Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
L'Honorable LOUIS SIMEON MORIN
(1831-1879)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
Louis Siméon Morin, qu'il ne faut pas confondre avec Augustin-Norbert
Morin, dont il est question dans une notice précédente,
naquit d'une modeste famille de cultivateurs, le 20 janvier 1831, à
Lavaltrie, où il mourut le 7 mai 1879. Son père, Joseph
Morin, était un fils du sol et un bon terrien lui même,
excellent catholique et patriote ardent. Par sa mère, Félicité
Pelletier, Louis Siméon était le petit-neveu de Salomon
Juneau, le fondateur en 1818 de Milwaukee sur les bords du lac Michigan,
et aussi le cousin de Joseph Papin, le célèbre tribun,
qui fut du parti de Papineau, et contre qui le jeune Morin, fidèle
à Lafontaine, à l'autre Morin et à Cartier, rompit
plus d'une lance sur les tréteaux politiques.
Le curé d'alors à Lavaltrie, M. Théberge, qui
a été en charge de la paroisse de 1840 à 1846,
remarqua, aussitôt après son arrivée, la mine intelligente
et l'esprit éveillé de ce bel enfant de 9 ans. Il en parla
avec les prêtres-directeurs de l'Assomption qui passaient souvent
en visite chez lui. Bien que le père fut plutôt pauvre
et chargé d'une famille nombreuse, ces Messieurs prirent les
moyens de faire instruire l'enfant. A 10 ans, en 1841, il entrait au
collège de l'Assomption, qui existait depuis huit ans. Il y fit
merveille et ses faciles succès permirent d'augurer beaucoup
pour son avenir.
M. l'abbé Louis Casaubon, qui a passé toute sa vie à
l'Assomption et y a laissé le souvenir d'un éducateur
de premier ordre et d'un saint prêtre -- il est mort en 1912,
à 80 ans -- avait connu Louis Siméon écolier, alors
que celui ci terminait son cours de philosophie et de sciences. Voici
le portrait qu'il en esquissait dans ses précieuses "notes"
. "Taille au dessus de la moyenne, svelte et élégante,
grands yeux limpides et front large, où rayonnaient l'intelligence
et la distinction, de manières gracieuses et dégagées,
tel nous apparaissait au physique le jeune Morin à son temps
de collège. D'autre part, d'âme ardente et enthousiaste,
d'esprit pénétrant et d'imagination vive, de jugement
solide et de mémoire très heureuse, Louis Siméon
était par nature d'un caractère noble et élevé
. . ." Et M. Casaubon, pour montrer l'extrême facilité
de ce brillant condisciple, raconte comment, à l'occasion de
la visite au collège de quelque personnage, Morin, à la
salle d'étude, sur un signe du directeur, savait toujours improviser
habilement et complimenter M. le visiteur, en demandant, pour finir,
avec un sourire engageant, un congé qu'il obtenait sans peine.
Admis au barreau de Montréal en 1852, à 21 ans, Morin
se lança aussitôt, et avec un succès quasi foudroyant,
dans les luttes politiques. En 1854, il batailla à la tribune
populaire, dans l'Assomption, en faveur de Louis Archambeault et contre
son cousin, l'éloquent et puissant Joseph Papin. En 1856, il
était élu lui même par acclamation député
de Terrebonne à la Chambre des Canadas Unis. En 1859, à
28 ans, il devenait solliciteur général dans le cabinet
Cartier-MacDonald [sic]. Battu dans Terrebonne aux élections
générales de 1861, il fut aussitôt élu dans
Laval, où Petrus Labelle (l'oncle maternel de M. Edouard Montpetit)
démissionna en sa faveur. Mais déjà, à cause
de ses faiblesses et de ses oublis, son étoile pâlissait.
Défait aux urnes en 1863, il ne se représenta plus. Il
accepta, peu après, le poste de secrétaire de la commission
de codification que présidait l'autre Morin (Augustin Norbert),
l'ancien premier ministre. Ce n'était en fait, ce secrétariat,
qu'une sorte de sinécure, et Louis-Siméon y végéta
à peu près. Quelques années plus tard, en 1873,
on le nommait protonotaire à Joliette.
