Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
MGR ANTOINE RACINE
(1822-1893)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
Mgr Antoine Racine, le premier évêque de Sherbrooke et
des Cantons de l'Est, est né, le 26 janvier 1822, à Saint-Ambroise
de la Jeune Lorette, près de Québec. Son père,
dont les ancêtres venaient de Normandie, était forgeron.
Le premier de la lignée au Canada, Étienne Racine, était
arrivé au pays vers le milieu du XVIIème siècle,
et il avait épousé l'une des filles d'Abraham Martin,
celui là même qui a donné son nom à nos historiques
Plaines d'Abraham. Par sa mère, Marie Pepin, Antoine Racine était
apparenté aux Bédard, et c'est chez son grand-oncle, Antoine
Bédard, curé de Charlesbourg, qu'il commença ses
études du latin. En 1834, on trouve le jeune Racine, à
12 ans, au séminaire de Québec. I1 eut là des condisciples
dont les noms sont connus dans notre histoire, entre autres : Mgr Taschereau,
Mgr Horan, Mgr Langevin (Jean), le curé Auclair (de Québec),
l'aumônier Trudel (de l'HôtelDieu de Québec). Antoine,
doué de beaux talents, eut des succès en classe. On a
raconté que l'abbé Holmes, l'un des premiers missionnaires
des Cantons de l'Est, alors devenu professeur à Québec,
se plaisait souvent à faire briller les qualités d'orateur
de cet élève de choix.
Ordonné prêtre à 22 ans et 8 mois, le 12 septembre
1844, l'abbé Racine fut vicaire à La Malbaie (1844 1848)
, premier curé de Stanfold (1848 1851) , curé de Saint
Joseph de Beauce (1851 1853) et curé, pendant vingt et un ans
(1853 1874), de Saint Jean, dans la ville de Québec. Le 1 er
septembre 1874, il était élu premier évêque
de Sherbrooke par le pape Pie IX. Il fut sacré le 18 octobre
suivant, dans son église de Saint Jean à Québec,
par Mgr Taschereau, le futur cardinal. Mgr Laflèche prêcha
le sermon du sacre, une maîtresse pièce d'éloquence,
on le devine aisément. Deux jours plus tard, le 20 octobre, Mgr
Racine arrivait à Sherbrooke et prenait possession de son diocèse.
I1 y est mort, après dix neuf ans d'administration épiscopale,
le 17 juillet 1893. Un détail suffit à montrer son énergie
ou sa force de volonté. A 52 ans, en arrivant à Sherbrooke,
il se mit, en dépit d'un ministère très absorbant,
à apprendre l'anglais, qu'il ne savait presque pas, et il parvint
à le parler très convenablement.
Deux frères de Mgr Antoine Racine s'étaient, comme lui,
consacrés au service de Dieu et des âmes : son aîné,
l'abbé Michel Racine, né en 1815, mort en 1845, qui fut
curé de Château Richer, et son cadet, Mgr Dominique Racine,
le premier évêque de Chicoutimi (1878 1888), né
en 1828, mort en 1888.
J'ai connu le premier évêque de Sherbrooke, à l'automne
de 1891, au collège canadien dé Rome, où j'arrivais
moi même comme prêtreétudiant. Il avait alors 69
ans. C'était un beau vieillard, plus grand que la moyenne, bien
découplé, alerte et souple, avec sous son front chauve,
une figure animée d'homme d'action, dont l'air avenant et le
sourire engageant étaient des plus attrayants. Il se montrait
pour tous très bienveillant et condescendant, causait volontiers
avec les jeunes. Instruit et expérimenté, renseigné
sur l'histoire de l'Eglise et sur les choses de notre pays, il nous
en instruisait, avec une belle abondance, dans des conversations vivantes
où l'esprit gaulois pétillait souvent. Il nous donna aussi,
de temps en temps, de substantielles et éloquentes lectures spirituelles.
J'ai vécu plus ,tard, une dizaine d'années après
sa mort, au séminaire de Sherbrooke, où j'étais
professeur de lettres, et j'ai eu l'occasion de visiter plus d'une paroisse
de son ancien diocèse. Son souvenir était partout resté
bien conservé. Son portrait se retrouvait, à la place
d'honneur, dans tous les presbytères, dans les maisons des gens
à l'aise et jusque dans celles des plus modestes citoyens. Que
de fois j'ai entendu faire son éloge ! Au témoignage de
chacun, Mgr Racine avait été un grand évêque,
un patriote ardent, un orateur vibrant.
