Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Le
Curé Antoine Labelle
(1833-1891)
par
M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR
L’abbé Auclair avait publié un ouvrage substantiel
intitulé Le Curé Labelle. Sa vie et son œuvre. Ce
qu’il était devant ses contemporains. Ce qu’il est
devant la postérité. Montréal, Beauchemin, 1930,
271p.]
Le curé Antoine Labelle, plus tard Mgr Labelle, protonotaire
apostolique, dont le premier ancêtre, Guillaume Labelle, vint
au Canada, de Normandie, vers 1670, naquit, à Sainte Rose de
Laval, le 24 novembre 1833, d'une modeste famille d'artisans. Son père,
Antoine Labelle, était le cordonnier du village. Il n'eut qu'une
soeur, morte en bas âge. Le curé du temps à Sainte
Rose, M. Brunet, ne tarda pas à distinguer le jeune Antoine,
fils du cordonnier, parmi ses enfants du catéchisme. Il lui donna
ses premières leçons de latin. A 11 ans, Antoine entrait
au collègeséminaire de Sainte Thérèse. Il
y fit son cours complet de 1844 à 1852, et aussi sa cléricature.
Ordonné prêtre à Sainte Rose, son village natal,
le ler juin 1856, l'abbé Labelle fut vicaire à Sault au
Récollet et à Saint Jacques de Laprairie, puis curé
à Saint Antoine Abbé de Huntingdon et à Saint Bernard
de Lacolle. En mai 1868, Mgr Bourget le nommait curé de Saint
Jérôme de Terrebonne, et il le fut pendant vingt trois
ans, jusqu'à sa mort en janvier 1891. En même temps, il
se donna, avec un grand zèle et un succès remarquable,
à l'oeuvre religieuse et nationale par excellence de la colonisation,
dans la région qui porte aujourd'hui son nom, celle des cantons
alors en forêt du nord de Montréal et de Saint Jérôrne.
Il étendit même sa sphère d'action, comme colonisateur,
à toute la province et à tout le pays. Il devint sous
ministre de l'Agriculture et de la Colonisation à Québec,
en mai 1888, dans l'administration d'Honoré Mercier. Le pape
Léon XIII, l'année suivante, en juillet 1889, à
la demande de Mercier, le créait protonotaire apostolique. Mais,
sousministre et monseigneur, il n'en continua pas moins à être
pour tout le monde, et d'abord pour lui même, "le curé
Labelle", nom qu'il a illustré et que l'histoire lui conserve
à bon droit. Car, s'il fut un apôtre du sol et un colonisateur
quasi génial, il ne cessa jamais d'être d'abord un vrai
prêtre et un curé soucieux de bien remplir les fonctions
de son saint ministère. I1 mourut, à Québec, le
4 janvier 1891. C'est, sans conteste, l'un des Canadiens français
les plus éminents de sa génération.
Le curé Labelle était très grand, très
gros et très fort. Au dire de tous, c'était un bel homme
: six pieds de taille, trois cent trentetrois livres de poids, bien
fait et harmonieusement proportionné, figure grasse et replète,
aux traits pourtant réguliers et fins, bonne figure ouverte et
franche, beaux yeux grisbleus, nez délicat, bouche plutôt
petite et un peu en retrait à cause de la perte d'une partie
de ses dents, vaste et large front, que couronnaient des cheveux frisottants,
qui grisonnèrent de bonne heure, mains petites et délicates,
comme on en voit rarement à un si gros homme. En dépit
de sa taille et de sa lourdeur, il était leste et agile, se tenait
droit sur ses pieds, qu'il avait, comme les mains, petits mais solides,
et il en imposait vraiment par son aisance d'allures et sa bonne grâce,
tout autant que par sa robustesse et sa vigueur. Et puis, s'il était
vif et courageux, alerte à la réplique et toujours prêt
à défendre ses vues, il paraissait pareillement, de toute
évidence, très bon et très conciliant. On avait
vite l'impression que ce colosse en soutane était un bon géant
les géants le sont presque tous qui savait, certes, se servir
de sa force au besoin, mais qui entendait également en user à
bon escient et avait le souci de n'en pas abuser. Il avait bon coeur,
en effet, comme il était intelligent. Très cultivé
et remarquablement instruit, sous son apparence bonhomme et familière,
voire parfois un peu vulgaire, il n'était pas quelconque et il
avait du cachet, quelque chose, pourrait on dire, de ces prélats
gentilshommes d'autrefois, restés terriens dans l'âme jusque
sous la mitre de l'évêque ou sous la crosse de l'abbé
de monastère.
L'oeuvre du curé Labelle comme colonisateur ne s'est pas bornée
à ses initiatives et à ses activités dans la région
du nord de Montréal. Il s'est occupé aussi de l'Ouest
canadien, notamment lors de ses voyages en Europe, en 1885 et en 1890,
chargé qu'il était de missions officielles par le gouvernement
d'Ottawa ou par celui de Québec. Devenu sousministre à
Québec en 1888, il eut à diriger, et il le fit avec succès,
tout le mouvement de colonisation dans la province. Bien plus, pendant
vingt ans au moins, de 1870 à 1890, il ne fut étranger
à rien de ce qui s'entreprenais ou se poursuivait pour l'extension
et le progrès du pays canadien. C'est même lui qui eut,
le premier, l'idée de ce chemin de fer d'un océan à
l'autre qu'on appelle aujourd'hui le Canadien Pacifique. Sir John Abbott
et sir Hugh Allan lui ont rendu, à ce propos, les témoignages
les plus formels et les plus précis.
Mais son oeuvre principale, celle qui lui fait une figure à
part et l'immortalise, c'est sur les bords de la "Nord", de
la "Rouge" et de la "Lièvre", dans les cantons
du nord de Montréal aujourd'hui la région Labelle qu'elle
s'est surtout accomplie. Tous les établissements qu'il a fondés
là n'ont pas été sans doute également réussis.
On lui a reproché d'avoir été trop enthousiaste
et d'en avoir créé quelques uns où le sort du colon
n'a pas toujours été enviable. On a dit qu'il avait colonisé
des terres de roches et qu'il s'était trop restreint à
la vallée de l'Outaouais. D'autres ont opiné autrement
et l'ont loué sans réserve. Qu'en est il vraiment ? Je
pense qu'il ne faut pas être trop absolu dans la réponse
à donner en l'un ou l'autre sens. Mais, à mon avis, on
peut soutenir, après plus de quarante ans écoulés,
que le curé Labelle voyait assez juste et que, en somme, il avait
raison. Quelques uns de ceux qui l'ont blâmé, et se sont
plaints davantage, auraient pu s'en prendre d'abord à eux mêmes,
à leur imprévoyance, à leur manque de générosité
dans l'effort ou à leur défaut de constance. Ce sont ceux
qui peinent et qui tiennent qui réussissent. Les colons qui ont
connu le succès, en cette région, sont assez nombreux
pour qu'on soit en droit d'affirmer que la chose était possible.
D'ailleurs, pouvait il se faire que, dans une aussi vaste entreprise,
il n'y eut pas, ici ou là, quelques maldonnes ? Qu'on n'oublie
pas, non plus, que; en peuplant son nord, le célèbre curé
ne visait pas uniquement à la culture des terres. I1 pensait
également à l'élevage des troupeaux, à l'industrie,
au tourisme même, que la beauté et le pittoresque de la
contrée attireraient ou faciliteraient plus tard. Qu'on se le
rappelle, son nord, il l'a répété maintes fois,
il en voulait faire la Suisse du Canada, ce qu'il est maintenant indubitablement.
Qu'on remarque enfin que ce nord, colonisé par lui, ce devait
être, selon ses prévisions, un chemin ouvert vers l'Ouest,
vers Winnipeg, vers les Rocheuses et vers le Pacifique. S'il eut vécu
plus longtemps il est mort à 5 7 ans il y serait vraisemblablement
parvenu. En tout cas, on peut estimer que, telle qu'elle est, son oeuvre
est considérable et constitue un succès auquel aucun autre
peutêtre n'a jamais atteint.
On a érigé, à Saint Jérôme, en octobre
1924, sur la place de l'église, au centre de la ville, un monument
à ce grand apôtre du sol que le bon sens populaire avait
dénommé le roi du nord. Six ans plus tard, en avril 1930,
un volume a été publié, chez Beauchemin à
Montréal, qui raconte en quelque trois cents pages, avec des
illustrations appropriées, la vie et les oeuvres du grand colonisateur,
et qui porte ce simple titre Le curé Labelle. Ce livre, dont
je suis l'auteur, et qui m'a coûté bien des veilles et
des peines, je le crois fidèle, en dépit de ses imperfections.
La critique ne m'a pas épargné. C'était son droit.
On m'a reproché d'avoir trop nettement séparé le
curé du colonisateur, en consacrant à l'un mes premiers
chapitres et à l'autre mes derniers, et de m'être ainsi
exposé à des répétitions et à des
redites. Peut être la critique n'a t elle pas eu tort. Mais je
l'avais bien voulu ? Je tenais à montrer distinctement que mon
héros était prêtre d'abord ce qu'on semblait oublier
tout autant que colonisateur, homme de ministère et de vie intérieure,
tout autant que patriote et champion du sol.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 90-96. |