont des réalités organiquement rattachées l’une à l’autre. Canadien c’est, avant toutes choses, l’acceptation d’un groupe par l’autre groupe, avec les sacrifices légitimes que tout mariage comporte nécessairement.
– III –
De sorte qu’en pratique, dans sa vie active, on verra Bourassa mener, et avec quelle ardeur, les luttes des nationalistes canadiens-français. Il le fera en toute logique: sa définition même du nationalisme canadien l’y contraint. Il s’intéressera donc à la politique provinciale. Dans la mesure où les questions économiques le retiennent (et cette mesure est faible; en ce domaine il n’est pas un novateur, il accepte à peu près les idées très pauvres de son époque), dans cette mesure donc il voudra travailler à l’avancement économique des siens. Quand il parle d’autonomie provinciale, il n’a jamais l’accent d’un Mercier ou d’un Groulx, mais il n’accepte pas d’amoindrissements de l’Etat du Québec.24 Il a donné le meilleur de lui-même, au moins jusqu’à 1923, à la défense de la langue; et lorsqu’une lassitude l’envahit, il n’abjure ni sa défense des écoles françaises ni son amour passionné de la langue française. Il est habité par une fierté ombrageuse; aucune force, sauf l’Eglise, et ses propres convictions, ne l’a jamais plié; il prétend qu’on l’accepte comme il est, et il est Canadien français, et il se sent solidaire des siens. Quelques-uns de ses plus beaux mouvements oratoires expriment précisément son refus de plier l’échine devant la majorité: il est patriote canadien-français parce qu’il écarte de sa vie toute lâcheté, toute mesquinerie. C’est un sentiment noble: il n’y met ni âpreté ni mesquinerie. Mais que son groupe soit vilainement attaqué, il éprouve alors un frémissement de tout son être, on en perçoit l’écho dans la prose un peu refroidie de ses brochures.
Il est de son milieu, il l’accepte, il l’aime quoiqu’il le juge et le fustige. La petitesse de nos politiciens n’a jamais été flagellée aussi durement que par lui. Nos indigences intellectuelles, cette odeur de rance qu’exhalent tous les petits milieux provinciaux, il les flaire chez nous, et de toute évidence elles l’écoeurent. Les affaires du Canada français, il les aime, comme chacun aime sa famille, mais je crois qu’il les trouve assez étroites. Il donne toujours l’impression d’un gaillard qui voudrait s’élancer dans le vaste monde; son domaine, ce sont les larges synthèses, et il ne se trouve jamais aussi à son aise que dans la politique internationale. Mais là il se heurte à la Grande-Bretagne. En un sens, si engagé qu’il soit, l’homme Bourassa garde toujours, devant les causes temporelles qu’il défend, une liberté de grand seigneur: il n’en est pas l’esclave, il consent à les défendre; d’où cette désinvolture du ton, ce naturel irrespect des gloires usurpées même quand elles appartiennent à son groupe, et ce qu’il y a dans son oeuvre de perpétuellement inattendu. Oui, il a l’esprit universel, il se passionne pour les affaires du monde, mais ne peut les rejoindre qu’en passant par Londres, où notre voix de colonie est étouffée. Ici encore, la fierté me paraît, sentimentalement, à l’origine du refus que tout son être oppose à l’impérialisme (comme à l’annexion aux Etats-Unis).
La tradition canadienne-française était anti-impérialiste: c’est donc dans Québec que Bourassa trouve le gros de ses troupes. Il s’entend bien là-dessus avec les nationalistes canadiens-français. Mais la conquête de l’indépendance canadienne tend à devenir, sur le plan humain, son premier mobile, et cela l’invite à se rapprocher du Canada anglais. Il se rend compte que nous ne saurions conquérir l’indépendance si nous passons notre temps à nous manger le nez entre Canadiens français et Canadiens anglais: l’émancipation implique un fort degré d’unité canadienne. Ici commence peut-être sa séparation d’avec les nationalistes canadiens-français qui ne sont que cela ou qui sont principalement cela.
Certes, la vie nous plonge dans les contradictions. Il voulait unifier tous les Canadiens et doit consacrer beaucoup de son énergie à des batailles entre Canadiens: par exemple sur l’impérialisme, les Anglo-Canadiens ne le suivent qu’avec un grand retard et sa franchise assez cavalière, son tempérament belliqueux, les blessent, sa lutte pour «l’égalité des races» lui vaut des adversaires farouches dans toutes les provinces. Mais nous avons vu qu’il garda inébranlablement son inspiration canadienne.
