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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History EncyclopediaMGR ELIE-ANICET LATULIPE (1859-1922)par MGR Elie Anicet Latulipe, l'ancien vicaire apostolique du Témiscamingue et premier évêque d'Haileybury, est né à Saint Anicet, comté de Huntingdon, d'une brave et honnête famille canadienne, le 3 août 1859. Son père, Antoine Latulipe, et sa mère, Lucie Bonneville, étaient de modestes artisans du sol, qui élevèrent plusieurs enfants, dont Elie Anicet était l'un des aînés. A 14 ans, le jeune Latulipe vint faire son cours classique au collège de Montréal, sous la direction des Sulpiciens. Il fit aussi ses années de théologie au grand séminaire voisin, dirigé par « nos Messieurs ». A 25 ans, le 30 mai 1885, il était ordonné prêtre, à Montréal, par Mgr Fabre. Il passa un an comme professeur ou surveillant au collège de Montréal, et il fut cinq ans vicaire à Saint Henri. De 1891 à 1894, il exerça ensuite les fonctions d'aumônier au Bon Pasteur de Montréal et à la maison mère des Soeurs de Sainte Anne à Lachine. En 1894 enfin, sur l'appel de Mgr Lorrain et avec l'autorisation de Mgr Fabre, il quittait son diocèse et sa province pour aller se consacrer, dans le nord de l'Ontario, à l'oeuvre laborieuse et si méritoire des missions. Pendant onze ou douze ans, de 1894 à 1906, l'abbé Latulipe vécut à Pembroke, auprès de Mgr Lorrain, étant recteur ou curé de la cathédrale et remplissant à l'occasion la charge de vicaire général. De 1906 à 1908, il fut curé de Haileybury et desservant de plusieurs missions aux alentours. Elu le 1er octobre 1908 évêque de Catenna et premier vicaire apostolique du Témiscamingue, qui se détachait de Pembroke à ce moment, il fut sacré, le 30 novembre suivant, par Mgr Duhamel, à Pembroke. Il prit ensuite naturellement sa résidence à Haileybury, et il gouverna ses ouailles, avec un grand zèle, s'occupant avant tout du bien des âmes, selon le mot des Saintes Ecritures, qu'il avait mis dans ses armes épiscopales — Da mihi animas. Le 31 décembre 1915, son vicariat ayant été élevé au rang de diocèse régulier, Mgr Latulipe devint évêque en titre d'Haileybury. En mai 1920, sur sa demande, le Saint Siège divisait son diocèse et créait, avec une partie de son vaste territoire, le nouveau vicariat de l'Ontario Nord, dont Mgr Hallé fut nommé, sous le titre d'évêque de Pétrée, premier vicaire apostolique, en résidence à Hearst. Tout allait bien et prospérait sous la houlette de Mgr Latulipe, quand un grand malheur se produisit. Le 4 octobre 1922, un désastreux incendie ruinait de fond en combles la jeune ville d'Haileybury, y compris la cathédrale et l'évêché. Le vénérable évêque, ayant perdu tous ses biens, dut se réfugier à Cobalt. Il accepta, certes, la dure épreuve avec une grande générosité d'âme. Mais, elle ne l'en accabla pas moins. On peut même dire qu'il en mourut. Il décédait, en effet, à Cobalt, quelques semaines plus tard, le 14 décembre 1922. Il avait 63 ans d'âge, 37 de sacerdoce et 14 d'épiscopat. Mgr Latulipe était un bel homme, plutôt grand, bien proportionné et bien fait, se tenant toujours droit et de prestance très digne, avec une figure aux traits réguliers et au teint mat, encadrée de cheveux tout blancs, qu'on aurait dit sculptée dans le marbre, tant elle paraissait d'abord froide et grave, mais qui s'animait et était rendue bien vivante par des yeux expressifs et doux et par un sourire constamment engageant, qui tempéraient ce que, sans eux, sa physionomie aurait eu d'un peu trop sévère et réservé. Je l'ai connu jeune aumônier, alors qu'il venait en vacances à Saint Anicet, sa paroisse natale, où l'un de mes oncles, l'abbé Zéphirin Auclair, était curé. A 30 ans, sa tête avait déjà blanchi, il avait son air grave et cependant bienveillant, et il imposait et attirait tout ensemble. Il n'a guère changé dans la suite, même quand il fut devenu évêque : Tout en se montrant un peu distant, il était évidemment sympathique et bon. On le lisait dans l'expression de sa physionomie. Mais on sentait aussi en lui l'homme solide et énergique qui n'abdique devant aucune tâche. L'éloge du nouvel évêque élu n'est plus à faire, écrivait Mgr Lorrain à ses prêtres, en annonçant son élection à l'épiscopat, dans sa circulaire du 11 novembre 1908. Vous le connaissez, messieurs, pour l'avoir vu à l'oeuvre durant au delà de quatorze ans. Ses connaissances théologiques, son zèle fervent et discret, son dévouement sans borne aux intérêts des âmes et de la sainte Eglise, son esprit de sacrifice pour l'accomplissement de son devoir, son habileté financière enfin qui est remarquable, tout atteste que le Saint Père a fait un choix judicieux et nous est une garantie que la vigne confiée à ses soins sera cultivée de manière à produire en abondance des fruits de salut . . . Et lui même, le nouvel évêque, dans son mandement d'entrée, disait à son clergé et à ses fidèles, et cela à son insu le peignait tout vivant : « Volontiers, nous donnerions tout ce qui nous appartient et nous nous donnerions nous même pour le bien de vos âmes . . . » Dans l'Action française d'avril 1923, quelques mois après la mort de Mgr Latulipe, M. l'abbé Philippe Perrier lui consacrait un substantiel article — Un évêque missionnaire — qu'il terminait ainsi : Mgr Latulipe a voulu mettre toujours, à la base de tous les autres, les intérêts religieux de ses ouailles. Mais il fut dévoué aussi, comme le demande l'ordre de la charité, à tous les intérêts de son pays, intérêts matériels, intellectuels, intérêts politiques, intérêts moraux. Il se tourna vers tous et constamment avec bienveillance. Il croyait toutefois que, chez nous, l'espoir du catholicisme est lié aux traditions des raceslatines. Aussi bien, travaillait il sans cesse à faire l'éducation du sentiment national . . . En peu de mots, cela dit presque tout. Avec des hommes comme le sénateur Landry et le sénateur Belcourt, au même rang que Mgr Langevin et Mgr Béliveau, Mgr Latulipe a été un vaillant lutteur et un champion indéfectible du maintien ou de la défense des droits des nôtres en Ontario, dans la question des écoles surtout. Les petits enfants canadiens de la province voisine ont pleuré et prié sur sa tombe. Ils le lui devaient bien. Et puis, pour finir, comme il fut grand et digne de sentiments chrétiens devant ce désastre du 4 octobre 1922 qui semblait anéantir, quelques semaines avant son décès, toutes ses oeuvres à Haileybury, et dont on peut dire qu'il est mort à la vérité! Lisez ces lignes de sa dernière pastorale, en date du 4 novembre 1922, et demandez vous s'il est possible, en face du malheur, d'être plus généreusement et surnaturellement soumis à la volonté divine Un long sanglot exprimerait mieux que cette lettre, nos très chers frères, ce qui se passe actuellement dans notre âme. Mon Dieu, nous adorons vos desseins impénétrables et nous nous soumettons pleinement à votre adorable volonté!… Tout est ruiné! En deux heures, les flammes ont dévoré notre cathédrale, notre évêché, notre noviciat, notre pensionnat, notre orphelinat, notre hôpital, nos écoles . . . Hélas ! quelques personnes, onze en tout dont trois catholiques, ont péri jusque dans notre cathédrale où elles avaient cherché refuge, et c'est notre suprême douleur . . . Vanité des vanités, tout n'est que vanité ! . . . Si l'on est sage, l'on doit conclure avec les saints : « Servons Dieu ! . . . » Un mois plus tard, le 14 décembre 1922, il mourait, épuisé de labeurs et de souffrances, laissant à tous, par sa vie d'apôtre et par ses dernières épreuves, le plus magnifique des exemples, celui du pontife dévoué toujours et jusqu'au bout. On peut écrire et répéter, devant l'histoire, que Mgr Latulipe a été un grand évêque et un évêque héroïque, l'une des gloires les plus vraies de l'épiscopat du Canada français. Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 201p., pp. 184-190. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |