Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Monsieur JULES PAUL TARDIVEL
(1851-1905)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
Jules Paul Tardivel, le fondateur en 1881 de La Vérité
de Québec, qu'il dirigea et rédigea jusqu'à la
fin de sa vie, est né à Covington, dans le Kentucky, d'un
père français, Claude Tardivel, natif de l'Auvergne, et
d'une mère anglaise convertie au catholicisme, Isabelle Brent,
le 2 septembre 1851. Il est mort, à Québec, où
s'était écoulée presque toute sa carrière
de journaliste, le 24 avril 1905, à 54 ans. Ce fut un champion
de la cause catholique et française au Canada, un lutteur intrépide,
plutôt intransigeant que souple, un écrivain à la
plume sûre d'elle même, toujours correcte et élégante,
un homme d'ordre et de vie très droite, croyant et patriote comme
on n'en voit pas souvent.
A 17 ans, ne sachant pas un mot de français, le jeune Tardivel
venait, en 1868, de son lointain Kentucky, commencer ses études
classiques à Saint Hyacinthe. Après Chicoyne, dont il
est question dans la notice précédente, il fut du groupe
des fidèles de l'abbé François Tétrault,
et il en garda l'empreinte sa vie entière. Tout en conservant
bien sa langue maternelle, l'anglais, il apprit notre langue française
à la perfection. Il se distingua dans ses classes et se fit remarquer
par son esprit de discipline, son application et son amour du travail.
En avril 1873, Tardivel débutait dans le journalisme au Courrier
de Saint Hyacinthe. En septembre de la même année, il passait
à La Minerve de Montréal. En 1874, il allait se fixer
à Québec et entrait au journal Le Canadien, que dirigeait
alors Tarte, plus tard ministre dans le gouvernement Laurier. Il fut,
six ou sept ans rédacteur à ce journal, écrivant
souvent l'article de fond, s'esseyant [sic] dans la critique littéraire,
donnant à droite et à gauche de bons coups de plume qui
marquaient déjà sa manière, peu amie du servilisme
et nettement indépendante des partis et des coteries. En juillet
1881, Tardivel fondait La Vérité, un hebdomadaire, qui
fit son chemin, se suscita des contradicteurs, mais s'assura aussi toute
une phalange d'admirateurs fervents, aux yeux de qui, pendant un quart
de siècle, Tardivel fut le Louis Veuillot du Canada. Penseur
puissant, très nourri de fortes lectures dans les pages des maîtres,
polémiste ardent et redoutable, mais qui ne s'attaquait jamais
aux personnes, le directeur de La Vérité, dans son rendez
vous de chaque semaine auprès de ses lecteurs, se montrait l'apôtre
laïque de la doctrine de l'Eglise. Sa sincérité,
comme sa loyauté, était évidente.
De ses principaux articles, il fit des volumes de Mélanges,
au moins trois, dont le premier parut en 1887. En 1890, il publia des
Notes de voyage, au retour d'un séjour en Europe. En 1895, ce
fut Pour la patrie, roman du XXème siècle, ainsi que l'indiquait
le sous-titre. Il donna encore diverses études sur La situation
religieuse aux Etats Unis, sur Le pape Pie IX, sur l'anglicisme,
sur la langue française. En fait, il travaillait beaucoup
et sa production littéraire fut abondante.
Tardivel était au physique un bel homme, de grandeur moyenne
et de noble prestance, avec une tête au front chauve, une figure
régulière au teint chaud, un nez droit, des yeux pénétrants,
portant toute sa barbe, soigneusement taillée. Au moral, c'était
la dignité en personne. Il avait épousé, jeune,
Henriette Brunelle, dont il eut un fils, Paul, qui lui succéda
à La Vérité, comme journaliste, et quatre filles,
Mme C. J. Magnan, Mme Omer Héroux, Mme Joseph Bégin et
Mme H. Bazin.
Quand le roman Pour la patrie parut, chez Cadieux et Derome, à
Montréal, en 1895, la Semaine religieuse, que dirigeait alors
M. le chanoine Bruchési, l'appréciait ainsi : "Après
avoir suivi d'un oeil attentif les péripéties de la lutte
héroïque imaginée et racontée par M. Tardivel,
plusieurs réserveront leur jugement et se contenteront de penser
que les vues de la Providence sur le peuple canadien restent encore
insondables. D'autres partageront, non sans enthousiasme, les glorieuses
aspirations de l'ardent journaliste. Quelques uns, par conviction, ou
même par crainte d'exciter les préjugés de races,
ne manqueront peut être pas de crier au rêve, à l'utopie,
à la provocation. Quoiqu'il en soit, l'important, pour l'heure
actuelle au moins, c'est de nous entendre afin d'éviter, comme
nation, tout ce qui serait de nature à nous rendre indignes des
desseins de Dieu, c'est de travailler à découvrir les
véritables ennemis de notre race et de notre religion et de leur
opposer une résistance loyale mais vigoureuse. En cela, le livre
de M. Tardivel sera utile . . . Même si elle ne devait pas avoir
cette influence heureuse, la lecture de cet ouvrage, fortement pensé
et nettement écrit, ferait encore du bien. L'auteur, en effet,
y a jeté nombre d'idées nobles et généreuses,
d'aperçus nouveaux et chrétiens, et quelques uns des caractères
qui s'y développent sont de ceux qui font ressortir l'élévation
des vertus sociales qu'inspire le christianisme..."
Dix ans plus tard, à la mort de Tardivel, le même chanoine
Bruchési, devenu l'archevêque de Montréal, écrivait
à son fils Paul, au sujet de La Vérité :
"C'est une oeuvre et non pas une affaire d'argent. Avant tout,
elle veut servir l'Eglise et défendre ses intérêts
. . . Elle ne recherche pas la sensation . . . Elle est pleine d'idées
. . . Qu'elle ait eu quelquefois ses erreurs et ses torts, cela n'est
pas étonnant . . . Mais ces erreurs n'ont jamais porté
sur des points de doctrine et que sont elles après tout comparées
au bien accompli ?" . . . Et l'éminent archevêque
ajoutait : "Le fondateur de La Vérité, du
reste, tous ceux qui l'ont connu intimement le savent, avait les convictions
religieuses les plus profondes, un amour ardent de son pays, une loyauté
et un désintéressement à toute épreuve.
S'il s'est trompé, il s'est trompé de bonne foi. Je ne
connais pas de journaliste qui, dans notre pays, ait reçu autant
de témoignages d'estime et d'admiration. Ses adversaires comme
ses amis se sont plu à reconnaître sa valeur et son mérite.
"
On comprend, après un pareil témoignage venu de haut,
que M. Magnan, le mari de sa fille aînée, ait pu écrire,
dans l'Enseignement Primaire, comme conclusion au substantiel
article qu'il donna sur Tardivel au lendemain de sa mort, ceci qui est
très juste et émouvant: "Un philosophe ancien a dit
que toutes les grandeurs du monde et tout le bruit qui se fait autour
d'un homme pendant sa vie aboutissent fatalement à ces mots :
Hic Jacet -- Ci gît ! Cette inscription tumulaire ne saurait convenir
au vaillant soldat chrétien que nous pleurons. J'ai cru, je
vois, voilà plutôt, comme pour Louis Veuillot, ce qu'il
faudrait graver sur la croix du modeste tombeau de Jules Paul Tardivel."
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 195-200. |