Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Le
père Albert Lacombe
(1827-1916)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
On trouvera des informations et des documents sur le père Lacombe
dans la section sur Les Québécois, le clergé catholique
et l’affaire des écoles du Manitoba.
Bien que le sens de la phrase soit ambigu, ce qui est rare sous la
plume de l’abbé Auclair, il est inexact d’affirmer,
tel qu’il semble le faire au premier paragraphe de cette biographie,
que la province d’Alberta a été ainsi nommée
en hommage au père Albert Lacombe. En réalité,
le nom de la province honore la princesse Louise Caroline Alberta, fille
de la reine Victoria. Elle était mariée au Marquis de
Lorne, gouverneur général du Canada de 1878 à 1883.
À ce titre, elle avait visité les Prairies canadiennes
en 1881.]
Le Père Albert Lacombe, de la congrégation des Oblats,
naquit à Saint Sulpice, comté de l'Assomption, le 28 février
1827. I1 est mort à Midnapore, à quelques milles de Calgary,
en Alberta, le 12 décembre 1916, à 90 ans. C'est l'une
des plus belles figures de nos missions de l'Ouest. Ce fut un contemporain
de Mgr Bourget et de Mgr Taché. C'est à lui que l'une
de nos provinces, l'Alberta, dont il fut l'un des missionnaires-pionniers,
doit son nom.
Ses études faites au collège de l'Assomption, le jeune
Albert s'était tout de suite destiné au sacerdoce et il
entra dans le clergé séculier. Ordonné prêtre
à Saint Hyacinthe, par Mgr Bourget, le 13 juin 1849, il partit,
le ler août, pour les missions de l'Ouest. C'était cinq
ans après Mgr Laflèche et quatre ans après Mgr
Taché. Il passa là, sous Mgr Provencher, un peu plus d'un
an. Aux approches de l'hiver de 1850 1851, il revint dans son diocèse
de Montréal et fut pendant quelques mois vicaire à Berthier.
Mais, ayant vu de près les Oblats. à l'oeuvre dans l'Ouest,
il était revenu à Montréal avec l'intention d'entrer
dans leur congrégation. En mars 1852, à Sorel,, il eut
l'occasion de rencontrer Mgr Taché, tout jeune évêque,
et les choses s'arrangèrent selon son désir. A la fin
de juin, en ayant obtenu l'autorisation de Mgr Bourget, il repartait
avec Mgr Taché pour les lointaines missions. Il fit son noviciat,
par privilège, à la mission Sainte Anne, sous la direction
du Père Rémas, et, le 17 septembre 1854, il prononçait
ses voeux d'Oblat. Ce fut ensuite, pour plus de soixante ans, la longue
et belle vie de missionnaire, avec toutes ses charges, tous ses voyages
et toutes ses misères.
En 1861, le Père Lacombe fondait Saint-Albert, d'où la
province de l'Alberta tire son nom. En 1873, il entreprenait son premier
voyage en Europe, dans le dessein de publier à Paris ce qu'il
fit une grammaire et un dictionnaire de la langue des Cris. Il fit le
pèlerinage de Lourdes, se rendit à Rome et jusqu'en Terre
Sainte. C'est au cours de ce voyage qu'il connut le cardinal Manning
à Londres et Louis Veuillot à Paris. A Rome, il eut l'honneur
d'être admis en audience auprès de Pie IX. A son retour
dans l'Ouest, en juillet 1874, il fut nommé par Mgr Taché,
curé de Sainte Marie de Winnipeg. En 1879, il faisait un deuxième
voyage en Europe et se rendait encore cette fois à Rome où
il fut reçu à plusieurs reprises par Léon XIII.
A l'automne de 1880, tout en restant attaché à sa cure
de Winnipeg, il était chargé de la desserte spirituelle
des nombreux ouvriers catholiques employés à la construction
du Pacifique Canadien. En avril 1882, à sa grande joie, il se
voyait assigné à son ancienne mission de Saint Albert,
ayant toujours à s'occuper, entre temps, des travailleurs du
grand chemin de fer. Il s'intéressa beaucoup, par ailleurs, au
succès de cette vaste entreprise. C'est grâce à
lui, par exemple, qu'on put décider les PiedsNoirs à laisser
passer "la ligne" sur leur territoire. Les autorités
du Pacifique ont maintes fois reconnu et loué ses bons services.
Toute sa vie, dans la suite, il eut sa "passe" pour voyager
dans leurs wagons de luxe. On amême raconté qu'un jour,
en août 1884, lord Stephen lui céda pour quelques heures
la présidence de la compagnie !
Le soulèvement des Métis de Louis Riel, en 1885, occasionna
au Père Lacombe bien des soucis et des démarches. C'est
son influence qui maintint Crowfoot (Pied de Corbeau) et ses Pieds Noirs;
à cette époque, dans la loyauté aux autorités
fédérales. Les hommes de ma génération n'ont
pas oublié son voyage triomphal, en 1887, avec ce même
Crowfoot et d'autres chefs sauvages, à Ottawa, à Montréal
et à Québec. Il eut à s'occuper aussi, en 1890
et en 1900, d'abord avec Mgr Taché; puis avec Mgr Langevin, qu'il
accompagna à Ottawa, de l'angoissante question des écoles.
Il aida puissamment les deux archevêques dans leur défense
de cette cause sacrée, qui ne fut pas gagnée hélas
? mais reste en un sens toujours pendante.
Bien souvent, d'ailleurs, au cours de sa longue vie de missionnaire,
le Père Lacombe est revenu, dans sa province natale de Québec;
visiter nos villes, nos paroisses, nos couvents et nos collèges.
Toujours, il prêchait et il quêtait ! Je le revois encore,
à Sainte Thérèse, à Saint Jean Baptiste
de Montréal ou à l'archevêché. Sa physionomie
était familière à tous. Elle avait aussi un cachet
bien marqué. De taille moyenne, un peu courbée sur la
fin, d'une figure énergique et douce à la fois, encadrée
depuis longtemps d'une belle chevelure blanche dont les longues boucles
lui descendaient sur le cou, avec des traits fortement accentués
et des yeux clairs et vivants, il possédait, même devenu
octogénaire, une vitalité et pane robustesse peu communes.
La discipline de la vie religieuse, fidèlement observée
jusque dans les solitudes immenses, en ajoutant à sa force de
volonté native, lui avait assuré une vigueur morale qui
était peut être aussi étonnante, sinon plus, que
sa vigueur physique. Dans les deux sens, c'était un athlète
qui, sans le chercher, en imposait à tous. Esprit fin et perspicace,
intelligent par conséquent, coeur délicat et aimant, ce
qui veut dire très sensible, il était né avec le
goût du beau et il savait le discerner partout et chez tous. Et
pourtant il a partagé presque toute sa vie l'existence des hommes
les plus simples et les plus frustes. Pour eux, ainsi qu'ils disaient
en langue indigène, c'était par excellence "l'homme
au bon coeur". Ce fut là le secret de sa puissance d'action.
Il les aimait ! Quand, dans ses courses en nos centres québécois,
il parlait de ses chers enfants des missions, il trouvait naturellement
des accents émouvants. D'ordinaire, à peine avait il commencé
son discours que les larmes jaillissaient de ses yeux. Très vite,
beaucoup de ses auditeurs pleuraient avec lui. Aussi, ses "quêtes"
étaient elles fructueuses, car à un tel apôtre on
ne pouvait guère refuser.
En 1887 et en 1892, l'inlassable apôtre, dans le dessein d'aider
à la colonisation, organisa d'importants voyages de plusieurs
évêques et autres personnages de l'Est vers l'immense pays
de l'Ouest. De Québec à Victoria du juge Routhier raconte
celui de 1892. En 1899, lors de la course des chercheurs d'or au Klondyke,
il servit d'interprète, à la demande du gouvernement d'Ottawa,
à la commission royale chargée de négocier avec
les tribus sauvages dont les blancs envahissaient les territoires. Il
célébra ses noces d'or sacerdotales, pendant ce voyage,
sous la tente, à soixante milles au nord d'Athabaska. En 19001901,
déjà septuagénaire, il entreprit, à la demande
de Mgr Langevin, dans l'intérêt surtout des Ruthènes
émigrés au Canada, son troisième voyage en Europe.
Il fut reçu au Vatican par Léon XIII et à la cour
d'Autriche par l'empereur François Joseph. En 1904-1905, il fit
un dernier voyage à Rome (où il eut la joie d'être
béni par Pie X) et se rendit jusqu'en Terre Sainte.
Sa dernière oeuvre fut la fondation, à 82 ou 83 ans,
de son "Home" de Midnapore, pour les Métis pauvres,
à neuf milles au sud de Calgary. La générosité
d'un riche Anglais, M. Burns, et une dernière tournée
de quêtes dans la vieille province de Québec lui permirent
d'assurer cette oeuvre qu'il confia aux bonnes Soeurs de la Providence
de Montréal. Vers le même temps, par obéissance
à ses supérieurs, il dicta ses "mémoires"
à une Soeur de la Providence. Un beau livre Le Père Lacombe,
de plus de cinq cents pages, illustré, édité à
Montréal en 1914, conserve ces "mémoires" à
la postérité. Une édition anglaise en avait paru
précédemment, en 1910. En 1909, il fêta, dans son
"Home" de Midnapore, ses noces de diamant de prêtrise.
En 1912, à 85 ans, il fit son dernier voyage dans sa province
natale. Il vécut encore quelques années, affaibli par
l'âge, mais l'âme toujours vaillante. Le 12 décembre
1916, il décédait à Midnapore et s'en allait, confiant,
vers le Dieu de bonté qu'il a toute sa vie si généreusement
servi.
Le ler juillet 1929, on lui a élevé, à Saint Albert,
aux portes d'Edmonton, où reposent ses restes mortels, un monument
qui perpétuera son souvenir.
Le Père Lacombe, "l'homme au bon coeur", a été,
sans aucun doute, dans toute la force du terme, un grand, un très
grand missionnaire, et l'un de nos plus illustres compatriotes canadiens.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 46-53. La lettre
très connue du père Lacombe au sujet de la loi réparatrice
(affaire des écoles du Manitoba) est reproduite ailleurs au site. |