Date Published: |
L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Séminaire Saint Thomas D'Aquin de Valleyfield
[Cet article a été rédigé en 1952. La source est indiquée à la fin du texte]
Salaberrey-de-Valleyfield ! Ce nom même, qui évoque l'une des plus nobles pages de notre épopée, est tout un programme pour le séminaire dont voici l'histoire. Situé non loin de l'endroit historique où le héros canadien arrêta l'invasion américaine, le Séminaire de Valleyfield comprend qu'il doit être une forteresse avancée de la civilisation française sur la terre canadienne. Par la culture profondément chrétienne et patriotique qu'il donne à ses élèves, il doit être un rempart contre l'américanisme, cette invasion pacifique qui menace non plus notre sol, mais nos plus chères institutions. D'ailleurs le diocèse touche aussi à l'Ontario, et le rôle de forteresse française et catholique ne s'en impose que plus à cette maison.
Le diocèse de Valleyfield venait à peine d'être érigé, qu'un groupe de citoyens présentait une pétition à Mgr Emard, le pressant de fonder une maison d'enseignement secondaire dans sa ville épiscopale. Le premier évêque de Valleyfield avait assumé à son insu, le rôle de second fondateur de la cité, et il voulait son oeuvre parfaite : il répondit avec empressement à la demande de ses fidèles. C'était le 24 septembre 1892.
Exactement un an plus tard, 1e 24 septembre 1893, l'abbé Joseph-Charles Allard, dans le secret de la bibliothèque de l'évêché, donnait le premier cours d'éléments latins aux quatre élèves qui s'étaient réunis pour fonder le Séminaire St-Thomas-d'Aquin de Valleyfield.
A la rentrée de 1894, il y avait 14 élèves, et, cette année-là encore, les cours furent donnés gratuitement . . . Ici comme ailleurs, c'est toujours le dévouement sans espoir de récompense terrestre qui est la note dominante chez nos fondateurs de maison d'enseignement.
De toutes les parties du diocèse arrivaient des demandes d'admission, et l'on dut se transporter, en septembre 1895, dans un édifice en briques, de deux étages, qui reçut officiellement le nom de séminaire. Les 27 élèves de 1895 firent une si belle propagande que l'on décida de construire le magnifique monument en pierre aux tourelles moyenâgeuses qui fait encore aujourd'hui l'orgueil du diocèse de Valleyfield et l'admiration des étrangers.
L'institution qui ouvrit ses portes le 5 septembre 1896, offrait aux enfants de la région les formations classiques et commerciales. Elle comptait aussi un cours élémentaire, qui fut supprimé en 1902.
Le public était fier de ce séminaire qui avait coûté $110.000 et il admirait la prudence et l'esprit d'organisation de Mgr Emard, qui avait si richement doté sa ville sans lui demander un sou de contribution. Pas d'allocations de la ville pas de dons particuliers, aucun secours des pouvoirs publics . . . Aussi, quelles démarches avait dû faire le fondateur pour accomplir un tel coup de maître : il était allé jusqu'en Europe chercher les fonds nécessaires, et c'est en Angleterre qu'il avait pu réaliser des emprunts en donnant comme garantie vingt polices d'assurance de $5000.00 chacune, prises sur la vie de vingt élèves, et dont il prélèvera souvent des primes sur ses revenus personnels. Puis il organisa l'Oeuvre des Bienfaiteurs Insignes. Et c'est ainsi que se fondent nos maisons d'enseignement secondaire entretenues par notre clergé canadien !
On avait compté sur la présence de Mgr Fabre, archevêque de Montréal, pour bénir le nouveau séminaire. Hélas ! la maladie et la mort de ce vénéré métropolitain retarda cette belle cérémonie qui n'eut lieu que le 22 avril 1897. Le premier délégué apostolique au Canada, Mgr Merry del Val, présida à la bénédiction et donna sa propre devise, « Suprema manus validor ».
Dès le 28 octobre 1896, un cercle littéraire tenait sa première réunion. Le directeur de la maison, monsieur l'abbé J.-C. Allard, disait dans son discours d'inauguration : « Pour répondre à un besoin qui se fait, présentement sentir, et satisfaire à un désir des jeunes en qui s'élèvent déjà les ardeurs pour les luttes que l'avenir leur réserve, nous constituons ce cercle littéraire sous le nom d'Académie Sainte-Cécile. Parmi les jeunes littérateurs et les orateurs qui monteront à la tribune de cette académie, peut-être un observateur habile pourra-t-il découvrir des maîtres futurs des destinées de la nation ». Or, parmi les auditeurs de l'enthousiaste directeur, il y avait Albert Sévigny, maintenant juge en Chef de la Province, John O'Sullivan, vedette de la scène fédérale, et Ludger Codebecq, longtemps maire de Salaberry-de-Valleyfield.
De l'académie Sainte-Cécile, se détachera le cercle Émard dont les membres s'engagent à produire un certain nombre de travaux chaque année, et à correspondre au Cécilien. C'est à la première séance de ce cercle que monsieur Émile Léger chanta pour la première fois la magnifique poésie du rhétoricien Bartlett : « La Cécilienne » devenue la cantate du Séminaire.
