Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

Monseigneur ALEXANDRE TACHÉ
(1823-1894)

par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

[Note de l’éditeur : On examinera avec profit la section des documents sur Les Québécois, le clergé catholique et l’affaire des écoles du Manitoba pour analyser le rôle de Mgr Taché dans cette question.]

Mgr Alexandre-Antonin Taché appartenait à l'une des familles les plus distinguées de notre pays. Son père, Charles Taché, officier militaire, était le frère d'Etienne-Pascal Taché, ancien premier ministre au temps des Canadas-Unis. Son frère aîné, Joseph-Charles Taché, écrivain et homme politique, est l'auteur de Forestiers et Voyageurs. Les Taché sont établis au Canada depuis 1730. Par sa mère, Louise-Henriette de la Broquerie, le futur archevêque descendait, à la cinquième génération, de Pierre Boucher de Boucherville, gouverneur de Trois-Rivières, dont l'une des filles, mariée à Gauthier de Varennes, fut la mère de La Vérendrye, le découvreur de l'Ouest en 1731. Alexandre-Antonin naquit à Rivière-du-Loup (Témiscouata) le 23 juillet 1823. Mais, son père étant mort en 1826, il fut élevé et reçût sa première éducation à Boucherville, au manoir de la Broquerie, où sa mère s'était fixée. Femme exceptionnellement douée et cultivée, Madame Taché forma ses enfants avec une remarquable distinction. Monseigneur se félicita toute sa vie, comme d'une grâce de choix, d'avoir eu une si bonne mère.

Le jeune Alexandre fit ses études classiques à Saint-Hyacinthe. Il se classa toujours au premier rang. C'est pendant qu'il terminait sa cléricature au grand séminaire de Montréal que, en 1844, à 21 ans, il décida d'entrer chez les Oblats de Marie, récemment arrivés au Canada. L'année suivante, le 24 juin 1845, n'étant encore que sous-diacre, il partait pour l'Ouest, avec le Père Aubert, chargé d'aller là-bas fonder la première mission des fils de Mazenod. On arriva à Rivière - Rouge (Saint-Boniface) le 25 août 1845. Le 12 octobre de la même année, le Père Taché était ordonné prêtre. Il n'avait encore que 22 ans. Mais, il était déjà heureusement préparé aux grandes tâches qui l'attendaient. En voyant pour la première fois ce jeune sous-diacre d'apparence si frêle et si délicate, le robuste Mgr Provencher n'avait pu s'empêcher de s'exclamer : "On m'envoie des enfants et ce sont des hommes qu'il nous faut ?" Seulement, il avait très vite modifié cette impression. "Des Taché et des Laflèche, écrivait-il bientôt à Mgr Bourget, vous pouvez m'en envoyer sans crainte." De 1846 à 1850, le Père Taché fut missionnaire à l'Ile-à-la-Crosse, avec d'abord le futur Mgr Laflèche et aussi avec le futur Mgr Faraud.

Elu, à 27 ans, évêque d'Arath et coadjuteur de Mgr Provencher le 24 juin 1850, à la place de l'abbé Laflèche qui avait réussi à se soustraire à l'honneur et au fardeau de l'épiscopat, Mgr Taché fut sacré, à Viviers en France, par le fondateur des Oblats, Mgr de Mazenod, le 23 novembre 1851. A la mort de Mgr Provencher, le 7 juin 1853, il lui succédait de droit. I1 n'avait pas encore 30 ans. Se trouvant en ce moment en course par les vastes régions de ses missions, il ne prit possession du diocèse qu'un an et demi plus tard, soit le 5 novembre 1854. A l'érection de la première province ecclésiastique de l'Ouest, avec Saint-Boniface comme siège métropolitain, en septembre 1871, Mgr Taché prit le titre d'archevêque. Il mourut le 22 juin 1894, après quarante-neuf ans de missions et quarantequatre d'épiscopat, à 71 ans.

Un demi-siècle d'épiscopat, surtout d'un épiscopat comme celui de ce pionnier-géant de l'Ouest qu'a été Mgr Taché, ne se résume pas et ne se condense pas aisément. Feu Dom Benoît, des chanoines réguliers de l'Immaculée-Conception, a publié en 1904 une Vie de Mgr Taché, en deux volumes, de 600 à 700 pages chacun. Je concède que le savant chanoine n'était pas ennemi des longueurs. Mais encore faudrait-il, pour analyser ses 1200 à 1300 pages, un cadre plus large que celui que je me suis assigné pour les modestes notices de ce présent petit livre. Deux mots me suffiront : Mgr Taché a été un illustre pontife et un très grand citoyen.

Placé très jeune, à cause de sa valeur personnelle et aussi un peu par suite des circonstances, à la tête d'un immense champ d'apostolat, Mgr Taché s'est montré digne et à la hauteur, on ne saurait moins dire, de la confiance que l'Eglise lui marquait. Avec une sagesse et une prudence qu'aucun embarras ne trouva jamais en défaut, avec un zèle et un dévouement qui ne se lassèrent pas, et surtout avec un renoncement à lui-même et une bonté de père qui lui gagnaient tous les coeurs, il gouverna dans la fermeté et la douceur pendant des années et des années. Ce qu'il entreprit et accomplit pour la fondation et le développement de ses missions et de ses paroisses, pour la division de son vaste diocèse, pour la direction personnelle de ses prêtres et de ses religieux, pour celle même de ses collègues et suffragants, ce qu'il se donna de peine en un mot pour être tout à tous, selon le mot de saint Paul, est au-dessus de tous les éloges. A l'exemple de ces grands évêques du moyen-âge, dont on a dit qu'ils ont façonné l'Europe chrétienne comme les abeilles construisent leurs ruches, avec autant d'ingéniosité que de patience, Mgr Taché a organisé l'Ouest catholique avec un désintéressement et un zèle que seuls son tact et son savoir-faire ont pu égaler.

L'illustre pontife a été pareillement un vrai patriote et même un grand homme d'Etat, c'est-à-dire un chef de peuple, au sens éclairé et au coeur droit, comme on n'en rencontre pas souvent. Dans l'affaire épineuse du "mouvement" des Métis de Riel en 1870, puis en 1885, et dans les luttes écrasantes qu'il eut à soutenir pour la défense de ses chères écoles vers la fin de sa vie, s'il a pu être trompé, il s'est montré grand entre les plus grands,généreux et dévoué de toute son âme et vraiment digne des pontifes les plus fameux de l'Eglise. Son historien (Dom Benoit) n'a pas craint, et il a eu raison, de rapprocher son nom de ceux des Athanase et des Hilaire, des Grégoire VII et des Innocent III. Chez nous, à l'exemple de ses deux collègues et amis, Mgr Bourget et Mgr Laflèche, ses contemporains, il a continué la forte lignée des Laval, des Briand et des Plessis.

"Esprit universel et puissant, coeur de feu, volonté intrépide, apôtre infatigable, a-t-on
justement écrit, Mgr Taché a évangélisé pendant un demi-siècle un diocèse plus grand que l'Europe, duquel est sortie toute l'Eglise de l'Ouest. Son influence morale fut immense et supérieurement bienfaisante. Il civilisa les indigènes, organisa et pacifia les Métis, poussa la colonisation, dirigea en un mot la civilisation naissante des grandes prairies. En même temps, il défendit avec intrépidité les droits religieux et politiques de son peuple, rendit au gouvernement canadien des services incomparables et fit vraiment fonction de grand citoyen et d'homme d'Etat, tout autant que de chef d'Eglise respecté et d'illustre pontife."

C'est là, je pense, le jugement impartial de l'histoire, et il est de ceux qu'on ne révoquera jamais, parce qu'il est solidement établi sur des faits véridiques et indéniables. J'ajoute que Mgr Taché, savant et cultivé comme il en est peu, a été aussi un magnifique écrivain, naturel et abondant, pittoresque et vivant. vivant. Qu'on relise ses Vingt années mission, et l'on en sera vite convaincu.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 39-45.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College