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Les Grecs à l’époque hellénistique

Claude Bélanger,
Département des Sciences humaines,
Marianopolis College.

1. Introduction

2. Caractéristiques de l’époque hellénistique

3. L’unification des Grecs sous Alexandre le Grand

4. Un empire unifié sous Alexandre le Grand

5. Les trois royaumes hellénistiques

A. La Macédoine sous les Antigonides

B. Le royaume de Séleucus

C. L’Égypte des Ptolémées (dynastie des Lagides)

6. La culture hellénistique

A. Ses caractéristiques générales

B. Éléments spécifiques à la culture hellénistique

a. Économie, urbanisme et art de vivre

b. Éducation

c. Les voyages

d. L’art hellénistique

C. Trois exemples de la culture hellénistique

      i. Alexandrie

      ii. La bibliothèque d’Alexandrie

      iii. Le Mousseion d’Alexandrie

      iv. Pharos

    b. Polybe

    c. La Philosophie hellénistique

      i. Le cynisme

      ii. Le scepticisme

      iii. L’épicurisme

      iv. Le stoïcisme

Conclusion

Introduction

On appelle « hellénistique » la période d’histoire de la Grèce qui s’étend de 336anè, au moment où les poleis grecques ont été unifiées par les armes par les Macédoniens, jusqu’à la conquête des territoires grecs par les Romains.

Cette période hellénistique est essentielle pour comprendre la diffusion de la culture grecque à l’ensemble du bassin méditerranéen. Aux époques archaïque et classique, les Grecs, ayant préalablement absorbé plusieurs des éléments culturels du Proche-Orient dont ils auraient dû être reconnaissants, étaient devenus les meilleurs représentants de la culture occidentale naissante. Ils avaient développé cette culture en y faisant des additions importantes de langue, d’alphabet, de connaissances scientifiques et philosophiques, de notions politiques, de littérature et d’art. À l’époque classique, ils avaient donc développé une grande culture dont on peut s’émerveiller aujourd’hui. Cette culture avait été répandue dans l’aire géographique dominée par les Grecs mais était restée largement limitée aux Grecs.

En effet, les Grecs avaient été incapables de répandre cette culture parmi d’autres peuples parce que certains éléments de leur culture étaient typiquement grecs—la polis et ses différentes formes de gouvernement par exemple—et donc inexportable, et que, d’autre part, leur vision des autres, perçus globalement comme des « barbares », les avait empêchés d’être suffisamment ouverts d’esprit pour entrer vraiment en contact avec eux, les influencer, les transformer. Pour les Grecs, les autres n’étaient pas seulement des étrangers, mais des êtres inférieurs dont il fallait se méfier. Le grand orateur athénien Isocrate avait soutenu, sans contradiction, qu’il y avait plus de différence entre le Grec et le barbare qu’entre l’homme et l’animal. De même, excepté dans sa phase initiale, les Grecs avaient été relativement peu influencés par la culture du monde extérieur. Si les autres étaient des « barbares », des êtres ignares, incapables de raisonner (c’est même l’opinion d’Aristote), tout juste du niveau du monde animal, les Grecs n’avaient rien à apprendre d’eux et n’étaient pas intéressés à leur enseigner leur culture.

Face au monde barbare, les Grecs de l’époque classique n’avaient donc eu que mépris et crainte—crainte que les barbares viennent un jour les dominer et détruire ce qu’ils avaient construit. La période hellénistique allait changer profondément cette vision des choses, transformer la culture grecque en l’enrichissant davantage par les apports du monde extérieur, la répandre chez les autres, particulièrement chez les Romains, et former avec ces derniers la base de la culture occidentale dans le bassin méditerranéen, la culture gréco-romaine.

Pour bien comprendre ce processus, il importe que nous examinions brièvement les caractéristiques de la période hellénistique, que nous en définissions plus précisément la chronologie, que nous donnions quelques exemples des transformations qui eurent lieu.

1. Caractéristiques de la période hellénistique :

Au cours de la période hellénistique, l’univers des Grecs allait être transformé des façons suivantes :

  1. Les Grecs furent d’abord unifiés par la conquête des Macédoniens. En pratique, pour la première fois de leur histoire, le concept d’Hellas devint largement une réalité (d’où l’appellation de période hellénistique). Cette période marque le triomphe du panhellénisme sur le concept plus restreint de la polis. Le déclin de la polis amena inévitablement l’affaiblissement de la religion civique et son remplacement progressif par les cultes mystérieux venant de l’Asie.
  2. Ils se constituèrent ensuite un empire unifié, bien qu’éphémère, sous le leadership d’Alexandre le Grand.
  3. L’éclatement de cet empire, à la mort d’Alexandre, mena à l’établissement de trois royaumes majeurs—on les connaît sous le vocable de royaumes hellénistiques—qui dominèrent longtemps l’est méditerranéen et furent les canaux de transmission des contacts entre Grecs et non-Grecs. La forme de gouvernement a donc changé. Ce n’est plus de démocratie dont il est question mais de rois à qui on reconnaît souvent un caractère divin, comme cela avait déjà été le cas pour les anciens pharaons d’Égypte. C’est là le début de notions que l’on reverra à Rome avec ses empereurs et en Europe, par la suite, avec des monarchies de « droit divin ». L’espace politique et la vision des Grecs se sont aussi élargis. Les Grecs vivent maintenant dans de grands ensembles territoriaux que sont ces royaumes. Le centre de gravité du monde grec s’est déplacé de la Grèce, d’Athènes en particulier, vers l’Égypte et l’Asie mineure. Les grandes villes hellénistiques sont maintenant Alexandrie et Pergame.
  4. Finalement, hellénistique réfère à la nouvelle culture de cette période, faite d’éléments de la culture classique de la Grèce mais aussi d’apports importants du monde extérieur. Ce syncrétisme culturel allait mener à la création d’une culture cosmopolite et universelle : l’hellénisme. Cette hellénisme reflète non seulement une nouvelle manière de voir mais une façon de vivre. Alors que la vie se déroulait autour de l’agora et l’ecclésia à l’époque classique, elle se concentre maintenant autour des gymnases, des palestres et des stades.