Plus tard une autre division, sous la direction de l'abbé Lionel Groulx, deviendra le cercle d'études et d'action catholique St. Thomas-d'Aquin affilié à l'A.C.J.C. et que le directeur a immortalisé dans son livre Une croisade d'adolescents .
Le séminaire de Valleyfield eut Mgr Émard comme supérieur jusqu'en 1909. Mgr P. Sabourin, P.D., qui avait succédé à Mgr J.-C. Allard comme directeur en 1902, fut alors nommé supérieur et garda ce poste jusqu'en 1916, année où monsieur le chanoine Aubin lui succéda. Il redevint supérieur de 1923 à 1929 et fut remplacé par monsieur l'abbé Herménégilde Julien, fait chanoine titulaire de la cathédrale en 1936. En février 1939, monsieur l'abbé Lionel Deguire lui succéda et devint chanoine titulaire bientôt après. Quand celui-ci démissionna en août 1944, le poste fut confié à monsieur l'abbé Dominique Julien qui dirige les destinées de la maison jusqu'en 1952. Son successeur fut M. le chanoine Gaëtan Lebeuf.
D'heureux évènements sont venus marquer l'histoire de la maison et presque toutes les années se signalent par un fait : honneurs conférés aux anciens ecclésiastiques ou laïques; visites de personnages les plus élevés du monde religieux ou politique; jours qui marquent une importante évolution dans l'histoire de la maison.
En 1901, c'était le 25ème anniversaire de l'ordination du fondateur; en 1917, son jubilé épiscopal; et quelles fêtes lui firent ses enfants ! Hélas ! ces années de 1917-18 furent des années de deuil pour l'Alma Mater : 94 de ses enfants répondaient à l'appel de la patrie et les champs de bataille de l'Europe ont bu du sang cécilien.
En 1918, c'était, le 12 mai, la fondation de l'Association des Anciens élèves qui a si rapidement groupé presque tous les anciens. Le 24 mai 1921, quel cécilien pourra jamais oublier ce jour mémorable, c'était la fête grandiose et intime tout à la fois 25ème anniversaire : la messe célébrée par Mgr J.-C. Allard, premier professeur et premier directeur de la maison. Monseigneur Sabourin, ancien supérieur, des abbés A. Boucher et F.-Z. Tisseur, anciens professeurs; le sermon de l'abbé Verner, élève du premier cours; le célèbre banquet du bon monsieur Vincent; puis la parade à la gare du N.Y.C. pour aller reconduire les anciens, avec l'arrêt devant le séminaire pour le salut à Marie.
Et ce fut le jour glorieux et triste tout ensemble où Rome récompensait le zèle ardent du fondateur en le nommant archevêque d'Ottawa.
Mgr Rouleau le remplaça, vraiment paternel pour son séminaire qu'il se plaisait à visiter et auquel il donna une nouvelle charte. Puis fut lui aussi, enlevé et transféré au siège cardinalice de Québec. Mais Rome, envoya un autre évêque qui, dès le premier jour, donna tout son temps, tout son argent, tout son coeur à son cher Séminaire. Quelle joie pour les élèves quand Son Excellence Mgr Langlois les vient visiter et leur parle de cette voix du coeur qu'ils aiment tant entendre.
En 1927, Mgr Langlois bénissait l'aile nouvelle du séminaire. Se trouvait dans l'assistance un bienfaiteur émérite qui fit un don de $ 25,000.00; c'était l'ancien élève honoraire Lawrence A. Wilson.
En 1942, le Séminaire participait avec enthousiasme aux fêtes du cinquantenaire du diocèse et recevait, avec piété, la visite du délégué apostolique, Mgr Antoniutti.
En 1945, il était le centre d'organisation des magnifiques fêtes qui marquèrent pour le diocèse, le dixième anniversaire de la J.E.C.
Mais une institution comme celle-là ne se glorifie pas seulement des grands évènements qui font son histoire : la gloire de ses fils rejaillit en lettres d'or sur l'Alma Mater. Aussi quel ne fut pas le débordement de joie qui s'empara de tous les coeurs céciliens quand, le 15 décembre 1934, Rome éleva un missionnaire, élève des premières années, le Père Oscar Julien des Pères Blancs, à la dignité épiscopale : le 24 mars suivant, c'était le sacre en terre africaine et, le soir un câblogramme apportait la bénédiction du nouvel évêque. Il partit vers le Canada; le 24 mai, c'était la réception officielle à ce glorieux ancien.
En 1946, Rome se penchait de nouveau vers nous et nommait un autre ancien, Mgr Cotton, au nouveau siège épiscopal d'Owensboro.
Le séminaire a raison d'être fier de ses anciens dans tous les domaines. En 50 ans, il a donné à l'église 195 prêtres et religieux de tous les ordres, notamment chez les Pères Blancs où les anciens ont occupé les plus hautes fonctions tant au pays qu'en Afrique. Le cours commercial a donné un grand nombre de frères enseignants ou missionnaires.
Nous trouvons des anciens, professeurs à l'Université de Montréal, à l'Université Laval, à Rome, au Grand Séminaire, au Séminaire de Philosophie, et il y en eut qui donnèrent des cours à l'Université de Paris. C'est un ancien que le gouvernement fédéral a choisi pour organiser au pays la lutte contre la tuberculose par le vaccin B.C.G. C'est un des anciens professeurs qui a mérité le titre glorieux de grand éveilleur du nationalisme canadien-français [Lionel Groulx].
Dans la magistrature, il suffit de nommer le juge Sévigny pour montrer que nous n'avons aucune institution à envier; nous avons eu des ministres fédéraux, des députés qui ont brillé dans les deux parlements; nos anciens se sont succédé à la mairie de notre ville et plusieurs paroisses des environs. L'un des nôtres a reçu des éloges bien mérités pour services rendus comme gérant de la ville de Verdun. Dans le commerce, dans la haute finance, nous pourrions énumérer bien des noms qui mettraient le collège de Valleyfield en belle figure à côté de toutes les institutions commerciales du pays.
Évidemment, pour arriver à donner une telle culture, il a fallu consentir les plus grands sacrifices de personnel et d'argent. Rome, Paris, Londres, Québec, Montréal, Toronto, Washington, Chicago ont tour à tour reçu ceux des nôtres que le séminaire envoyait prendre des degrés en théologie, en philosophie, en anglais, en lettres, en sciences naturelles, commerciales et sociales. C'est un professeur de Valleyfield qui fut le premier prêtre à fréquenter les cours de l'école des Hautes Études Commerciales, et il obtint la médaille d'or de cette institution. Quelques-uns de ces professeurs ont dû quitter le séminaire, mais le personnel comprend encore quatorze docteurs, licenciés ou diplômés des différentes facultés, tandis que d'autres poursuivent leurs études.
Malgré le grand désir et le grand besoin que nous en avions, la chapelle du Sacré-Coeur, longtemps restée à l'état de projet, ne fait que commencer aujourd'hui à s'élever. Mais dans l'attente nous avons pu édifier une construction répondant aux plus intimes exigences de l'hygiène : salles spacieuses et bien éclairées, dortoirs vastes et hauts, garanties les plus grandes contre l'incendie, douches, infirmerie modèle etc. Nous avons pu également organiser un cabinet de physique et de chimie des plus modernes, non seulement pour les classes de philosophie-sciences, mais pour le cours commercial et pour les premières classes du classique.
On peut se demander comment ces institutions, car toutes les maisons d'enseignement secondaire ont une semblable histoire, on peut se demander comment elles ont pu, non seulement éviter la banqueroute, mais marcher sans cesser vers de nouveaux progrès. Ceux qui peuvent voir les comptes des élèves et constater les retards, les pertes, ou les remises consenties aux enfants pauvres, savent que les fonds apportés par les élèves ne suffisent pas à défrayer de telles institutions.
Comment a-t-on subsisté ? La charité des anciens élèves qui se sont inscrits si nombreux à l'oeuvre des Bienfaiteurs; l'apport de certains dons spéciaux qui sont des témoignages d'appréciation; depuis quelques années, l'octroi annuel du gouvernement provincial, ont apporté au procureur une partie de la solution à l'angoissant problème de boucler un budget.
Mais la solution se trouve surtout dans le renoncement des professeurs, qui cherchent non un salaire à gagner mais des âmes à former; elle se trouve dans la charité d'un évêque qui consacre tous ses revenus personnels à la constitution de bourses d'études; dans ce miracle constant de désintéressement chrétien qui permet à des prêtres, professeurs actuels, ou anciens de trouver dans un salaire qui varie de $ 150.00 à $ 300.00 par année, et dans leurs honoraires de messes, de quoi se vêtir, orner leur bibliothèque, et se faire quand même bienfaiteurs insignes et pourvoyeurs d'enfants pauvres.
On a le droit certes, de désirer certaines améliorations dans l'instruction que donnent nos séminaires et nos collèges classiques; nous sommes les premiers à déplorer certaines lacunes et à chercher les remèdes appropriés. Mais il n'y a pas un Canadien français sérieux qui soit dispensé du devoir de s'incliner devant le dévouement de notre clergé. Toutes nos maisons ont été créées dans toute la force de l'expression, par le dévouement de nos prêtres. Elles ont donné à l'église et à la société des hommes aussi compétents que n'importe quelle institution du genre, au monde; elles ont donné à notre race des patriotes ardents et des catholiques convaincus.
Devant ces faits, tous les Canadiens, même les indifférents, même ceux qui jouent à l'anticléricalisme, se doivent de chercher l'explication totale, et c'est notre devoir de la leur donner. Qu'ils pénètrent au coeur de nos maisons, ils y trouveront une chapelle ou les prêtres et élèves passent une notable partie de leur journée. La main de Dieu est là et nous bénit.
Supérieur : Monsieur le Chanoine Gaëtan Lebeuf, Séminaire Saint-Thomas d'Aquin, Valleyfield, P.Q.
Source : Vedettes, 1952. Le fait français au Canada , première édition, Montréal, Société nouvelle de publicité, 1953, 717p., pp. 558-561.
|
© 2004
Claude Bélanger, Marianopolis College |