Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
SIR ADOLPHE-BASILE ROUTHIER
(1839-1920)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
Adolphe Basile Routhier, l'ancien juge de la cour supérieure,
qui est surtout connu de la masse de notre peuple comme l'auteur de
la cantate O Canada, terre de nos aïeux, dont Calixa Lavallée
a composé la musique si enlevante, et qui est devenue notre chant
national, naquit à Saint Placide, sur les bords du lac des Deux
Montagnes, le 8 mai 1839. Il est mort à Saint Irénée
les Bains. près de la Malbaie, où il avait sa maison d'été,
le 27 juin 1920, à 81 ans. Il a laissé, comme homme de
lettres, une oeuvre qui a été diversement appréciée,
mais qui est considérable et qui mérite assurément
qu'on l'étudie.
Les bords du lac des Deux Montagnes sont enchanteurs. La nature y est
fort belle à la saison chaude, l'horizon large, et, entre le
lac et les monts, les points de vue pittoresques et superbes. Le jeune
Adolphe y grandit en s'emplissant les yeux et se vivifiant l'âme
de leurs charmes. "C'est en admirant ces beautés, a t il
écrit lui même, que j'ai acquis le goût des voyages
et des rêves . . . Voguer vers les anciens continents, m'envoler
par l'imagination au delà des nuages, poursuivre par la pensée
jusque dans les sphères mystérieuses de l'infini, telle
a été la grande occupation de ma vie et c'est la genèse
de la plupart de mes oeuvres littéraires." (Revue canadienne,
mars 1920) .
En octobre 1850, à 11 ans, le jeune Routhier entrait au séminaire
de Sainte Thérèse, pour y faire son cours classique. Son
beau-frère, l'instituteur Corbeil - le père de Mgr Sylvio
Corbeil et du curé Eugène Corbeil -- avait tôt discerné
les remarquables aptitudes d'Adolphe et l'avait bien préparé
aux années de collège. De santé délicate
et obligé de se ménager, le nouvel écolier n'en
obtint pas moins tout de suite une bonne place en classe. Mais, c'est
surtout dans les cours supérieurs de lettres et de philosophie
qu'il se distingua. Grand liseur, raconte la chronique, Routhier, une
fois ses devoirs faits et ses leçons apprises, se délectait
dans les écrits de Joseph de Maistre et d'Auguste Nicolas. Il
s'imprégna, au reste, et profita largement, de cette culture
gréco latine dont on médit parfois et à laquelle
pourtant un si grand nombre d'hommes supérieurs, au Canada comme
en France, ont dû une formation qui leur a permis de faire honneur
à leur race et à leur pays.
Routhier alla étudier le droit à Québec, à
l'Université Laval. Admis au barreau en 1861, il ne tarda pas
à s'y faire remarquer, à Québec même, où
il a vécu à peu près toute sa vie, en même
temps qu'il s'occupait de lettres et ne laissait pas rouiller sa plume.
L'Université lui confia bientôt la chaire de droit civil,
puis celle de droit international. Il fut nommé conseil de la
reine en 1873. Il se présenta, la même année, aux
élections fédérales, pour le comté de Kamouraska.
Mais, il fut défait par le futur sir Pantaléon Pelletier.
La même année toujours, le ler septembre 1873, à
34 ans, il était nommé juge de la cour supérieure
pour le district du Saguenay. Le 10 décembre 1889, il passait
au district de Québec. Le 21 mars 1897, on le faisait en plus
juge de la cour d'amirauté. Le 30 septembre 1904, il devenait
juge en chef de la cour supérieure. Le 6 juin 1906, il donnait
sa démission comme juge de la cour supérieure, mais il
demeura juge d'amirauté jusqu'à sa mort. Il a donc fourni,
comme juge, une carrière de quarante sept ans, ce qui n'est pas
banal assurément. En 1897, Routhier avait refusé l'honneur
et la charge de lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord Ouest.
En 1904 et 1905, en l'absence du lieutenant-gouverneur de Québec,
il agit comme administrateur de la province. Docteur en droit et docteur
ès lettres de Laval, il fut choisi pour faire partie de notre
Société Royale à sa création, par le marquis
de Lorne, en 1882. Il fut le président général
de cette société pour l'exercice de 1914 1915. Il fut
aussi président de la Saint Jean Baptiste de Québec. Le
pape Léon XIII l'avait nommé chevalier de Saint Grégoire
et, en juin 1911, le roi Édouard VII le créa chevalier
de Saint Michel et de Saint Georges. On l'appela désormais sir
Adolphe.