2. L’unification des Grecs sous Alexandre le Grand.

À l’époque classique, la Macédoine (voir la carte de la Macédoine) était dans le monde grec une anomalie : c’était un vaste royaume situé dans le nord de la Grèce, bordant sur le monde des barbares. Avec les Grecs, les Macédoniens partageaient la langue, la religion et plusieurs autres caractéristiques culturelles. Cependant, ils étaient gouvernés par un système de gouvernement—la monarchie—que les Grecs jugeaient primitif et ils n’habitaient pas dans des poleis. Ce dernier point en particulier les disqualifiaient d’être considérés comme de « vrais » Grecs. En réalité, les Grecs regardaient craintivement ce royaume qu’ils considéraient, au mieux, comme semi-Grec, au pire comme semi-barbare. Le déclin des poleis, après la Guerre du Péloponnèse, donna à la Macédoine sa chance de jouer un grand rôle sur l’échiquier grec. (Pour en savoir davantage sur l’histoire de la Macédoine, on peut consulter ce site en anglais)

Suite à la mort de Philippe de Macédoine et la montée sur le trône d’Alexandre le Grand*, les Grecs furent unifiés par conquête, particulièrement après qu’Alexandre eut mit un terme à la révolte menée par Thèbes et Athènes en 336. Thèbes fut détruite complètement, sauf la maison du poète Pindare et ses habitants vendus en esclavage. Il unifia ensuite les Grecs (sauf Sparte) dans la Ligue de Corinthe dont il assuma la direction. Bien qu’une forme d’autonomie ait été reconnue aux cités grecques, on assiste vraiment à l’unification des Grecs sous le leadership d’Alexandre, au triomphe du pan-hellénisme, et au déclin de la polis. Alexandre réussit à rallier les Grecs derrière lui en leur proposant de se lancer à la conquête de l’empire perse.

3. Un empire unifié sous Alexandre le Grand

L’invasion de l’empire perse, à partir de 323, par Alexandre avait plusieurs motifs : la jeunesse d’Alexandre avait été meublée des héros mythiques dont il rêvait d’être l’émule, les Grecs manquaient d’espace vital et de ressources dont l’empire perse débordait, l’attrait du butin qu’ils récolteraient (la grande Marche des Dix Mille* avait informé les Grecs des richesses de l’Asie et captivé leur imagination), surtout le désir de cimenter l’unité des Grecs, de promouvoir le pan-hellénisme, en les orientant vers l’objectif commun de se débarrasser de leur ennemi séculaire.

On suivra les campagnes d’Alexandre en lisant la description et en examinant les cartes à ce site. Suivez le mouvement d’ensemble, ne vous perdez pas dans les détails des batailles, notez les paramètres chronologiques, mesurez l’ampleur de la tâche accomplie et voyez pourquoi Alexandre est connue de histoire comme Alexandre le Grand (grand par ses conquêtes mais aussi par le service qu’il rendit aux Grecs en les unifiant). À sa mort, qui survint prématurément à la suite de fièvres, en 323, Alexandre avait constitué le plus grand empire jamais vu dans l’histoire de l’humanité jusqu’alors (Voir la carte qui illustre ce point; examinez aussi cette autre carte qui montre l’empire dans le contexte plus large de la Méditerranée).

Alexandre le Grand avait eu une vision du monde différente de celle des Grecs de l’époque classique. Pour lui, tous les peuples constituaient ensemble l’humanité. Tous avaient de la valeur. Tous faisaient partie de la même fraternité. Voilà pourquoi il maria une princesse perse et forma des milliers d’unions entre ses vétérans grecs et macédoniens et les peuples qu’ils rencontrèrent. Ces unions, en plus de consolider son pouvoir sur les peuples conquis, allaient aider à transformer la mentalité des Grecs face aux autres.

5. Les trois royaumes hellénistiques

L’empire hellénistique unifié ne survécut pas à la mort d’Alexandre; il s’effrita aussitôt. Sur ses cendres, après de longues guerres civiles qui durèrent jusqu’à 278, émergèrent éventuellement des royaumes hellénistiques qui continuèrent l’œuvre commencée par Alexandre. Ces royaumes allaient être le canal de transmission de la culture grecque à l’Est méditerranéen et de l’absorption par les Grecs de caractéristiques culturelles empruntées aux peuples qu’ils rencontrèrent. Nous décrivons ici brièvement les trois principaux royaumes hellénistiques et leur conquête par Rome.

A. La Macédoine sous les Antigonides

Le plus compact et le plus homogène de ces royaumes fut celui de la Macédoine. Initialement gouverné par Antipater, nommé régent par Alexandre lui-même, et à sa mort par son fils Cassandre, le royaume tomba dans l’anarchie à la mort de ce dernier. La guerre civile dura jusqu’à la victoire d’Antigonus qui fonda la dynastie des Antigonides qui gouvernèrent la Macédoine jusqu’à la conquête romaine (168anè).

La dynastie des Antigonides

 

Source : http://www.macedonian-heritage.gr/HellenicMacedonia/en/A1.6.1.html

(accédé le 2 septembre 2001)

Le royaume de Macédoine a dû faire face à de nombreux problèmes : il dut combattre les Gaulois et les Illyriens (les « barbares » du nord) qui attaquaient sa frontière; il fit aussi face aux désirs expansionnistes de l’Épire sous Pyrrhus. Surtout, il fut confronté fréquemment aux Grecs du sud qui tentaient, par la formation de ligues (ligues Étolienne et Achéenne) à se libérer du joug macédonien. Les Grecs, qui n’avaient jamais accepté la domination macédonienne, firent appel aux Romains. Il s’ensuivit une série de quatre guerres entre la Macédoine et les Romains. En 168, la Macédoine fut incorporée dans l’empire romain et réduite à l’état de province en 147.

(On trouvera des éléments supplémentaires en anglais pour l’histoire de la Macédoine sous le règne des Antigonides à ce site)

B. Le Royaume de Séleucus

Le plus grand et le plus faible des royaumes hellénistiques fut celui de Séleucus. Après quarante année de lutte, il hérita de la majeure partie de l’ancien empire perse. Ce royaume manquait d’unité géographique, linguistique ou religieuse. Trop vaste, d’une grande diversité culturelle, ses monarques furent confrontés au même problème auquel tous les gouvernants de cette région avaient eu à faire face depuis les temps reculés d’Hammourabi : le manque d’unité. Cela força parfois ses dirigeants à chercher à imposer plus d’uniformité culturelle, en faisant la promotion de l’hellénisme, ce qui résulta en des troubles, telle la révolte des Macchabées contre Antiochos Épiphane. (Voir la section sur l’histoire des Hébreux)

La Dynastie des Séleucides

Source: http://www.barca.fsnet.co.uk/seleucid-dynasty.htm (accédé le 2 septembre 2001)

Le royaume des Séleucides, à cause de sa faiblesse, fut aussi confronté aux attaques de ceux qui l’entouraient. Les Parthes, les Romains (supportant particulièrement les prétentions des dirigeants de Pergame) et les Ptolémées d’Égypte l’attaquèrent souvent, réduisant progressivement son territoire à la zone de la Syrie, qu’on peut considérer comme le centre du royaume, et de l’Asie Mineure. Les Ptolémées cherchaient à chasser les Séleucides de la côte méditerranéenne où ces derniers avaient établi un commerce florissant. Sa capitale, Antioche, cherchait, en vain, à rivaliser avec Pergame et Alexandrie pour le titre du plus grand centre intellectuel et culturel du monde hellénistique. On attribue à Séleucos 1er de nombreuses fondations de cités.

Le royaume disparut progressivement, ses parties orientales étant annexées par les Parthes, tandis que les parties méditerranéennes étaient subjuguées par Rome (victoire de Pompée en 64anè).