Citons à ce sujet un passage caractéristique, qui date de 1905. Bourassa défend le sort des minorités franco-catholiques de l’Ouest. Son exposé magnifique tombe sur une Chambre hostile. Après des interruptions, ces mots lui échappent: «Je sais que mes paroles seront vaines...» Il flaire l’échec. Il en connaîtra d’autres, sur le même sujet; car si son éloquence intéresse vivement les Anglo-Canadiens, elle ne les convainc jamais. Est-ce que, chez un homme d’action, l’autonomisme à fond, et même le séparatisme, ne se présentent pas naturellement à l’esprit après des échecs pareils? Quand les faits auront prouvé à ce grand nerveux que ni au Manitoba ni en Saskatchewan ni en Alberta ni en Ontario ni au Nouveau-Brunswick nos minorités ne peuvent obtenir pleine justice, n’éprouvera-t-il pas la tentation de rompre avec le régime fédératif? Or jamais Bourassa ne semble avoir sérieusement envisagé cette hypothèse. Quelle que soit la force de son affirmation canadienne-française, il a choisi d’être canadien, il ne voit pas comment il pourrait ne plus l’être. Avec le même accent d’indicible fierté, comme une bête de race qui se cabre dès qu’on veut lui passer le mors, il réclame toujours un pays autonome, un pays vraiment bilingue où les religions seront vraiment libres, toujours on lui ferme la porte au nez, mais toujours il s’obstine dans sa double volonté. Il explique ses échecs et il recommence. On n’a jamais été canadien avec autant de conscience et d’obstination.
Même il se tournera farouchement contre ses disciples ou ses alliés du nationalisme exclusivement canadien-français, quand ceux-ci, tirant des conclusions de ses échecs répétés et de son peu d’action sur les Anglo-Canadiens, pencheront vers l’isolement ou le séparatisme.
– IV –
Avant d’aborder cette période de crise, il nous reste pourtant à examiner sommairement un autre aspect de la question.
Bourassa fut toujours un esprit très religieux, un libéral ultramontain, que Laurier qualifiait de «castor rouge». Les problèmes moraux l’ont intéressé dès sa jeunesse, mais plus il allait et plus il leur accordait la première place.
Nous disposons d’assez peu de documents pour analyser dans sa source un sentiment aussi intime et aussi profond. Nous ignorons dans quelle mesure des deuils familiaux, des malheurs individuels, la fatigue qui accompagne nécessairement une large activité publique et en fait ressortir la vanité, la conscience des responsabilités déjà encourues, sans compter d’autres facteurs encore plus personnels comme une tendance au scrupule, ont pu aviver son inquiétude religieuse et l’aiguiser peut-être jusqu’à l’angoisse. Ici, plutôt que d’échafauder des hypothèses, nous préférons avouer que nous savons peu de chose.
Mais nous trouvons dans ses écrits les traces de cette préoccupation sans cesse plus envahissante, d’une pensée morale et religieuse toujours plus affinée et nourrie de vie intérieure.
La langue et la foi
Dans un esprit comme celui de Bourassa, les questions de langue et de foi ne sont jamais séparées. D’abord la foi est partout chez elle. Puis les conditions mêmes de la vie française en Amérique impliquent entre les deux un lien à la fois accidentel et vigoureux.
Bourassa avait plusieurs fois rencontré le problème. On le trouve au centre de son fameux discours de Notre-Dame: il faut une vie intérieure déjà intense et une doctrine bien établie pour s’exprimer avec cette souveraine aisance, sans une seule fausse note et au cours d’une improvisation, sur un sujet aussi complexe. (25)
La thèse de Bourassa, exprimée en termes froids, revient à ceci: «L’Eglise catholique, précisément parce qu’elle est catholique, n’est et ne sera jamais l’Eglise d’une époque, d’un pays, d’une nation… Mais si l’Eglise ne peut être la chose d’une race ou d’une nation, elle les reconnaît toutes, les respecte et les protège également – les victorieuses et les vaincues, les fortes et les faibles, les riches et les pauvres». Elle consent à s’y adapter mais «ne peut être ni française ni anglaise. Elle ne peut non plus asservir une race à l’autre».
«Lier la cause de l’Église à celle de la race et de la langue française au Canada serait une erreur. Faire de l’Église un instrument d’assimilation anglo-saxonne serait également absurde et odieux». (26)
Pourtant il se trouve que chez nous la langue est gardienne de la foi: Bourassa l’établit en 1918 dans une brochure dont les arguments nous sont devenus familiers (27), mais il les expose avec une grande prudence de langage et d’infinies précautions. Les limites de la thèse sont aussi fermement indiquées que la thèse elle-même. Il n’en reste pas moins que pour lui la langue française – «la vraie langue française» – est un «véhicule de la foi»: il l’exalte dans des pages où éclate son amour de la clarté, de l’ordre, des valeurs rationnelles et cérébrales; sans doute, à côté de «la vraie» il y a l’autre qui, depuis deux siècles fut «la langue du mal et de l’Esprit du mal, la langue de l’enfer et de Satan. Corruptio optimi pessima». (28) Mais nous avons échappé à cette contamination. Aussi, «notre tâche à nous, Canadiens français, c’est de prolonger en Amérique l’effort de la France chrétienne; c’est de défendre contre tout venant, le fallut-il contre la France elle-même, notre patrimoine religieux et national». Ce patrimoine demeure «le foyer inspirateur et rayonnant» de «toute l’Amérique catholique». Nous sommes «seuls à pouvoir remplir (cette tâche) en Amérique». (29) Nous la remplirons à condition de garder la langue pure et, surtout, la foi vivante. – L’ensemble de ce texte est dans la ligne du discours de Notre-Dame; pourtant il en pousse plus loin les conclusions, il tend à accorder plus de valeur propre à la langue et Bourassa sentira plus tard (1935) le besoin d’en désavouer quelques pages, quoique l’ensemble soit solidement pensé et empreint de charité pour les nationalités dont il lui arrive de parler. (A ce sujet d’ailleurs, quelles que soient ses violences de langage contre les impérialistes, les gouvernements persécuteurs ou les prélats assimilateurs, je ne me souviens pas avoir lu sous sa plume de jugements sans appel contre tel ou tel groupe ethnique. Il n’existe pas de «races» que Bourassa déteste, ni contre lesquelles il tente de soulever le préjugé).
