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2001-08-13
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D’Arles, Henri,
« Le français au New Hampshire », La revue moderne, 1919.
Dans
une première étude, nous avons examiné les conditions
draconniennes, faites aux langues étrangères en général,
et au français en particulier, dans l'état du Connecticut.
La
proclamation de M. le Gouverneur Holcomb les supprime toutes de l'enseignement
primaire, dans les écoles publiques et privées ;
seulement en ces dernières, il reste permis aux enfants de prier
Dieu dans la langue de leur choix, soit : la langue maternelle; et c'est
l'unique faveur que la générosité du pouvoir accorde
à celle-ci. Un passage de cette proclamation m'a frappé,
celui où il est dit qu'il n'est pas besoin de démonstration
pour prouver que l'usage exclusif de l'anglais dans les écoles
primaires « importe à la sécurité de l'état
et de la nation. »
J'ai
sans doute l'esprit obtus; je manque probablement des lumières
départies aux hommes politiques du Connecticut; mais pareille
affirmation aurait, pour moi du moins avantage à être démontrée,
car elle ne m'apparaît pas du tout comme une vérité
qui s'impose; je lui trouve même une allure sophistique qui fait
que je ne puis me garder de l'envisager avec défiance.
Que
dans un pays où l'anglais est la langue officielle, la langue
des lois, de la politique, des affaires, il soit convenable et juste
que tous l'apprennent et puissent le parler, aucun homme de bon sens
ne peut le contester; qu'un parler commun serve de terrain d'entente
sur toutes les questions d'intérêt général,
et favorise l'éclosion et le développement de ce qui soit
l'esprit national américain parmi tant de races diverses qui
habitent les États-Unis et qui sont venues chercher un refuge
dans ce vaste port de la liberté, je le concède aussi.
Mais que, pour arriver à ces fins légitimes, il faille
apprendre exclusivement l'anglais et proscrire des écoles où
se forme l'enfance tout autre parler, cela est proprement inadmissible
aux yeux de la saine raison. Le parler anglais a-t-il une vertu si rare,
une telle richesse d'essence, que sa seule connaissance suffise à
façonner le bon citoyen américain ? Ou faut-il qu'il règne
sans partage dans l'enseignement primaire sous peine de faire manquer
le but auquel chacun doit aspirer, et qu'il est du devoir de l'État
de travailler à instaurer dans les âmes — la fidélité
au drapeau ? D'autre part, les langues spéciales aux peuples
qui se sont donnés rendez-vous dans le sein de l'Union, sont-elles
donc si dangereuses que leur survivance chez ces groupes ethniques puisse
constituer une menace pour la sécurité de l'État
qui les a accueillis ? Il est naturel que ces races étrangères
aiment à parler et à cultiver le parler qu'elles ont reçu
des ancêtres et qui fait partie de leur patrimoine familial. Leur
dénier ce privilège est attenter à un droit sacré.
Et du moment qu'elles font tout le nécessaire pour acquérir
la connaissance de la langue du pays où elles sont venues chercher
la paix dans le travail, et auquel elles ont juré pleine et entière
allégeance, je ne vois pas au nom de quel principe légitime
on peut leur demander davantage; je ne vois pas sur quoi repose l'abandon
de la langue maternelle auquel on veut les forcer à souscrire.
Ou mieux, je ne le vois que trop : au fond de la proscription qui bannit
ainsi de nos classes tout parler autre que l'anglais, il y a une criante
injustice, un déplorable abus de pouvoir. Et quand la proclamation
de M. le gouverneur Holcomb invoque, pour donner semblant d'équité
à pareille mesure
d'ostracisme,
« la sécurité de l'État et de la nation »,
elle ne fait qu'adopter la formule commode derrière laquelle
tous les tyrans se sont abrités pour perpétrer leurs forfaits.
Ainsi, depuis les nombreuses années où je m'occupe de
l'amère question acadienne, que j'en ai dépouillé
de pièces officielles, de documents infâmes, où
se retrouvent ces mots ! C'est au nom de la sécurité de
la province de la Nouvelle-Ecosse que les autorités britanniques,
le roi Georges II, William Shirley, Edward Cornwallis tramèrent
un plan qui n'allait à rien moins qu'à faire apostasier
les pauvres acadiens, à les faire renoncer à leur langue
d'abord, et ensuite à leur religion. C'est au nom de la même
chimérique sécurité que l'infect gouverneur Charles
Lawrence balaya ce peuple paisible et loyal, trop paisible, trop loyal,
aux quatre vents de l'espace, qu'il le jeta sur des plages inhospitalières,
lui infligeant sans l'ombre d'un motif un châtiment sans parallèle
dans l'histoire. Ah ! je connais trop bien cette formule, je sais trop
par l'histoire l'abus qu'en ont fait les chefs d'État, pour l'accepter
jamais sans réserve, ou pour me laisser intimider par son caractère
solennel. Et ici, comme en tant d'autres cas, je ne vois qu'une chose,
c'est qu'elle est alléguée à faux, et que M. le
gouverneur du Connecticut serait bien incapable de prouver que le salut
publié dépend de l'unification linguistique, et qu'à
moins que dans toutes les écoles on n'enseigne que l'anglais,
qu'on ne pétrisse de notions purement anglaises le cerveau des
enfants, l'avenir des États-Unis court de grands risques. Il
y a dans pareil raisonnement à peu près autant de logique
que dans celui du personnage de Molière, « voilà
pourquoi votre fille est muette », et vraiment la conclusion prêterait
à rire si la circonstance n'était si grave et si l'enjeu
n'était si considérable. Force nous est de la prendre
au sérieux, et de constater avec regret que des hommes d'État,
peut-être bien intentionnés, peuvent n'avoir pas le sens
commun.
Du
Connecticut, le mouvement d'américanisation s'étendit
au New-Hampshire. Et ici, il a donné lieu à des tractations
nombreuses, qui ont abouti à une sorte de modus vivendi, dont
le mieux que je puisse dire est qu'il est satisfaisant pour nous, en
principe du moins. Sa vraie nature se montrera à l'exercice.
Il est difficile d'en porter un jugement définitif avant qu'il
n'ait fonctionné, et qu'on ne l'ait vu à l'oeuvre. Théoriquement,
ce modus vivendi est acceptable. L'autorité diocésaine,
qui était partie contractante, ne l'eût jamais ratifié,
signé et imposé, s'il eût méconnu le droit
naturel, et si nos inaliénables privilèges n'y eussent
été spécifiés. Mais un modus vivendi
n'est pas une entité abstraite et destinée à
rester dans la catégorie de l'idéal; il est fait en vue
de la pratique, et la pratique est la pierre de touche qui en fera éclater
la vertu ou le défaut. C'est pourquoi, tant que le système
proposé n'aura pas subi la longue épreuve de la réalisation
et de l'adaptation concrètes, mieux vaut s'abstenir de se prononcer
d'une façon absolue à son sujet. M. Jules Cambon a dit
avec profondeur : « II y a dans toutes les lois un point où
il faut s'en remettre aux individus qui les appliquent.(1) » Et
c'est ainsi qu'il ne faut pas trop désespérer si une loi
est mauvaise, ni non plus manifester trop de confiance si elle est bonne
— les lois humaines étant malléables, et se laissant plier
dans une grande mesure à la volonté de ceux qui les mettent
en action. L'avenir du modus vivendi qui vient d'être
promulgué dans le New-Hampshire dépend donc beaucoup de
ceux qui sont chargés de veiller à son application; et
par là, nous voulons parler non pas seulement des autorités
officielles, mais encore et surtout de nos curés franco-américains,
entre les mains de qui est remise notre survivance ou notre disparition
ethnique. De par les termes de cette entente, nos destinées françaises
reposent en grande partie sur eux, comme nous allons le voir.
En
se transportant dans le New Hampshire, c'était nous que la vague
d'américanisation heurtait les premiers et qu'elle menaçait
d'étouffer et d'anéantir. Nous sommes les seuls,
ou à peu près, à y avoir des écoles privées
bilingues. Il y a d'autres écoles catholiques ou confessionnelles,
mais tout s'y fait en anglais uniquement. En sorte que, si nous exceptons
une école polonaise catholique qu'il y a dans Manchester, et
où la langue maternelle des enfants est, croyons-nous, bien enseignée,
ce n'est que dans nos écoles franco-américaines que l'enseignement
primaire se donne dans les deux langues française et anglaise,
et que ces deux parlers se tiennent dans une juste équilibre.
Et le nombre de petits français à fréquenter ces
écoles annuellement ne laisse pas d'être imposant : il
se chiffre dans les quatorze ou quinze mille. Dans la seule ville de
Manchester, nos écoles comptent environ cinq mille enfants. Il
faut bien le constater: quelques centaines nous échappent; il
se trouve des parents qui n'ont pas le sens des choses, qui ne comprennent
pas leur devoir sur ce point si important. Mais nous rallions la très
grande majorité, j'allais dire la presque totalité de
nos petits franco-américains. Quinze mille dans nos classes !
C'est une force, une réserve qui permet d'envisager l'avenir
avec confiance. C'est là également l'explication des progrès
que nous avons partout faits dans le New Hampshire, où nous sommes,
au bas mot, 85,000 et probablement 90 ou 92,000. Grâce à
nos écoles, nous sommes demeurés homogènes, et
avons constitué un bloc compact et bien uni. Nous avons voulu,
comme de juste, nous adapter au milieu; nous nous sommes ouverts, dans
la mesure nécessaire, aux influences américaines; mais,
loin de faire table rase de notre personnalité canadienne-française
et de nous dépouiller de notre héritage ancestral, sous
le prétexte insensé de nous modeler une physionomie vraiment
américaine, nous sommes restés fidèles à
tout ce que la nature nous avait donné, ajoutant à cette
base inébranlable et sacrée, les choses commandées
par les circonstances et les entours, nous pliant aux nécessités
d'une sage et prudente évolution sociale.