C. L’Égypte des Ptolémées (dynastie des Lagides)

 

Le plus brillant des royaumes hellénistiques, celui qui eut le plus de développement et de succès, fut celui établi en Égypte par Ptolémée 1er.

Le royaume des Ptolémées bénéficiait de la richesse et de la sécurité fournies par le territoire de l’Égypte. Fertilisé par les crues du Nil, le territoire produisait des céréales en telles quantités qu’il pouvait en exporter vers d’autres points du bassin méditerranéen. Payés en métaux précieux, les Ptolémées pouvaient s’équiper d’une flotte puissante, maintenir une forte armée de mercenaires, supporter par mécénat les arts et les lettres, bâtir de remarquables monuments publics. Ils poursuivirent une politique d’expansion le long de la côte de l’est méditerranéen dans le but de contrôler tout le commerce du Proche-Orient.

Leur administration semble avoir été remarquablement efficace, basée sur une lourde bureaucratie établie sur le modèle des anciens pharaons. Leur capitale était établie à Alexandrie, ville fondée en l’honneur d’Alexandre le Grand et où son corps reposait dans une mausolée. Grecs et Macédoniens fournirent les cadres pour la haute administration alors que les Égyptiens jouent les rôles subalternes sauf, peut-être, dans les temples. Le royaume était divisé en zones administratives appelées nomes. Chacune avait à sa tête un satrape, assisté d’une armée de scribes.


 
Dernière mise à jour :
2001-08-20

    Source de la généalogie : http://2terres.hautesavoie.net/pegypte/texte/pt1

    (accédé le 2 septembre 2001)

Un élément qui fit la grandeur du royaume des Ptolémées, outre qu’il dura plus longtemps que les deux autres, fut son cosmopolitisme. Les Ptolémées furent les monarques les plus tolérants de leur époque. Ils régnèrent avec égale sagesse sur leurs sujets égyptiens, grecs, perses, syriens et juifs. Leur royaume comptait la plus grande communauté de Juifs de la diaspora, à Alexandrie. Ces différentes cultures vivaient côte à côte se nourrissant mutuellement pour le plus grand développement intellectuel de chacun. Certains auteurs nuancent cette vision qu’ils jugent idyllique et loin de la réalité.

L’empire des Ptolémées vint à sa fin avec Cléopâtre, en l’an 30, alors que l’Égypte fut incorporée à l’empire romain.

6 . La culture hellénistique.

A. Ses caractéristiques générales

La rencontre des Grecs avec la culture de ceux qui les entouraient provoqua un changement fondamental dans leur vision du monde et servit à enrichir le patrimoine culturel occidental.

La vision des Grecs du monde extérieur— un monde peuplé de « barbares » — était basée sur une méconnaissance de ceux qui les entouraient autant que sur une vision ethnocentrique de leur univers. Quand des milliers de Grecs suivirent Alexandre à travers l’empire perse, ils virent de grandes réalisations des cultures du Proche-Orient. Comment les Grecs pouvaient-ils traiter les autres de « barbares » après avoir contemplé les pyramides d’Égypte, vu les splendeurs de Babylone, admiré le Temple de Jérusalem et entrevu la civilisation indienne ? Ces conquêtes furent donc l’occasion d’une profonde transformation dans les mentalités. Nous ne pouvons ici qu’en définir que quelques éléments.

 

La première transformation de la culture des Grecs fut qu’elle devint plus ouverte aux influences extérieures. Les Grecs avaient toujours été marqués par une soif de savoir intellectuel. Maintenant, l’univers tout entier s’ouvrait à eux. Ils se mirent à l’étude des cultures qu’ils rencontraient. Ils regardèrent les autres avec des yeux pleins de curiosité plutôt qu’avec ceux du mépris. Il ne faut pas se surprendre si les Ptolémées financèrent la traduction des Livres Saints des Juifs en langue grecque. Bien sûr la traduction des Septante allait servir une communauté juive de plus en plus assimilée au monde hellénistique, ce qui déjà rendait service à l’humanité. Mais la traduction avait aussi pour but de satisfaire la soif de savoir de ces grands monarques et de leurs sujets. Si le Christianisme a pu se développer plus tard, en lui rendant accessible le savoir des Livres Saints, c’est parce que ces grandes dynasties hellénistiques étaient ouvertes aux autres et qu’ils étaient curieux. Les Ptolémées n’ont pas méprisé l’héritage de l’ancienne égypte. Au contraire, ils cherchèrent à l’imiter. Ainsi, à la demande de Ptolémée II Philadelphe, Manéthon* de Sebennytos rédigea en grec une histoire de l’Égypte ancienne en 30 volumes. Malheureusement, presque tous ces textes sont perdus aujourd’hui. Néanmoins, la presque totalité de nos connaissances des différentes dynasties de l’Égypte ancienne est basée sur ces écrits patronnés par le grand roi. Quand de grandes bibliothèques seront assemblées et financées à Antioche, Pergame et Alexandrie ce sera avec le but d’y faire avancer le savoir de toute l’humanité. On notera tout de même, comme l’ont démontré plusieurs auteurs, que la structure sociale établie dans l’Égypte mettait les Grecs et les hellénisés dans la position de leadership et que ces derniers dominaient la population égyptienne. Néanmoins, tous pouvaient être acceptés s’ils adoptaient la culture et la langue de l’hellénisme.

La culture hellénistique était aussi tolérante et cosmopolite. L’autre n’était plus un être méprisable mais un humain qui avait de la valeur, et, s’il acceptait la culture hellénistique, il était considéré comme l’égal du Grec et pouvait obtenir facilement la citoyenneté grecque. On lui reconnaissait de la valeur, du savoir, de l’intelligence. La vision des philosophes stoïques—le logos—qui domine cette période était typique dans ce sens : Dieu était partout dans l’univers et il avait déposé une partie de l’âme éternelle dans tous les individus, des plus humbles aux plus grands. Tous avaient donc une âme et avaient de la valeur, nul ne pouvait être ignoré. On était curieux d’entrer en contact, d’apprendre les us et coutumes des autres. On était ouvert à ce qui était nouveau. On était prêt à considérer d’autres façons de faire les choses. Surtout, on aimait la différence, on la cherchait, on l’appréciait. Le cosmopolitisme, l’ouverture aux autres, enrichissait la culture de tous.

Finalement, cette culture était formée par syncrétisme et avait donc un caractère universel. La nouvelle culture hellénistique était un amalgame de la culture classique grecque mais avec des additions importantes des éléments de d’autres peuples, spécialement ceux qui touchent la religion. Parce que les Grecs s’étaient ouverts aux autres, qu’ils étaient allés vers eux, qu’ils avaient emprunté des éléments d’eux et incorporé ces additions à leur culture, ils créèrent une nouvelle culture très attrayante pour les autres, une culture que les autres voulaient absorber. Leur culture était donc universelle dans ce sens qu’elle pouvait appartenir à tous, que tous pouvaient y adhérer. Voilà pourquoi la culture hellénistique rayonna, dans l’est méditerranéen et chez les Romains, plus que la culture classique grecque.

