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sur le libéralisme, l'Église catholique et les élections / Documents on the Catholic
Church, Liberalism and elections, 1875
Lettre
Pastorale des évêques de la Province ecclésiastique de Québec sur le libéralisme
et les élections, 22 septembre 1875. [22
septembre 1875] NOUS, PAR LA MISÉRICORDE
DE DIEU ET LA GRACE DU SAINT-SIÈGE APOSTOLIQUE, ARCHEVÊQUE, ÉVÊQUES, ET ADMINISTRATEUR
DE LA PROVINCE ECCLÉSIASTIQUE DE QUÉBEC, Au
clergé séculier et régulier, et à tous les fidèles de la dite Province, Salut
et Bénédiction en Notre Seigneur. Pour
remplir notre devoir de Pasteurs, Nous venons, Nos Très Chers Frères, vous adresser
la parole sur plusieurs questions très importantes que diverses circonstances
ont fait surgir. I POUVOIRS
DE L'ÉGLISE. Quiconque veut être
sauvé, dit le Symbole de Saint Athanase, doit tenir la foi catholique;
quicumque vult salvus esse, necesse est ut teneat catholicam fidem. Et pour
arriver à la connaissance certaine de cette foi sans laquelle il est impossible
de plaire à Dieu ; sine fide impossibile est placere Deo (Héb. XI, 6.), il
faut écouter l'Église dans laquelle Jésus-Christ lui-même enseigne et hors de
laquelle on ne peut trouver qu'erreur, doute et incertitude, car elle est l'Église
du Dieu vivant, la colonne et le soutien de la vérité ; Ecclesia Dei vivi, columna
et firmamentum veritatis (I. Tim. III. 15). Elle a reçu mission d'enseigner
à toutes les nations tous les commandements de Jésus-Christ ; Docete omnes gentes
servare omnia quaecumque mandavi vobis (Matth. XXVIII. 20.). Pour
remplir cette sublime et difficile mission, il fallait que l'Église fût constituée
par son divin fondateur sous forme de société parfaite en elle-même, distincte
et indépendante de la société civile. Une
société quelconque ne peut subsister si elle n'a des lois, et par conséquent des
législateurs, des juges et une puissance propre de faire respecter ses lois; l'Église
a donc nécessairement reçu de son fondateur, autorité sur ses enfants pour maintenir
l'ordre et l'unité. Nier cette autorité, ce serait nier la sagesse du Fils de
Dieu. Subordonner cette autorité à la puissance civile, ce serait donner raison
à Néron et à Dioclétien contre ces millions de chrétiens qui ont mieux aimé mourir
que de trahir leur foi ; ce serait donner raison à Pilate et à Hérode contre Jésus-Christ
lui-même ! Non seulement l'Église est
indépendante de la société civile, mais elle lui est supérieure par son origine,
par son étendue et par sa fin. Sans doute,
la société civile a sa racine dans la volonté de Dieu, qui a réglé que les hommes
vivraient en société; mais les formes de la société civile varient avec les temps
et les lieux; l'Église est née du sang d'un Dieu sur le Calvaire, elle a reçu
directement de sa bouche son immuable constitution et nulle puissance sur la terre
ne peut en altérer la forme. Une société
civile n'embrasse qu'un peuple ; l'Église a reçu en domaine la terre entière ;
Jésus-Christ lui a donné mission d'enseigner toutes les nations ; docete omnes
gentes (Matth. XXVIII. 20.); l'État est donc dans l'Église et non pas l'Église
dans l'État. La fin de l'Église est le
bonheur éternel des âmes, fin suprême et dernière de l'homme ; la société civile
a pour fin le bonheur temporel des peuples. Par la nature même des choses, la
société civile se trouve indirectement, mais véritablement, surbordonnée
; car non seulement elle doit s'abstenir de tout ce qui peut mettre obstacle à
la fin dernière et suprême de l'homme, mais encore, elle doit aider l'Église dans
sa mission divine et au besoin la protéger et la défendre. Et d'ailleurs n'est-il
pas évident que le bonheur même temporel des peuples dépend de la vérité, de la
justice, de la morale et par conséquent, de toutes ces vérités dont le trésor
est confié à l'Église ? L'expérience des cent dernières années nous apprend qu'il
n'y a plus ni repos, ni stabilité, pour les peuples qui ont secoué le joug de
la religion dont l'Église est la seule véritable gardienne. Cette
surbordination n'empêche point que ces sociétés ne soient distinctes à cause de
leurs fins, et indépendantes chacune dans sa sphère propre. Mais du moment qu'une
question touche à la foi ou à la morale ou à la constitution divine de l'Église,
à son indépendance, ou à ce qui lui est nécessaire pour remplir sa mission spirituelle,
c'est à l'Église seule à juger, car à elle seule Jésus-Christ a dit : Tout
pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre... Comme mon Père m'a envoyé,
ainsi je vous envoie... Allez donc enseigner toutes les nations... Celui qui vous
écoute m'écoute moi-même, et celui qui vous méprise me méprise, et celui qui me
méprise, méprise celui qui m'a envoyé... Celui qui n'écoute pas l'Église mérite
d'étre considéré comme un païen et un publicain, c'est-à-dire, comme indigne
d'être appelé son enfant. (S. Matth. XXVIII. 18 et 19 ; S. Jean XX. 21 ; S. Matth.
XVIII. 17.) Mais en revendiquant ainsi
les droits de l'Église catholique sur ses enfants, nous ne prétendons nullement
envahir ou entraver les droits civils de nos frères séparés, avec lesquels nous
serons toujours heureux de conserver les meilleurs rapports dans l'avenir, comme
dans le passé. Les principes que nous exposons ne sont pas nouveaux; ils sont
aussi anciens que l'Église elle-même. Si nous les rappelons aujourd'hui, c'est
que certains catholiques paraissent les avoir mis en oubli. II CONSTITUTION
DE L'ÉGLISE Le pouvoir de législater
et de juger dans l'Église existe au suprême degré dans le Souverain Pontife, le
successeur de saint Pierre, à qui Jésus-Christ a confié les clefs du royaume des
cieux et ordonné de confirmer ses frères. Les
Conciles généraux convoqués, présidés et confirmés par le Pape, ont ce même pouvoir. Les
Évêques ont été établis par le Saint-Esprit pour régir l'Église de Dieu ; Spiritus
Sanctus posuit Episcopos regere Ecclesiam Dei (Act. XX. 28.) ; ils ont
dans leurs diocèses respectifs pouvoir d'enseigner, de commander, de juger ; pouvoir
néanmoins subordonné à celui du chef de l'Église, en qui seul réside la plénitude
de la puissance apostolique et l'infaillibilité doctrinale. Prêtres et laïques
doîvent aux Évêques la docilité, le respect et l'obéissance. Chaque
prêtre, à son tour, lorsqu'il a reçu de son Évêque la mission de prêcher et d'administrer
les secours spirituels a un certain nombre de fidèles, a un droit rigoureux au
respect, à l'amour et à l'obéissance de ceux dont les intérêts spirituels sont
confiés à sa sollicitude pastorale. Tel
est le plan divin de cette Église catholique que JésusChrist a revêtue de sa puissance
; telle est cette Hiérarchie Ecclésiastique qui, dans son ensemble admirable,
nous montre une société parfaitement organisée et capable d'atteindre sûrement
sa fin, qui est le salut éternel de chacun de ses innombrables enfants, de
toute tribu, de toute langue, de tout peuple et de toute nation ; ex omni tribu,
et lingua, et populo et natione (Apoc. V. 9.). III LE
LIBÉRALISME CATHOLIQUE Le libéralisme
catholique, dit Pie IX, est l'ennemi le plus acharné et le plus dangereux de la
divine constitution de l'Église. Semblable au serpent qui se glissa dans le paradis
terrestre pour tenter et faire déchoir la race humaine, il présente aux enfants
d'Adam l'appât trompeur d'une certaine liberté, d'une certaine science du bien
et du mal; liberté et science qui aboutissent à la mort. Il tente de se glisser
imperceptiblement dans les lieux les plus saints ; il fascine les yeux les plus
clairvoyants; il empoisonne les coeurs les plus simples, pour peu que l'on chancelle
dans la foi à l'autorité du Souverain Pontife. Les
partisans de cette erreur subtile concentrent toutes leurs forces pour briser
les liens qui unissent les peuples aux Évêques et les Évêques au Vicaire de Jésus-Christ.
Ils applaudissent à l'autorité civile chaque fois qu'elle envahit le sanctuaire;
ils cherchent par tous les moyens à induire les fidèles à tolérer, sinon à approuver,
des lois iniques. Ennemis d'autant plus dangereux que souvent, sans même en avoir
la conscience, ils favorisent les doctrines les plus perverses, que Pie IX a si
bien caractérisées en les appelant une conciliation chimérique de la vérité
avec l'erreur. Le libéral catholique
se rassure, parce qu'il a encore certains principes catholiques, certaines pratiques
de piété, un certain fond de foi et d'attachement à l'Église, mais il ferme soigneusement
les yeux sur l'abîme creusé dans son coeur par l'erreur qui le dévore en silence.