Si
donc les promoteurs de l'américanisation dans le New Hampshire,
obéissant au zèle mal éclairé dont se sont
inspirées les autorités du Connecticut, eussent également
établi chez nous l'unification linguistique dans l'enseignement
primaire, c'en était fait des conquêtes pacifiques que
nous devons à la préservation intelligente de notre parler
français et de tout ce que ce parler représente et incarne,
c'était l'assimilation, « la chute dans l'insignifiance »
comme a si bien dit M. l'abbé Courchesne (2) ; c'était,
à plus ou moins brève échéance, l'abdication
fatale de tout ce que nous avions jusqu'ici cultivé et gardé
au prix de grands sacrifices alimentés par un amour plus grand
encore. Quinze mille enfants n'apprenant que l'anglais à coeur
de jour, n'entendant que l'anglais, saturés d'anglais, buvant
l'anglais par tous les pores ? Mais au bout de cinq ans, au bout de
dix ans au plus, notre nationalité française n'était
plus qu'un mythe, une épave sur un vaste océan; nos luttes,
nos efforts pour conserver notre caractère ethnique s'évanouissaient
comme un songe; et tant de travaux accomplis par les prêtres et
les fidèles pour assurer notre légitime survivance, notre
physionomie distincte au milieu d'un monde en fusion, n'apparaissaient
plus que comme des chimères, comme un rêve d'utopiste,
une entreprise que nos ennemis avaient bien eu raison d'appeler vaine,
éphémère, et destinée à s'écrouler
tôt au tard sous les coups de l'inévitable réalité
! L'enjeu en valait la peine : tous les hommes de coeur en conviendront
avec nous. Grâce à Dieu, le danger qui nous menaçait
de ce chef semble avoir été écarté. Mais
cela ne s'est pas fait tout seul.
En
effet, le comité d'américanisation du New Hampshire, constitué
l'été dernier, se jeta d'abord à corps perdu dans
le mouvement lancé par Washington; et, dès sa première
réunion, il recommanda l'adoption et l'application intégrale
des résolutions venues de là-bas. Le 20 août, il
publiait un document officiel sous ce titre : L'anglais, notre langue
nationale, — définissant le programme qu'il allait suivre
pour atteindre à ses fins.
Or,
il y a, à la page 4 de cette pièce, un article intitulé :
Écoles publiques et privées, et partant ceci :
Les
commissaires et surintendants des écoles devront veiller
à ce que, dans toutes les écoles primaires, l'enseignement
soit donné dans la langue anglaise seulement. School Boards
and Superintendents should insist that in all schools when elementary
subjects are taught, they should be taught in the English language
only."
—
C'était bien net : l'on voulait nous étrangler sans autre
forme de procès. Mais la Providence veillait sur nous. En juillet,
un jeune avocat de Manchester, M. Wilfrid Lessard, avait été
invité à prendre part aux délibérations
du comité d'américanisation. En octobre, il fut nommé
officiellement membre de ce comité, lequel comptait déjà
un autre franco-américain, M. Henri Ledoux, qui depuis a donné
sa démission. M. Lessard avait suivi de près l'oeuvre
déjà accomplie par le Bureau et l'attitude que celui-ci
avait prise concernant les écoles l'avait particulièrement
inquiété, comme elle inquiétait tous les prêtres
canadiens du New Hampshire. Et c'était cette attitude absolue,
exclusive, qu'il s'adressait pour lui de redresser et d'orienter dans
un sens plus large et plus raisonnable; c'était cette proposition,
d'une seule couleur crue et violente, dans laquelle il s'agissait d'introduire
des nuances imposées par le droit naturel et l'intérêt
bien entendu de tous. Ce fut donc sur ce point que porta tout l'effort
de notre représentant dans les tractations nombreuses et délicates
qu'il eut avec ses collègues. Nous n'avons pas à faire
ici l'histoire de toutes ses démarches ni à reproduire
ses plaidoyers en faveur de notre cause, laquelle n'était du
reste que celle de la justice et du bon sens. Nous irons tout de suite
au résultat, lequel est, sinon parfait, du moins satisfaisant,
et marque un écart considérable avec le point de départ.
Que M. Lessard ait pu faire faire tout ce chemin à des esprits
prévenus, et qui semblaient fermés à toute idée
de concession sur un point essentiel à notre avenir, prouve beaucoup
en faveur de son entregent, de son affection envers sa race, j'ose ajouter
de son dévouement à la religion. II a compris, en effet,
que si la langue française était supprimée de nos
écoles, c'était un coup très grave, et, à
la longue, mortel, porté à la foi des jeunes générations.
Et c'est de quoi nous devons le féliciter et le remercier.
Et
donc, le comité d'américanisation était gagné
à des vues raisonnables, grâce à l'intervention
active de notre chargé d'affaires; il était tout prêt
à revenir sur sa décision première, et à
adopter une ligne de conduite propre à sauvegarder à la
fois les intérêts de l'État et les droits des parents
en matière d'éducation. Il y mettait toutefois une condition
: c'était que l'autorité diocésaine se prononçât
ouvertement, et promulguât un document basé sur l'entente
survenue entre les deux parties, et garantissant l'exécution
d'un programme comportant autant de matières anglaises qu'en
requéraient les lois communes de l'État, et reconnaissant
en outre le droit positif d'enseigner la religion dans la langue que
l'on voudra, et assurant le privilège d'enseigner aux enfants
une autre langue : soit leur langue maternelle. La lettre de Monseigneur
l'Évêque de Manchester à son clergé, formulant
ces trois points, est en date du 15 novembre 1918.