B. Éléments spécifiques de la culture hellénistique

Nous ne donnons qu’un bref aperçu des éléments spécifiques de la culture hellénistique.

Considérons d’abord comme typique cette vision exprimée par Démétrios, fils d'Antigone, qui, ayant pris Mégare [...] « lui laissa (à Stilpon) sa maison et lui fit restituer tous les biens qui lui avaient été enlevés. Comme ce prince lui demandait un relevé de tout ce qu'on lui avait pris, il répondit qu'on ne lui avait rien pris, car personne ne lui avait ôté sa science, et qu'il avait encore son éloquence et son savoir. » (Diogène Laerce, Vies des philosophes, II, 115)

a) économie, urbanisme et art de vivre

Les structures économiques et sociales sont profondément altérées. L’expansion de l’aire géographique grecque a élargi les possibilités de commerce. (Sur cette question, il faut lire la section sur les structures économiques et sociales à ce site.) Les villes subissent un développement phénoménal. Des dizaines de nouvelles cités sont fondées. La plupart sont construites sur le plan du damier, selon les règles d’urbanisme définies par Hippodamos* de Milet à l’époque classique, c’est-à-dire avec des rues se traversant à angles droits. C’est encore ainsi qu’on construit nos villes occidentales aujourd’hui. Ces villes sont souvent équipées de systèmes d’aqueduc et d’égout. Les rues sont larges et aérées; des gymnases et des parcs ont été prévus. Hippodamos de Milet découpait la ville en zones, chacune avec des fonctions publiques ou privées. L’urbaniste cherchait avant tout l’harmonie des rôles (résidentiel, commercial, administratif, religieux), l’utilisation intelligente de la topographie sans la considérer comme contraignante, et la segmentation de la population en différentes classes. (Voir le plan de Milet à ce site) Sa ville idéale ne s’étendait pas indéfiniment mais était limitée à 10,000 habitants répartis dans des îlots où les maisons sont identiques parce que tous les habitants sont égaux. Ces villes manifestent un certain art de vivre et cherche à créer collectivement de la beauté. Le gymnase est un centre culturel. Autour d'une cour intérieure on trouve différentes pièces auxquelles on a accès : salle de bain, vestiaire, salle de gymnastique, de boxe, salles d'enseignement et de conférence où on enseigne la littérature et la philosophie, salle de concert. Les adultes viennent y passer une bonne partie de leur temps libre pour nourrir leur esprit et assainir leur corps. Le gymnase est souvent relié à un stade avec des galeries pour l'entraînement sportif. La palestre était réservée à la lutte. De la galerie supérieure, les spectateurs pouvaient assister aux compétitions.

Tous ces éléments définissent un art de vivre, une façon de faire les choses. L'hellénisme n'est donc pas seulement une nouvelle attitude envers les autres mais aussi un style de vie. Ce qui est frappant c’est que plusieurs de ces éléments avaient été définis à l’époque classique. Mais ils deviennent populaires et généralisés seulement à l‘époque hellénistique et, autre élément nouveau, ils se trouvent fréquemment hors de la Grèce.

b) éducation

À cette même époque, l’éducation devient très importante pour les Grecs. Son but principal n’est plus, comme à l’époque classique, la préparation du citoyen à assumer ses responsabilités dans la polis. Son objectif est plus individualiste. Son but est maintenant d’enrichir l’esprit, de développer les talents humains, de contribuer à l’épanouissement de l’individu. Le raffinement culturel est perçu comme un grand bien. Garçons et filles ont accès à l’éducation bien que les premiers soient les seuls à pouvoir les poursuivre plus avant qu’à un niveau primaire. Cette éducation est couronnée par la présence de gymnases dans toutes les grandes cités. Le gymnase est un lieu de rencontre intellectuel et sportif où l’hellénisme est préservé. Des bibliothèques sont souvent attachées à ces institutions. (Pour en savoir plus sur l’éducation hellénistique, on peut consulter ce site)

c) les voyages

Les Grecs avaient toujours montré une grande curiosité pour l’univers où ils vivaient. Cet intérêt allait s’étendre à l’étude des autres à l’époque hellénistique. À l’occasion des grandes campagnes d’Alexandre le Grand, des dizaines de milliers de Grecs furent amenés à voir des régions et des peuples qu’ils n’auraient jamais eu la chance de connaître auparavant. Cette ouverture aux autres amena inévitablement le goût des voyages. L’usage commun de la langue grecque qui s’est répandue dans l’est méditerranéen et la protection des lois grecques qui sont utilisées par les Ptolémées et les Séleucides sécurisent le voyageur. Sans que le tourisme se démocratise dans le sens où il l’est aujourd’hui, il devint fréquent que les Grecs, lors d’une campagne militaire, ou lorsqu’un fonctionnaire est envoyé pour appliquer des décrets royaux, voient du pays. Les voyages se font par mer principalement pour les grandes distances et à pied pour les compléter à l’intérieur des terres. On recherche ce qui est différend, ce qui est exotique. On semble particulièrement curieux des us et coutumes et des mystères des religions qu’on rencontre. Les voyages d’étude se multiplient. Ils sont en effet nombreux ceux qui voyagent pour faire des recherches dans les grandes bibliothèques de Pergame et d’Alexandrie. Dans ces circonstances, les connaissances géographiques vont s’améliorer et les cartes produites à cette époque reflètent ces améliorations (Examinez les cartes numérotées 111, 112, 112A, 113, 114, et 115 de ce site pour mesurer le niveau de connaissance géographique de l’époque hellénistique).

d) l’art hellénistique

Le développement d'une grande classe commerciale et la création des monarchies à l'époque hellénistique amenèrent la prolifération de mécènes ce qui eut des effets très positifs sur l'art de cette période. En créant de grandes capitales et en désirant les doter de magnifiques édifices publics (temples, bibliothèques, monuments, théâtres, parcs, rues bordées de colonnades, etc.), les monarques stimulèrent la production artistique en donnant aux artistes l'occasion d'exercer leur talent. Ces monarchies ont le goût du grandiose et du colossal. Il en fut de même pour les riches commerçants de cette période qui, en cette époque plus individualiste, se firent construire de somptueuses demeures qu'il fallait décorer de mosaïques et de sculptures. Même la peinture fut affectée puisqu'il était maintenant plus acceptable de faire faire son portrait. L'art devient de plus en plus le reflet d'un certain luxe. On assiste donc à une prolifération de la création de tout genre à l'époque hellénistique.

Toute évaluation de l'art est très personnelle. Nous avons tous une conception personnelle de la beauté, de ce que nous aimons. Plusieurs jugent que l'art grec a atteint l'apogée de son développement à l'époque hellénistique.