L’évolution
Durant les années qui suivent immédiatement la guerre, (est-ce une illusion?) il nous semble que la pensée de Bourassa s’inspire plus directement et plus littéralement de la parole des Papes. Le conflit universel l’a-t-il écoeuré de toutes les références temporelles, et aurait-il trouvé dans les appels à la paix de Benoit XV une inspiration particulièrement chaleureuse? Ses divergences avec une partie de l’épiscopat sur les problèmes de guerre, c’est-à-dire sur un sujet où les catholiques sont libres, l’auraient-elles inquiété lui-même, et lui auraient-elles fait éprouver le besoin d’un appui plus immédiat chez le chef de la catholicité? Il ne saurait s’agir, chez l’ultramontain de toujours, que d’une question d’accent, mais nous croyons reconnaître chez lui une méditation plus acharnée des textes pontificaux.
Son esprit n’a cessé de s’enrichir, il est plus inquiet de doctrines, sa connaissance de l’histoire lui fournit des précédents, des avertissements. Il s’isole davantage et poursuit sa route propre.
Et puis il s’est produit un fait, sur lequel Bourassa lui-même s’est expliqué à diverses reprises depuis et qui a comme polarisé toutes ses craintes: l’audience privée avec Pie XI durant son voyage à Rome en 1926.30 Il ne faut ni en minimiser, ni en surfaire l’importance. Le fondateur du Devoir, le créateur d’un nouveau nationalisme, écoute durant une heure «une conférence sur ce qu’il y a de légitime et d’illégitime (dans) le nationalisme contemporain». Ce fut très certainement un choc; mais Bourassa était prêt à entendre ce que le chef de la chrétienté lui a dit: nous le constaterons dans un instant par un texte de 1920, et c’est encore un domaine où il serait facile de multiplier les citations. Néanmoins, après cette longue et forte entrevue, Bourassa s’estimera chargé d’une mission précise.
– V –
Le premier signe de division avec ses disciples, nous le trouvons dans un article de 1920:
Ce texte me semble révélateur. En somme, il ne contredit rien du Bourassa antérieur (sauf le mot accessoire, que j’ai souligné), mais il montre comme l’accent se déplace. La lutte pour la langue et la culture française sont «légitimes en soi»; retenons-le, car ces mots ne sont pas écrits par distraction ou par concession; Bourassa croit à la légitimité des luttes qu’il a menées. Seulement, il leur accorde moins d’importance en vieillissant. Car il regarde leur objet comme subordonné à la lutte pour la foi et le droit paternel (allusion évidente aux campagnes contre le règlement XVII en Ontario). Il va jusqu’à la déclarer «accessoire», ce qui lui enlève toute valeur propre; langue et traditions doivent être conservées, «surtout», parce qu’elles aident à soutenir «l’ordre social catholique»; elles n’ont qu’une valeur d’étai, surtout. Il y a derrière ces mots une conception religieuse que j’ai baptisée jadis d’un mot passe-partout, jansénisme, et qui consiste à diminuer la valeur propre de la créature, à ne lui reconnaître de richesse qu’en fonction directe du Créateur. Ici Bourassa se sépare non seulement des nationalistes canadiens-français, mais de tous les chrétiens qui reconnaissent une splendeur dans la créature elle-même, et sans nier la référence essentielle, ne ramènent pas la créature à une simple référence. Il ne s’agit bien entendu que de tendances. – Enfin, il y a du mépris dans l’allusion aux «activités un peu étroites»; distance de l’homme occupé à de vastes problèmes et qui trouve que les choses du Canada français ne sont pas le bout du monde.
Dans un autre article de la même époque, voici une formule également significative. Bourassa parle de l’Eglise, comme force internationale. Il cite alors Charles Maurras, mais fait précéder sa citation d’un jugement catégorique:
Ceci nous mènerait au problème de l’influence exercée par Maurras sur le nationalisme canadien-français en général et sur l’Action française (de Montréal) en particulier. Je la crois plus mince qu’on ne l’a pensé et que ne l’a cru Bourassa lui-même. Mais il est vrai que les intellectuels nationalistes passèrent alors par un engouement maurassien, qu’ils lurent l’Action française (de Paris) avec ferveur parce qu’ils y trouvaient, dans une langue magnifique, des raisons de croire en la civilisation française, et que chez certains cela alla jusqu’à l’envoûtement. Il est remarquable que Bourassa ait flairé dès le début ce qu’il y a chez Maurras d’achrétien et d’excessif. Il a réagi avec une sorte de fureur sacrée contre ce qui lui apparaissait dès lors comme une déviation du sens religieux, contre un positivisme du catholicisme de droite.