Il vante encore à tout venant ses convictions religieuses et se fâche quand on
l'avertit qu'il a des principes dangereux ; il est peut-être sincère dans son
aveuglement, Dieu seul le sait! Mais à côté de toutes ces belles apparences, il
y a un grand fond d'orgueil qui lui laisse croire qu'il a plus de prudence et
de sagesse que ceux à qui le Saint-Esprit donne mission et grâce pour enseigner
et gouverner le peuple fidèle : on le verra censurer sans scrupule les actes et
les documents de l'autorité religieuse la plus élevée. Sous prétexte d'enlever
la cause des dissensions et de concilier avec l'évangile les progrès de la société
actuelle, il se met au service de César et de ceux qui inventent de prétendus
droits en faveur d'une fausse liberté; comme si les ténèbres pouvaient coexister
avec la lumière et comme si la vérité ne cessait pas d'être la vérité dès qu'on
lui fait violence, en la détournant de sa véritable signification et en la dépouillant
de cette immutabilité inhérente à sa nature ! En
présence de cinq brefs apostoliques qui dénoncent le libéralisme catholique
comme absolument incompatible avec la doctrine de l'Église, quoiqu'il ne soit
pas encore formellement condamné comme hérétique, il ne peut plus être permis
en conscience d'être un libéral catholique. IV LA
POLITIQUE CATHOLIQUE. Un des plus
puissants génies qui aient paru sur la terre, Saint Thomas d'Aquin, a défini la
loi en général: « Quaedam rationis ordinatio ad bonum commune et ab eo qui curam
communitatis habet, promulgata. La loi est un règlement dicté par la raison pour
le bien commun, et promulgué par celui qui a le soin de la société. » L'Église
catholique reconnaît dans cette courte définition tous les traits d'une politique
chrétienne. Le bien commun en
est la fin unique et suprême. La raison
doit être la source de la loi. La raison, c'est-à-dire, la conformité des
moyens à employer, non seulement avec la fin à atteindre, mais aussi avec la justice
et la morale ; la raison, et non pas l'esprit de parti, non pas l'intention de
se maintenir au pouvoir, non pas la volonté de nuire au parti opposé. L'autorité
qui impose la loi est ici admirablement définie. Le Saint-Esprit nous la représente
souvent comme portant le glaive et prête à frapper quiconque refuse de lui rendre
honneur, crainte et tribut; c'est ainsi qu'elle doit apparaître aux peuples, comme
ministre des vengeances de Dieu contre ceux qui font le mal; Dei minister est,
vindex in iram ci qui malum agit (Rom. XIII, 4.). Mais notre Saint Docteur
considérant l'autorité dans la personne qui en est revêtue, lui trace ses devoirs
en même temps qu'il définit ses droits : « A vous, ô princes, ô législateurs,
a été confié le soin de la société; qui curam societatis habet: ce
n'est pas pour contenter votre ambition, votre soif des honneurs et des richesses,
que l'autorité vous a été donnée : c'est une charge, une obligation, un devoir
qui vous est imposé. » Politique vraiment
divine! Oh ! qu'elle laisse bien loin derrière elle, cette fausse et souverainement
déraisonnable politique, qui fait des plus graves intérêts d'un peuple comme un
jouet d'enfant avec lequel des partisans aveugles cherchent à s'amuser, à s'enrichir,
à se supplanter mutuellement! Loin de
nous la pensée de méconnaître les avantages du régime constitutionnel considéré
en lui-même, et, par conséquent, l'utilité de ces distinctions de partis, qui
se tiennent les uns les autres en échec pour signaler et arrêter les écarts du
pouvoir. Ce que nous déplorons, ce que nous condamnons, c'est l'abus que l'on
en fait; c'est la prétention que la politique, réduite aux mesquines et ridicules
proportions d'intérêts de parti, devienne la règle suprême de toute administration
publique, que tout soit pour le parti et rien pour le bien commun;
rien pour cette société dont on a le soin. Ce que nous condamnons encore,
c'est que l'on se permette de dire et d'oser tout ce qui peut servir au triomphe
d'un parti. Prêtez l'oreille à mes paroles, dit le Saint-Esprit (Sagesse
VI), vous qui gouvernez la multitude, considérez que vous avez reçu la puissance
du Très-Haut, qui interrogera vos oeuvres, scrutera même vos pensées ;
parce qu'étant les ministres de son royaume, vous n'avez pas gardé la loi de la
justice, ni marché selon sa volonté. Aussi viendra-t-il à vous d'une manière effroyable
pour vous juger avec une extrême rigueur. V LE
RÔLE DU CLERGÉ DANS LA POLITIQUE Des
hommes qui veulent vous tromper, Nos Très Chers Frères, vous répètent que la religion
n'a rien à voir dans la politique ; qu'il ne faut tenir aucun compte des principes
religieux dans la discussion des affaires publiques; que le clergé n'a de fonctions
à remplir qu'à l'Église et à la sacristie et que le peuple doit en politique pratiquer
l'indépendance morale ! Erreurs monstrueuses,
Nos Très Chers Frères, et malheur au pays où elles viendraient à prendre racine
! En excluant le clergé, on exclut l'Église, et en mettant de côté l'Église, on
se prive de tout ce qu'elle renferme de salutaire et d'immuable: Dieu, la morale,
la justice, la vérité, et quand on a fait ainsi main basse sur tout le reste,
on n'a plus à compter qu'avec la force ! Tout
homme qui a son salut à coeur, doit régler ses actes selon la loi divine, dont
la religion est l'expression et la gardienne. Qui ne comprendra quelle justice
et quelle rectitude règneraient partout, si les gouvernants et les peuples avaient
toujours devant les yeux cette loi divine qui est l'équité même, et ce jugement
formidable qu'ils auront à subir devant celui au regard et au bras de qui personne
ne saurait échapper? Les plus grands ennemis du peuple sont donc ceux qui veulent
bannir la religion de la politique; car sous prétexte d'affranchir le peuple de
ce qu'ils appellent la tyrannie du prêtre, l'influence indue du prêtre,
ils préparent à ce même peuple les chaînes les plus pesantes et les
plus difficiles à secouer : ils mettent la force au dessus du droit et ôtent à
la puissance civile le seul frein moral qui puisse l'empêcher de dégénérer en
despotisme et en tyrannie ! On veut reléguer
le prêtre dans la sacristie! Pourquoi
? Est-ce parce qu'il a puisé dans ses études des notions saines et certaines sur
les droits et les devoirs de chacun des fidèles confiés à ses soins? Est-ce parce
qu'il sacrifie ses ressources, son temps, sa santé, sa vie même pour le bien de
ses semblables ? N'est-il pas citoyen
au même titre que les autres ? Eh quoi ! le premier venu peut écrire, parler et
agir; on voit quelquefois affluer vers un comté, ou une paroisse, des étrangers
qui viennent pour y faire prévaloir leurs opinions politiques : seul le prêtre
ne pourra parler et écrire ! il sera permis à quiconque le veut de venir dans
une paroisse débiter toutes sortes de principes, et le prêtre qui est au milieu
de ses paroissiens comme un père au milieu de ses enfants, n'aura aucun droit
de parler, aucun droit de protester contre les énormités qu'on leur apporte! Tel
qui aujourd'hui crie très fort que le prêtre n'a rien à voir dans la politique,
trouvait naguère cette influence salutaire; tel qui nie aujourd'hui la compétence
du clergé dans ces questions, exaltait jadis la sûreté des principes que donne
à un homme l'étude de la morale chrétienne ! D'où vient ce changement, sinon de
ce que l'on sent agir contre soi cette influence que l'on a la conscience de ne
plus mériter! Sans doute, Nos Très Chers
Frères, l'exercice de tous les droits de citoyen par un prêtre n'est pas toujours
opportun, il peut même avoir ses inconvénients et ses dangers; mais il ne faut
pas oublier que c'est à l'Église seule qu'il appartient de donner à ses ministres
les instructions qu'elle juge convenables, et à reprendre ceux qui s'en écartent,
et les évêques de cette Province n'ont pas manqué à leur devoir sur ce point. Jusqu'ici
nous avons considéré le prêtre comme citoyen et parlant politique en son propre
et privé nom, comme tout autre membre de la société civile. Y
a-t-il des questions où l'Évêque et le prêtre puissent, et même quelquefois doivent,
intervenir au nom de la religion? Nous
répondrons sans hésitation : Oui, il y a des questions politiques où le clergé
peut et même doit intervenir au nom de la religion. La règle de ce droit et de
ce devoir se trouve dans la distinction même que nous avons déjà signalée, entre
l'Église et l'État. Il y a en effet des
questions politiques qui touchent aux intérêts spirituels des âmes, soit parce
qu'elles ont rapport à la foi ou à la morale, soit parce qu'elles peuvent affecter
la liberté, l'indépendance ou l'existence de l'Église, même sous le rapport temporel. Il
peut se présenter un candidat dont le programme soit hostile à l'Église, ou bien
dont les antécédents soient tels que sa candidature soit une menace pour ces mêmes
intérêts. De même un parti politique
peut être jugé dangereux, non seulement par son programme et par ses antécédents,
mais encore par les programmes et les antécédents particuliers de ses chefs, de
ses principaux membres et de sa presse, si ce parti ne les désavoue point et ne
se sépare point définitivement d'eux, dans le cas où ils persistent dans leur
erreur après en avoir été avertis. Dans
ces cas, un catholique peut-il, sans renier sa foi, sans se montrer hostile à
l'Église dont il est membre, un catholique, peut-il, disons-nous, refuser à l'Église
le droit de défendre les intérêts spirituels des âmes qui lui sont confiées ?
Mais l'Église parle, agit et combat par son clergé, et refuser ses droits au clergé,
c'est les refuser à l'Église. Alors le
prêtre et l'Évêque peuvent en toute justice et doivent en toute conscience élever
la voix, signaler le danger, déclarer avec autorité que voter en tel sens est
un péché, que faire tel acte expose aux censures de l'Église. Ils peuvent et doivent
parler non seulement aux électeurs et aux candidats, mais même aux autorités constituées,
car le devoir de tout homme, qui veut sauver son âme, est tracé par la loi divine;
et l'Église, comme une bonne mère, doit à tous ses enfants, de quelque rang qu'ils
soient, l'amour, et, par conséquent, la vigilance spirituelle. Ce n'est donc point
convertir la chaire en tribune politique que d'éclairer la conscience des fidèles
sur toutes ces questions où le salut se trouve intéressé. Sans
doute, Nos Très Chers Frères, de semblables questions ne se présentent pas tous
les jours ; mais le droit n'en est pas moins certain. Il
est évident, par la nature même de la question, qu'à l'Église seule doit appartenir
l'appréciation des circonstances où il faut ainsi élever la voix en faveur de
la foi et de la morale chrétienne. L'on
objectera peut-être que le prêtre est exposé comme tout homme, à dépasser la limite
qui lui est assignée et qu'alors c'est à l'État à le faire rentrer dans le devoir. A
cela nous répondrons d'abord que c'est faire gratuitement injure à l'Église entière
que de supposer qu'il n'y a pas dans sa hiérarchie un remède à l'injustice ou
à l'erreur d'un de ses ministres. En effet, l'Église a ses tribunaux régulièrement
constitués, et si quelqu'un croit avoir droit de se plaindre d'un ministre de
l'Église, ce n'est pas au tribunal civil qu'il doit le citer, mais bien au tribunal
ecclésiastique, seul compétent à juger la doctrine et les actes du Prêtre. Voilà
pourquoi Pie IX, dans sa bulle Apostolicae Sedis, octobre 1869,
déclare frappés d'une excommunication majeure ceux qui obligent directement ou
indirectement les juges laïques à citer devant leur tribunal les personnes ecclésiastiques,
contre les dispositions du droit canonique. En
second lieu, quand l'État envahira les droits de l'Église, foulera aux pieds ses
privilèges les plus sacrés, comme cela arrive en Italie, en Allemagne et en Suisse,
ne serait-ce pas le comble de la dérision que de donner à ce même État le droit
de bâillonner sa victime En troisième
lieu, si l'on pose en principe qu'un pouvoir n'existe pas, parce qu'il peut arriver
que quelqu'un en abuse, il faudra nier tous les pouvoirs civils, car tous ceux
qui en sont revêtus, sont faillibles. VI LA
PRESSE ET SES DEVOIRS Dans notre
siècle, la presse joue un rôle dont on ne peut se dissimuler l'importance pour
le bien comme pour le mal. L'Église ne saurait demeurer spectatrice indifférente
de ces luttes journalières qui se font soit dans les livres, soit dans les journaux.
Ces écrits que la presse éternise en quelque sorte et jette aux quatre vents du
ciel, sont bien autrement féconds, pour l'édification ou le scandale, qu'une parole
presque aussitôt oubliée qu'entendue par un petit nombre d'auditeurs. Honneur
et gloire à ces écrivains catholiques qui se proposent avant tout de propager
et de défendre la vérité ; qui approfondissent avec un soin scrupuleux les questions
importantes qu'ils sont appelés à traiter ! Mais que répondront au Souverain Juge
les écrivains pour qui la politique telle qu'ils l'entendent, c'est-à-dire, l'intérêt
de leur parti, est la règle suprême ; qui ne tiennent pas compte de l'Église ;
qui voudraient faire de cette Épouse du Christ., la vile esclave de César ; qui
négligent ou même méprisent les avis de ceux que Jésus-Christ a chargés d'enseigner
les vérités de la religion ? Les devoirs
de la presse, tels que tracés par notre dernier Concile de Québec, peuvent se
résumer ainsi : 1. Traiter toujours ses adversaires avec charité, modération et
respect, car le zèle pour la vérité ne saurait excuser aucun excès de langage
; 2. juger ses adversaires avec impartialité et justice, comme on voudrait être
jugé soi-même ; 3. ne point se hâter de condamner avant d'avoir bien examiné toutes
choses ; 4. prendre en bonne part ce qui est ambigu ; 5. éviter les railleries,
les sarcasmes, les suppositions injurieuses à la réputation, les accusations mal
fondées, l'imputation d'intentions que Dieu seul connait. Ce
que l'Église n'a point condamné, on peut bien le combat tre, mais non pas le mal
noter. Quand il s'agit des autorités
Écclésiastiques ou Civiles, le langage doit toujours être convenable et respectueux. Il
ne faut pas traduire devant le tribunal incompétent de l'opi nion publique des
établissements dont les Évêques sont les protecteurs et les juges naturels. Ajoutons
que le prêtre, et, à plus forte raison, l'Évêque dans l'exercice de son ministère,
n'est pas justifiable de l'opinion publique, mais de ses seuls supérieurs hiérarchiques.
Si quelqu'un croit avoir droit de se plaindre, il peut toujours le faire devant
ceux qui ont droit de lui rendre justice ; du prêtre on peut appeler à l'Évêque,
de celui-ci à l'Archevêque et de l'Archevêque au Souverain Pontife ; mais il ne
peut jamais être permis de répéter sur les journaux les mille et mille bruits
que les excitations politiques fout surgir comme les vagues d'une mer en furie. Il
ne faut pas non plus oublier que si les lois particulières faites par un Évêque
n'obligent pas en dehors de son diocèse, les principes qu'il expose dans ses lettres
pastorales sont de tous les temps et de tous les lieux. Si quelqu'un, ecclésiastique
ou laïque, se croit en droit de ne pas écouter la voix d'un pasteur qui n'est
pas le sien, il n'a pas le droit pour cela de le critiquer et de le juger. VII DU
SERMENT Le nom de Dieu est saint
et terrible (Ps. CX. 9.) ; il ne doit être prononcé qu'avec le plus
profond respect, et le Seigneur ne tiendra pas pour innocent celui qui aura
pris en vain le nom du Seigneur son Dieu (Exode XX. 7.). Il
est encore écrit dans nos livres saints : Vous ferez serment en disant
: Vive le Seigneur ; mais que ce soit avec vérité, avec discrétion, avec justice
(Jérémie IV. 2.). Le serment est
un acte de religion, et, par conséquent, il appartient avant tout à l'Église,
qui seule a mission pour en définir et en exposer la nature et les conditions. Dans
tout serment il y a deux parties distinctes, 1. l'affirmation de quelque
fait, ou de quelque volonté ; 2. l'invocation de Dieu comme témoin de la
vérité de ce fait ou de cette volonté. Cette affirmation prend le nom de formule,
quand les expressions en sont déterminées par autorité, mais au fond, cette diversité
de nom ne change rien à la nature même de cette partie du serment. Tout
dépend de la conformité de cette affirmation ou formule, avec la vérité telle
que connue par celui qui prête serinent. Si
l'affirmation ou la formule est vraie dans toutes ses parties, le serment est
bon et vrai. Il y a parjure du moment
que dans l'affirmation ou la formule il se trouve quelque chose de faux, connu
comme tel par celui qui prête le serment. Quand même dans votre affirmation ou
formule, il y aurait un millier de vérités, si vous y mêlez sciemment un seul
mot qui ne soit pas vrai, ce seul mensonge suffit pour vous rendre coupable de
parjure. De là il résulte deux conséquences
pratiques fort importantes : 1. Avant de prêter serment, il faut bien examiner
et comprendre la formule qu'on est appelé à affirmer, de peur qu'il ne s'y trouve
quelque chose de contraire à la vérité telle qu'on la connaît; s'il y a quelque
chose que l'on ne comprenne pas bien, s'il y a quelque doute, il faut se la faire
expliquer et refuser de prêter serment jusqu'à ce que la conscience soit bien
formée à ce sujet; autrement, on s'expose à faire un parjure, et, par conséquent,
on commet un péché grave.; 2. On ne doit jamais parler de la formule d'un serment,
comme d'une chose de peu. d'importance : et nous condamnons absolument
la distinction que l'on voudrait faire entre les diverses formules pour en mépriser
quelques-unes, ou pour leur donner un sens que ne peuvent comporter les expressions
qu'elles renferment. Des paroles claires par elles-mêmes ne souffrent point d'interprétation,
comme la lumière n'a pas besoin d'une autre lumière pour être aperçue. Quand une
formule dit clairement et formellement que telle chose existe, il n'y a point
d'interprétation possible pous lui faire dire que cette chose n'existe point. En
entrant dans l'exercice de leur charge, les fonctionnaires publics sont tenus
à prêter ce qu'on appelle un serment d'office. Ils promettent solennellement,
en présence du Dieu Tout-puissant, de remplir avec exactitude certains devoirs
qui leur sont imposés. Ce n'est pas une vaine formule, une promesse vide de sens,
mais une obligation des plus graves et qui dure aussi longtemps que l'on est en
office. Ce doit être l'objet d'un examen de conscience spécial et sérieux quand
on se prépare à s'approcher des sacrements. Si
l'on doit respecter le serment en soi-même, on ne doit pas moins le respecter
dans les autres. Nous saisissons cette occasion pour condamner comme une impiété
et une espèce de scandale, la pratique de certains hommes de loi qui, pour les
besoins de leur cause, ne craignent point de transquestionner les témoins jusqu'au
point de les embrouiller et de les faire contredire et parjurer. Il ne suffit
pas qu'une cause soit bonne ; il faut que les moyens employés pour la faire triompher
soient conformes aux règles immuables de la vérité, de la justice et de la charité. VIII DE
LA SÉPULTURE ECCLÉSIASTIQUE [Note
de l'éditeur : la section qui suit aurait été ajoutée au document épiscopal
par Monseigneur Taschereau, archevêque de Québec et primat de l'Église catholique
du Canada. Elle a été inspirée, de toute évidence, par la querelle qui opposa
Mgr Bourget, évêque de Montréal, aux membres de l'Institut Canadien au sujet de
la sépulture de Joseph Guibord. Voir Philippe Sylvain et Nive Voisine, Histoire
du catholicisme québécois, Vol. 2. Réveil et consolidation, tome 2,
1840-1898, Montréal, Boréal, 501p., p. 379] La
sépulture ecclésiastique n'a pas, sans doute, le même degré de sainteté
que les sacrements, mais elle n'en appartient pas moins tout entière et uniquement
au jugement de l'Église. Nous voulons parler de la sépulture ecclésiastique
telle que définie et réglée par les lois canoniques, c'est-à-dire, non seulement
des prières et des rites religieux qui accompagnent les funérailles mais aussi
du lieu sanctifié et consacré spécialement par des prières et des bénédictions,
pour la sépulture de ceux qui meurent dans la paix de l'Église catholique. Nulle
puissance temporelle ne peut prescrire à l'Église de venir prier sur la tombe
d'un mort qu'elle a jugé indigne de ses prières; c'est un attentat sacrilège que
de violer par la force la sainteté de la terre consacrée par les prières et les
bénédictions de l'Église. On dira peut-être
que la privation des honneurs de la sépulture ecclésiastique emporte une dégradation
et une infamie, et qu'ainsi considérée elle est du ressort de l'autorité civile
chargée de protéger l'honneur des citoyens. Nous
répondons que le déshonneur et l'infamie sont plutôt dans la révolte d'un enfant
contre sa mère et que rien ne peut laver la tache d'une désobéissance grave qui
persévère jusqu'à la mort. Tous les procès, tous les appels, toutes les sentences
du monde, ne feront que donner un plus grand retentissement à la faute et rendre
la dégradation et l'infamie plus notoires et plus déplorables aux yeux des vrais
catholiques. Jésus-Christ, dit l'Apôtre
Saint Paul, a aimé son Église et s'est livré lui-même pour elle (Eph. V. 25).
A l'exemple de notre Divin Maître et Modèle, rien ne doit nous être plus cher
en ce monde que cette même Église, dont nous sommes les membres sous un même chef
qui est Jésus-Christ. Elle est notre mère, puisqu'elle nous a engendrés à la vie
de la grâce ; nous devons l'aimer d'un amour filial, nous réjouir de ses triomphes,
partager ses tristesses et au besoin élever la voix pour la défendre. Quand donc
nous voyons sa liberté et sa dignité méconnues, il ne peut être permis à ses enfants,
et encore moins à ses pasteurs, de garder un silence qui équivaudrait à une trahison. La
Sainte Église Catholique, fidèle aux enseignements de son Divin Maître, apprend
à ses enfants à rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu
(Matth. XXII. 2l.). Elle leur répète avec le grand Apôtre : Rendez à
chacun ce qui lui est dû; le tribut à qui le tribut; l'impôt à qui l'impôt
; la crainte à qui la crainte; l'honneur à qui l'honneur (Rom. XIII,
7.). Ce devoir de justice et de respect qu'elle ne cesse de proclamer, elle a
plus que personne le droit d'attendre qu'on l'accomplira à son égard et qu'on
rendra à l'Église de Dieu ce qui est à l'Église de Dieu. Or,
Nos Très Chers Frères, nous devons le dire avec douleur, une affaire tristement
célèbre nous prouve que l'Église Catholique du Canada est menacée dans sa liberté
et ses droits les plus précieux. Et ce qui met le comble à notre affliction, c'est
que l'Église peut dire comme le prophète : J'ai nourri des enfants,
je les ai comblés de bienfaits et ils m'ont méprisé: filios enutrivi et exaltavi,
ipsi autem spreverunt me (Isaïe 1, 2) ! Les premiers auteurs de cet attentat
