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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History EncyclopediaHistoire de la littérature canadienne-française (Québec)
Analyse critique de l'Histoire de la littérature canadienne de Mgr Camille Roy.
[Ce texte a été écrit en 1933 par Albert Pelletier. Pour la référence complète, voir la fin du texte.] Retour à l'histoire de la littérature québécoise Mgr Camille Roy est recteur de l'université Laval; il fut président de la Société royale du Canada; il fait partie, à titre décoratif, de quelques autres hospices de curés en repos. C'est un personnage. C'est encore plus un homme habile. J'avoue même que Mgr Roy me paraît, en littérature, profondément machiavélique. Vous savez qu'il passa sa vie à meubler les générations d'écoliers de phrases pompeuses, ou de coussinets en caoutchouc. Mais soupçonnez-vous pourquoi ? Afin de rebondir indéfiniment, s'il prenait fantaisie à Jules Fournier et Olivar Asselin de faire glisser ses échasses !
J'ose à peine lever les yeux vers ce grand littérateur, consacré fétiche. Depuis qu'on me fit apprendre par coeur son manuel cabalistique d'Histoire de la littérature canadienne, il m'hypnotise, et je ne sais que lui rendre hommage. En témoignage définitif d'admiration et de reconnaissance pour tout ce que je lui dois, je vais sur le champ montrer que Mgr Camille Roy est un bienfait pour notre peuple. Je convie le professorat, la jeunesse écolière, toute la nation, à l'examen de l'Histoire de la littérature canadienne, cette chose qui n'aurait pas plus d'importance qu'un vieux papier buvard si elle n'était le produit d'un fétiche, mais qui s'impose dans nos collèges et nos couvents, « guide à la fois le jugement et le goût », forme notre élite, parce qu'elle est l'oeuvre de Mgr Camille Roy.
Mgr Roy ne fait jamais allusion à son « Manuel » sans employer la majuscule, ce qui indique sans doute qu'il lui prête lui-même une valeur sacrée. Nous n'en souffrons pas. Car il fit imprimer sur la couverture, en 1930: « Nouvelle édition revue et mise à jour ». La « mise à jour » , on le conçoit, nous épargne bien des scrupules : les beautés reluiront d'elles-mêmes. Peut-on douter que le style de l'étiquette ne soit pas approprié au produit ? Ça serait insulter à la logique de ce maître ! De fait, il n'y a peut-être pas une seule page qui n'enchâsse des perles variées. Je ne dis pas qu'on y trouve des anglicismes comme « les activités littéraires principales » : je dis qu'ils abondent. Je ne déclare pas exceptionnelles des fautes contre la syntaxe comme : « Le discours sur l'Éducation de la race française en Amérique et ceux-là adressés aux Pèlerins...» : j'affirme qu'elles sont nombreuses. Je n'extirpe pas de peine et de misère les « pouvoir manquer d'appuyer », « croire devoir soumettre », « pouvoir faire entrer »; je déclare que ce « petit nègre » s'étale d'un bout à l'autre du livre.
Mgr Roy n'a pas la réputation d'un écrivain de troisième ordre. Il pouvait ne pas se contenter d'apprendre à la jeunesse écolière comment chambarder la grammaire française. Il n'y a pas manqué. On écrit d'ordinaire pour primer sa pensée; mais pourquoi un fétiche ne ferait-il pas des phrases pour mâchonner des mots ? Aussi, laisse-t-il régulièrement échapper sur les lignes toutes sortes de parasites gommeux : « La province maritime de la Nouvelle-Écosse », « articles parus ici ou là dans les journaux ou les revues » , « l'entente entre nos deux races française et anglaise » , « les personnages les plus considérables de la politique ». On conçoit que ces redondances sont éminemment propres à « former le cour et l'esprit » de la jeunesse...
