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Déclaration publique de Lucien Bouchard au moment de sa démission [Note de léditeur : Le document reproduit ici est le texte intégral du discours prononcé par M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec, au moment de lannonce de sa retraite de la politique. Ce discours a été prononcé, le 11 janvier 2001, au Salon rouge de lAssemblée nationale du Québec devant la galerie de la presse et les principales personnalités du gouvernement; il a aussi été retransmis directement à la radio et la télévision québécoises. Dans ce texte, il y explique les raisons pour sa démission. Pendant de longs moments, M. Bouchard a discuté des principes soulevés par laffaire Michaud, bien quil ait indiqué que la controverse navait de nulle façon motivée sa démission. Néanmoins, quil ait soulevé la question de façon si étendue, et à un moment aussi solennel, indique bien limportance quil donnait aux vues quil exprime dans le document.] «Chers concitoyens, chères concitoyennes, J'ai mis à profit les vacances des Fêtes pour me livrer à une réflexion approfondie sur mon engagement dans la vie publique. Ce répit m'a surtout permis de faire le point sur l'efficacité de mon apport à la promotion de la souveraineté. J'ai décidé de mettre fin à ma participation aux affaires publiques et de résigner ma fonction de premier ministre du Québec. C'est avec fierté que j'ai rempli cette charge au cours des cinq dernières années. Malgré ce qu'elle exige d'énergie, d'ouverture d'esprit et d'endurance, j'ai eu beaucoup de satisfaction à l'assumer. Il n'est pas de mon propos aujourd'hui de dresser la liste de nos réussites gouvernementales. Il suffira de rappeler que mon gouvernement a réorienté l'avenir du Québec en matière de finances publiques, d'économie, de fiscalité, de santé, d'éducation, de progrès social et d'organisation municipale. On m'accordera que je n'ai jamais hésité à prendre les problèmes de front et que j'ai toujours voulu faire avancer le Québec, avec la constante préoccupation d'être le premier ministre de toutes les Québécoises et de tous les Québécois. J'avais dit que j'oserais et je crois l'avoir fait dans toute la mesure du possible. Depuis plus de dix ans, je mène dans des postes électifs le combat de la souveraineté. A cet égard, il me faut bien constater que les fruits de mon action sont moins probants, les temps forts ayant alterné avec les revers. Je me suis astreint à faire sans complaisance en particulier le bilan de mes efforts pour réaliser la souveraineté du Québec, depuis que je dirige le Parti Québécois. Car en plus de ses obligations de premier ministre, un chef de parti est également lié par les engagements politiques qu'il partage avec sa formation et, dans le cas du Parti Québécois, le premier d'entre eux est de réaliser la souveraineté du Québec. C'est dans le but de contribuer à la construction d'un Québec souverain que j'ai fondé un parti à la Chambre des Communes où il a ultimement formé l'opposition officielle. Le même combat m'a jeté, avec toute la persuasion et la détermination dont j'ai été capable, dans la campagne référendaire de l995, aux côtés de monsieur Jacques Parizeau. Je me suis assigné le même objectif, au moment de prendre charge de la direction du parti, en 1996. Nous sortions d'une campagne référendaire qui nous avait amenés aux portes du nouveau pays. Il est vrai qu'une amère déception avait succédé, le soir du référendum, à l'exaltation que la quasi-assurance d'une victoire nous avait fait auparavant éprouver. Néanmoins, la poussée souverainiste avait été telle qu'elle justifiait l'espérance d'atteindre l'objectif dans un proche avenir. J'avais encore en mémoire la vision de ces foules enthousiastes qu'aucune salle n'arrivait à contenir, durant les dernières semaines de la campagne. Je revivais la solidarité du Parti Québécois, du Bloc Québécois, de l'ADQ et des autres partenaires du camp du changement. Je me disais que cet élan magnifique, qui avait porté si près du but le peuple québécois, le propulserait à nouveau en avant, et très tôt. L'heure n'est pas aux longues analyses, mais le fait est que ces espoirs ont été jusqu'à maintenant déçus. Sans doute des problèmes pressants nous ont-ils tout de suite interpellés. Sans doute avons-nous réussi à dégager les consensus qui nous ont permis de juguler le déficit chronique du Québec, de relancer l'économie à Montréal et dans les régions et de créer des emplois qui ont permis, entre autres, d'intégrer au marché du travail un grand nombre d'assistés sociaux. Mais, fait-on remarquer, avec raison, nous n'avons pas réussi pour autant à accroître la ferveur souverainiste. La prise en charge de nos obligations gouvernementales devait-elle fatalement retarder la réalisation de la souveraineté? D'une part, l'intérêt public et les responsabilités gouvernementales dont nous étions investis nous faisaient obligation de redresser la situation économique et financière du Québec. D'autre part, nous avions bien vu qu'en mettant la maison en ordre, nous donnerions plus de crédibilité à la construction d'un Québec souverain. J'ai cru et je crois encore que l'un des meilleurs moyens de convaincre le peuple québécois de sa capacité de se gouverner lui-même, avec toutes les ressources et tous ses pouvoirs, c'est de lui faire la démonstration concrète de son potentiel et de celui son État. En rompant une séquence de 40 années de déficits, en restaurant la crédibilité de notre gestion financière, en réduisant le taux de chômage à son niveau le plus bas depuis un quart de siècle, en entrant de plain-pied dans la nouvelle économie et en accentuant notre progression sociale, n'avons-nous pas pourvu d'assises plus solides l'avenir politique que choisiront les Québécoises et les Québécois? Tout cela étant dit, je reconnais que mes efforts pour relancer rapidement le débat sur la question nationale sont restés vains. Il n'a donc pas été possible d'engager une démarche référendaire à l'intérieur de l'échéancier rapproché que nous aurions souhaité. De même les Québécois sont-ils restés étonnamment impassibles devant les offensives fédérales comme l'union sociale, le programme de bourses du millénaire, la création de chaires universitaires de recherche, l'adoption de la loi C-20, laquelle vise à rien moins que de restreindre notre capacité de choisir notre avenir politique. En tous les cas, s'il y avait mécontentement, les résultats du dernier scrutin fédéral ne l'ont guère exprimé. Pourtant, les enjeux sont plus pressants que jamais. Il faut de toute nécessité secouer l'indifférence affichée envers l'asphyxie que nous prépare le déséquilibre fiscal entre les deux niveaux de gouvernement. Il importe de faire voir combien précaire demeure l'équilibre de nos finances publiques. Alors qu'Ottawa ne cesse d'engranger les surplus, notre État national ploie sous des dépenses croissantes, avec des revenus qui ne pourront manifestement pas suivre la même courbe. Conjugué avec les brutales et innombrables intrusions fédérales dans nos champs de compétences, ce phénomène acculera inexorablement l'État québécois à l'incapacité de financer le coût de ses missions essentielles. Ceci le rendra encore plus vulnérable aux visées d'un gouvernement fédéral déterminé à nier l'existence du peuple québécois et à restreindre le champ d'action de son État. Cette menace est imminente et elle pèse sur nous tous, de quelque allégeance que nous soyons. J'assume toute la part de responsabilité qui m'échoit pour n'avoir pas réussi à raviver la flamme et à sensibiliser nos concitoyens à la gravité de la situation. Je tire donc pour moi les conclusions qui s'imposent. Ce gouvernement a encore deux ou trois ans de mandat. Je me résous à ouvrir aux membres du Parti Québécois la possibilité de se donner un chef qui saura, mieux que moi, raffermir le militantisme, intensifier le sens identitaire du peuple québécois et faire avancer la cause de la souveraineté, le seul projet qui puisse offrir une voie d'avenir aux Québécois. Cela doit passer par la revitalisation du projet souverainiste, qui ne peut se faire autrement qu'en droite ligne avec l'héritage de René Lévesque, c'est-à-dire, dans un esprit de respect démocratique, de générosité et d'ouverture à toutes et à tous, sans égard à leur origine ethnique et culturelle. Je vois ainsi dans mon départ l'occasion d'un débat de fond, comme plusieurs le souhaitent, et même le moyen d'un renouveau pour le parti. J'ai confiance dans l'avenir des Québécoises et des Québécois car je les sais capables de grandes choses, individuellement et collectivement. On me permettra d'ajouter, sans qu'il s'agisse d'une cause de mon départ, que je n'ai pas le goût de poursuivre quelque discussion que ce soit sur l'Holocauste et sur le vote des communautés ethniques et culturelles. Je ne parviens toujours pas à comprendre comment le débat linguistique en est venu à dévier vers la quantification comparée des souffrances du peuple juif et l'intolérance que manifesteraient des citoyens québécois en ne votant pas pour la souveraineté du Québec. Comme il fallait s'y attendre, les déclarations en ce sens ont fait du tort à la réputation du Québec à l'étranger. Ici même, elles n'auront certes pas amélioré la capacité des souverainistes de convaincre ceux et celles qui sont visés. On peut aussi penser qu'elles outragent des membres des communautés concernées qui ont déjà manifesté de l'ouverture, voire une adhésion, à la réussite du projet souverainiste. J'ai la conviction que sans l'intervention de l'Assemblée nationale le dommage eut été beaucoup plus lourd. C'est pourquoi j'ai été surpris par les protestations qu'a suscitées l'adoption de la résolution unanime de cette Assemblée sur le caractère inacceptable des propos qui ont lancé cet étrange et dangereux débat. Plusieurs dizaines de personnalités ont signé une condamnation publique de la résolution de l'Assemblée nationale. D'autres ont endossé leur intervention. Certains parlent de négociation. Nous sommes ici bien au-delà de la gestion de ces difficultés épisodiques qu'un chef de parti doit savoir résoudre par la flexibilité et la recherche du moyen terme. Dès lors que les enjeux campent sur le champ des principes, il n'y a pas de place pour la négociation. Nous voici, sans conteste, au coeur de l'essentiel. J'affirme, premièrement, que les citoyens québécois, sans distinction quelconque, peuvent exercer leur droit de vote comme ils l'entendent, sans encourir des reproches d'intolérance; et deuxièmement, que l'Holocauste est le crime suprême, l'entreprise systématique d'élimination d'un peuple, une négation de la conscience et de la dignité humaine. On ne peut reprocher aux Juifs d'en être traumatisés. Cette tragédie innommable ne peut souffrir de comparaison. On pardonnera peut-être à un acteur politique censément endurci de s'être laissé atteindre personnellement en entendant qualifier de duplessistes et de mesquins les motifs qui ont inspiré son appui à la résolution de l'Assemblée nationale. Au-delà de l'émotion, je persiste à penser que les membres de l'Assemblée nationale, forum démocratique par excellence, n'ont fait qu'exercer leur droit de libre expression le plus élémentaire en se dissociant des propos concernés et en les déclarant inacceptables. C'est bien à tort qu'on y a vu un acte de censure. Les parlementaires ont agi dans la plus stricte légitimité en prenant leur distance par rapport à des propos qui, de façon irresponsable, mettent en cause des valeurs fondamentales en démocratie. La députation ministérielle devait d'autant plus prendre position que c'est à elle que cherche à se joindre l'initiateur de la controverse. Je comprends mal que certains puissent reconnaître le caractère inacceptable de tels propos pour un candidat déclaré du Parti Québécois et, du même souffle, déplorer la résolution de l'Assemblée nationale. Si les déclarations concernées ne sont pas acceptables pour les membres du Parti Québécois, elles ne pouvaient pas l'être davantage pour les parlementaires de l'Assemblée nationale. Je ne doute pas que, si leur auteur devait donner suite à ses intentions, les militantes et militants du Parti Québécois fermeront la porte à sa candidature dans Mercier. Je tiens à dire toute ma gratitude à mes concitoyens et concitoyennes pour la confiance qu'ils m'ont manifestée en me conférant le privilège de les servir. Merci de tout coeur aux électeurs de Jonquière et aux militants et militantes de ce comté qui m'ont accueilli les bras ouverts. C'est avec tristesse que je dois renoncer au mandat qu'ils m'ont confié. J'adresse mes sincères remerciements à tous les militants et militantes du Parti Québécois. Je garderai le souvenir de leur engagement admirable et de leur authentique désintéressement. Il me faut aussi souligner le travail et les efforts consacrés par les députés de l'Assemblée nationale au service de leurs commettants. Leur président, le député de Borduas, M. Jean-Pierre Charbonneau, a toujours rempli sa tâche dans le respect de nos institutions et je l'en remercie. À mes collègues du caucus ministériel, je réitère mon attachement et ma reconnaissance pour le solide et affectueux soutien qu'ils m'ont prodigué tout au long de notre parcours commun. Sans eux, rien de ce que le gouvernement a accompli n'aurait été possible. Je n'ai jamais cessé de trouver chez eux les plus sages conseils et les encouragements les plus vivifiants. Je ne saurais exprimer tout ce que je dois à mes compagnes et compagnons du conseil des ministres. Comment me rappeler, sans une profonde émotion, les heures innombrables que nous avons passées ensemble à la recherche de solutions à tant de problèmes épineux? En toutes circonstances, ils ont fait montre envers moi d'une solidarité sans faille et d'une générosité que je n'oublierai pas. Je les assure de toute mon amitié. Le moment est venu de conclure. Je quitterai mes fonctions de premier ministre du Québec et de député de Jonquière. A la demande du caucus des députés, tout à l'heure, ces démissions deviendront effectives au moment où le Parti Québécois aura comblé la vacance à la présidence. J'assumerai donc la transition. Conséquemment, je quitte aujourd'hui même la direction du Parti Québécois pour lui permettre de mettre en branle la procédure de mon remplacement. [Portion du discours en langue anglaise] At this point, I wish to express my gratitude to my fellow citizens for the confidence they placed in me and for having given me the opportunity to represent and serve them these past years. It is now time for my involvement in politics to come to an end. I will leave my duties as Prime minister of Québec and as M.N.A. for Jonquière. At the request of the caucus, both these resignations will become effective when a new president has been elected by the party. Therefore, in order to allow our Party to set into motion the process of electing its new leader, I am resigning today as president of the Parti Québécois. Je suis en politique active depuis bientôt 13 années. Ces années m'ont apporté beaucoup de compensations mais elles ont aussi prélevé leur tribut. Je regrette seulement de pas avoir fait mieux et davantage; et surtout de n'avoir pu réaliser mon rêve pour notre avenir collectif, pour l'achèvement de la nouvelle nation québécoise. J'y ai mis toute ma passion et toutes mes forces. S'il m'est arrivé de blesser des adversaires ou qui que ce soit, je m'en excuse sincèrement et les assure que ce ne fut jamais par mesquinerie ou par manque de respect. Je remercie la Providence de mon excellente santé. Mais j'ai célébré mon soixante-deuxième anniversaire alors même que je me livrais à cette réflexion sur mon avenir. Les années nous sont comptées et j'ai une jeune famille, d'autant plus précieuse qu'elle m'est venue sur le tard. Audrey a donné plus que je ne pourrai jamais lui rendre. Je veux aussi vivre pleinement cette aventure merveilleuse de l'éducation de garçons de onze et neuf ans. Alexandre et Simon ont besoin de moi. Et moi, j'ai besoin de les retrouver tous et de leur consacrer désormais le meilleur de mes énergies et de mon temps. Merci.» Source : La Presse, 12 janvier, 2001, p. A 14. |