Jamais
lettre épiscopale n'aura eu plus mauvaise presse. En voyant l'usage
qu'en en sollicitant le texte, les journaux anglais de Manchester et
d'ailleurs ont voulu en faire, je me suis rappelé le mot piquant
de Carmen Sylvia dans ses Pensées d'une Reine. « Si
Gutenberg avait prévu le journalisme, il aurait détruit
son invention. » (3) Sans prendre la peine de lire ce document,
ou du moins sans chercher à le comprendre, voici que des reporters
en mal de nouvelles sensationnelles, l'insèrent dans leurs colonnes,
sous des manchettes longues de deux pouces, où il était
donné comme instaurant le seul parler anglais dans toutes les
écoles catholiques du diocèse, à l'exclusion de
la langue maternelle des enfants. Et les grands journaux de Boston et
d'ailleurs de saisir au vol ce canard et de le faire figurer en place
d'honneur dans leurs lourdes feuilles, et de le présenter à
l'opinion catholique stupéfiée comme constituant un triomphe
signalé dans l'oeuvre de l'américanisation, c'est-à-dire
de l'anglicisation commune et absolue de toutes les races diverses en
ce continent. Je ne dis pas que les plumitifs de Manchester l'ont fait
absolument exprès; mais il n'en reste pas moins que leur coup
est un monument de sottise, et que, sous couleur de porter aux nues
la suprême autorité catholique de l'État ils lui
ont, en réalité, infligé le plus cruel affront
qu'elle pût recevoir, affront rendu plus sensible à cause
de la nationalité à laquelle appartient Monseigneur Guertin.
La façon dont ils ont accueilli la mesure pondérée,
et nécessitée par les circonstances, que celui avait portée,
mettait cet évêque en posture odieuse à l'égard
de toute sa race, et l'on ne nous fera pas croire que c'est par sympathie
pour lui, ni pour les véritables intérêts du catholicisme
qu'ils ont agi ainsi. Le catholicisme, ces journaux s'en soucient bien.
N'est-ce pas dans les mêmes colonnes qu'à l'occasion d'une
Lettre Pastorale de Monseigneur l'Évêque de Manchester
sur le mariage chrétien, parut une moquerie de la doctrine
et de la discipline ecclésiastiques sur cette institution sacrée,
fondement de la famille et de la société ? N'est-ce pas
dans les mêmes colonnes que fut publiée, en août
1914, peu après la mort de Sa Sainteté Pie X, une attaque
infâme contre l'oeuvre de restauration chrétienne accomplie
par ce vénérable Pontife, et telle que Monseigneur Guertin
dut protester là, contre, la dénoncer devant tous ses
prêtres, et leur demander d'y apporter une sanction par le renvoi
du journal qui s'était permis un tel blasphème ? Ah !
nous savons à quoi nous en tenir sur la nature des compliments
que ces folliculaires ont adressés à l'Évêque
de Manchester, en tirant à eux un document conçu en des
termes si justes et en l'interprétant de façon abusive.
Male olet — pouvons-nous en dire. Sa Grandeur n'aurait jamais
pu souscrire à une proposition supprimant de nos écoles
notre langue maternelle, encore moins l'imposer, et cela, pour des raisons
plus sacrées que celles que nous pourrions inférer de
ses origines françaises, notamment pour la raison que, semblable
mesure eût été méconnaître un principe
intangible de droit naturel, tout comme celui qui nous commande d'honorer
notre père et notre mère; et encore pour la raison que,
ainsi que Mgr Paquet, l'éminent théologien, l'a si bien
établi dans son étude définitive sur l'Église
et le problème des langues nationales
Par
un sens avisé des intérêts religieux sans doute,
mais aussi par une haute et délicate préoccupation
de justice sociale, l'Église s'est fait une règle
d'entourer de tous les égards les langues multiformes et
les nations qui les parlent. On ne saurait citer d'elle, j'entends
de l'autorité souveraine qui la gouverne, ni une démarche,
ni un décret, ni un mot, par lequel elle ait enjoint à
un groupe quelconque de fidèles d'abdiquer le culte et le
parler ancestral. On ne l'a jamais vue, on ne la verra, Dieu merci,
jamais poser sur le coeur de ses fils une main de cosaque pour en
suspendre ou en étouffer les légitimes battements.
Elle leur prescrit des dogmes, elle leur impose des devoirs; elle
laisse à la nature le soin de dessiner sur leurs lèvres
les lettres et les sons qui traduisent leurs croyances et qui formulent
leurs prières.
