Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
LE SURINTENDANT JEAN-BAPTISTE MEILLEUR
(1796-1878)
par
Elie-J. Auclair
Jean Baptiste Meilleur né, à Saint Lau rent, dans l'île
de Montréal, le 9 mai 1796, mourut à Montréal même,
le 6 décembre 1878, à 82 ans. L'un des fondateurs du collège
de l'Assomption en 1833 et le premier en date des surintendants de l'Instruction
publique dans la province de Québec, alors le Bas Canada, de
1842 à 1855, il a tenu un rôle considérable, chez
nous, dans les choses de l'enseignement. Ce fut, assurément,
l'un de nos hommes marquants et un bienfaiteur de sa race.
La famille Meilleur était originaire de Rouen, en Normandie,
et le premier ancêtre venu au Canada, Jacques Le Meilleur, s'était
établi à Québec vers 1675. Les parents de Meilleur,
à Saint Laurent, étaient de modeste condition et sans
fortune. Ils ne pouvaient guère songer à pousser leur
fils Jean Baptiste dans les études. Mais, lui même, il
s'y sentit porté par un attrait irrésistible. Il dut,
cependant, après quelques années d'école élémentaire,
se livrer à d'humbles travaux manuels. Il en profita pour se
pourvoir de quelques économies. Ayant en plus, par bonheur, fait
un petit héritage sur lequel il ne comptait pas, il se trouva
en moyen d'entrer au collège de Montréal, où il
suivit son cours d'étude régulier, sous la direction des
sulpiciens. Comme il était déjà assez âgé,
15 ou 16 ans je pense, et parce qu'il avait vécu plusieurs années
loin des livres, ses succès en classe furent d'abord plutôt
médiocres. Mais il mit tant d'ardeur et d'application au travail,
et de méthode aussi, qu'il ne tarda pas à triompher de
toutes les difficultés, à l'emporter même sur ses
condisciples et à briller au premier rang. Il se lia d'amitié
avec un jeune Américain converti, le futur et célèbre
abbé Holmes, en ce temps élève de philosophie,
qui exerça sur lui une heureuse influence. Sa rhétorique
terminée, il entreprit d'étudier la médecine, et,
sur le conseil de son ami Holmes, il alla s'inscrire à une école
de médecine de Castletown dans le Vermont. Il suivit, vers le
même temps, des cours de philosophie à Middlebury, sous
la direction du professeur Hall, un élève de l'abbé
Haüy. Le 14 décembre 1825, à 29 ans, il obtenait
son titre de docteur en médecine. Très estimé de
ses maîtres, Meilleur fut élu membre de la Société
médicale et philosophique de l'Etat du Vermont. C'est à
cette époque qu'il publia, en anglais, son premier opuscule,
un traité de prononciation française.
Dans son Histoire du Collège de l'Assomption, qui vient de paraître
en 1933, à l'occasion du centenaire, l'actuel supérieur,
M. l'abbé Anastase Forget, qui consacre à Meilleur, le
principal fondateur de sa maison, au début de son volume, une
dizaine de pages très substantielles, fait cette observation
: "De son séjour aux Etats Unis, le docteur Meilleur reviendra
avec une maîtrise parfaite de l'anglais. Mais il en rapportera
aussi une admiration quelque peu béate de la civilisation américaine.
De là, chez lui, des idées et des expressions d'opinion
qui causeront de l'émoi parmi ses compatriotes."
Rentré au pays, Meilleur se fixe quelque temps à Saint
Laurent, son village natal. Puis, il réside à l'Assomption.
Il est, en effet, inscrit, comme étant de l'Assomption, au registre
de Repentigny, lors de son mariage, dans cette paroisse, avec Joséphine
Eno dit Deschamps, le 27 juin 1827. Il habite aussi, au moins quelques
mois, peut être en passant seulement, le village de Saint Eustache.
Car il écrit, dans son Mémorial, que c'est de Saint Eustache,
en décembre 1828, qu'il lança, sous la signature de un
passant, dans un article de journal, l'idée d'établir
un collège à l'Assomption. Il est certain toutefois qu'il
était revenu à l'Assomption en décembre 1829, puisqu'il
y fait baptiser, à cette date, l'un de ses enfants. Il y demeura
jusqu'en 1840, alors qu'il alla habiter Montréal.
"Pauvre et bientôt chargé d'une famille nombreuse
pas moins de onze enfants virent le jour à son foyer le docteur
Meilleur, écrit l'abbé Forget, se donna pendant toute
cette période (de 1829 à 1840), à l'Assomption,
avec zèle et conscience, à l'exercice de la médecine.