Au commencement de sa carrière, tout en "faisant de la
politique", Morin avait aussi brillamment plaidé au palais,
surtout devant la cour criminelle. Ayant fait son droit à l'étude
réputée de Cherrier et Dorion, en société
dans la suite avec Gérard Ouimet et Wilfrid Marchand, il n'avait
pas tardé à devenir un excellent avocat. De même
qu'on venait de dix lieues à la ronde aux assemblées publiques
où il devait parler, ainsi on accourait de partout au prétoire
quand il allait plaider. Mais tout cela sombra trop tôt.
Sans vouloir l'accabler, comme on l'a fait souvent, il me semble, en
ne tenant pas assez compte des circonstances, il faut admettre que,
dans une situation de fonctionnaire, Morin se survivait bien un peu
à lui même. Il ne fut pas assez fort, ou assez prémuni,
contre les occasions et les tentations du plaisir et de la vie joyeuse.
Peut être lui a t il manqué, par sa négligence à
fonder un foyer, d'avoir auprès de lui une femme bonne et dévouée,
qui lui eût assuré une existence plus calme et mieux ordonnée.
En tout cas, Morin, resté célibataire, en dehors maintenant
de la grande vie publique et en partie oublié, mourut à
Lavaltrie, je l'ai dit plus haut, le 7 mai 1879, à 48 ans.
"Devenu ministre à 28 ans, entouré d'amis et d'admirateurs,
il lui manqua, pour continuer à s'illustrer et à honorer
son pays, a écrit L. O. David, les habitudes d'amour du devoir,
de travail et de tempérance qui auraient fait sa force. Morin
montra qu'il avait plus de talent que de caractère. Ses meilleurs
amis en furent consternés et le peuple en fut désappointé."
Ce jugement est un peu sommaire et vraiment trop sévère.
Les faiblesses et les oublis de Morin n'ont probablement pas été
les seules causes de sa retraite prématurée de la vie
publique. La politique est toujours ingrate et les circonstances expliquent
bien des choses. On l'a vu dans le cas de Lafontaine et dans celui de
Cartier. On peut l'apercevoir aussi dans le cas de Morin.
Morin était un bel homme et il avait de belles qualités.
"M. l'avocat, comme on l'appelait toujours, disait récemment
un ancien de Lavaltrie au neveu de Morin, l'abbé Donat Martineau
(le fils de sa sœur), était bienveillant envers tout le
monde et poli comme je n'en ai pas connu d'autres. Il se découvrait
devant la plus pauvre des femmes et même devant un enfant. Et
puis, quel bel homme il était et comme il avait fière
allure ! Lors de la visite du Prince de Galles à Montréal
(Edouard VII) en 1860, notre M. Morin, alors ministre dans le gouvernement,
"passa pour le plus beau de tous les princes"! Et M. l'abbé
Louis Casaubon lui a rendu ce témoignage que je condense : "Morin
était un homme distingué, doux et bon, qui aurait été
incapable de blesser la charité. Sa belle éducation et
son goût délicat ne lui permirent jamais d'user de paroles
libres ou grossières. Pour rien au monde il n'eut abusé
de la crédulité populaire dans le but de nuire à
un adversaire. Ferme dans ses principes religieux, il savait au besoin
soutenir et défendre sa foi et les ministres de l'autel. On a
eu raison d'écrire au bas de son portrait, conservé au
collège, cette sentence latine : Orator fade pulcher, ingenio
pulchrior, eloquentia vere – Beau de figure, plus beau encore
par l’esprit, il l’était par son éloquence
au suprême degré.
Un homme dont on peut dire de si belles choses, même s’il
a eu ses misères et ses faiblesses, reste encore quelqu’un
qu’on a le droit d’estimer et dont il convient d’honorer
la mémoire.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 92-98. |