Alors,
en présentant la lettre de Monseigneur l'Évêque
dans les termes où ils l'ont fait, les journaux anglais de Manchester
ont tout simplement mis Sa Grandeur en opposition avec la tradition
constante de l'Église catholique. Nous savons qu'il y a eu intervention
immédiate auprès de qui de droit, laquelle a résulté
en un article paru le 21 novembre dans le même journal Manchester
Union. Cet article était intitulé: How it works
out, c'est-à-dire : comment la mesure va fonctionner ? Le
comité d'américanisation du New Hampshire a inséré
cet article dans ses publications officielles, et l'a fait suivre d'une
déclaration par laquelle il le donne comme exprimant à
la fois la lettre et l'esprit du document épiscopal, ainsi que
la pensée même qui avait guidé les autorités
de l'État en la question des langues étrangères
dans les écoles privées. Cette déclaration est
signée : Frank S. Streeter, président; Ernest W. Butterfield,
Surintendant de l'Instruction Publique; abbé P. J. Scott, surintendant
des écoles paroissiales du diocèse. Mais pas n'était
besoin de ce commentaire pour nous rassurer sur le sens exact et obvié
de la lettre de Monseigneur. Il suffisait de l'avoir lue intelligemment
pour voir qu'aucune de ses formules ne prêtait à la grotesque
et sournoise machination que l'on avait ourdie en la défigurant,
machination qui a fait sur les esprits, chez-nous et à l'étranger,
un impression déplorable. Et l'on sait combien durables sont
les impressions premières. Aussi, est-ce pour nous devoir de
justice et de loyauté de faire en quelque sorte l'exégèse
d'un document qui méritait un meilleur sort, afin de le montrer
sous son vrai jour, afin qu'il ne reste plus d'équivoque à
son sujet, et que Monseigneur l'Évêque de Manchester soit
vengé des ridicules imputations dont il a été l'objet.
La
première partie de la lettre n'est pas essentielle à la
fin que nous avons en vue. L'Évêque y attire l'attention
de ses prêtres et de ses fidèles sur une oeuvre destinée
à assurer la permanence des biens pour la revendication desquels
les États-Unis ont participé à la grande guerre
: cette oeuvre est l'union dans un même esprit civique et sous
un même drapeau de tous les peuples qui composent ce pays.
C'est
là, dit-il, l'objet du mouvement d'américanisation.
Pour arriver à cette fin désirable, le premier moyen
nécessaire est que tous ceux qui habitent à demeure
dans l'État parlent une langue commune, l'anglais.
Que
l'on veuille bien remarquer que l'anglais n'est pas présenté
comme la langue que l'on doive exclusivement apprendre et parler, mais
comme terrain d'entente sociale entre les diverses races et comme instrument
propre à favoriser le cohésion entre les groupements ethniques
si variés qui se partagent le pays.
Le
document poursuit: :
La
position de nos écoles paroissiales à cet égard
a été clairement définie dans la correspondance
échangée entre l'Évêque de Manchester
et le comité d'américanisation du New Hampshire, en
la présence de son président, M. Frank S. Streeter.
Vous y verrez que le quatrième article fondamental du programme
d'américanisation, formulé à Washington, le
3 avril 1918, et portant que « dans toutes les écoles
primaires l'anglais soit la seule langue enseignée et la
seule langue de l'enseignement » a été nettement
expliqué et interprété par le comité
d'américanisation et le Surintendant de l'Instruction Publique
de l'État du New Hampshire, dans un sens que l'Évêque
a approuvé. Cette explication et cette interprétation
constituent la base sur laquelle fonctionnera l'application du dit
article dans toutes les écoles du New Hampshire. Cette interprétation
est comme suit :
1o
Dans toutes les écoles, même privées, l'on se
servira exclusivement de l'anglais pour enseigner aux enfants la
lecture, l'écriture, l'épellation, l'arithmétique,
la grammaire, la géographie, la physiologie, l'histoire,
l'économie politique, la musique et le dessin; l'anglais
sera également la langue de l'administration.
2o
L'usage exclusif de l'anglais pour les fins d'instruction et d'administration
n'a pas pour effet d'empêcher que, dans les écoles
privées, les exercices religieux ne se fassent dans une autre
langue.
3o
Une langue étrangère pourra être enseignée
dans les écoles primaires, pourvu que le programme d'étude
tracé par le Département d'Instruction Publique du
New Hampshire (ou son équivalent,) ne soit pas abrégé,
mais mis en pratique conformément aux lois de l'État.
Ces
trois articles, conclut Monseigneur l'Évêque, tels
qu'approuvés par nous, n'admettent ni faux-fuyant ni équivoque.
Ils sont destinés à servir de fondement à notre
programme scolaire; et leur insertion dans ce programme n'implique
renoncement à rien de ce qui importe au bien-être et
au progrès de quelque école catholique que ce soit.
Il y est dûment pourvu à l'instruction religieuse,
(remarquez que l'Évêque dit ici : instruction religieuse,
et non plus seulement, comme dans l'article II, exercices
religieux, devotional exercices; — il y a là
plus qu'une nuance dans les termes; ces expressions interprètent
en notre faveur et agrandissent ou élargissent ce que les
simples mots : exercices religieux ont d'un peu vague ou
d'un peu étroit. Il faut sous-entendre également que
l'instruction religieuse peut être donnée dans la langue
maternelle des enfants).