On imagine ce que cela deviendra lorsqu’il croira reconnaître dans l’Action française (de Montréal) un appel au séparatisme. (33) Alors d’anciens disciples non seulement s’émancipent – et malgré sa noblesse de caractère il se peut qu’il en ait souffert, –mais ils se dirigent vers une solution qu’il avait écartée dès 1904, contre Tardivel. Seulement le temps a passé. Un Bourassa vieilli, tendu, un peu crispé dans sa foi, se trouve en face d’hommes plus jeunes, dont il suspecte les sources d’inspiration. Les vagues intuitions de Tardivel sont devenues un système de pensée vaguement hérésiarque à ses yeux.
Rien d’étonnant dans la réaction de Bourassa. Le nationalisme canadien auquel il s’est consacré depuis le début, sa peur des révolutions (en d’autres termes, la peur de devenir un nouveau Papineau), la façon dont il entend l’exigence chrétienne, tout se conjugue chez lui pour repousser l’orientation nouvelle.
Oui, il a constaté «la banqueroute de la confédération», mais il n’a jamais voulu lâcher. Il se tient par volonté, même aux heures du noir désenchantement, dans le sentiment d’une patrie canadienne. Il ne prend pas le séparatisme au sérieux. Il prend trop au sérieux le maurassisme de notre Action française. Alors, le 18 avril 1923, dans la deuxième de ses conférences sur Le Pape, médecin social, il passe à l’attaque. Il dénonce le «nationalisme immodéré» dont il trouve des traces jusqu’ici. Il poursuit en des termes que Le Devoir résume de la sorte:
La nouvelle «poussée séparatiste» (nous avons vu que l’expression est trop vigoureuse) se produit après l’action bourassiste, après ses luttes en faveur des minorités, luttes dont il faut bien constater qu’aucune ne fut pleinement victorieuse, ou du moins ne l’était à ce moment car l’abrogation du Règlement XVII est postérieure. Les disciples, consciemment ou non, prennent acte des échecs et leur tendance au séparatisme s’enracine dans le désespoir: je veux dire qu’ils ont, dans une large mesure, perdu foi dans la capacité de justice du régime confédératif, dans sa souplesse et finalement dans l’idée même du canadianisme, considéré comme une réalité exclusivement anglo-canadienne; ils ne voient plus comment le Canada français pourrait vivre pleinement au sein du Canada; et à la même époque ils sont convaincus que le Canada, absurdité géographique, et l’Empire britannique, tiraillé par des forces internes de désagrégation, ne sauraient survivre longtemps aux rajustements d’après-guerre. Mais Bourassa, lui, refuse toujours le désespoir. Il ne veut pas croire, profondément croire à la banqueroute de la Confédération, que pourtant il enregistre. Au surplus il estime la solution peu sérieuse, et en désaccord avec la réalité.
Il reprend l’exposé de sa pensée dans un discours plus large et plus mesuré, le 23 novembre 1923. Il note que peu de Canadiens sont vraiment canadiens et souligne le péril du provincialisme étroit et entêté. Sa dénonciation du séparatisme, «ni réalisable, ni souhaitable», est vive, précise et solide, mais sans rien de cavalier. Il réaffirme que nous sommes d’abord Canadiens, et définit une fois de plus les éléments de son nationalisme: l’un extérieur, la liberté, c’est-à-dire le refus de l’impérialisme britannique; l’autre intérieur, un «juste équilibre entre les deux races». Et les deux questions demeurent liées l’impérialisme ne sera vaincu que par «l’association des deux races-mères» – nous avons déjà vu que cela est capital dans la genèse sa pensée politique. En somme, son nationalisme demeure actif, vigilant et vigoureux, même sur le plan canadien-français; mais il en surveille davantage l’expression, et on le sent moins impliqué dans l’aventure. Il y a dans l’accent quelque chose de refroidi.
Pour des motifs religieux d’abord. Il me semble trouver à ce moment chez Bourassa un mélange d’intuition et d’illusion; intuition du péril que représente le maurassisme, illusion sur l’influence que celui-ci exerce au Canada français: le maître s’enferme un peu dans sa tour d’ivoire, ses jugements deviendront plus absolus, un peu divorcés de la réalité, et en même temps il lui arrivera de détecter des dangers réels que ses contemporains, désormais plus engagés dans l’action, ne font qu’entrevoir.
Il faut reconnaître que par moments l’âpreté du ton, la mesquinerie réelle de certains nationalistes, des mouvements parallèles comme l’antisémitisme – pratiqué à fond par des hommes qui n’étaient d’ailleurs pas reliés au mouvement nationaliste –, et l’agressivité des plus jeunes semblaient justifier des condamnations rigoristes.
Mais on en arrivera à ce résultat en apparence paradoxal: d’un homme qui a fondé le nationalisme canadien (on sait en quels termes), qui ne cesse pas d’entretenir pour «les siens» un évident amour de préférence, et qui prend pour l’une de ses cibles favorites le mouvement nationaliste canadien-français. Dans cette perspective, l’attitude devant l’affaire de Providence ou les conférences de 1935 se trouve éclairée et expliquée.