Il avait un vaste territoire à parcourir et ses devoirs professionnels
étaient très absorbants. Cependant, il ne se cantonna
pas uniquement dans le travail de sa profession. Son tempérament
impulsif de nerveux le poussa à encore plus d'activité.
Il s'intéressa ardemment aux questions religieuses et éducationnelles,
politiques et municipales. Tout à la fois médecin pratiquant,
marguillier, syndic des écoles, nommé en 1830 et renommé
en 1833 au bureau officiel des examinateurs "du ressort médical
de Montréal", député de l'Assomption à
l'Assemblée législative de 1834 à 1838, il trouvait
encore le temps de penser et d'écrire sur les sujets les plus
divers."
La fondation du collège de l'Assomption ne se fit pas sans difficultés.
Mgr Lartigue ne prisait guère le projet, et les deux curés
qui précédèrent M. Labelle, M. Rémi Gaulin
(1824 1828) et M. Magloire Blanchet (1828 1830) tous les deux évêques
plus tard, le premier à Kingston, le second dans l'Ouest s'y
étaient nettement opposés. Les Messieurs du collège
de Montréal et ceux du séminaire de Sainte Thérèse
ne voyaient non plus la chose d'un oeil favorable. Enfin, les gens de
l'Assomption eux mêmes ne se montraient pas très enthousiastes.
C'est que, explique M. Forget, "à cette époque, les
collèges naissaient nombreux, comme des plantes en serre chaude,
pour une existence souvent trop éphémère".
Les événements, en d'autres termes, commendaient [sic]
la prudence. Mais, le docteur Meilleur était tenace dans ses
vues et ses desseins. Le curé François Labelle (1830-1845)
s'étant montré mieux disposé, Meilleur, avec lui
et le docteur Cazeneuve, put enfin mettre sur pied, en 1833, l'établissement
qu'il rêvait, et le collège de l'Assomption fut fondé.
La belle oeuvre accomplie là depuis cent ans prouve que, en somme,
Meilleur avait le coup d’œil juste. Il est à remarquer
que, pendant sept ans, soit jusqu'en 1840, la maison n'eut jamais que
des laïcs comme professeurs. Meilleur, dans la suite, même
quand il eut quitté l'Assomption pour aller résider à
Montréal, resta membre de la "corporation" du collège
jusqu'à sa mort, soit, en tout, quarante six ans, de 1833 à
1878.
Durant son séjour à l'Assomption, Meilleur rédigea
quelques mois un petit journal, L'Echo du pays, pour faire connaître
ses vues, et il publia plusieurs brochures et livres intéressants
: une étude, par exemple, sur le recensement du comté
en 1832, où il expose des projets d'avenir fort suggestifs, une
traduction anglaise de l'Histoire du Collège de Montréal
de M. Roux, supérieur de Saint-Sulpice, une grammaire anglaise,
un art épistolaire, un traité de chimie, un manuel de
géographie et de nombreuses statistiques. En 1838, à la
demande de Buller, le secrétaire de Durham, il écrivit
ses lettres sur l'éducation populaire, dont il est question,
avec éloge, dans le fameux rapport de ce gouverneur, et qui ont
préparé au moins en partie les voies aux réformes
adoptées dans la suite par la Chambre des députés.
Bref, si ses idées n'étaient pas toujours inspirées
de principes sûrs, ni suffisamment justes, Meilleur était
en vérité un travailleur infatigable et d'ailleurs un
homme d'une absolue sincérité.
En 1842, le gouverneur Bagot nomma le docteur Meilleur surintendant
de l'Instruction publique pour le Bas Canada, cependant que Robert Murray
se voyait attribuer les mêmes fonctions pour le Haut Canada. Meilleur
occupa cette importante situation pendant treize ans, de 1842 à
1855. Tout le temps, il se dévoua corps et âme au progrès
de l'instruction tel qu'il l'entendait. Deux fois il parcourut toutes
les paroisses du Bas Canada, pour faire l'inventaire des écoles
existantes et en créer de nouvelles, les établissant toutes,
en autant que les circonstances le permettaient, dans de bonnes conditions
matérielles et pédagogiques. Quand il publia son Mémorial
de l'éducation en 1860 (réédité en 1876)
un volume de faits qui, au dire du Père LeJeune
(Dictionnaire général du Canada), a passé dans
le temps pour un chef d’œuvre, il a pu affirmer, avec vérité,
qu'il avait contribué à la fondation de 2000 écoles
élémentaires, de 45 écoles supérieures,
et qu'il avait effectivement préparé l'établissement
de nos premières écoles normales.
