Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Monseigneur
Ignace Bourget
(1799-1885)
Mgr Ignace Bourget naquit à Lévis, le 30 octobre 1799.
Ses études faites à Québec et à Nicolet,
il fut ordonné prêtre le 30 novembre 1822, à Montréal,
où il demeurait depuis environ un an, en qualité de secrétaire
de Mgr Lartigue, à cette époque auxiliaire de Québec
en résidence à Montréal. L'abbé Bourget
continua, après son ordination, à remplir ses fonctions
de secrétaire jusqu'en 1836, alors que, le 13 mai, Mgr Lartigue
devint titulaire de Montréal et le nomma aussitôt son vicaire
général.
L'année suivante, le 10 mars 1837, M. Bourget fut élu
évêque de Telmesse et coadjuteur de Montréal et
il fut sacré le 25 juillet. A la mort de Mgr Lartigue, le 19
avril 1840, il lui succéda de droit sur le siège épiscopal
de Montréal. Mgr Bourget administra son diocèse pendant
trente six ans, jusqu'au 11 mai 1876, date à laquelle il démissionna.
Il se retira bientôt après à Sault au Récollet.
C'est là qu'il reçut son titre d'archevêque de Martianopolis.
II y vécut neuf ans dans la retraite, et mourut à l'âge
de 85 ans et 7 mois, le 8 juin 1885.
Mgr Bourget manifesta, dans sa ville épiscopale et son diocèse,
et même au dehors, très loin au dehors, une activité
remarquable au cours de sa longue administration. Ses oeuvres fort nombreuses
ont connu le succès des oeuvres bénies du ciel. Tout ce
qu'il a voulu et créé a prospéré, et l'Eglise
en bénéficie encore, même au delà des limites
de notre pays.
A peine avait il pris les rênes de l'administration en 1840 qu'il
se révéla homme d'action et d'entreprise comme il ne s'en
rencontre pas souvent. On était au lendemain des événements
de 1837 1838. La région de Montréal en particulier, sur
le Richelieu et dans les Deux Montagnes, avait été agitée
et "troublée" plus qu'ailleurs. Il fallait calmer bien
des choses, pacifier les esprits en les élevant vers le surnaturel.
Le nouvel évêque, tout en se montrant très ferme
pour le maintien de la doctrine, s'y employa avec bonté, et non
certes sans succès. Jusque là, et depuis 1657, à
Montréal, l'ancienne Ville Marie, les Messieurs de Saint Sulpice,
seigneurs temporels de l'île et en charge de "la paroisse"
de Notre Dame, avaient, presque seuls, sous la juridiction des évêques
de Québec, vu à la gouverne du spirituel comme à
la gérance du temporel. Ils avaient établi au milieu du
dernier siècle, des "chapelles de secours" ou églises
succursales, et fondé, auparavant, le collège de Montréal
en 1767. Leur zèle et leur amour du bien, comme leur esprit de
religion et leur piété, étaient incontestables
et indiscutables. Mais le champ d'action, pour l'exercice du saint ministère
au service des âmes, avec l'augmentation de la population, spécialement
dans la ville, s'élargissait vers cette époque considérablement.
Peut être les distingués et dévoués fils
de M. Olier ne le comprirent ils pas tous assez tôt. L'évêque
Bourget, lui, s'en rendit compte avec une acuité de vue et un
sens de prévision que l'histoire ne saurait trop louer.
Il voulut d'abord augmenter et fortifier son clergé et ses communautés
de recrues nouvelles, et, pour cela, il multiplia les instituts et les
institutions, les centres d'enseignement et les foyers d'activité
charitable. A sa demande, les Sulpiciens, en plus de leur collège
de Montréal, établirent un grand séminaire, qui
ouvrit ses portes en 1840. Les Frères des Ecoles Chrétiennes
étaient à Montréal depuis 1837. Mgr Bourget les
encouragea et les aida puissamment. Les Sœurs de la Congrégation
de Marguerite Bourgeoys enseignaient depuis 1657. L'évêque
ne leur ménagea pas son concours, son assistance et ses bénédictions.
Mais, en même temps, il estima que, pour les oeuvres d'instruction
et d'éducation, ces ouvriers et ouvrières de la première
heure ne suffisaient plus à la noble tâche. Pareillement,
depuis 1659, les Hospitalières de l'Hôtel-Dieu, fondé
en 1642 par Jeanne Mance, et, depuis 1747, les Sœurs Grises de
Mère d'Youville, toutes religieuses d'un large dévouement,
prenaient soin, le mieux possible, des malades, des pauvres, des vieillards
et des orphelins. Tout en les encourageant et en les bénissant
comme elles le méritaient, Mgr Bourget jugea que, sur ce champ
des oeuvres de charité et d'assistance, comme sur l'autre, il
convenait aussi d'augmenter les effectifs. C'est pourquoi, avec une
généreuse audace, que plusieurs crurent téméraire
et qu'explique seul sans doute ce qu'on a appelé son don de seconde
vue vers l'avenir, le jeune évêque de quarante ans, sans
négliger de consolider ce qui existait déjà, s'occupa
de faire venir de France, l'ancienne mère patrie, ou de faire
jaillir du terroir canadien, de notre propre sang pourrait on dire,
des instituts et des communautés de toutes sortes.
Pour l'instruction des garçons, aux institutions déjà
existantes et toutes très méritantes le collège
de Montréal qui datait de 1767, le séminaire de Saint
Hyacinthe fondé en 1811 par le curé Girouard, celui de
Sainte Thérèse établi en 1825 par le curé
Ducharme et le collège de l'Assomption fondé en 1832 par
le curé François Labelle et MM. Meilleur et Cazeneuve,
qu'il encouragea et dont il suivit et assura les progrès, il
en ajouta plusieurs autres. En 1842, il faisait "revenir"
de France les anciens missionnaires des premiers âges, les savants
et zélés Pères Jésuites, qui ouvriraient
bientôt (en 1848) leur collège Sainte Marie de la rue Bleury.
En 1847, à la fin d'un voyage en Europe, il ramenait lui même
de France nos premiers Clercs paroissiaux de Saint-Viateur qui fondèrent
cette année là le collège Joliette, à Joliette
même, et deux ans après le collège Bourget à
Rigaud, et les religieux de Sainte Croix, qui établissaient aussitôt
leur collège de Saint Laurent. Pour la formation des jeunes filles,
l'entreprenant évêque ne se montra pas moins prévoyant
et actif. Aux Sœurs de la Congrégation, établies
à Montréal depuis 1657, il adjoignit les Sœurs du
Sacré Coeur en 1842 et les Sœurs de Sainte-Croix en 1847,
deux communautés qui essaimèrent de France, et, en même
temps ou presque, les Sœurs des Saints Noms de Jésus et
de Marie en 1843 et les Sœurs de Sainte-Anne en 1850, celles ci
de fondation canadienne. Pour l’œuvre des retraites et des
missions, l'infatigable évêque fit venir, de France encore,
en 1842, les Oblats de Marie, qui devaient s'illustrer dans le haut
enseignement à Ottawa et dans leurs glorieuses missions de l'Ouest
et du Nord.
D'autre part, pour les oeuvres de charité et d'assistance, aux
Sœurs de l'Hôtel Dieu, qui existaient depuis les commencements
de Ville Marie, et aux Sœurs Grises établies en 1747, il
ajouta les Sœurs du Bon Pasteur, qui vinrent de France en 1844,
les Sœurs de la Providence et les Sœurs de Miséricorde,
instituts fondés par lui, à Montréal même,
le premier en 1843 et le second en 1848. C'est à Mgr Bourget
également que notre grande ville doit ses deux monastères
de pieuses recluses, celui du Précieux Sang fondé en 1874
et celui des Carmélites fondé en 1875. Il convient de
noter en plus que la plupart de ces instituts ou communautés,
établis ou fondés à Montréal par le grand
évêque, se sont dans la suite répandus au dehors,
dans l'Ouest et aux Etats Unis, et que notre sainte religion et notre
race française leur sont redevables de bienfaits et d'avantages
qui sont à vrai dire incalculables.
Au reste, par tout son diocèse, dont celui de Saint Hyacinthe
fut détaché en 1852, Mgr Bourget, dans le cours de son
administration épiscopale de près de quarante ans, se
montra constamment attentif aux besoins spirituels et même matériels
de ses ouailles et du pays tout entier. Il fut, par exemple, un apôtre
ardent et vigilant de l’œuvre si importante et si profitable
de la colonisation. C'est lui qui confia aux Oblats, peu après
leur arrivée au pays, les missions de la région de Bytown
(Ottawa). C'est auprès de lui que le grand colonisateur du nord
de Montréal, le curé Labelle (plus tard Mgr Labelle),
trouva aide et direction dans ses premiers labeurs de 1868 à
1876. Et c'est encore Mgr Bourget qui fut l'un des pionniers de la pénétration
des nôtres dans les Cantons de l'Est. Sur le territoire propre
de sa juridiction, dans la ville et dans les campagnes, il ajouta les
paroisses aux paroisses, et, en un peu plus de trente ans, il n'en créa
pas moins de soixante quinze. Il ne multiplia pas ainsi les centres
d'action catholique sans user de prudence et de discernement, mais on
peut écrire qu'il le fit quand même hardîment [sic]
et avec une belle confiance en la Providence. Bon nombre de ces paroisses
furent créées dans la ville, à la suite de la division
de Notre Dame, la seule et unique paroisse de Montréal jusqu'en
1866. Mgr Bourget avait été, en 1852, l'un des promoteurs
les plus zélés de la fondation de l'Université
Laval à Québec. Quelques années plus tard, pour
sauvegarder la foi ou tout au moins la formation catholique supérieure
de ses jeunes gens, enclins à prendre le chemin d'une institution
anglo protestante, il demanda à Rome l'établissement,
à Montréal, d'un autre siège universitaire, qui
a fini par s'obtenir, à peu près tel qu'il l'avait voulu,
en 1889, quatre ans après sa mort, et qui est devenu en 1919
l'Université de Montréal, complètement autonome.
Tout cela ne s'est pas fait sans difficultés, trop d'intérêts
légitimes contraires se trouvant en cause, mais cela s'est fait
et c'est d'abord grâce à lui. C'est aussi Mgr Bourget qui
a voulu et commencé en 1870 la construction de la cathédrale
actuelle sur le modèle de Saint Pierre de Rome. Même dans
l'ordre purement matériel, l'actif évêque n'hésita
pas à prendre des initiatives, entre autres celle de la fondation
de la Banque d'Epargne, qui ont été particulièrement
bienfaisantes pour le peuple. En 1867 ou 1868, c'est encore surtout
à Mgr Bourget que l'on doit ce que l'histoire appelle le "mouvement
des zouaves", qui mena à Rome, pour la défense de
Pie X, un millier de jeunes Canadiens.
Ces diverses activités n'empêchèrent pas l'illustre
évêque d'être avant tout un homme de prière
et d'oraison, qui, pratiquait les plus hautes vertus et fut en somme
un vrai saint. Il priait sans cesse et de la façon la plus édifiante,
bien que ce fût toujours sans ostentation. Il se donnait aux oeuvres
de miséricorde sans se lasser jamais. On a dit qu'il écrivait
ses mandements -- une dizaine de volumes -- à genoux, dans sa
chapelle particulière, et on l'a vu aller en personne porter
des secours aux pauvres et jusqu'à scier du bois la nuit pour
les veuves chargées de famille et dans le dénuement. L'ancien
supérieur de Saint Sulpice, M. Colin, en prononçant son
oraison funèbre à Notre Dame le 12 juin 1885, avant de
louer magnifiquement les oeuvres du grand évêque, a montré,
en termes aussi précis qu'éloquents, que, chez Mgr Bourget,
l'homme de vie intérieure et de hautes vertus avait précédé
l'homme d'action et l'expliquait. Il a parlé, notamment, de sa
foi pure, active, lumineuse, ardente ; de son esprit de religion, de
son exactitude aux moindres prescriptions liturgiques, de sa gravité
et de sa dignité au saint autel ; de sa piété aimable
et onctueuse, qui respirait et répandait la bonne odeur de Jésus
Christ, de sa confiance en Dieu, en tout et toujours inébranlable
; de son esprit de détachement et de son désintéressement,
que rien n'a jamais pu surprendre ; de sa mortification et de son humilité,
qui en faisaient un homme vraiment maître de sa chair et de son
esprit. "Mgr Bourget, c'était l'homme de Dieu, s'écriait
il dans une péroraison émouvante, qui attirait à
lui par la grandeur de ses vertus et par l'éclat de cette sainteté
qui rayonnait de sa personne, partout dans le diocèse et dans
la province, depuis de si longues années. On allait à
lui pour trouver en lui le saint évêque, pour voir en lui
le saint évêque ! Et c'est là toute l'explication
de l'incomparable prestige dont il a joui . . ."
L'histoire de Mgr Bourget, c'est celle même de Montréal
pendant près d'un demi-siècle. Il avait sans doute sa
manière à lui, qui n'était pas toujours la manière
douce. Comme tous les hommes d'action, il a pu susciter des mécontentements
et il est certain qu'il eut des contradicteurs au cours de sa longue
carrière. L'affaire de la division des paroisses dans la grande
ville et celle des difficultés universitaires entre Québec
et Montréal, pour ne parler que de celles là, furent assez
épineuses. Mais, maintenant que ces événements
sont loin et que l'apaisement s'est fait dans les esprits à leur
propos dans le recul des temps, la grande et sainte figure de Mgr Bourget
paraît de plus en plus imposante. De mieux en mieux l'on se plaît
à reconnaître que ses vues étaient droites et pures,
autant que surnaturelles d'inspiration, et que, aussi bien, il était
de ceux qui voient haut et loin.
Le 24 juin 1903, on érigeait, devant la cathédrale de
Montréal, qu'il a lui même bâtie, un superbe monument
en bronze, sur base de granit -- oeuvre du sculpteur Louis-Philippe
Hébert --, à la mémoire de Mgr Bourget. Trente
ans plus tard, en avril 1933, on vient d'inaugurer, dans la même
cathédrale, une chapelle funéraire, d'une richesse merveilleuse,
qui servira à l'inhumation des évêques et des archevêques
de Montréal, mais qu'on a voulu aménager et orner surtout
en l'honneur du grand et saint évêque dont il est ici question.
Ses restes mortels y reposent désormais dans le tombeau central.
Nombre de pèlerinages sans doute s'y orienteront, en attendant
qu'il plaise à Dieu et à sa sainte Eglise peut être
qu'on puisse l'honorer et le prier comme un bienheureux ou un saint
authentiquement et officiellement reconnu.
A l'automne de 1931, le Père Langevin, de la Compagnie de Jésus,
a publié un Mgr Ignace Bourget, qui est un récit condensé
et nécessairement incomplet, mais déjà bien édifiant
et émouvant, de la vie de l'illustre évêque. Une
histoire plus détaillée et plus complète de ce
grand et saint homme d'Eglise, qui fut un bienfaiteur de sa ville, de
sa race et de son pays, s'écrira un jour, il convient de l'espérer.
C'est un autre monument que Montréal lui doit.
J'ai connu Mgr Bourget, qu'on me permette ce souvenir trop personnel,
alors que, tout jeune, malade des yeux, je lui fus conduit, par ma bonne
et pieuse mère, à sa retraite de Sault au Récollet.
Quelle impression produisit, sur l'enfant que j'étais, ce beau
vieillard tout blanc, au frond vaste de penseur, à la figure
douce et noble, à l’œil pénétrant et
au sourire si bon ! Elle ne s'est jamais effacée dans mes souvenirs.
Aussi, comme je comprends ces mots de M. Colin, dans son oraison funèbre
de juin 1885 : "Sur le visage de ce grand et saint évêque
on croyait voir comme un reflet du ciel !"
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 9-21. |