Mais il y a pire. La pauvre idée que Mgr Roy exprime déjà mal en trois lignes, il faut encore qu'il la délaye pour en couvrir les deux côtés d'un feuillet, quand ce n'est pas tout le manuel. Il n'abuse pas seulement du pléonasme, il fabrique par surcroît un modèle de tautologie. Puisque ce professeur de littérature à l'Université Laval entreprenait de rendre « les meilleurs services à nos chers étudiants », ne convenait-il pas qu'il leur apprît d'un seul coup à mal se servir du mot, de la phrase, du chapitre et du livre ?
Enfin, pensez-vous, un homme sérieux comme Mgr Roy a dû s'user jusqu'à l'échine pour mettre dans son livre une valeur de fonds qui compensât le dépenaillement de l'expression ? Erreur ! Du reste, le bon mets perd sa saveur à tremper dans l'eau de vaisselle. Puis Mgr Roy n'eut jamais besoin de trouver par lui-même une seule idée, pour faire croire à ses « chers étudiants » qu'il personnifie la bonne éducation et la belle littérature. Peu de gens ont un bonheur si facile !
Notre littérature n'est pas riche. Néanmoins, si l'on vous demandait d'en faire une histoire à l'usage des collèges et des couvents, vous vous croiriez tenus d'y mettre au moins un peu d'intelligence, de choisir dans chaque genre littéraire les auteurs principaux, de synthétiser ce qu'ils ont dit, de découvrir pourquoi ils l'ont dit, de montrer l'influence, bonne ou mauvaise, de leurs oeuvres. Mgr Roy n'a pas ces soucis. Il a lu les critiques français. Pourquoi ne parlerait-il pas de Crémazie comme Faguet de Racine ? Il est incapable d'imaginer (puisque Faguet n'en dit rien!) que ce ne sont pas tant les vers de Crémazie qui comptent que son succès même relatif à nous donner le goût du livre français; aussi bien qu'il est impuissant à découvrir que la principale raison de survie de Fréchette, c'est d'avoir fait droit de cité à la littérature, au Canada français; celle de Nelligan, d'avoir affranchi la sensibilité en poésie; que le mérite principal de Paul Morin, c'est d'avoir libéré l'expression artistique chez nous; celui du Robert Choquette, d' A travers les vents, d'avoir démaillotté l'imagination.
Ne trouvez-vous pas naturel maintenant que Mgr Roy se contente d'étirer sa guimauve lorsqu'il s'agit de Lafontaine, Etienne Parent, Garneau, Aubert de Gaspé, Arthur Buies, et nos autres principaux représentants dans les genres divers du domaine intellectuel ? Il ne faut au reste s'étonner de rien dans ce livre, puisque dès la première page, Mgr Roy apprend avec majesté à des adolescents qui en sont rendus à la littérature : « C'est au dix-septième et au dix-huitième siècle (sic) que la France a colonisé le Canada. En 1603, elle s'établissait d'abord en Acadie, à Port-Royal (aujourd'hui Annapolis, dans la province maritime de la Nouvelle-Écosse); en 1608, Samuel Champlain fondait Québec... »
Donc, le fond aussi bien que la forme sont d'une primaire nounou. Peut-être serait-il plus équitable de faire admirer les voies, insoupçonnées des profanes, que Mgr Camille Roy suit pour faire la « bonne » éducation de la jeunesse ?
Le manuel d'Histoire de la littérature canadienne est d'un volume aussi gros et d'un ton beaucoup plus imposant que les manuels d'histoire de la littérature française. Si tous nos « chers étudiants » ne gardent pas l'impression que la valeur de nos imprimés balance, à peu de chose près, la richesse des lettres françaises, attendons-nous donc que Mgr Roy se compromette avec ceux qui réclament une réforme de l'enseignement ! Il serait trop injuste aussi qu'on méconnût l'équilibre quasi miraculeux de ce grand esprit... Et d'un.