En
outre, l'enseignement de toute autre langue que l'on voudra demeure
permis en marge des matières requises par le Département
d'Instruction Publique du New Hampshire, c'est-à-dire à
condition que le programme officiel, ou son équivalent, soit
observé.
Voilà
donc les trois points de la lettre de Monseigneur l'Évêque
de Manchester, desquels on est parti pour soutenir que, dans toutes
les écoles catholiques franco-américaines du diocèse,
l'enseignement du français était pratiquement supprimé,
de par l'autorité épicopale, d'accord avec le comité
d'américanisation du New Hampshire. Que si, dans cette lettre
que les journaux plus haut mentionnés ont, avec un enthousiasme
de mauvais aloi, qualifiée d'historique, il eût
été spécifié que le programme qu'elle énonçait
était précisément celui auquel nous nous étions
toujours tenus, l'accès de lyrisme auquel elle a donné
lieu chez les américanisants à outrance n'eût plus
guère été possible. Monseigneur a eu sans doute
de bonnes raisons de ne pas faire remarquer que ce programme n'avait
rien de nouveau, puisque nos écoles avaient toujours fonctionné
d'après ce système auquel les circonstances donnaient
un relief inattendu. Il traitait avec le pouvoir public, un pouvoir
susceptible, ombrageux, capable de causer de grands embarras, et qu'il
s'agissait donc de ménager : l'objet de ces tractations était
d'assurer à nos écoles un statut en quelque sorte officiel.
Et il était habile de laisser croire à ces messieurs du
comité d'américanisation, que le programme que l'on instaurait
ainsi en commun, sur les bases d'une entente survenue entre l'autorité
religieuse et l'autorité civile, avait quelque chose d'original,
constituait une innovation. Autrement, ils auraient pu se dire à
part eux qu'ils n'avaient absolument rien fait en l'espèce et
que leur collaboration n'avait été qu'illusoire. Mais
dans la réalité, ce programme ne change rien à
ce qui existait déjà; c'est la continuation et comme la
consécration de celui que nous avons toujours suivi pour le plus
grand bien de nos enfants. Seulement, au lieu qu'autrefois, nous nous
arrangions entre nous l'appliquer, de par le modus vivendi qui
vient d'être passé en New Hampshire, nos écoles
ont en quelque sorte acquis droit de cité dans l'État;
et cette espèce de reconnaissance officielle, entourée
d'ailleurs de toutes les garanties contre l'ingérence séculière,
dangereuse parce que protestante, dans un domaine que l'Évêque
catholique se réserve et qu'on lui assure, n'est pas, croyons-nous,
pour diminuer la valeur morale et sociale de nos établissements
d'éducation.
Résumons
la pensée maîtresse, l'âme de la lettre de Monseigneur
l'Évêque de Manchester, et montrons que, si, d'un côté,
elle accorde satisfaction aux légitimes revendications de l'État
en matière scolaire, de l'autre, elle sauvegarde nos droits et
nos inaliénables privilèges en matière de religion
et de langue.
Premièrement,
elle trace pour nos écoles tout un programme d'anglais, en
conformité avec les lois scolaires du New Hampshire. Ce programme,
nous voulons l'observer, aussi bien, et mieux encore, si possible, que
par le passé; et cela, non pas seulement parce que Monseigneur
notre Évêque nous le demande et a le droit de nous le demander,
mais encore parce que nous reconnaissons plus que jamais que, citoyens
d'un grand pays où la langue anglaise est la langue officielle,
nous ne saurions aspirer à y jouer un rôle politique, ni
à y avoir notre part d'influence sur les destinées générales,
sans posséder l'instrument dans lequel sont formulées
les lois et dans lequel se traitent toutes les questions qui intéressent
le présent ou l'avenir de la nation. Nous reconnaissons, en outre,
que nous ne sommes pas venus aux États-Unis pour y faire bande
à part, ni pour y vivre comme des exilés plus ou moins
volontaires, soupirant sans cesse, comme les Hébreux au bord
des fleuves de Babylone, après la patrie lointaine et perdue.
Nous sommes ici chez nous, par libre choix ou par droit de naissance;
et notre intérêt personnel et collectif, à nous,
américains de descendance française, demande que nous
nous adaptions au parler qui est celui de la majorité, celui
de la nation. Mais cette juste concession, loyalement acceptée
et consentie, comme moyen de création d'un esprit civique américain,
suppose-t-elle renoncement à rien de ce qui nous distingue comme
race ? Nullement. Loin de vouloir tronquer notre personnalité
française, la législation élaborée par l'autorité
diocésaine tendrait au contraire à l'élargir, à
la rendre plus compréhensive, et, tout en la gardant intacte
dans son fonds et en lui conservant son héritage ancestral et
magnifique, à l'enrichir d'éléments nouveaux, imposés
par les circonstances de temps ou de milieux où elle est appelée
à évoluer.