Tout cela exigeait bien des sacrifices personnels. Meilleur était
chichement rétribué par le gouvernement et il vivait à
Montréal, en occupant sa haute situation de surintendant, dans
un état de gêne voisin de la misère. D'autre part,
ainsi qu'il arrive souvent pour ceux qui "font quelque chose",
les critiques ne le ménageaient pas. C'est ce qui l'amena, épuisé
par la tâche et fatigué par les malveillances, à
démissionner de ses fonctions en 1855.
L'ancien surintendant vécut encore un peu plus de vingt ans,
puisqu'il est mort en 1878. II devint maître des postes à
Montréal, inspecteur des bureaux de district, conservateur des
hypothèques. Mais il semble bien qu'après 1855 sa carrière
se soit prolongée sans beaucoup d'éclat. "II était
comme hors de sa voie", écrit l'abbé Forget.
En 1854, l'Université du Vermont l'avait honoré du titre
de maître ès arts, et, en 1855, l'Université de
Saint Jean (New York) le créait docteur ès lettres. En
1857, ses concitoyens de Montréal le choisissaient comme, président
de la Société nationale de la Saint-Jean Baptiste. Peu
avant sa mort, il reçut aussi la décoration d'officier
de l'Instruction publique du gouvernement de la France.
En dépit de sa sincérité et de ses bonnes intentions,
il faut convenir que Meilleur avait sur les choses de l'éducation
quelques idées plus ou moins justes. "Le docteur Meilleur,
écrit M. l'abbé Groulx, dans l'Enseignement français
au Canada (tome I, page 217), n'admet guère le séparatisme
scolaire fondé sur la croyance. Son opposition est bien connue
à une double législation, comme à l'existence de
deux surintendances, l'une pour les catholiques, l'autre pour les protestants."
C'est pourtant ce système, heureusement, qui a prévalu
dans la suite et nous a assuré, dans la province de Québec,
une bonne entente et une paix, qu'on est loin de trouver toujours dans
nos autres provinces canadiennes.
Il n'empêche, doctrine beaucoup plus saine, que Meilleur redoutait
à bon droit l'intervention et l'arbitraire des pouvoirs politiques
dans les choses de l'éducation. "Notre origine, notre foi,
notre langue et notre nationalité, écrit il à ce
propos -- Le Mémorial, édition de 1860, page 259, cité
par M. l'abbé Forget, -- sont trop intéressées
à cet égard pour nous permettre d'être un instant
indifférents à ce qui peut y avoir trait. La Législature
et le Gouvernement représentent nécessairement des intérêts
divers et répulsifs, des intérêts d'Eglises opposées
et des intérêts de partis politiques mobiles qui se combattent
et se déplacent mutuellement. En conséquence, nous n'avons
pas, avec eux, cette garantie d'inviolabilité et de permanence
qui est nécessaire à la sécurité et à
la tranquillité de conscience. La concentration du patronage
entre les mains du gouvernement, pour le fonctionnement d'un système
général d'instruction publique, serait rien moins que
dangereuse et alarmante."
Pareillement, en matière de pédagogie, Meilleur s'en
tenait au concept catholique traditionnel. "Les instituteurs ne
doivent jamais oublier, disait il -- je cite encore l'abbé Forget
-- que l'éducation qu'ils ont surtout à donner à
l'enfance et à la jeunesse est une éducation morale et
religieuse et que c'est bien plus dans l'exemple que dans les paroles
de leurs précepteurs que les élèves puiseront cette
éducation. Il vaudrait mieux souvent qu'un enfant demeurât
dans l'ignorance plutôt que de recevoir l'instruction des lèvres
d'un homme vicieux. L'enfant, en effet, peut conserver un cœur
pur dans l'ignorance, au lieu qu'il lui est presque impossible, à
l'âge où l'on est si propre à prendre toutes sortes
d'impressions, de demeurer vertueux, s'il a journellement devant les
yeux l'exemple du vice."
Voilà qui est excellent ! Restons sur cette bonne impression.
Elle fait certainement honneur à Meilleur, l'un des fondateurs
de l'Assomption et le premier en date, dans notre province, des surintendants
de l'Instruction publique.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 38-48. |