Le fondement principal de l'art hellénistique fut l'art de la Grèce classique. On reconnaît immédiatement l'art hellénistique comme un art grec. On y retrouve le même souci d'ordre, d'esthétique et de rationalité. Les thèmes artistiques du classicisme—les divinités et la mythologie—continuent d'être exploités. Mais le style a nettement évolué sous l'effet conjugué des influences extérieures, surtout d'Asie, et de la montée de l'individualisme. Les thèmes de l'art hellénistique sont beaucoup plus variés. Ils sont d'une grande hétérogénéité. Des enfants, des femmes, des «barbares», des vieillards sont aussi représentés. L'exemple du Gaulois mourant*, d'une grande noblesse de représentation et dont on perçoit la douleur, est typique de la période. Les artistes se rendent à l'agora pour trouver le sujet de leur création. On s'inspire de scènes quotidiennes et de sujets qui provoquent l'émotion. Ces œuvres sont souvent d'un réalisme qui nous touche encore aujourd'hui. Dans ce sens, l'art hellénistique reflète bien la tendance de voir dans tous une valeur humaine et constitue un rejet de l'idéalisme, de l'élitisme, du manque de réalisme du classicisme. Le caractère individualiste de l’art est accentué par le fait que l’œuvre est souvent attribuable à un artiste précis.

On note aussi dans les œuvres des artistes de l'époque hellénistique un souci de détails qui n'existait pas auparavant. Les vêtements ont souvent plusieurs plis qui accentuent la grâce du personnage. Le goût du précieux mène à la confection de bijoux, de miniatures et de statuettes. Bien qu'on utilise toujours le marbre, la pierre et la terre cuite pour façonner les sculptures, une chaleur se dégage souvent de ces œuvres. On accentue les caractéristiques physiques des personnages, même lorsqu'ils sont laids. Le sujet est souvent présenté en mouvement, ce qui lui donne plus de vie, plus d’humanité.

Les trois œuvres les plus connues de la période sont la Vénus de Milo* retrouvée en 1820, la Victoire de Samothrace* et Lacoon et ses deux fils. Dans la première de ces sculptures, on croit qu’il s’agit d’Aphrodite, déesse de l’amour et de la fécondité, qui est représenté. Même si la sculpture est incomplète, elle est d’une incomparable beauté (cet autre site montre une Vénus plus complète et la Victoire sous un autre angle; cliquer sur les images pour les agrandir). L’attitude du corps est naturel, d’un grand réalisme. L’artiste a drapé le corps avec beaucoup de soin et de talent. Le vêtement accentue la grâce et le mouvement. Il ne faut pas se surprendre si cette sculpture est devenue l’objet d’un tel culte chez les amateurs de l’art. La Victoire de Samothrace est une création du début du second siècle avant notre ère. Il s’agit d’une très belle femme ailée, représentant Nikè, déesse de la victoire, qui fut sculptée par un artiste de Rhodes. Cette statue de marbre est posée sur la proue d’un navire. Elle commémorait probablement une victoire. La sculpture donne l’impression d’un personnage sur le point de prendre son élan avec une puissance exceptionnelle. Encore une fois, le vêtement accentue l’impression de mouvement. La sculpture de Lacoon et ses deux fils est attribuée à trois maîtres de l’école de Rhodes et aurait été créée vers 50anè. Elle représente une scène de l’Énéide de Virgile où un prêtre, Lacoon, et ses deux fils sont étranglés par des serpents pour être intervenus du côté des Grecs dans la guerre de Troie. Les sculpteurs ont réussi à merveille à rendre les sentiments et les émotions. Selon Virgile, Lacoon lutte désespérément contre la douleur et pousse des hurlements horribles. Dans la sculpture, tous les muscles sont tendus à l’extrême en une vaine tentative de résistance. Chaque trait du visage montre une incroyable agonie. Les fils assistent impuissants à cette scène de carnage, la douleur se lisant sur leurs visages.

L'art de la période hellénistique est donc un art en pleine puissance, d'une grande créativité et hétérogénéité. Il exprime toutes les qualités essentielles de la période classique grecque mais aussi les raffinements individualistes qui font maintenant leur apparition et les apports substantiels du monde du Proche-Orient. Ce qui est créé est techniquement superbe et apprécié et a un caractère universel. C'est cet art que les Romains vont identifier avec l'art grec, qu'ils chercheront à imiter et copier. C'est ce même art que les Européens de la Renaissance vont redécouvrir et utiliser. (Pour en savoir davantage sur l’art hellénistique, on peut lire l’essai de Steffi Julia Serato, « The Artistic Accomplishment of the Hellenistic Era »; aussi les notes du professeur McArver sur Hellenistic Age : Part II : Litterature, History, Science, Medicine, Mathematics, Geography.)

C) Trois exemples de la culture hellénistique

i. Alexandrie

La ville d’Alexandrie (voir la carte) est sans conteste le plus grand symbole de la culture hellénistique. Le site a d'abord été identifié par Alexandre lui-même, à cause notamment de ses qualités portuaires, mais c'est sous le règne de Ptolémée Soter que les constructions ont débutées. La ville fut désignée comme capitale du royaume des Ptolémés. Elle fut dotée de monuments et palais royaux à l’image de la grande dynastie fondée par cette famille. Elle devint rapidement un des grands ports de son temps et le centre d’un vaste commerce qui s’étendait sur toute la Méditerranée. On dit que la population de la ville atteignait de 500,000 à 600,000 habitants à l’époque d’Auguste.

Alexandrie devint rapidement le plus grand centre de l’hellénisme de son temps. Cela est d’abord dû au cosmopolitisme que le brassage de sa population variée provoqua inévitablement. Il y avait à Alexandrie un fort contingent de population grecque. Celle-ci constituait l’armature de tête de l’administration, de l’armée et du commerce. Il y avait aussi une population considérable d’autochtones égyptiens constitués d’artisans, de petits fonctionnaires, de scribes, de serviteurs, de soldats et de boutiquiers. La ville avait aussi la plus grande concentration de Juifs hors de la Palestine (des estimés nous donnent entre 100,000 et 200,000 Juifs). Ceux-ci s’y étaient concentrés à cause de l’attitude généralement tolérante des Ptolémées. Ils étaient fortement hellénisés, au point que les Livres Saints avaient dû être traduits en grec par les Septante. On trouvait également des Syriens, des Perses, des Arabes et autres représentants de la population du Proche-Orient. De façon générale, ces divers peuples vivaient en amitié et s’influençaient mutuellement pour leur plus grand bien.

Outre le cosmopolitisme de sa population et le prestige d’être une grande capitale administrative et commerciale, Alexandrie reflétait l’hellénisme à cause de l’ouverture d’esprit, de la tolérance, sinon de la grandeur de ses rois. Ceux-ci étaient déterminés de faire rayonner l’hellénisme depuis leur capitale. Ils créèrent donc les infrastructures nécessaires à ce projet. C’est ainsi qu’ils dotèrent Alexandrie d’une grande bibliothèque, du Mouseion et d’un phare qui devint l’une des Sept merveilles du Monde*.

ii. La bibliothèque d’Alexandrie

La bibliothèque d’Alexandrie fut créée par Ptolémée 1er à l’instigation de Démétrios de Phalère qui fut disciple d’Aristote. Ptolémée mit à la disposition de son protégé un énorme budget pour constituer la plus grande bibliothèque de l’Antiquité. Son but était de faire d’Alexandrie la capitale culturelle de la Méditerranée. La bibliothèque fut établie dans le même complexe que le palais royal. L’intention était de faire de cette institution une bibliothèque universelle, d’être le dépôt de toutes les connaissances humaines. On appréciera l’évolution qui avait eu lieu depuis l’époque où les Grecs considéraient les autres comme des barbares. En pratique, la bibliothèque devait servir aux recherches que les chercheurs et les savants poursuivaient au Mouseion.

Pendant des décennies, des acheteurs patrouillèrent, au nom des Ptolémées, les quatre coins de l’univers connu pour obtenir des copies de toutes les créations humaines. Des sommes énormes auraient été investies dans un tel projet. Une loi permettait de fouiller tous les navires accostant à Alexandrie et de chercher si des œuvres s’y trouvaient. Si c’était le cas, on les copiait pour pouvoir en avoir un exemplaire dans la bibliothèque.

Éventuellement, la bibliothèque d’Alexandrie eût plus de 500,000 livres (700,000 selon certaines sources). Un système complexe de classification dût être développé. Ce système fut copié par plusieurs autres bibliothèques. L’institution contenait des sections sur la rhétorique, le droit, les tragédies, les comédies, la poésie lyrique, l’histoire, la médecine, les sciences naturelles et autres non classés. Sa section sur les ouvrages grecs était la plus importante, reflétant l’ampleur de la production artistique et savante des Grecs. Mais rien n’était exclu. Sa section sur l’Égypte était importante. Il en était de même pour les écrits venant de Perse et de l’Inde. On aura une idée de la richesse de cette bibliothèque en examinant brièvement la liste des auteurs représentés*.

Deux des bibliothécaires chargés de l’institution devinrent célèbres. L’un d’eux fut Ératosthène de Cyrène qui calcula la circonférence de la terre; un autre fut Aristophane de Byzance qui est bien connu pour sa prodigieuse mémoire et pour le travail qu’il fit sur les différentes éditions de l’œuvre d’Homère.

La bibliothèque fut partiellement détruite à l’époque de Jules César. Elle subit d’autres coups durs par la suite. Néanmoins, Alexandrie continua de jouer un grand rôle culturel à l’époque romaine.

On considère aujourd’hui que seulement 10 % de la production savante et artistique de l’Antiquité nous est connue. Il nous est permis de rêver à ce que contenait l’autre, 90 %! Néanmoins, si même au moins des bribes des connaissances anciennes sont parvenues jusqu’à nous, c’est en grande mesure grâce au désir des grands rois hellénistiques de l’Égypte ancienne de préserver les connaissances de l’humanité.

iii. Le Mouseion d’Alexandrie

En réalité, la bibliothèque d’Alexandrie faisait partie d’un ensemble plus large constituant un institut de recherche consacré aux Muses et qu’on connaît sous le nom de Mouseion. Ce Musée (dans le sens ancien) était en fait un institut de recherches supporté financièrement par les Ptolémées.

L’institut comprenait un jardin botanique pour l’étude des plantes, des laboratoires où des recherches étaient poursuivies, un zoo, des salles de dissection, etc. Des linguistes cherchaient à distiller les connaissances qui venaient de tous les coins de la Méditerranée. Rien n’était rejeté. Les savants de l’époque hellénistique étaient curieux de tout ce que l’esprit humain avait pu produire.

Les chercheurs venaient de partout pour poursuivre leurs recherches à cet endroit. Ils trouvaient là des mécènes pour les aider financièrement et un environnement riche pour stimuler l’esprit. À tout moment on pouvait compter jusqu’à une centaine de savants au Musée. Au cours des cinq siècles qui suivirent la fondation du Musée, presque toutes les grandes découvertes occidentales faites furent attribuables aux chercheurs qui vinrent au Musée d’Alexandrie et poursuivirent des recherches dans sa bibliothèque. Parmi les plus grands savants qui l’ont fréquenté on compte Euclide qui développa la géométrie. Voir les cartes et la listes des hommes de science de l’École d’alexandrie* à ce site.

(On consultera avec profit les articles suivants pour en apprendre davantage sur la science à l’époque hellénistique : Steve Fillmore, « The Status of Science and Technology in the Hellenistic Age »; I. Webb, « Scientists of the Hellenistic period », Andrew Gregory, of the University College of London, has an excellent review of « Hellenistic and Roman Science »; on pourra aussi examiner la carte géographique de la science hellénistique.)

iv. Pharos

Alexandrie est aussi bien connue pour son phare qui fut construit sur l’île de Pharos, à l’entrée du port de la ville. La construction en avait été confiée à Sôstratos de Cnide. Elle s’échelonna de 297 à 283anè. Elle fut complétée sous l’administration de Ptolémée Philadelphe.

Une impressionnante colonnade entourait la tour du phare. Celle-ci était constituée de trois sections : à sa base on trouvait une tour carrée de 70 mètres de haut; cette base était surmontée d’un étage en forme octogonale, fait de marbre blanc et haut de 35 mètres; la dernière grande section était cylindrique et s’élevait d’environ 10 mètres. Au sommet on trouvait une coupole surplombée de la statue de Poséidon, dieu de la mer. Sous la coupole on trouvait la flamme éternelle, amplifiée par un miroir, qu’on pouvait apercevoir à plus de cinquante kilomètres de distance sur la Méditerranée. La construction de cette tour de près de 135 mètres de haut (50 étages aujourd’hui) avait nécessité des prodiges d’ingéniosité et est une preuve éclatante de la science de l’époque hellénistique. Les Anciens l’ont immédiatement considéré comme l’une des Sept merveilles du monde. Pharos était un puissant symbole de la période hellénistique. Son phare non seulement protégeait les marins mais faisait rayonner au loin la culture d’Alexandrie et du monde hellénistique.

Bien que la tour ait été représentée dans quelques œuvres d’artistes et sur de nombreuses pièces de monnaies, il n’en existe pas de descriptions exactes. Toutes les représentations des artistes aujourd’hui sont des essais. Néanmoins, on pourra consulter ces images pour se donner une idée de la forme de cette tour.

b) Polybe

Après Alexandrie, notre deuxième exemple pour refléter les changements culturels de la période hellénistique est Polybe.

Polybe [c202-c120anè] est un historien grec qui reflète de façon typique l’attitude des Grecs à l’époque hellénistique. Né dans une famille noble d’Arcadie, en Grèce, où son père avait été actif politiquement, Polybe devint un politicien important dans la Ligue achéenne en 170. Mal lui en prit puisqu’en 168 les Romains, victorieux dans la bataille de Pydna, ramenèrent plusieurs captifs importants à Rome. Polybe était parmi eux. Il avait donc de bonnes raisons pour en vouloir aux Romains qui venaient de mettre un terme à la demi-autonomie de la Grèce.

Bien qu’en captivité à Rome, il se lia d’amitié avec Publius Scipio et devint son conseiller alors que celui-ci montait en importance dans la ville éternelle. C’est de ce moment qu’il se mit à l’étude de la constitution et de l’histoire de Rome.

Polybe publia éventuellement le résultat de ses recherches dans son Histoire. Celle-ci couvrit éventuellement 40 volumes, dont cinq existent toujours, incluant sa description de la deuxième guerre punique.

Polybe mériterait déjà notre attention par ses qualités d’historien. Il est le digne successeur de Thucydide. Il veut son Histoire objective. Il désire se bien documenter. Il fréquenta ceux qui possédaient de la documentation sur la période qui l’intéressait. Il parla à plusieurs témoins des événements, fit des recherches sur le terrain en se rendant sur les lieux qu’avaient foulés Hannibal et son armée et consulta les ouvrages de ses prédécesseurs. Il confronta les témoignages, discuta des causes et des conséquences et chercha toujours à être impartial. Ce sont toutes là des éléments qui caractérisent la démarche de l’historien professionnel.

On notera que les faits cités ci-dessus soulignent plusieurs éléments qui sont nouveaux pour les historiens grecs. Alors que tous ses prédécesseurs—Hérodote, Xénophon et Thucydide—ont pris des événements touchant la Grèce comme toile de fond de leurs écrits, que leurs héros soient tous grecs, leurs adversaires des « barbares », reflétant bien ainsi la dichotomie qui existait à l’époque classique, Polybe agit autrement.

Il veut d’abord écrire une histoire universelle. On doit entendre ce terme avec les connaissances du monde qu’on avait alors, c’est-à-dire qu’il étudia le monde méditerranéen. Néanmoins, il s’intéresse à tous, reflétant bien l’attitude cosmopolite de son époque. Au centre de son étude, il situe les Romains et non la Grèce. C’est là un deuxième élément de différence. Ses prédécesseurs s’en seraient lamentés. Ce n’est pas le cas pour Polybe. Il a décelé chez les Romains une grandeur qu’il admire fermement. Il désire expliquer comment une simple cité, semblable aux anciennes poleis grecques, a pu se rendre maître de l’univers. Il répond que c’est grâce à son système politique, à sa magnifique constitution républicaine, et à la vertu de ses citoyens. Ceux-ci sont prêts à se sacrifier pour le bien commun comme les Grecs d’autrefois étaient prêts à le faire. D’autres peuples peuvent donc avoir de la valeur, montrer des vertus humaines qu’on croyait jusqu’alors réservées aux Grecs seuls. Loin d’être jaloux de la cité qui a conquis les Grecs, il en est le grand admirateur. S’il présente Hannibal sous un œil très favorable, c’est que son métier d’historien exige qu’il le fasse. C’est aussi parce que Rome en sortira encore plus grandie.

Donc, on ne s’étonnera pas que Polybe ait si bien reflété l’attitude cosmopolite et universelle de son époque. Bien qu’ils travaillent la matière du passé, les historiens reflètent inévitablement la vision et les préoccupations de leurs contemporains.

c) La philosophie hellénistique

La philosophie ne fut pas en reste des autres sciences grecques à l’époque hellénistique. Elle présenta une nouvelle vigueur, une grande hétérogénéité, et beaucoup de créativité. Alors que la philosophie de l’époque classique s’était concentrée sur les grandes questions existentielles et sur le bien commun (la polis), trouvant peu de valeur en ce qui n’était pas grec, celle de la période hellénistique sera plus ouverte aux autres, sera plus individuelle et, ainsi, plus universelle. Pour ne pas alourdir davantage cette section, nous nous proposons d’examiner brièvement les quatre grands courants philosophiques de la période hellénistique—le cynisme, le scepticisme, l’épicurisme et le stoïcisme—sous l’angle d’un thème commun, celui du bonheur. (On notera que ce thème est loin d’épuiser le contenu de ces philosophies) En effet, toutes ces philosophies, malgré leurs divergences idéologiques, cherchaient à définir ce qui pouvait rendre les individus heureux. C’est là un thème qui transcende le temps et l’espace. C’est donc, à l’image de leur époque, un thème universel.

i. Le cynisme

Le cynisme, tel que défini par Diogène de Sinope [c413-327], est basé sur le refus des conventions et la recherche de la liberté. L’homme ne peut être heureux que s’il est libre. Ce qui restreint sa liberté ce sont les biens matériels, les responsabilités qui s’y attachent inévitablement, et les conventions, c’est-à-dire d’avoir à vivre d’une façon qui n’est pas définie par l’individu mais imposée par le milieu. Il faut rejeter toutes possessions, s’affranchir de toute recherche de richesses et d’honneurs et de contraintes sociales et morales.

Les cyniques rejettent donc ce que plusieurs considéreraient comme les bases même de la société : la famille, le travail, la polis. Ils allaient mi-nus, avec des vêtements en lambeaux, vivant selon plusieurs comme des animaux, en mangeant, dormant et faisant leur vie sexuelle en public. Diogène vivait à Athènes dans un tonneau et mendiait. Plus les cyniques choquaient ceux qui les entouraient et plus ils semblaient heureux. En s’affranchissant du désir, en se dépouillant des biens matériels, ils devenaient autonomes et libres et, à leur dire, heureux.

En grec, le mot cynisme a la même étymologie que le mot chien. Le terme de cynique (chien) leur était accolé parce qu'on croyait qu'ils se comportaient comme des animaux…

ii. Le scepticisme

Au cœur du scepticisme, tel que développé par Pyrron d'Élis [365-275], est le principe que la seule réponse rationnelle dans toute situation où nous sommes ignorants est de suspendre notre jugement. Or, les sceptiques jugeaient que toute idée avait sa contrepartie, que toute vision avait son contraire, que chaque chose semblait avoir son opposé, que chaque affirmation avait son contraire, que toute apparence pouvait être fausse. Donc, de façon générale, nous ne pouvons pas atteindre des certitudes, la vérité. Les tentatives par les humains d'atteindre la connaissance, la vérité, conduisaient nécessairement à un état d'âme générant du stress, à être malheureux.

Les sceptiques croyaient que confusion et angoisse résultaient chez les humains lorsqu'ils cherchaient à arriver à des certitudes, à des dogmes. Toujours l'inquiétude venait de l'obligation de connaître et de mesurer la valeur des choses et des idées. Au contraire, en suspendant le jugement sur toutes choses, on arrivait à la paix de l'âme (ataraxia) et au bonheur.

Puisque la connaissance et la vérité objectives—toutes deux fondamentales à toute action humaine—n'existaient pas pour les sceptiques, ils devaient baser leur attitude et leur action sur autres choses s'ils devaient ne pas être préoccupés par l'existence. Ils recommandaient alors de suivre le mouvement général, d'agir ainsi que le faisaient les autres, non parce ce qu'ils avaient raison mais simplement pour minimiser les difficultés. Même lorsqu'un malheur arrivait, il ne fallait pas s'en préoccuper puisqu'on ne pouvait savoir si ce «malheur» n'était pas pour notre propre bien.