On ne sait peut-être pas assez que Mgr Camille Roy est infaillible à dénicher la véritable littérature « d'éducation ». Il va même la découvrir dans le roman du P. Farley : c'est une trouvaille, je vous en réponds ! On peut donc se fier à lui en tout. Par exemple, Jules Fournier, excellent journaliste, est l'auteur de deux recueils de chroniques pouvant rapatrier chez nous l'esprit et le bon sens français; Olivar Asselin, autre excellent journaliste, édita plusieurs brochures dont l'une, traitant des relations intellectuelles franco-canadiennes, fut aux trois quarts mise en pratique des deux côtés de l'Océan. On conçoit donc que la pensée, le style, l'influence de ces deux hommes n'aillent pas aux genoux d'un Hermas Bastien, par exemple. Aussi, l'histoire littéraire décrète que les deux premiers ne méritent qu'une mention de trois lignes chacun, contre douze lignes pour Hermas Bastien. Quant à Claude-Henri Grignon, notre littérature est vraiment trop riche pour qu'on se soucie des fort belles pages qu'il dissémina dans ce poème à l'initiative et à l'énergie : Le secret de Lindbergh ; et l'histoire littéraire règle que cet auteur n'existe pas. Il est vrai que Jules Fournier, Olivar Asselin, Claude-Henri Grignon, n'ont pas toujours vanté la gélatine de Mgr Camille Roy. Mais j'accumule ces explications plausibles afin que personne n'en doute : le grand éducateur qu'est Mgr Camille Roy donne à ses « chers étudiants » le bon exemple de la plus impartiale, de la plus indéfectible droiture d'esprit, et aussi la grave leçon qu'il ne mesure pas le mérite d'un écrivain aux flatteries qu'il en peut recevoir. Et de deux.
Enfin, on n'ignore pas que Mgr Camille Roy fait modestement remonter à lui-même l'inauguration de la critique littéraire au Canada. Il l'a déjà écrit très élégamment: avant 1902, c'était la « période ante-critique ». Il a bien raison. Au temps de l'abbé Casgrain, d'Hubert Larue, d'Edmond Lareau, on n'affichait pas encore fièrement le mérite de peser avec science « les chiures de mouches dans des balances d'argent ». Surtout, quand on voulait se payer la tête des lecteurs ou s'enfumer de volutes d'encens, on prenait la peine de se dissimuler derrière le pseudonyme. Heureusement, depuis la naissance du véritable esprit critique, Mgr Roy peut s'allouer sans détours, cinq grandes pages de louanges dans un manuel scolaire, sans compter une vingtaine d'autres réclames à ses oeuvres. Les moyens éducatifs de Mgr Camille Roy sont aussi variés qu'inépuisables, voyez-vous ! Et de trois.
Mais je m'arrête. Vous, dont le bon sens n'est pas tout à fait paralytique, vous en avez assez pour juger ce manuel qui est, depuis 1908 je crois, le vade-mecum de la jeunesse étudiante. Et vous, les autres, croyez bien qu'à 37 ans il ne m'est évidemment pas permis d'avoir, des moyens éducatifs et littéraires de Mgr Camille Roy, une autre opinion que celle de Mgr Camille Roy lui-même; que je fus toujours impuissant à me loger dans l'esprit la litière de son génie; que je m'épuise à l'imiter sans réussir; que je n'ai d'autre ambition que d'entretenir, flatter et gonfler la négrerie littéraire qu'il forme, afin qu'un jour elle me consacre fétiche; ou encore (puisque Mgr Roy fit acheter, paraît-il, tous les exemplaires de « L'oeuvre de l'abbé Groulx », par Olivar Asselin, qui se trouvaient chez les dépositaires de Québec) que je me fais un incomparable client pour mon livre, dans l'intention de vivre bientôt de mes rentes. Mais gardez-vous bien d'imaginer que ce manuel d'Histoire de la littérature canadienne est un scandale qu'on n'aurait toléré aussi longtemps dans aucun pays civilisé, et surtout, oh surtout ! soyez bien sûrs qu'un fétiche est une faveur divine pour un peuple. Retour à l'histoire de la littérature québécoise
Source : Albert PELLETIER, Égrappages , Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 234p., pp. 93-102.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |