Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
LE CARDINAL ELZEAR-ALEXANDRE TASCHEREAU
(1820-1898)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
Le cardinal Elzéar Alexandre Taschereau, de vingt ans plus jeune
que Mgr Bourget, occupa le siège archiépiscopal de Québec
aux dernières années de l'administration épiscopale
de celui ci à Montréal et lui survécut une douzaine
d'années. Ils ne partagèrent pas toujours les mêmes
vues dans les questions discutées de leur temps, et il peut paraître
assez piquant de les rapprocher l'un de l'autre. Mais ils furent tous
les deux de fort dignes évêques et l'histoire se doit de
leur rendre pareillement hommage avec peut être quelque nuance
dans l'expression.
Mgr Bourget était d'origine modeste. Son premier ancêtre
au Canada, venu de Blois, France, en 1653, et tous ses ascendants, de
cette date à 1800, avaient été des ouvriers du
sol. La famille Taschereau, par contre, originaire de la Touraine, avait
été anoblie en France dès 1492, et le premier du
nom, Thomas Jacques, arrivé au Canada en 1725, comme secrétaire
de l'intendant Dupuy, se vit concéder la seigneurie de la Beauce,
par M. de Beauharnois, en 1736. De père en fils les Taschereau
se sont distingués, chez nous, dans la vie politique et dans
la magistrature. L'actuel premier ministre de Québec, LouisAlexandre,
fils, petit fils et arrière petit fils d'autant de juges, est
le propre neveu du cardinal.
Le futur archevêque de Québec, ElzéarAlexandre,
naquit au manoir de ses pères, à Sainte Marie de la Beauce,
le 17 février 1820. Il n'avait pas encore 9 ans quand il entra
au séminaire de Québec, et, à 16 ans, en 1836,
il y terminait ses études classiques. L'année suivante,
il accompagnait l'abbé Holmes à Rome, y séjournait
quelques mois, revêtait la soutane et recevait la tonsure dans
la basilique de Saint Jean de Latran. Ayant rencontré à
ce moment le célèbre Dom Guéranger, il eut l'idée
de le suivre chez les Bénédictins. Mais l'abbé
Holmes l'en dissuada pour le garder à son séminaire et
à son pays. Revenu à Québec en septembre 1837,
il y fit ses classes de théologie, tout en enseignant, selon
la coutume du temps, successivement, la cinquième, la troisième
et la rhétorique. Il fut ordonné prêtre, le 10 septembre
1842, par Mgr Turgeon.
De 1842 à 1854, l'abbé Taschereau fut professeur, au
séminaire de Québec, de philosophie, de sciences physiques
ou de théologie. En 1847, lors de l'épidémie de
typhus, que les immigrés irlandais apportaient avec eux, il compta
parmi ceux qui se dévouèrent au service spirituel de ces
pauvres gens à la GrosseIle. Il fut même atteint du fléau
et passa plusieurs semaines à l'hôpital. En 1852, l'abbé
Taschereau contribua à la fondation de l'Université Laval.
En 1854, dans le but d'accroître sa compétence et de se
rendre davantage utile, il partait pour Rome, où il redevint
étudiant et prit son doctorat en droit canonique. Après
deux ans, en 1856, il reprenait son poste à Québec. Il
occupa peu après les fonctions de directeur et de préfet
des études. En 1860, à 40 ans, il fut élu supérieur
du séminaire et, par le fait, recteur de l'Université
Laval. Il l'a été à deux reprises, de 1860 à
.1866 et de 1869 à 1871. En plus, de 1862 à 1870, il remplit
la charge de vicaire général du diocèse, et, à
la mort de Mgr Baillargeon (octobre 1870), il devint l'administrateur
du diocèse sede vacante.
Elu archevêque de Québec le 24 décembre 1870, Mgr
Taschereau fut sacré, dans sa cathédrale, le 19 mars 1871,
par Mgr Lynch, archevêque de Toronto. Il devait demeurer titulaire
de Québec pendant vingt huit ans, dont vingt quatre d'administration
active. Le 7 juin 1886, le premier en date de nôs prélats
canadiens, il était créé cardinal, par le pape
Léon XIII, avec le titre de Sainte Marie des Victoires. En décembre
1891, Mgr Bégin, alors évêque de Chicoutimi, lui
fut donné comme coadjuteur, et, en 1894, le cardinal, se sentant
affaibli par l'âge, confiait à son coadjuteur l'administration
diocésaine. Le premier cardinal canadien mourut, le 12 avril
1898, à 78 ans.
Au cours de ses années d'administration active, de 18 71 à
18 94, Mgr Taschereau a fourni une somme de travail considérable.
"Ses mandements et circulaires, écrivit au lendemain de
sa mort la Semaine religieuse de Québec, ne forment pas moins
de trois gros volumes. Abstraction faite de milliers de lettres écrites
pour affaires secondaires, ses lettres enregistrées constituent
six volumes in folio d'à peu près neuf cents pages chacun.
Il a refondu la discipline du diocèse, régularisé
l'administration paroissiale jusque dans ses moindres détails,
consacré chaque année au moins deux mois à la visite
pastorale, érigé canoniquement plus de quarante paroisses,
fondé une trentaine de missions dont la plupart ont actuellement
un curé résidant, présidé les trois derniers
conciles provinciaux et favorisé toutes les oeuvres diocésaines."
