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Texte de l'intervention dYves Michaud à la Commission des États généraux sur la langue française [Note de l'éditeur: Il s'agit ici du texte préparé et soumis par Yves Michaud lors de sa comparution devant la Commission des États Généraux le 13 décembre 2000.] Il y a 31 ans, en novembre 1969, on ma rebattu les oreilles tant et plus en sur les vertus de lincitation, de lattentisme, de la gentillesse, de lapaisement, de la persuasion, et autre procrastination de même farine, alors que je fus le premier député à démissionner de son parti pour combattre linfâme loi 63. La ritournelle recommence. Ce genre de discours, inspiré de la vulgate coloniale, fédéraliste et assimilatrice nous reproche presque dexister et nous culpabilise dêtre ce que nous sommes. Il nous invite infailliblement à remettre à des lendemains incertains et toujours de plus en plus lointains des mesures durgence qui doivent être prises aujourdhui. Les assimilateurs se réjouissent de nous voir tomber dans le piège de la mollesse et de lindifférence. Pour eux lavenir dure longtemps. Ils espèrent nous avoir à lusure. Lhistoire bégaie. Aux craintifs et timorés qui nous repassent le vieux film de lincitation et rembobinent la cassette usée de la «bonne entente », aux incurables indécis qui entonnent les éternels refrains dune mendiante et plaintive tolérance à sens unique, il faut rappeler que la minorité anglo-québécoise représentant 8% de la population assimile encore aujourdhui plus de la moitié des immigrants. Je suis inquiet, pour ne pas dire angoissé sur lavenir de notre langue, devant la laborieuse et presque inefficace intégration de la majorité des immigrants au Québec, doù mes montées infructueuses aux barricades du Parti québécois pour revenir à la loi 101 affaiblie, effilochée, anémiée, « clochardisée» par des jugements de la Cour Suprême du Canada et peut-être aussi , ce qui est plus désolant, par une absence de notre propre volonté collective de préserver et de faire fructifier lhéritage de René Lévesque et de Camille Laurin. Revenir à lesprit de la loi 101, oui!, sans peur et indifférent aux reproches des groupes, personnes, coteries, coalitions, partis fédéralisants, qui feront tout pour que nous ne soyons pas maîtres chez nous. Notre situation de minoritaire, voisin de la plus grande puissance assimilatrice du monde, commande courage, volonté et fermeté. « Entre le fort et le faible, écrivait Lacordaire, cest la liberté ( de choix) qui opprime et cest la loi qui affranchit. » Je ne suis pas peu fier lorsquil sagit de préserver lessentiel de ce qui fait notre nation de me ranger dans le camp de ce que les chroniqueurs de la politique qualifient de «purs et durs », par opposition aux « impurs et mous », velléitaires, frileux et pusillanimes, la plupart vivant en serre chaude dans des milieux relativement protégés contre lenvahissement de langlais, et ne mesurant pas dans la vie concrète des Montréalais de langue française la déchéance de leur langue. Un peuple na pas le droit de se faire hara-kiri. Laction doit être ferme, prompte et vigilante. Pour jouir dune tranquillité illusoire , pour ne pas ouvrir la «canne à vers » des débats sur la langue, comme ils disent, les « apaisants » nous préparent un «Munich linguistique ». Pour avoir la paix ils sacrifient lhonneur ; ils subiront à la fois et la défaite et le déshonneur. Lun deux déclarait récemment à Chicoutimi, du même souffle, que les Néo-Québecois sont la clef du développement du français mais quavant de prendre des mesures radicales « il faut encore donner une chance à lespoir déquilibre linguistique pour quelque temps (sic), quitte à faire de nouveau le point dans quelques années . Pour « donner une chance à lespoir déquilibre », le constat est donc avéré quil y a déséquilibre. En somme le cancer progresse, entre parfois en rémission, mais lon interviendra dans «quelques années» alors quil sera dans sa phase terminale. Réjouissante perspective ! Les attentistes sont les complices inconscients du coup de frein à lintégration des immigrants. Certes, certains Néo-Québécois dont le nombre est insuffisant hélas, ont opté pour le Québec dabord ! et enrichissent de manière brillante et exemplaire la patrie quils ont adoptée. Au titre de leur contribution au patrimoine commun ils y mettent parfois, voire souvent, plus de ferveur et de générosité que beaucoup de nos concitoyens dits de «souche» mais de souche déracinée, indifférents ou étrangers au devenir de leur propre patrie. De ce type dimmigrants je souhaiterais quil en vint à la tonne. De la sorte, nous naurions pas à dresser le constat déplorable que 57% des jeunes immigrants québécois, malgré lenseignement quils ont reçu en français à lélémentaire et au secondaire, sinscrivent aux université de langue anglaise après avoir exercé leur «libre choix » de fréquenter un cégep de langue anglaise. Voilà qui est proprement aberrant. Au reste, en vertu de quelle perversion des mots, de quelle dérive pédagogique, de quelle douteuse modernité assimilatrice, nos collèges denseignement général et professionnel ne font-ils plus partie du réseau secondaire de notre système national denseignement ? Il faut savoir raison garder et reconnaître que la première et urgente mesure à prendre, la langue de lenseignement étant le principal facteur dintégration des Néo-Québécois, est de modifier la Charte de la langue française pour que lenseignement du français soit obligatoire jusquaux cégeps inclusivement. Cest là quil faut commencer dabord et avant tout. Une société incapable dassimiler ses immigrants est vouée à plus ou moins long terme à une lente et progressive disparition. Trouvez-moi un seul exemple dun pays au monde qui accorde à ses immigrants un autre choix que le système public denseignement quil sest donné ? En vertu de la théorie fumeuse du «libre choix », le Québec accorderait à tous les habitants de la planète, virtuels candidats à limmigration, le droit de choisir la langue denseignement de leurs enfants ? Bougre ! ils choisiraient langlais et en deux ou trois générations et le Québec français passerait larme à gauche. Lord Durham se retournerait daise dans sa tombe et ses descendants feraient chanter des Te Deum au parlement outaouais et lhymne à la joie couvrirait le Canada tout entier dune « mare » à lautre ! Être ou ne pas être. Assimiler ou être assimilés, voilà la question. La souveraineté du Québec est impensable sans le soutien, lapport et la volonté dun nombre substantiel de Néo-Québécois qui feront route avec nous et contribueront à lédification dune société de justice sociale et de liberté. Cest sur des communautés humaines comme la nôtre, incrustées dans une même histoire et une volonté de vivre un même destin collectif, enrichies de lapport précieux de nouveaux citoyens, de toutes races, confession, couleur, que se créent les nations, lieu privilégié et irremplaçable dune solidarité dhommes et de femmes qui partagent un certain nombre de valeurs, parlent une langue commune et participent à la culture dun ensemble collectif. Des immigrants, oui ! , nous en voulons ! En repoussant à lextrême, sil le faut, notre capacité daccueil. Des immigrants qui seront non seulement des ayants droit mais aussi des ayants devoir à légard de lune des sociétés les plus généreuses du monde qui les reçoit à bras et portefeuilles ouverts. Des ayants devoir, cest-à-dire comprenant et parlant notre langue, ouverts à notre culture, à notre façon de travailler, dentreprendre, dinterpréter le monde en français et de nous accompagner sur le chemin qui mène à la maîtrise de tous les outils de notre développement. Cela est vrai pour lintégration des immigrants. Cela est vrai également pour la préservation du caractère français de la métropole du Québec. Si le Montréal français venait à mourir, le Québec tout entier entrerait alors dans un processus inexorable de « louisianisation ». Si nous perdons pied à Montréal, ce sera le début de la descente aux enfers du bilinguisme institutionnel, tant il est vrai que la bilinguisation sur le continent américain équivaut à tous fins utiles à parler anglais. Dans un rapport inégal de forces, la langue minoritaire cède toujours le pas à la langue dominante. Lexemple est criard de villes bilingues de louest de Montréal dans lesquelles les Québécois de langue française ont toute la peine du monde à se faire servir dans leur langue. Au congrès plénier de 1996 du Parti québécois, de hautes autorités de cette formation politique à laquelle jadhère, et non des moindres, ont déclaré quelles ne pourraient plus se regarder dans le miroir si le Gouvernement rappelait la loi 86, (stupide sous certains aspects) dont labolition avait été réclamée à cor et à cri par lopposition péquiste de lAssemblée nationale. René Lévesque, disaient-elles, aurait été dans le camp des non abolitionnistes. Cela nest pas juste et contraire à laffirmation sans ambiguïté du fondateur du Parti québécois concernant laffichage public au Québec* : «Il est important que le visage du Québec soit dabord français, écrivait René Lévesque, ne serait-ce que pour ne pas ressusciter aux yeux des nouveaux venus lambiguïté qui prévalait autrefois quant au caractère de notre société, ambiguïté qui nous a valu des crises déchirantes. À sa manière, en effet, chaque affiche bilingue dit à limmigrant ":Il y a deux langues ici, langlais et le français : on choisit celle quon veut. » Elle dit à langlophone : « Pas besoin dapprendre le français, tout est traduit. Ce nest pas là le message que nous voulons faire passer. Il nous apparaît vital que tous prennent conscience du caractère français de notre société. Or, en dehors de laffichage, ce caractère nest pas toujours évident ». * Lettre de René Lévesque du 5 novembre 1982 à Eric Maldoff, président dAlliance- Québec. Politique linguistique du Québec par Michel Plourde. Page 61) . Le français au Québec, 400 dhistoire de vie. Page 296.Conseil de la langue française. Les Publications du Québec. |