Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Le
docteur Jacques Labrie
(1784-1831)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
Jacques Labrie est né, le 4 janvier 1784, à Saint Charles
de Bellechasse, et il est mort à Saint Eustache, le 26 octobre
1831, à 47 ans. Médecin, éducateur, député,
plus vieux que Meilleur de quelques années, il fut, à
une époque difficile, un pionnier de l'instruction populaire
et comme une sorte de précurseur.
La famille, originaire de Saintes (Charente-Inférieure) en France,
était d'humble condition. Le premier ancêtre venu au Canada
vers 1685 était simple soldat. Son fils ou petit-fils, Jacques
Nau dit Labry, avait été, en 1749, l'un des premiers colons
de Saint-Charles. Il y vivait encore avec l'un de ses fils, du même
nom que lui et qui le continuait, quand notre Jacques vint au monde
en 1784, et c'est lui, le grand père, qui fut son parrain. La
maison où l'on habitait, sur le chemin de Beaumont, était
une simple et modeste ferme. Mais, l'on y trouvait, en grandissant,
comme dans tant d'autres maisons d'habitants de l'époque, les
meilleures leçons celles de l'exemple pour nourrir et sustenter
en son âme l'amour de la religion et celui de la patrie. Dans
ces maisons là, les pères étaient des courageux
et des vaillants et les mères des saintes tout simplement.
Grâce à la bienveillance de deux dignes prêtres,
successivement curés de Saint Charles, Louis Pascal Sarault (1789
1794) et JeanJoseph Roy, neveu du précédent (17951799
) , le jeune Jacques Labrie fut mis au séminaire de Québec.
Il eut là, comme confrères ou condisciples, des hommes
qui ont marqué dans l'histoire : Louis Joseph Papineau le célèbre
tribun et homme politique, Antoine Parent, plus tard directeur du séminaire
et l'un des fondateurs de l'Université Laval, Flavien Lajus,
qui serait vicaire à Saint Eustache de 1808 à 1810 et
y amènerait Labrie devenu médecin, André Doucet,
futur curé de Québec, Philippe Aubert de Gaspé,
l'auteur des Anciens Canadiens, Flavien Turgeon, dans la suite archevêque
de Québec, Louis Plamondon, plus tard juge éminent, Louis
Moquin, bientôt une gloire lui aussi du barreau canadien . . .
Les directeurs du temps, au séminaire, s'appelaient Gravé,
Robert, Lahaille, Antoine Bédard et Jérôme Demers,
tous des prêtres distingués et des éducateurs de
haute valeur. Doué de belles aptitudes et très appliqué,
Jacques Labrie obtint dans ses classes de brillants succès. Il
avait 20 ans quand il termina son cours en 1804.
Il étudia la médecine à Québec, sous la
direction du docteur Blanchet, un maître de l'époque, aussi
ardent patriote qu'excellent médecin. Son bureau, par suite,
se trouvait être, en même temps qu'une haute école
de science, un foyer de patriotisme; peut être un peu outrancier,
mais sincère et vrai. Labrie se montra bon disciple du savant
docteur et tout ensemble du fervent de la patrie. En s'initiant à
l'art de guérir les malades, ou tout au moins de soulager les
souffrants, il se préparait à sa noble tâche de
défenseur des droits trop méconnus de ses compatriotes.
Sur ce dernier point, il entra même en lice d'une façon
qu'on jugerait volontiers hâtive de nos jours. Mais, en ce temps
là, comme les chefs étaient rares, ceux qui avaient du
talent se produisaient vite. En 1806, Labrie, qui n'avait encore que
22 ans, fonda, avec Bédard et Taschereau, deux étudiants
qui n'étaient guère plus âgés que lui, un
journal politique, Le Canadien, en opposition au Mercury, l'organe des
Anglais. Cette feuille, qui se montra tout de suite très violente
contre l'administration, ne vécut que quelques semaines. Le gouverneur
Craig la tua en mettant Bédard et Taschereau en prison sans aucune
forme de procès. On se souvient que Le Canadien devait reprendre
vie en 1831 avec Etienne Parent comme directeur. Labrie, plus modéré
que ses deux amis et moins compromis, n'alla pas en prison avec eux
en 1806. Mais, il n'abandonna pas la cause. Le 3 janvier 1807, associé
à Louis Plamondon, qui venait de finir son droit, il publiait
un nouveau journal, Le Courrier de Québec, en opposition toujours
au Mercury, mais moins violent de ton que le premier Canadien. Le Courrier
parut, deux fois par semaine, jusqu'à la fin de juin. Labrie
partant alors pour l'Europe, son journal dut suspendre sa publication.
Notons qu'il fallait bien du travail et de la vaillance, à la
vérité, pour mener de front les deux besognes d'étudiant
en médecine et de journaliste. Mais, il paraît certain
que Labrie ne négligea pas plus l'une que l'autre. On connaît
nombre d'étudiants qui n'en feraient pas autant à l'heure
actuelle.
En 1807 1808, Labrie alla compléter ses études classiques
médicales à Edimbourg, en Ecosse, avantage qu'il dut,
selon l'abbé Auguste Gosselin, à la considération
et à l'affection que lui portait le docteur Blanchet. De retour
au pays en août 1808, il s'établit, comme médecin,
d'abord à Montréal, rue Saint Paul, puis, peu après,
à Saint Eustache, le village bientôt célèbre
des "troubles" de 1837, où son condisciple, l'abbé
Lajus, venait d'être nommé vicaire du curé Maillou.
Le 12 juin 1809, le docteur Labrie épousait, à Saint Eustache,
Marie Marguerite Gagnier, fille du notaire de l'endroit, dont il eut
neuf enfants, la plupart morts en bas âge. L'aînée
de ses filles, Marie Zéphirine, devint en 1831 la femme du fameux
docteur Chénier, mort sous les balles anglaises, dans l'église
de Saint-Eustache, lors des "troubles" de 1837. Labrie n'a
pas laissé de fils qui aient fait souche ou fondé des
familles. Il mourut, un mois après le mariage de sa fille avec
Chénier, le 26 octobre 1831, à 47 ans.
De 1808 à 1831, tout en exerçant sa profession de médecin
à Saint Eustache, Labrie a en plus consacré ses talents
et ses forces, on pourrait dire a donné son cœur et sa vie,
aux grandes et nobles tâches de l'heure. En lisant le petit livre,
édité en 1907, où l'abbé Auguste Gosselin
raconte sa vie et sa carrière, on se demande comment un médecin
très occupé, un homme politique mêlé à
tout, un éducateur si actif, et de même un historien remarquable,
a pu suffire à tant de besognes à la fois. Cela paraît
vraiment étonnant. C'est que, sans doute, il avait à un
haut degré le goût du travail, qu'il savait mettre de l'ordre
et de la méthode dans son labeur et que, surtout, il aimait profondément
sa race et son pays.
Le docteur Labrie nous est mieux connu comme homme politique, comme
éducateur et comme historien, que par ses activités professionnelles.
Cela s'explique aisément. Ce sont toujours les actes de l'homme
mêlé à la vie publique qui ont du retentissement
et gardent son nom et son souvenir à la postérité.
Or, bien qu'il soit mort jeune, Labrie, à ce triple point de
vue du politique, de l'éducateur et du travailleur d'histoire,
a été l'un des citoyens canadiens les plus marquants de
sa génération.
Ce n'est qu'en 1827, quatre ans avant sa mort, que le docteur Labrie
se fit élire, avec Jean Baptiste Lefebvre, pour représenter
à l'Assemblée législative le comté des Deux-
Montagnes, alors le comté de York. En ce temps là, chaque
comté envoyait deux députés à la Chambre.
Labrie et Lefebvre, candidats du peuple furent élus contre les
sieurs Dumont et Simpson, qui étaient ceux ci les candidats du
gouverneur Dalhousie (1820 1828). Mais, il y avait déjà
quinze ans que, par ses activités diverses et par ses écrits,
le docteur exerçait, dans tout le pays, une influence considérable.
On n'a qu'à lire, dans le petit livre de l'abbé Gosselin,
les chapitres qui en parlent pour être édifié et
convaincu. Labrie était un modéré, qui répugnait
aux mesures de violence, mais c'était un ferme aussi et un énergique,
qui ne cédait rien sur le terrain des principes et des protestations
légales légitimes. Son étude sur la constitution
britannique et sur celle du Bas Canada, publiée en brochure,
sous sa signature, en 1827, l'année même de son entrée
au Parlement, prouve à elle seule qu'il était l'un des
patriotes canadiens d'alors les mieux au courant de la situation. Une
fois député, Labrie, avec Papineau, Nelson et Cuvillier,
fut l'un des principaux champions des droits méconnus du peuple,
et cela jusqu'à sa mort.
Son action publique dans les choses de l'éducation ne fut pas
moins importante. L'abbé Gosselin en témoigne abondamment.
Il cite, en particulier, ce qu'en a dix Meilleur dans son Mémorial
de l'éducation : "Le docteur Jacques Labrie, de Saint Eustache,
district de Montréal, l'auteur d'une Histoire du Canada restée
à l'état de manuscrit et d'un Essai sur la constitution
britannique et sur celle du Bas Canada, avait établi deux écoles
supérieures en cette paroisse (Saint Eustache), dont l'une pour
les garçons, tenue par M. Paul Rochon, et l'autre pour les filles,
tenue par plusieurs personnes du sexe. Il les dirigeait toutes les deux
et prenait part à l'enseignement avec autant de talent et de
zèle que de succès. Son école de filles constituait
une véritable école normale. Les examens publics de ces
deux écoles étaient regardés comme autant de fêtes
littéraires et scientifiques, auxquelles les amis de l'éducation
de l'endroit, de tout le voisinage et surtout de la ville de Montréal
se rendaient en foule." Cela, c'était déjà
fort bien. Mais Labrie ne s'en tenait pas aux seules écoles de
sa paroisse. Il visitait en plus, autant qu'il le pouvait, toutes celles
de son comté. Aucune question d'ailleurs, par toute la province,
ne l'intéressait davantage que celle des écoles et de
l'éducation de la jeunesse. C'est même à l'occasion
d'une visite générale des écoles de sa région,
pour se rendre compte du fonctionnement des lois qu'il avait lui même
contribué à faire adopter en 1829, qu'il contracta, à
l'automne de 1831, la maladie qui devait l'emporter.
Labrie fut enfin un ami de l'histoire, cette assise des destinées
de la patrie, qui en constitue la plus solide base. Sa correspondance
avec Jacques Viger, le premier maire de Montréal en 1833, qui
a laissé tant de précieux mémoires, et dont l'abbé
Gosselin reproduit plusieurs lettres, montre bien que le docteur Labrie
était lui aussi, comme Viger, un fervent du passé et de
ses annales. Dans ses écoles de Saint Eustache, il avait mis
à la disposition des élèves un précis de
l'histoire du Canada et un petit traité de géographie
canadienne dont il était lui même l'auteur. Les trop rares
écrits qui nous restent de lui prouvent qu'il s'inspirait constamment,
pour toutes sortes de considérations, des meilleures traditions
de la vie du pays. L'on sait également, la citation du Mémorial
de Meilleur que j'ai rappelée en témoigne, que le docteur
avait composé et se proposait de publier une Histoire du Canada.
Elle embrassait, à ce qu'on a rapporté, toute la période
de la domination française depuis les origines de la colonie,
avec, en plus, celle de la domination anglaise de la cession de 1760
à la guerre de 1812. Le curé Jacques Faquin, qui fut à
Saint Eustache de 1821 à 1847, était, comme Jasques [sic]
Labrie, un passionné de l'histoire. On imagine aisément
que ces deux bons Canadiens, le curé et le docteur, avaient de
fréquentes relations. "Rapprochés par le même
zèle pour l'instruction du peuple, écrit l'abbé
Gosselin, ils étaient aussi liés par le même goût
pour les travaux littéraires et les recherches historiques. Le
premier, d'après M. Meilleur, écrivit une histoire de
l'Eglise en notre pays. Le deuxième composa une histoire complète
du Canada. Malheureusement, tous les deux moururent avant d'avoir publié
leurs travaux. Coïncidence encore plus fâcheuse, les manuscrits
de l'un et de l'autre sont devenus la proie des flammes : celui du docteur
Labrie, en 1838, dans l'incendie de Saint-Benoît, chez le notaire
Girouard, qui l'avait en dépot, et dont l'habitation brûla
de fond en comble ; celui du curé Faquin, en 1852, dans l'incendie
de l'évêché de Montréal, où on le
conservait . . ." Au témoignage de tous ceux qui avaient
pris connaissance de cette Histoire du Canada de Labrie, entre autres
de Papineau et de Morin, elle était d'une exceptionnelle valeur.
Nulle part Labrie ne s'était révélé plus
intelligemment et supérieurement patriote.
En résumé, le docteur Jacques Labrie a été,
au cours de l'une des périodes les plus tourmentées de
notre vie nationale, l'une de nos grandes figures canadiennes, l'un
de nos patriotes les plus éclairés, les plus laborieux
et les plus zélés.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 209p., pp. 49-59. |