Aussi,
l'enseignement de la religion dans nos écoles, non pas seulement
les prières, mais les instructions catéchitiques et les
leçons d'histoire sainte — le texte épiscopal
déclare formellement, dans l'article second, que cela échappe
à l'emprise de l'article premier concernant l'anglais, que cela
est un domaine réservé et intangible où nous pouvons
continuer de nous mouvoir à notre gré. Et déjà,
cette restriction renferme des conséquences que tout esprit logique
est obligé d'accepter telles qu'elles sortent de leur principe;
elle serait toute seule qu'elle nous laisserait encore beaucoup de latitude
dans la pratique. II va de soi, en effet, que l'enseignement religieux
dans la langue maternelle suppose que l'enfant connaît cette langue.
Pour qu'il la connaisse, il faut qu'il l'apprenne, et pour qu'il l'apprenne,
il faut qu'on la lui montre. Et où la lui montrera-t-on, si ce
n'est dans les classes ? Il faut donc, en l'espèce, enseigner
le français à l'école, puisque, si l'on n'apprend
à l'enfant, ni a épeler, ni à lire, ni à
écrire en français, le catéchisme français
sera pour lui du grec; il sera incapable de le déchiffrer, et
fatalement, s'il n'a pas appris les rudiments de sa langue, il ne sera
pas possible de lui enseigner, fût-ce sa religion, dans une langue
qu'il n'entendra pas. Et alors, l'article second du document se trouverait
être illusoire, accorder une permission dont il serait vain de
vouloir se réclamer, consacrer un droit dont l'exercice serait
empêché par la nature des choses.
Au
reste, nos privilèges ne se bornent pas à celui qui est
stipulé dans cet article deuxième. L'article dernier nous
concède tout un programme de foreign language, — et pour
nous cela veut dire la langue maternelle, — que nous sommes libres d'ajouter
au programme d'anglais. A dire le vrai, nous ne sommes que médiocrement
flattés d'entendre traiter notre langue de « langue étrangère ».
Mais cette expression était imposée à Monseigneur
l'Évêque par le point de vue strictement américain
auquel il s'est placé. L'anglais étant aux États-Unis
la langue de la constitution, des lois, de la politique, tout autre
parler est donc rangé, par le fait même, au nombre des
foreign languages. Ce terme est officiel, et n'a aucun sens péjoratif.
Nous avouons qu'il ne nous semble pas très juste, en ce qui concerne
le français en particulier, le français sans lequel l'anglais
n'eût jamais existé. Car, ainsi que M. Jusserand le montre
très bien, dans son Histoire Littéraire du Peuple Anglais,
l'idiome définitif de l'Angleterre a été formé
par une transaction entre l'anglo-saxon et le français.
À
mesure qu'on avance dans le XIVe siècle, écrit-il
dans son tome 1, livre III, chapitre I, p. 244, nombre de familles
de mots franco-latins reçoivent en Angleterre la naturalisation,
et peu à peu se constitue cette langue anglaise dont le vocabulaire
compte aujourd'hui deux fois plus de mots d'origine française
ou latine que d'origine germanique. À la fin du dictionnaire
étymologique de Skeat, publié à Londres en
1882, se trouve une table de mots de la langue, classés d'après
leur provenance; les mots empruntés aux idiomes germaniques
et scandinaves occupent sept colonnes et demie; les mots tirés
du français et des langues romanes ou classiques, seize colonnes...
La nation anglaise descend de deux peuples, le saxon et le français;
elle a eu un père et une mère dont l'union a été
féconde bien qu'orageuse; et celui des deux ancêtres
que d'aucuns renient aujourd'hui, sous prétexte de tendresse
filiale, c'est-à-dire la France, n'est peut-être pas
celui qui s'est occupé avec le moins d'amour de former et
d'instruire leur commune postérité.
Ainsi
s'exprime un grand homme de lettres, un savant, un ami sincère
de l'Angleterre et des États-Unis, et son langage est le reflet
direct de la vérité. Et donc, dire du français
qu'il est, aux États-Unis, une langue étrangère,
ce n'est pas parler en philologue, ce n'est pas non plus parler en historien.
Une mère n'est jamais une étrangère pour son fils
ni chez son fils, où que soit ce fils. Or, la langue française
ayant formé de son sang et de ses entrailles le parler anglais,
il nous semble que les législateurs américains s'honoreraient
en reconnaissant officiellement cette filiation, et en accordant au
verbe de la France, par toute l'étendue du territoire, un traitement
de faveur, lequel ne serait que la gratitude d'un fils bien né
envers celle qui lui a donné la vie.