ont été élevés sur les genoux d'une mère catholique, ils se sont assis dans leur
enfance à la table sainte; ils ont reçu le caractère ineffaçable de la confirmation,
et encore aujourd'hui, malgré leur révolte, ils se disent catholiques; pour avoir
le droit de faire ouvrir par la force l'entrée d'un cimetière consacré par les
prières de l'Église et destiné par elle à la sépulture de ses enfants fidèles. Pour
déguiser cette usurpation criminelle, on a invoqué les prétendues libertés
gallicanes, comme si l'unité catholique fondée par Jésus-Christ sur l'autorité
suprême de Pierre et de ses successeurs, n'était qu'un vain nom ! Qu'est-ce en
effet qu'une autorité contre laquelle il serait permis au sujet de se pourvoir
en invoquant ses libertés ! Quel prince, quelle république voudrait
reconnaitre un pareil principe invoqué par une province, malgré les déclarations
cent fois répétées de la constitution et des tribunaux suprêmes de l'état ? Que
ceux qui sont en dehors de l'Église, trouvent de pareils principes bons et admirables,
nous ne pouvons nous en étonner; car ils ne croient pas à cette autorité qui fait
le fondement de l'Église catholique. Mais que des hommes qui osent encore se dire
enfants de l'Église, en méconnaissent jusqu'à ce point l'enseignement et la hiérarchie,
c'est une inconcevable erreur. Ceux qui
ont commencé, soutenu, ou encouragé par leurs souscriptions, cet inqualifiable
attentat contre les droits les plus certains de l'Église, nous les tenons pour
coupables d'une révolte ouverte contre l'Église et d'une grave injustice dont
ils ne peuvent recevoir le pardon, s'ils ne s'efforcent de la réparer par tous
les moyens en leur pouvoir. Nous invitons
tous les véritables enfants de l'Eglise à demander au Coeur divin de Notre Seigneur
d'avoir pitié de ceux qui se sont ainsi égarés des sentiers de la foi et de la
justice, afin que reconnaissant leur péché et le réparant, ils obtiennent miséricorde. CONCLUSION Tels
sont, Nos très Chers Frères, les avis importants que nous croyons devoir vous
donner dans les circonstances actuelles. Défiez-vous
surtout de ce libéralisme qui veut se décorer du beau nom de catholique
pour accomplir plus sûrement son oeuvre criminelle. Vous le reconnaîtrez facilement
à la peinture qu'en a faite souvent le Souverain Pontife : 1. Efforts pour asservir
l'Église à l'État ; 2. tentatives incessantes pour briser les liens qui unissent
les enfants de l'Église entre eux et avec le clergé ; 3., alliance monstrueuse
de la vérité avec l'erreur, sous prétexte de concilier toutes choses et d'éviter
des conflits ; 4. enfin, illusion et quelquefois hypocrisie, qui sous des dehors
religieux et de belles protestations de soumission à l'Église, cache un orgueil
sans mesure. Souvenez-vous que la véritable
politique chrétienne n'a qu'un but qui est le bien public, qu'un seul moyen
qui est la conformité parfaite des lois avec la vérité et la justice. Respectez
le serment comme un acte religieux de grande importance : avant de le prêter,
examinez bien si la formule est vraie en tous points au meilleur de votre connaissance;
accomplissez scrupuleusement les devoirs de votre serment d'office et gardez-vous
d'induire votre prochain au parjure. Sera
le présent mandement lu et publié au prône de toutes les églises et chapelles
de paroisses et de missions où se fait l'office public, le premier dimanche après
sa réception. Donné sous nos signatures,
le sceau de l'Archidiocèse et le contreseing du secrétaire de l'Archevêché, le
vingt-deux septembre mil huit cent soixante-quinze.
E. A., Arch. de Québec. IG.,
Év. de Montréal. L.-F., Év. des
Trois-Rivières. JEAN, Év. de
St-G. de Rimouski. E.-C., Év.
de Gratianopolis. ANTOINE, Év.
de Sherbrooke. J. Thomas, Év.
d'Ottawa. L: Z. MOREAU, ptre, Adm. de
SaintHyacinthe. Par Messeigneurs, C.
A. COLLET, prêtre, Secrétaire. Source:
Mgr H. Têtu et l'abbé C.-O. Gagnon, Mandements, Lettres pastorales et Circulaires
des Évêques de Québec. Nouvelle Série. Son Éminence le cardinal Taschereau.
Volume premier, Québec, Imprimerie Générale A. Côté et Cie, 1889, 570p., pp.
336-341. © 2000 Claude
Bélanger, Marianopolis College |