Ses oeuvres d'ailleurs, à Sherbrooke et dans les Cantons de
l'Est, lui survivent et témoignent de son zèle et de ses
activités. Sous sa houlette de bon berger du Christ, tout prospéra
vite et bien. De 1874 à 1893, les catholiques du diocèse
passèrent de 27,000 à 60,000 et les 25 chapelles des débuts
firent place à 54 églises paroissiales. Dès 1875,
il établit le séminaire Saint Charles, aujourd'hui si
florissant. Il consolida les institutions existantes et en fonda beaucoup
d'autres dans les principaux centres du territoire soumis à sa
juridiction. Mais, tout cela, il le faisait avec sagesse et prudence.
Il ne redoutait pas d'aller de l'avant. Seulement, il avançait
à pas sûrs. C'était un fait connu qu'il avait une
sainte horreur des dettes ? En plus, au cours de son épiscopat,
il prit sa part de responsabilité dans toutes les mesures qui
concernaient la vie et le mouvement de l'Eglise au Canada et il fut
activement mêlé à toutes les affaires importantes
qui intéressaient l'avenir religieux et national de ses compatriotes.
L'aide qu'il apporta notamment au règlement des difficultés
relatives à l'Université Laval entre Québec et
Montréal fut considérable. Il compta au premier rang parmi
les apôtres de la colonisation, dont il fut le champion dans sa
région. Sa plume était vigoureuse comme sa parole, et
il a un jour défendu avec bonheur les Canadiens des Etats Unis
devant les Congrégations romaines.
Homme de vertu éprouvée, régulier, pieux et sacerdotal
avant tout, Mgr Racine était, jusqu'au fond de l'âme, dévoué
à son clergé et à ses fidèles, comme il
en est peu. Il connaissait ses curés et ses curés le connaissaient.
C'était pour lui des frères autant que des fils en Dieu.
Il les accueillait à son évêché avec une
bienveillance et une affabilité qui les mettaient tous à
l'aise. Lui même, dans les premières années, il
remplissait l'office de portier et recevait personnellement ses hôtes,
souvent, si c'était le soir, le bougeoir à la main. Ce
détail m'a été conté bien des fois. Pendant
sept ans, il n'eut pas d'autre chambre à coucher que celle qu'aurait
pu avoir un serviteur. Aussi les prêtres, ses prêtres comme
il disait, lui parlaient ils toujours à coeur ouvert, sans contrainte.
De son côté, Monseigneur en agissait de même avec
eux. La bonté tempérait chez lui ce que l'exercice de
l'autorité a nécessairement toujours d'un peu sévère.
Il gouvernait hardiment, selon le mot de Bossuet, mais aussi avec douceur
et mansuétude, ainsi que le prescrit Fénelon aux pasteurs
des âmes. De la même façon, ses relations avec les
simples fidèles étaient constamment empreintes de cordialité
et de bonne humeur. Il se plaisait à faire causer les gens, les
braves gens des campagnes surtout, qui ont parfois tant de bon sens
dans leurs réflexions un peu simplistes. Mais, ayant conscience
de sa dignité, il ne s'abandonnait jamais à rien de commun
ou de vulgaire et il savait garder la distance. Au besoin, l'éclat
de son oeil clair et vif sous le sourcil froncé eut tôt
rappelé à l'ordre qui aurait été tenté
de l'oublier !
Curé de Saint Jean ou évêque de Sherbrooke, Mgr
Racine a été, pendant quarante ans, l'orateur sacré
des grandes circonstances, celui qu'on invitait volontiers pour célébrer
les saints mystères de la foi ou pour glorifier les héros
de notre histoire : saint Vincent de Paul, Marie de l'Incarnation, Mgr
de Laval, Georges Etienne Cartier [sic], notre fête nationale
de la Saint Jean Baptiste. En juillet 1928, trente cinq ans après
sa disparition de ce monde, M. le curé Charles Roy, de Saint-Gérard,
a publié un recueil de ses principaux discours, qui est encore
très intéressant à parcourir, bien que cela soit
devenu un peu froid. Pour apprécier justement le bel orateur
qu'était Mgr Racine, il fallait l'avoir entendu et vu, avoir
ouï sa voix harmonieuse, avoir connu son geste souple et aisé,
sa prestance en chaire, qui ne laissait rien à désirer.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 69-75. |