Quebec History Marianopolis College


Date Published:
15 August 2003

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Monsieur Louis Fréchette
(1839-1908)

par

M. L’Abbé Elie-J. AUCLAIR

Louis Fréchette, le premier Canadien qui fut lauréat de l'Académie française, notre poète national entre 1880 et 1908, le chantre de Vive la France comme Routhier est celui de O Canada, est né à Lévis, en face de Québec, "au pied de la falaise", le 16 novembre 1839. Il est mort à Montréal, le 31 mai 1908, à 68 ans.

Les ancêtres, venus au Canada au milieu du XVIIème siècle, les Freschet ou Frichet (Tanguay), étaient originaires de l'île de Ré, en Saintonge. Louis Fréchette, le père du poète, né en 1811 à Saint Nicolas, et mort en 1882 à Hochelaga, avait été cultivateur, puis marchand, et il s'était finalement établi entrepreneur constructeur à Lévis. Illettré lui même, mais intelligent et débrouillard, il s'était acquis une certaine aisance et il prit soin d'assurer à ses enfants l'instruction qu'il n'avait pas eu l'avantage de pouvoir se procurer. Marié, vers 1832, à Marguerite Martineau, il en eut neuf enfants, six garçons et trois filles. Devenu veuf en 1853, il épousa en 1854, en secondes noces, Eulalie Richard, dont il eut deux filles. De ces onze enfants, la plupart morts en bas âge, trois sont connus dans l'histoire : Louis ou Louis Honoré, dont il est ici question, qui était le troisième de la famille ; Edmond, le quatrième, né en 1841, qui fut zouave de Pie IX et mourut fonctionnaire au ministère de l'Intérieur à Ottawa en 1885 ; Achille, le septième, né en 1847, traducteur à la Chambre des Communes, qui mourut en 1927. Tous les trois étaient avocats et se sont occupé de lettres. Louis n'avait que 13 ans quand la mère décéda, Edmond 11 ans et Achille 6 ans. Ils furent donc élevés en partie par la seconde femme de leur père. Cette belle mère n'a pas été, comme on l'a écrit, une mégère et une marâtre, et il est fâcheux que, après Henri d'Arles, le Père Lejeune, dans son Dictionnaire général, ait consacré cette légende pour l'avenir. Lucien Serre, dans ses "notes sur Fréchette" a fait justice de cette méprise.

Louis Fréchette commença ses études à Québec en 1854 et il les continua à Sainte-Anne en 1857. Ses espiègleries, son esprit d'indépendance et, a t on dit, sa manie de faire des vers à tout propos et hors de propos, sa mauvaise tête en un mot, l'obligèrent à quitter ses classes en 1859. Son père, pour lui donner une leçon, lui enjoignit d'avoir à gagner sa vie. C'est ce pourquoi, à 19 ans, il partit vers les Etats Unis, en quête d'aventures. Mais, à Ogdensburg, il se trouva bientôt, sans le sou, réduit à casser de la pierre dans les rues. Ce ne fut pas long ! Il revint au pays, rentra en grâce auprès de son père et alla terminer ses classiques à Nicolet.

Fréchette suivit son cours de droit à Québec et fut admis au barreau en 1864. Il ouvrit un bureau, mais les clients se firent attendre. Etudiant, il lisait Lamartine et Hugo, peut-être un peu plus que son "code", il écrivait dans Le Journal de Québec et il avait déjà publié son premier volume de vers Mes Loisirs. Avocat, il continua de collaborer aux journaux et de chanter sur sa lyre. Du côté pratique, pour les plaidoiries au palais, ça n'allait guère. Impatienté, il partit en 1867 pour Chicago, où il passa cinq ans et fit encore du journalisme. Mécontent des siens jusqu'à l'outrance, il écrivit et publia une diatribe de tirades vengeresses, où il y a pourtant de fort beaux vers, contre Cartier et les autorités politiques du Canada, qui eut du retentissement, La Voix d'un exilé. Cela l'apaisa un peu, et il revint au pays en 1871. C'est alors qu'il eut une polémique avec Routhier, au sujet des Causeries du dimanche, et qu'il écrivit ses Lettres à Basile. En 1871 également, il se présenta dans Lévis pour la députation à Québec, puis en 1872 pour celle d'Ottawa. Il échoua les deux fois. En 1874, il fut plus heureux, les électeurs l'envoyèrent siéger à Ottawa, et il fut député fédéral pendant quatre ans. Battu aux urnes en 1878, puis en 1882, il renonça à la politique et se consacra exclusivement aux lettres.

En 1875, à 36 ans, alors qu'il était député de Lévis, Fréchette avait épousé Emma Beaudry, fille d'un riche marchand de Montréal, qui lui apportait en dot quelque fortune, et qui lui a été une bonne et très digne femme. Quatre enfants au moins sont nés de ce mariage, un fils, Louis je crois, mort jeune, élève du Mont Saint Louis, et trois filles, Jeanne, Mme Honoré Mercier, l'épouse du ministre des Terres à Québec, Louise, Mme Henri Béïque, et Pauline, Mme Dr Handfield. En 1877, le poète avait fixé sa résidence à Montréal, où il vécut, d'abord sur la rue Ontario, puis sur la rue Sherbrooke, à peu près le reste de sa vie. En 1889, le premier ministre Mercier le nomma greffier du Conseil législatif de Québec. En 1888, l'Université Laval le décora du titre de docteur ès lettres. Il avait déjà été fait docteur ès arts de McGill et de Queen's en 1881, et le même titre lui fut octroyé par Toronto en 1900. Elu à la Société Royale en 1882, il en fut le président général pour l'exercice de 1900 1901. Il était aussi décoré d'un ordre de la cour d'Angleterre et de la Légion d'honneur de France.

Mes Loisirs avaient été édités en 1863 et La Voix d'un exilé en 1871. En 1877, Fréchette publia Pêle Mêle, volume de poésies diverses, la plupart douces et tendres, qu'il dédia à sa femme. Puis, vinrent, en 1879 et 1880, Les Fleurs boréales et Les Oiseaux de neige, lesquels, réunis en un seul volume, furent couronnés par l'Académie française, d'où son titre, qu'il prisait beaucoup, de poète lauréat. En 1887, paraissait à Paris La Légende d'un peuple, poème de grande allure, imité de La Légende des siècles de Victor Hugo, qui est sans doute son oeuvre principale. En 1891, ce furent Les Feuilles volantes, son dernier recueil de vers. Il prépara, sur la fin de sa vie, une édition définitive de ses oeuvres poétiques, trois grands volumes in 8, qui a été publiée, chez Beauchemin, à Montréal, en 1908, l'année de sa mort.

Fréchette a pareillement écrit en prose, et même beaucoup, peut être trop. Je cite Henri d'Arles : "De vaines polémiques, bien oubliées aujourd'hui, avec Routhier, avec l'abbé Baillairgé [sic – Baillargé], avec Chapman, lui prirent un temps qu'il eut mieux fait de donner à l'art pur. Il écrivit aussi, pour La Patrie de Beaugrand, les Chroniques de Cyprien et sa Petite histoire des rois de France, qui ne vaut pas le papier à chandelle sur lequel elle fut tirée à part. En 1892, il donna, en prose également, Originaux et Détraqués, qui est un ouvrage amusant, et, en 1900, un livre de contes, La Noël au Canada. Nous avons encore de lui deux drames baroques, Félix Poutré et Papineau, une foule d'articles qui n'ont pas été recueillis en volume, traitant de nos défauts de langage usuel, et enfin sa conférence sur Lourdes, dont les conclusions ne sont pas irréprochables. J'allais oublier son grand drame Véronica, qui n'est que de la prose où les vers se sont mis . . ." Je trouve ce jugement sévère et outré, mais je crois, moi aussi, que c'est surtout par sa poésie et par ses vers, dont beaucoup sont de belle venue et vibrent dans toutes les mémoires, que Fréchette vivra devant la postérité.