Quoi
qu'il en soit, la langue française est, pour Monseigneur l'Évêque
de Manchester, aussi bien que pour nous, la langue maternelle. Et si,
au regard de la loi américaine, ce parler est un parler étranger,
il ne l'est pas au regard de l'Église catholique dont nous sommes
avant tout et au-dessus de tout les fils; il ne l'est pas au regard
du droit naturel. Par l'article troisième de la lettre épiscopale,
il nous est octroyé de l'enseigner à nos enfants. Pour
l'enseigner, il faut que nous en ayons le temps. Et pour que nous en
ayons le temps, il faut, de toute nécessité, ne pas charger
toutes les heures de classes, ou à peu près, de matières
anglaises. Autrement, que deviendrait un tel privilège ? Ce serait
une formule abstraite et vide. Au roi qui lui demande ce qu'il y a dans
le livre qu'il est occupé à lire, Hamlet répond :
« Des mots ! des mots ! des mots ! » Il serait certes injurieux
pour l'auteur de ce document de croire qu'il a voulu se payer et nous
payer de mots. Sous ces mots, il y a des choses sacrées à
son coeur d'évêque et à son âme canadienne-française;
des choses qui incarnent les souvenirs du foyer, lui rappellent son
père et sa mère; des choses qui sont basées sur
le droit naturel, sur les droits des parents en matière d'éducation,
des choses desquelles il sait que notre avenir religieux dépend;
des choses dont il entend bien assurer chez-nous la survivance, et pour
la défense desquelles il serait prêt à faire tous
les sacrifices. C'est pourquoi nous pouvons être sans crainte,
et du côté de l'autorité diocésaine, et du
côté de l'État, puisque l'État a inspiré
et accepté le modus vivendi, qui vient d'être mis
en vigueur chez nous, et, en retour de ce je pourrais appeler ses articles
organiques, s'est engagé à laisser nos écoles sous
l'unique contrôle de l'autorité religieuse.
Cependant,
il est de l'essence d'un privilège d'être facultatif. L'on
peut en user ou n’en pas user, sans que la loi y appose de sanction.
C'est en ce sens que nous avons dit plus haut que l'avenir du français,
dans nos écoles du New Hampshire, était entre nos mains.
Liberté nous est concédée de l'enseigner. Que si
nous ne profitons pas de cette liberté, et que nous ne nous montrions
pas soucieux de garder toutes nos possessions, et d'aller jusqu'à
l'extrême limite de nos privilèges sur ce point, l'État
ne viendrait pas nous en faire reproche ni nous forcer d'en user. Non.
Mais d'autres voix s'élèveraient en nous pour nous accuser
d'inertie, d'abdication nationale et même d'apostasie, les voix
de la conscience, des ancêtres, de l'histoire. L'Église
elle-même pourrait nous accuser de coupable abandon d'un héritage
mille fois sacré. La nature protesterait contre une telle lâcheté.
Et qui sait si l'âme de nos enfants, que cette abdication de notre
langue française, en laquelle le catholicisme s'est incarné,
aurait conduite à l'abdication de la foi, ne crierait pas éternellement
vengeance contre nous ?
Mais
je suis tranquille et confiant. Je connais le passé de nos prêtres
franco-américains; j'ai longuement écouté le récit
de leurs lettres pacifiques pour le maintien de ce trésor de
notre langue que leur coeur associe à celui de nos croyances
éternelles; ,je connais l'âme de l'Évêque
qui préside à nos destinées morales, et en qui
nous saluons, au dessus et au delà du citoyen américain,
un apôtre de l'Église catholique. Cet évêque
aime sans doute la patrie où il est né, il aime la race
glorieuse de laquelle la Providence l'a fait descendre, il aime par-dessus
tout les âmes confiées à ses soins et il veut leur
salut. À tous ces titres, il est prêt à favoriser
tous les mouvements propres à rendre la patrie plus prospère
et plus unie, ses frères par le sang plus instruits et plus capables
d'influence. Mais ce dont il s'inquiète surtout, c'est de l'avenir
éternel des âmes. Or, il est prouvé que la conservation
de notre idiome ancestral rentre dans l'ordre des moyens qui nous acheminent
sûrement vers la seule fin nécessaire, notre langue
étant la gardienne de notre foi. Le représentant parmi
nous du Suprême Pasteur des âmes est donc hautement intéressé
à ce que ce moyen de salut ne nous soit pas enlevé, ne
se fonde pas dans une unification linguistique à laquelle ni
l'État, ni encore moins l'Église n'ont rien à gagner.
Aussi, comptant sur la conscience et le caractère de notre Évêque,
confiant dans le zèle patriotique et religieux de notre clergé,
sachant par expérience la bonne volonté de nos franco-américains
à seconder toujours les efforts de ces derniers dans la lutte
pour les causes où notre avenir est en ,jeu, nous pouvons, je
crois, espérer que nos destinées françaises, en
New Hampshire du moins, n'iront se heurter contre aucun obstacle fatal
à leur développement et à leur légitime
efflorescence.
(1)
Déclaration du 10 juin 1891. Cf. Un gouverneur général
de l'Algérie, dans le Correspondant du 25 novembre
1918, par Michel des Eversains.
(2) Cf, l'Action
Française, no. de nov. 1918. Une Soirée d'Action
Française à Boston.
(3) Page 136, Paris,
Calmann Lévy, 1888.
(4) Cf. Premier
Congrès de la Langue française au Canada, tome 1,
pages 331-332.
Source :
Henri D’Arles, « Le français dans le New Hampshire »,
dans La revue moderne, mars 1919, pp. 98-116. Plusieurs erreurs
typographiques ont été corrigées ; le texte
a aussi été reformaté.
©
2001 Claude Bélanger, Marianopolis College
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