Le scepticisme était bien de son temps. Les progrès de la science avait démontré que certaines «vérités» ne l'étaient plus, qu'il fallait de méfier des théories. La floraison des idées contraires, des philosophies, à l'époque hellénistique, avait généré le doute, provoqué l'inquiétude. L'intérêt nouveau dans des cultures étrangères à la Grèce avait introduit de nouvelles croyances religieuses et remis en question les mythes ancestraux.

iii. L'épicurisme

On a écrit bien des choses sur Épicure [341-270] et sa philosophie de l’épicurisme qui ne sont pas méritées. Cette philosophie a souvent été jugée à partir des écrits de certains des disciples du maître. Ceux-ci ont associé l’épicurisme à une recherche effrénée du plaisir (hédonisme). C’était là une déformation du message d’Épicure.

Le but essentiel d’Épicure était de délivrer l’homme des craintes auxquelles il doit faire face. Comme ces craintes dérangeaient la quiétude de l’esprit, elles menaient inévitablement à l’angoisse, à la perte du bonheur. Pour Épicure, le plaisir et la douleur sont respectivement le plus grand bien et le plus grand mal. Le bonheur consiste à conquérir ses craintes, à minimiser les difficultés et la douleur et maximiser les plaisirs. Essentiellement, le corps ne doit pas souffrir et l’âme ne doit pas être troublée.

Pour être heureux, il faut d’abord conquérir sa peur : peur de la mort, peur des dieux, peur de la douleur. Comme les individus ne sont que des agglomérations d’atomes qui se sont constituées par hasard, la mort ne constitue que la désagrégation de ces agglomérations. Au sujet de celle-ci, il écrit dans sa Lettre à Ménécée sur la morale :

« La mort n’est rien pour nous, car tout bien et tout mal résident dans la sensation; or la mort est la privation complète de la sensation. La certitude de savoir que la mort n’est rien pour nous a pour conséquence que nous apprécions mieux les joies que nous offre la vie éphémère ».

De plus, il n’y a pas de vie au-delà de la mort à craindre parce que tout est matière et que la matière se désagrège à la mort. On ne doit pas craindre également les dieux. Le sort des hommes ne dépend pas d’eux, bien qu’ils puissent s’amuser en surveillant les humains. La douleur est éphémère, sinon elle est fatale. Si elle est éphémère, elle nous fait apprécier la santé.

Épicure distingue trois sortes de désirs. Il y a d’abord ceux qui sont naturels et nécessaires. Il faut ne pas avoir faim, soif ou froid. Si ces désirs naturels ne sont pas comblés, la douleur frappera l’individu. Il y a ensuite les désirs naturels mais non nécessaires : ce sont les plaisirs associés à ce qu’on voit, entend, sent, mange et les désirs sexuels. On ne ressent aucune douleur si on ne les possède pas (on notera donc que loin de prêcher l’hédonisme il penche du côté de l’ascétisme). Finalement, il existe de vains désirs qui mèneront inévitablement à l’angoisse. Ces désirs sont associés à l’âme : désir d’immortalité, de gloire, de puissance, d’acquisition de biens, etc.

Comme l’écrit Philippe Remacle : « le plaisir est la cessation de la douleur, la douleur cessation du plaisir ».

iv. Le stoïcisme

Le stoïcisme est la philosophie hellénistique qui eut le plus de succès. Elle eut un impact important chez les Romains et on retrouve dans le christianisme des éléments de cette philosophie.

Son fondateur est Zénon de Citium [336-264]. Il enseignait aux portes d’Athènes (stoa), d’où le nom de ce groupe.

Zénon prêchait que l’univers était gouverné par des lois immuables qui provenaient de la Raison Divine qui établissait ordre et harmonie ici bas. Cette vision est bien reflétée par la citation suivante qui nous vient d’un disciple de Zénon :

« Souviens-toi que tu es acteur dans une pièce, longue ou courte, où l'auteur a voulu te faire entrer. S'il veut que tu joues le rôle d'un mendiant, il faut que tu le joues le mieux qu'il te sera possible. De même, s'il veut que tu joues celui d'un boiteux, celui d'un prince, celui d'un plébéien. Car c'est à toi de bien jouer le personnage qui t'a été donné ; mais c'est à un autre de te le choisir. » Epictète, Manuel, XVII

Il appelait cela le logos. Ce logos avait été déposé dans tous les êtres humains, quel que soit leur statut social. Même les plus humbles, par exemple les esclaves, en avaient reçu une parcelle. Les êtres humains étaient donc tous frères et sœurs et méritaient égale considération.

Zénon prêchait que les individus devaient suivre les lois de la nature telles qu’établies par la Raison Divine. L’harmonie de l’individu avec les lois de la nature amenait inévitablement la quiétude d’esprit et, en conséquence, le bonheur. Puisque tout avait été ordonné par la volonté divine, les individus devaient accepter les infortunes avec patiente et les bienfaits avec humilité. Cela créait un état qu’il appelait apatheia (absence de passion). Les nombreux adeptes de cette philosophie recherchaient la sagesse, le bonheur et la vertu.

* * * * *

Conclusion

Un auteur a écrit, avec beaucoup d’à-propos, au sujet de l’une des philosophies hellénistiques, le commentaire suivant :

« Le stoïcisme apparaît au début de l'époque hellénistique, à un moment où les Grecs, démoralisés, voient s'effondrer leur civilisation. Jusque-là, entre l'homme et les esclaves s'interposaient les valeurs sûres de la cité. L'homme savait où se situer dans le monde : il était un citoyen libre avec des droits et des devoirs civiques précis. Après la mort d'Alexandre, en 323, les royaumes remplacent les cités libres, les citoyens deviennent des sujets, les membres de la cité deviennent des individus. Il leur faut trouver un nouveau sens à leur vie.

Le contexte de l’apparition des philosophies hellénistiques est ici bien défini. Les bouleversements du monde grec et l’affaiblissement du cadre traditionnel de la polis ont amené une recherche de nouvelles règles de vie, de nouvelles perspectives et visions. Les philosophies hellénistiques reflètent bien le changement qui a eu lieu dans l’univers mental des Grecs. Le grand thème de cette philosophie est universel : c’est celui du bonheur. Faut-il s’étonner que ces philosophies, comme l’art de la même période, aient eu tant de postérité?

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On consultera avec grand profit, l’excellente étude (en anglais) de Stanley Burstein de la California State University intitulé « The Hellenistic Period in World History ». Le professeur Burstein nuance plusieurs des propos présentés ici. Il insiste particulièrement sur l’élément de continuité de la culture hellénistique avec celle de la Grèce classique. La perspective que nous avons présenté ci-haut privilégie plutôt le changement opéré entre les deux périodes. Bien que les vues peuvent sembler contradictoires, elles sont plus complémentaires qu’opposées.

© 2001 Claude Bélanger, Marianopolis College