Pendant les trente ans qu'il a vécu à Montréal (1877 1908), Fréchette fut activement mêlé à la vie sociale de l'époque, allant remplir tous les ans, depuis 1889, ses fonctions de greffier du Conseil législatif à Québec, voyageant beaucoup -- surtout lorsqu'il s'occupa entre 1900 et 1906, de recueillir des fonds, en donnant des conférences, pour l'érection d'un monument à Crémazie, laquelle eut lieu au carré Saint Louis à Montréal le 24 juin 1906 -- écrivant toujours, recevant ses amis avec la plus entière cordialité. J'ai connu son hospitalité rue Sherbrooke. Elle était exquise. Les deux dernières années, 1907 et 1908, il se mit en pension, avec Mme Fréchette, qui lui a survécu, à la maison des Sourdes Muettes, rue Saint Denis. C'est en y rentrant, d'une visite chez son ami le sénateur David, le soir du 30 mai 1908, qu'il fut foudroyé, sur le seuil de la grande bâtisse, par une attaque d'apoplexie. Il mourut le lendemain.

Comme tous les hommes de valeur, actifs et combatifs, Fréchette, de son vivant même, a été âprement discuté. Ses polémiques, dont parle Henri d'Arles, ont été fort retentissantes et regrettables à plus d'un égard. Depuis vingt cinq ans passés qu'il est mort, il a été de même diversement apprécié. On lui reconnait, en somme, un beau talent, de la verve et de la vie. S'il est parfois, trop souvent, inégal à lui même, nous lui devons, c'est certain, de très belles choses comme expressions de sentiments et comme envolées poétiques. On peut écrire que, disciple et en un sens successeur de Crémazie, il a, chez nous, surtout après son succès à l'Académie française le 5 août 1880, pendant plus d'un quart de siècle, porté le sceptre dans notre petit monde des lettres françaises au Canada. Il a droit d'être classé au premier rang à l'époque où il a vécu. Tous nos critiques, et aussi ceux de France qui s'occupent de nous, lui font large place au modeste Panthéon de nos lettres. Ce n'est que justice, il le mérite.

En dépit de quelques écarts de langage ou de plume et d'un train de vie personnelle d'allure assez indépendante, c'était au fond un croyant sincère, qui aurait voulu qu'on lui explique l'inexplicable. Mais il avait une grande confiance en Dieu, tous ceux qui l'ont bien connu le savent.

J'ai eu l'honneur et l'avantage, qu'on me pardonne ce souvenir trop personnel, d'approcher et de connaître le poète dans son intimité, au soir de sa vie. Il n'était pas sans défaut, comme tous les humains, un peu fier et vindicatif peut être. Mais, quel homme au grand cœur, à l'esprit pétillant, à l'âme aimante, à la conversation enjouée, à la plume facile ! Quel bel homme aussi au physique, grand de taille, bien fait, de figure animée et haute en couleur, toujours vibrant, engageant et aimable ! Comme il lisait bien ses vers et ceux des autres !

Quelques semaines avant de mourir, il écrivit l'un de ses derniers sonnets pour la Revue canadienne, dont j'étais en ce temps le secrétaire de rédaction. Il le terminait par ces vers qui sont comme le cri ultime de son âme confiante en la miséricorde divine :

Quand le terme viendra de ma course éphémère,
je pencherai ma tête et je m'endormirai,
Sans peur, comme un enfant sur le sein de sa mère.

Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Deuxième série, Montréal, éditions Albert Lévesque, 1933, 209p., pp. 164-172.

 
© 2003 Claude Bélanger, Marianopolis College