Au physique, tel que je l'ai connu quand il eut vieilli, c'était
un fort bel homme, de figure avenante, encadrée de larges favoris
blancs, barrée d'une épaisse moustache également
blanche, qu'animaient superbement des yeux gris noirs vifs et pénétrants.
Un peu solennel d'aspect et resté rhétoricien, j'oserais
dire, dans son allure comme dans son style, jusqu'à ses 80 ans,
ce beau vieillard avait quelque chose de la candeur d'un enfant et il
en imposait et charmait tout ensemble. Ajoutons, pour être moins
incomplet, que M. Routhier était un catholique sincère
et pratiquant, tout autant qu'il était un patriote intelligent
et éclairé. Il a écrit un jour cette phrase très
simple, mais très expressive aussi, qu'on pourrait mettre en
exergue à la première page de tous ses livres : "Je
crois que la religion est le fondement de toute patrie, que le catholicisme
est spécialement la sauvegarde de la nationalité canadienne
française, et que, par suite, cette nationalité et la
religion catholique doivent rester inséparablement unies."
Routhier a écrit un peu dans tous les journaux et il a collaboré
à nombre de revues. Il a publié, en plus, plusieurs livres,
en tout seize volumes, au cours de sa longue carrière. Le premier
de ses livres date de 1871 et le dernier paru est de 1918. On peut dire
qu'il a traité tous les genres : l'histoire, le roman, le drame,
les causeries, les récits de voyage, des polémiques, des
essais d'apologétique, des études sur les classiques et
d'autres encore. Il écrivit également des poésies
(pas moins de six mille vers) avec succès. Ses conférences
et discours, publiés en trois volumes, comptent parmi nos meilleurs
recueils.
J'ai eu plus d'une fois l'occasion d'entendre parler cet écrivain
orateur. Quand je relis maintenant ses livres, je le retrouve bien le
même. Grand et solidement musclé, la tête haute et
fière, le geste large, très varié et très
expressif, il allait, quand il discourait, d'une voix chaude et bien
timbrée, vivante et nuancée, qui se faisait vite un chemin
jusqu'au fond des cœurs. Dans ses livres pareillement, savamment
ordonnés, la langue est riche et abondante, le style souple et
imagé. Il a su toujours rester jeune. Il écrivait, comme
il parlait, beaucoup de l'abondance du cœur.
"M. Routhier, a écrit M. Thomas Chapais sur sa tombe, aura
donné aux hommes de l'avenir deux grands exemples : celui d'un
labeur constant et celui d'une foi sans tache. A 80 ans, il écrivait
encore et il traçait les plans d’œuvres nouvelles.
Et puis, c'était un de ces chrétiens qui, dans toute la
réalité de l'expression, vivent comme ils pensent. Il
était beau, vraiment, de voir ce vieillard chargé d'années
et d'honneurs accomplir ses devoirs religieux avec une piété
d'enfant. Il a publié un livre d'apologétique, De l'homme
à Dieu, qui était une bonne action. On peut dire que les
actes de sa vie quotidienne en ont été le plus beau commentaire."
Le juge Routhier a composé sa cantate O Canada, à l'occasion
de la Saint Jean-Baptiste de 1880 à Québec. Ernest Gagnon
me racontait un jour, en 1910, comment cela se fit. "Le comité
des fêtes, me disait il, était précisément
réuni chez moi, dans mon modeste bureau d'étude. Routhier
et Lavallée étaient du nombre. "Il nous faudrait
un chant national, suggéra l'un d'entre nous. Nous avons bien
Vive la Canadienne. C'est gai et c'est joli. Mais ce n'est pas assez
sérieux et assez enlevant." Je repris aussitôt : "Pourquoi
ne demanderions nous pas à M. Routhier et à M. Lavallée,
l'un poète, l'autre musicien, de nous en composer un ?"
L'idée fut acceptée d'emblée. Le poète et
le musicien acceptèrent séance tenante. Ils se concertèrent.
Routhier écrivit les vers, Lavallée trouva la musique.
Huit jours après, nous avions notre chant national." Et
Gagnon ajoutait : "Trente ans ont passé depuis. Le O Canada
se chante maintenant partout, même en anglais. Il est superbe
à mon goût et il n'a rien à envier à aucun
autre." Et le sympathique vieillard -- en 1910 il avait 75 ans
- de fredonner en souriant :
"O Canada, terre de nos aïeux,
Ton front est ceint de fleurons glorieux..."
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 131-137. |