– VI –
Car j’en arrive aux trois conférences de 1935 à la Palestre Nationale.
L’impression générale, à la lecture (35), ne correspond pas exactement à celle que nous avions éprouvée comme auditeurs à l’époque. Nous vérifions une fois de plus que ce qui se communique dans un discours, ce ne sont pas tant les idées toutes nues que l’émotion de l’orateur.
L’accent a incontestablement changé, depuis l’époque où Bourassa défendait la cause du Canada français, et nous savons pourquoi; n’y aurait-il pas chez lui, en outre, un goût pour les vérités impopulaires, une sorte de faiblesse pour les causes menacées? L’homme que j’ai entendu à la Palestre ne se renie pas; mais, effrayé par le bruit que font ses idées dans le milieu où il les a clamées, il se demande si ses attitudes passées ne contenaient pas des ferments dangereux, et il réexamine tout le dossier contre ses disciples.
Il fait d’abord le procès du nationalisme contemporain, de ce «nationalisme sauvage» qui, à l’époque, ne l’oublions pas, s’incarne dans Hitler et Mussolini. Dès le second paragraphe, il prononce le mot d’«hérésie», pour affirmer bientôt que le nationalisme n’en est pas une; Bourassa le rangerait plutôt parmi les «vertus devenues folles» dont vient de parler Chesterton. Depuis le 16e siècle, écrit-il, «les doctrines qui s’écartent de la vérité catholique sont plutôt d’aventureuses tendances d’esprit que la négation formelle d’une vérité dogmatique ou morale ou que l’affirmation positive d’une contrevérité». Poussées à bout, elles aboutissent au rationalisme ou au naturalisme. Mais, écrit Bourassa avec une grande finesse psychologique:
Puis, du haut de ce promontoire, il étudie le nationalisme canadien, sentiment naturel à son origine, et qui s’est peu à peu exaspéré. Bourassa analyse une fois de plus le développement de sa propre pensée, pour convaincre ses auditeurs sans doute, mais peut-être davantage pour se convaincre lui-même qu’il n’a pas erré gravement, et pour rassurer son angoisse intérieure.
La seconde conférence est consacrée au nationalisme religieux, si présent «en Canada. .. qu’on ne le voit pas». Il en donne des exemples tirés des luttes pour les écoles minoritaires, des querelles entre Irlandais et Français au sein de l’Église canadienne, etc. Il raconte l’audience de 1926 avec Pie XI, d’où il a tiré que son «principal devoir» serait de «combattre le nationalisme» (37), l’excessif, bien entendu, mais Bourassa ne s’embarrasse plus toujours de distinctions. Il est dommage que nous ne possédions pas un texte sténographique de cette conférence, la plus dure, si mes souvenirs sont exacts.
La dernière causerie s’intitule «conflit des nationalismes religieux». Elle traite, d’abord des rapports de I’Eglise et de l’Etat, en doctrine et dans l’histoire canadienne; Bourassa met en relief le gallicanisme dont nous avons souffert. Mais tout cela n’est qu’une préface à son vrai sujet: l’antisémitisme. Ici nous lisons de nobles pages, percutantes et justes, sur les excès, l’incompréhension et les criminelles niaiseries de la lutte systématique menée contre les juifs.
Ces pages ont fortement influencé les jeunes Canadiens français, elles ont peut- être, avec certains articles d’Olivar Asselin, empêché le «néo-nationalisme» de s’embarquer dans cette aventure de folie furieuse. L’indignation s’exprime par de légères moqueries, une ironie serrée et du sarcasme; Bourassa est ici dans la vie réelle, il y plonge, il y nage à contre courant. A l’époque, aucune page de lui n’a cette vivacité, ce bonheur d’expression. Il termine par un beau plaidoyer en faveur du «sens de l’universalité, que le nationalisme [outrancier] est en train de détruire dans tous les pays chrétiens», le sens de l’unité et de l’autorité de l’Eglise, le sens, enfin, de la charité. Il force ainsi les jeunes qui se réclamaient de lui à réexaminer leurs positions, et contribue à purifier le nationalisme chez les siens.
Il est très sévère pour eux. Il a cette phrase sur ses disciples: «pendant qu’ils volaient à tire d’aile dans une direction, je marquais un temps d’arrêt». Chez eux il croit reconnaître une «déviation du sens national et du sens religieux», il les peint en «fomenteurs de haines de race, de dissentions civiles et religieuses», il dénonce les «poussées ultérieures du nationalisme outré et les révoltes sacerdotales ou laïques contre certains évêques irlandais du Canada et des Etats-Unis».
Mais tout cela, moins l’agressivité tournée contre ses alliés de la veille, moins cet air de vieillard encore vert mais attelé à une tâche qu’il n’aime pas et dont il s’estime investi, cet air d’homme intérieurement déchiré et malheureux – tout cela est en lui depuis le début. Il n’a pas à se contredire pour proclamer la primauté de la foi, la nécessité d’une collaboration anglo-française au Canada, ou l’importance du rôle joué par les catholiques irlandais aux Etats-Unis. (38)
La confession publique
Et il prend soin de bien en témoigner car avant de procéder à l’examen de conscience des autres, il a fait une confession publique de ses péchés. Bourassa est alors au moment de sa plus vive opposition au nationalisme canadien-français. Qu’est-ce qu’il va condamner dans son oeuvre à lui? A peine quelques franges de sa pensée, deux ou trois excès de langage amplifiés et systématisés par ses amis.
S’étant relu, attentivement et dans l’esprit que l’on sait, il confessera cinq péchés. Examinons ces pages d’auto-critique.
1er péché – Dans son discours au Congrès de la langue française (1912), il a dit à peu près ceci: on nous reproche d’être plus français que catholiques. Point de vue superficiel; ce qui paraît le justifier, c’est que nous estimons la langue une sauvegarde humaine de la foi. Comme d’autre part, elle n’a pas de promesses d’éternité, il faut donc la défendre virilement.
Là-dessus, Bourassa commente, en 1935: «On en pourrait conclure que le premier devoir des Canadiens français laïques, c’est de défendre leur langue. C’est cela que je veux désavouer», car le devoir de religion, qui vaut pour tous, prime tous les autres. – En réalité Bourassa n’a jamais prétendu autre chose, et son interprétation le calomnie.
2e péché – Au congrès eucharistique de Lourdes, Bourassa a dit que chez nous «les hérésies n’ont pas pris racine». Or, réplique l’homme de 1935, nous avons subi l’influence du jansénisme, du libéralisme et surtout du gallicanisme.
3e péché – Durant la guerre, à plusieurs reprises, le directeur du Devoir a revendiqué «le droit des Canadiens à disposer d’eux-mêmes» (principe des nationalités), et à pratiquer le même égoïsme sacré qu’Anglais et Européens. Or, on ne combat pas le mal par le mal: c’était une erreur.
4e péché – Dans La langue gardienne de la foi (1918), après quelques principes justes, «je m’appliquais à démontrer que la langue française constitue, en Amérique, le principal auxiliaire humain de la foi catholique, des traditions catholiques. Voilà l’exagération, d’autres l’ont reprise et poussée à l’extrême». Cette tendance à une «religion nationalisée», «je l’ai toujours combattue et je désavoue tout ce qui, dans mes paroles et mes attitudes passées, a pu contribuer à l’entretenir». – C’était, je crois, la partie la plus utile de cette confession; mais Bourassa n’avait pas à rompre avec le nationalisme religieux, ne l’ayant jamais pratiqué.
Enfin, 5e péché – «En 1921, au cours d’une improvisation peu réfléchie, j’en avais parlé [d’un Etat français et catholique] comme de l’une des possibilités de l’avenir – 20 ans, 30 ans…» Ce fut un «péché accidentel», une «fugue», il s’en repent, car l’esprit séparatiste mène à l’antagonisme de race. – De toute évidence, cette faute-là ne porte guère à conséquence, toute la vie politique de Bourassa, avant comme après 1921, est en opposition au séparatisme.
Et c’est tout. Voilà des péchés qui tiennent dans le creux de la main. De songer que Bourassa, au plus fort de sa réaction antinationaliste, n’ait retranché de son oeuvre que quelques phrases – dont quelques-unes seulement avaient de la gravité –; qu’il ait choisi cet instant pour réaffirmer le discours de Notre-Dame, car il l’a fait en termes précis, ne rejetant que certaines interprétations abusives du texte fameux; qu’il riait pas renié ses luttes si fréquentes et si acharnées pour l’école française, la culture française, les droits du français au Canada, sa défense sans enthousiasme mais sans défaillance de l’autonomie provinciale: cela montre à quel point, séparatisme et nationalisme religieux mis à part, les différences avec ses amis et disciples étaient peu profondes, et comme le malentendu tenait largement à des mots et à des conflits de personnalités. Le contenu intellectuel de son oeuvre est allé s’élargissant; il n’a pas changé profondément.
Aussi quand viendront, avec les dernières années, un grand apaissement, et avec la guerre, un renouvellement de ses idées anticolonialistes, le rapprochement avec ses amis d’hier se fera sans drame. Au midi de sa carrière, peut-être étaient-ils moins proches les uns des autres qu’ils n’avaient cru, mais vers la fin, beaucoup moins éloignés que tous, lui compris, ne l’ont pensé et dit.
* * * * *
Alors comment, en conclusion, Bourassa va-t-il nous apparaître?
Il était d’abord Canadien-français – français jusqu’à la moëlle, nerveux, raisonneur, impressionnable, savoureux à la française, ironique ou âpre ou violent à la française; même devenu par admiration et application parlementaire britannique, il a des saillies, des drôleries, des coups d’éloquence qui rompent le cadre traditionnel et révèlent ce qui donnait de force, de volonté, de saveur personnelle et parfois d’insolence chez cette espèce d’aristocrate français.
Il était d’abord canadien-français, ayant bu tous les sucs du terroir, frayé avec les petites gens et acquis quelque chose de leur langage, inspiré par ce qu’il appelait le génie de sa race, jamais plus éloquent que lorsqu’il exaltait la langue, la culture et les droits des siens – jamais, sauf lorsqu’il revendiquait la liberté de son pays.
Car il y a chez lui une volonté d’indépendance personnelle; il n’accepta qu’un seul joug, celui de l’Eglise, – parfois avec des frémissements d’impatience lorsqu’il se trouvait en face d’un clerc ou d’un évêque égarés hors de leur domaine propre; presque toujours, et toujours devant le chef de la catholicité, dans la plénitude la plus intégrale, – avec un littéralisme qui étonne chez un esprit de cette classe: ne serait-ce pas la traduction intellectuelle d’une inquiétude intérieure constamment combattue et refrénée? Alors il se veut un petit enfant, il accepte tout, il en remettrait plutôt; et il prêche la même forme de soumission à ses contemporains, il leur fait la morale, et quoiqu’il y mette tout son coeur et que son information soit très vaste, il reste alors je ne sais quoi de tendu et de fermé (à la manière de Louis Veuillot) qui l’empêche de communiquer toutes ses richesses intérieures. Il y a de l’héroïsme dans sa façon de brider sa fougue, sa naturelle pétulance, la petite tendance anarchiste qui dormait au fond de lui.
Mais les servitudes temporelles, il les a toutes refusées: qu’elles s’appellent gloires acquises, partis, empire. D’abord et avant tout il n’accepta pas d’être un colonial, il n’accepta pas pour son pays le destin de colonie. C’est sur le plan humain la grande bataille de sa vie, son oeuvre de prédilection.
Sans doute est-ce même l’Empire britannique qui fit de lui un Canadien au sens large. Il avait, je crois, beaucoup emprunté à Laurier l’idéal de «l’unité nationale»; je doute que cet idéalisme de jeunesse eut résisté aux échecs que les Anglo-Canadiens infligèrent aux campagnes qu’il entreprît par souci de la justice et par amour des siens. Mais il était engagé dans une lutte qui l’absorbait encore davantage – celle au bout de laquelle il voyait l’émancipation de son pays, enfin libéré d’un esclavage inacceptable. Il avait réfléchi que cette oeuvre ne serait possible que dans l’union des Anglo-Canadiens et des Canadiens français. Estimant dès sa jeunesse le séparatisme un rêve venu trop tard ou trop tôt, le regardant bientôt comme une chimère dangereuse, proche parente du «nationalisme sauvage» que son catholicisme lui faisait rejeter, il concluait que le Canada entier serait libéré à condition que les Canadiens cessent de se battre les uns contre les autres.
Seulement, il ne rejetait pas une sujétion pour en subir une autre; en guerre contre la tyrannie de l’empire, il n’allait pas subir dans «sa race» la tyrannie de la majorité. Pour lui, d’ailleurs, nous l’avons vu, Canadien est un terrain de rencontre et d’amitié, non le lieu où s’opérerait une fusion mortelle aux groupes minoritaires. Avec son goût du paradoxe et son mépris congénital pour tout ce qui est basse flatterie, il prêche volontiers et de plus en plus le canadianisme aux Canadiens français, et les droits du Canada français aux Anglo-Canadiens. Canadien-français par instinct, il ratifie par volonté le mariage de raison imposé par les faits aux deux collectivités nationales; tantôt par sentiment de la nécessité, tantôt avec une foi dynamique en la patrie canadienne de demain.
Mais rien ne devait totalement satisfaire un esprit aussi entier, rien sinon l’absolu. La pensée religieuse de Bourassa est donc allée s’appronfondissant [sic]. Peu à peu le reste, malgré quelques retours de flamme, lui est apparu peu de chose. Nous avons cru qu’il se mettait en contradiction avec lui-même, c’était une vue simpliste. Certes il a évolué, mais jamais au point de mettre en cause ses idées de fond.
The point about Bourassa, vient d’écrire un universitaire de Toronto à l’un de mes amis, the point about Bourassa is that he does not belong to French Canada alone. C’est vrai. Par ses luttes, Bourassa appartient au Canada entier. Aussi est-il l’objet de curiosités nouvelles; dans plusieurs universités anglo-canadiennes, des professeurs et des élèves préparent des thèses à son sujet, et la recherche est peut-être plus intense de leur côté que du nôtre.
Bourassa est un magnifique exemplaire de Canadien: il est l’homme qui refuse les servitudes, mais accepte toutes les fidélités. Son adhésion au Canada ne fut pas préfacée par sa démission comme Canadien français. Il est l’homme qui s’asseoit à la table commune, mais ne choisit pas de s’y laisser oublier: il veut qu’on l’accueille, non qu’on l’exploite, et il prétend se faire accepter tout entier, comme lui-même accepte loyalement le partenaire. Tel est, nous semble-t-il, le nationalisme canadien de Bourassa, qui divisa ses contemporains, mais contribuera à unir les Canadiens d’aujourd’hui.
(1) Il aurait au moins fallu écrire «en 1926». (2) Page 39, Grande-Bretagne et Canada, imprimerie du Pionnier, Montréal, 1901. Les soulignés sont de nous. (3) Pages 39-40, ibidem. (4) Page 40, ibidem. (5) Pages 40-42, ibidem. (6) Page 40, Grande-Bretagne et Canada, ibidem. (7) Pages 10 et 11, Le Patriotisme Canadien-Français, la Cie de Publication de la Revue Canadienne. Montréal, 1902. (8) Page 13, ibidem. (9) Page 13, ibidem. (10) Pages 13 et 14, ibidem (11) Page 14, ibidem. (12) Page 33. Pour la Justice, discours prononcé au Monument National le 9 mars 1912. – Imprimerie du Devoir, Montréal. Les soulignés sont de nous. (13) Le Devoir, son origine, son passé, son avenir. – Discours au Monument National, le 14 janvier 1915. (14) Cf. par exemple, French and English, recueil d’articles, et Ireland and Canada, conférence prononcée à Hamilton à l’occasion de la St-Patrice (deux plaquettes imprimées au Devoir, en 1914). (15) Cf. La Langue française au Canada, discours au Monument National le 19 mai 1915. Il y compare couramment, en pleine guerre contre l’Allemagne, les persécuteurs ontariens aux Prussiens, et reprend la question du sénateur Landry: de savoir «si la Confédération a été un pacte d’honneur ou un piège d’infamie». Il exalte la langue française avec lyrisme, etc. (16) Pages 39 et 40. Le Devoir et la guerre. Le conflit des races. – Discours au banquet des «Amis du Devoir», le 12 janvier 1916. (17) P. 20, La Concription, Editions du Devoir, Montréal, 1917. (18) Page 78, La presse catholique et nationale, Imprimerie du «Devoir», Montréal, 1921. (19) Bourassa en a groupé plusieurs dans une brochure de 1930: «Le Devoir, ses origines, sa naissance, son esprit». Aux éditions du Devoir, Montréal. (20) La Vérité, 1er avril 1904, page 5. (21) Le Nationaliste, 3 avril 1904, page 2. (22) Ibidem. (23) Ibidem. – Tardivel ne fut pas convaincu. Il apporta, dans la Vérité du 15 mai et du 1er juin 1904, des objections dont certaines n’ont pas cessé d’avoir du poids. (24) A ce sujet, sa clairvoyance (d’ailleurs partagée par Laurier) lui fait repousser en principe l’idée de subsides fédéraux pour asseoir le budget provincial. Bourassa voyait plus loin que les autonomistes de son temps. (25) On peut le relire, avec les documents annexés, dans l’Hommage à Henri Bourassa publié par Le Devoir du 25 octobre 1953. (26) Le Devoir, 20 juillet, 1910. (27) La langue gardienne de la foi: Bibliothèque de l’Action française, Montréal, 1918. (28) Ibidem. Pp. 41-45. Inutile de rappeler que cette façon de voir est traditionnelle chez nous; nous l’avons empruntée aux catholiques français du 19e siècle; Bourassa l’a trouvée chez Louis Veuillot, son auteur de chevet, qu’il cite abondamment, et dont l’enthousiasme paraît ici assez défraîchi. (29) Ibidem, pp. 49-50. (30) En 1935: «la meilleure et la plus forte leçon de ma vie». En 1944«L’audience fut calme…»; «je n’ai pas besoin de vous dire que je suis sorti de là raffermi, réconforté, éclairé pour le reste de mes jours». (31) Le Devoir, 9 novembre, 1920. (32) Reproduit dans La presse catholique et nationale; Imprimerie du Devoir, Montréal, 1921. (33) Qu’on relise l’enquête de 1922, sur Notre avenir politique. Elle n’est pas à proprement parler un appel à la sécession, mais elle contient, sans aucun doute, un ferment séparatiste. (34) Le Devoir, 19 avril 1923, page 2. (35) Nous avons en mains: (1) pour chacune des conférences, les résumés du Devoir (1er , 9 et 16 mai 1935; ils sont schématiques et anodins) et les notes manuscrites utilisées par Bourassa comme aide-mémoire; (2) Pour la conférence du 30 avril, sténographie inédite, revue et corrigée par l’auteur; (3) pour la conférence du 15 mai, une sténographie inédite. – Les inédits cités dans cet article nous ont fort aimablement été prêtés par la famille de M. Bourassa. (36) P. 2; Le nationalisme est-il un péché?, conférence du 30 avril, compte rendu sténographique. (37) Cf. l’aide-mémoire inédit de Bourassa. (38) Voir par exemple, pp. 3 et 4. La langue française et l’avenir de notre race, discours prononcé devant le premier Congrès de la langue française au Canada, à Québec, le 28 juin, 1912. Québec, l’Action Sociale Ltée, 1913.
Source: André Laurendeau, «Le nationalisme de Bourassa», dans En collaboration, La Pensée de Henri Bourassa, éditions de l’Action nationale, 1954. 245p., pp. 9-56. Article transcrit par Chun Fan Tse. Révision par Claude Bélanger. Des fautes typographiques mineures ont été corrigées à travers le texte.
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© 2004
Claude Bélanger, Marianopolis College |