"Devenu archevêque, disait encore la Semaine religieuse,
Mgr Taschereau ne changea guère ses habitudes de vie régulière
et laborieuse. I1 administra son diocèse comme il dirigeait auparavant
son séminaire. Son règlement de vie resta à peu
près le même. I1 suffisait de consulter l'heure, à
n'importe quel moment de la journée, pour savoir qu'on le rencontrerait
certainement à tel ou tel endroit. De huit heures à midi
et de deux heures à six et demie, il était à son
bureau, à la disposition de tous ceux qui désiraient le
voir, expédiant lui même sa correspondance. Quiconque lui
écrivait, recevait, dès le lendemain, une réponse
laconique, claire et précise. On obtenait facilement de lui une
audience, mais il fallait savoir prendre congé à temps.
Il parlait peu, trop peu même, au goût de plusieurs. Son
élévation au cardinalat en 1886 ne changea en rien son
train de vie. Le devoir seul lui faisait accepter des hommages qu'il
appelait sincèrement des persécutions."
Dans un fort bel article, écrit également en 1898, sur
la tombe du cardinal, M. Thomas Chapais, aujourd'hui sénateur,
mettait en relief ses qualités de simplicité, de zèle,
de charité, de discrétion et d'humilité. Il insistait
en particulier sur la belle unité de sa longue vie. "La
carrière du cardinal, disait il, a été marquée
de cette empreinte peu commune dans nos jours troublés : l'unité.
Parcourez les pages de cette histoire d'un prince de l'Eglise dont la
main de la mort a tourné hier le dernier feuillet. Vous y trouverez
partout une âme qui rend le même son, une intelligence constamment
orientée vers les mêmes horizons, un coeur sans cesse fidèle
aux mêmes causes . . . Sa vie s'est déroulée sur
une voie droite d'où, en touchant au terme, son regard aurait
pu entrevoir sans obstacle les lointains aspects du point de départ.
Elle a été, en effet, cette vie, sans interruption, une
marche en avant dans le devoir . . ."
C'est là un bel éloge vraiment, et qui a été
rendu au cardinal Taschereau par un écrivain éminent,
tout ensemble homme politique, penseur et historien, bien placé
pour apprécier et juger sainement les hommes et les événements.
Il nous montre bien, par contre coup, le peu de cas qu'il convient de
faire en vérité des appréciations et des jugements
partiaux, injustes et faux, du sieur Savaëte, l'auteur des dix
gros volumes de Voix Canadiennes Vers l'abîme, parus entre 1908
et 1920, malheureusement trop répandus en notre pays, et dont
il faut, en dépit de leur documentation considérable,
soigneusement se défier. Sur plus d'un point, c'est vrai, Mgr
Taschereau ne partagea pas les vues de quelques uns de ses plus illustres
contemporains, notamment, je l'ai remarqué plus haut, de notre
grand Mgr Bourget. Mais sa sincérité et sa probité,
tout autant que son zèle pour le service de Dieu et des âmes,
ne sauraient être suspectées. Entre l'intrigant et l'ambitieux
que voudrait, dans ses Voix de l'abîme, nous faire voir le sieur
Savaëte, et le vrai cardinal Taschereau, il y a un "abîme"
précisément. Le vénéré prince de
l'Eglise et premier cardinal canadien avait trop de qualités
et de vertus supérieures et bien réelles pour n'être
pas absolument au-dessus de cette caricature méchante et si peu
digne d'un écrivain catholique et français.
Je n'ai guère connu personnellement le cardinal Taschereau.
Je l'ai pourtant entrevu quelquefois et j'ai assisté à
ses funérailles à Québec en avril 1898, qui furent,
sous la présidence du cardinal Gibbons, très imposantes
et constituèrent comme une véritable apothéose.
De toute évidence, en ce concours de l'élite du clergé
et du peuple, on rendait hommage à un grand homme d'Eglise et
à un grand citoyen. Ce témoignage suprême, l'histoire
l'a déjà amplement confirmé, et elle le confirmera
de mieux en mieux, à mesure que le recul des ans permettra de
faire le juste point plus exactement.
A la mi octobre de 1887, Mgr Taschereau, cardinal depuis un an, passait
en visite au collège séminaire de Sainte Thérèse.
J'étais alors "finissant" en philosophie et j'eus l'honneur
de lui présenter une "adresse". Je me souviens que
Son Eminence répondit à nos compliments avec une extrême
bonne grâce. Ce n'était pas un orateur vibrant, mais avec
quel bon sens et quelle conviction il parlait ? Il nous exhorta, nous
les jeunes du temps , les vieux d'aujourd'hui à être plutôt
vertueux que brillants et à rester toujours fidèles au
devoir que la Providence impose. "Peu importe le succès,
disait il, c'est le travail et c'est l'effort, souvent aussi c'est la
souffrance, que Dieu demande. Sachez être laborieux et sachez
souffrir ? Tout est là pour être un homme de devoir, un
bon chrétien et un citoyen méritant." J'ai compris
plus tard que c'était, en somme, la leçon de sa vie.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 22-30. On trouvera ailleurs au site un document sur
l’attitude du cardinal
Taschereau sur le Programme catholique. |