Date Published:
15 August 2003 |
L’Encyclopédie de l’histoire
du Québec / The Quebec History Encyclopedia
M.
l'Abbé Gustave Bourassa
(1860-1904)
L'ABBE Gustave Bourassa, qui fut plusieurs années secrétaire
de l'Université Laval à Montréal et mourut curé
de Saint-Louis de France, l'un des prêtres assurément les
plus distingués de sa génération, est né
à Montebello, aujourd'hui dans le comté de Papineau, le
15 juin 1860. Son père, Napoléon Bourassa, dont la famille
était d'origine poitevine en France et de descendance acadienne
au Canada, est l'artiste et l'écrivain, bien connu dans notre
histoire, à qui nous devons de beaux livres et de belles oeuvres
architecturales et picturales. Par sa mère, née Azélie
Papineau, l'abbé Gustave était le petit-fils de Louis-Joseph
Papineau, le tribun et homme politique, qui a joué un si grand
rôle dans notre vie publique entre 1830 et 1845. Son unique frère
et son cadet de huit ans, M. Henri Bourassa, député de
Labelle, le brillant orateur et polémiste que l'on admire encore,
est aussi de ceux que l'on ne présente plus à des lecteurs
canadiens.
C'est au manoir des Papineau, construit vers 1840, dans un site superbe,
sur les bords de l'Outaouais et sur le territoire de la seigneurie de
la Petite Nation, que la famille possédait depuis 1803 —
là où est mort le célèbre Louis-Joseph en
1871 — que le futur abbé est venu au monde, à Montebello,
en 1860. Pourquoi faut-il hélas ! qu'on me permette de le dire
en passant, que ce manoir historique, vraie relique nationale, soit
devenu, en ces dernières années, le Lucerne-en-Québec
des richards en quête de distractions coûteuses ? Il semble
à beaucoup de gens qu'il y a là une sorte de profanation
qu'on aurait dû empêcher, et dont l'abbé Gustave,
en tout cas, eût été très peiné.
Les années de l'enfance et de la jeunesse de l'abbé Bourassa
s'écoulèrent à Montréal, où il étudia,
avec de remarquables succès, à l'école du Plateau
et au collège de Montréal. Après une année
de philosophie à Québec, il revint à Montréal
pour sa deuxième année et pour son temps de grand séminaire.
Un moment, il pensa à se faire jésuite et il passa quelques
mois au noviciat de Sault-au-Récollet. Définitivement,
il décida bientôt de se donner au clergé séculier,
et il fut ordonné prêtre, le 11 août 1884, par Mgr
Fabre, dans la belle chapelle de Notre-Dame de Lourdes, que son père,
Napoléon Bourassa, venait de décorer si artistement. Parti,
aussitôt après son ordination, pour aller parfaire ses
études à Rome, il y vécut trois ans, au séminaire
français de Santa Chiara, en suivant les cours du Collège
Romain, où il conquit son titre de docteur en droit canonique.
De retour à Montréal, il fut d'abord un an (1888-1889)
secrétaire de l'Université Laval, dont le vice-recteur
d'alors, l'abbé Marcoux, était un prêtre du séminaire
de Québec. C'était l'année même du décret
pontifical de février 1889 et avant l'arrivée, l'été
suivant, du vice-recteur Proulx à l'Université. De 1889
à 1894, l'abbé Bourassa exerça les fonctions de
vicaire à l'église Saint-Joseph de la rue Richmond. En
1894-1895, il fut assistant de l'abbé Verreau, principal à
l'Ecole normale Jacques-Cartier. Retourné en Europe en 1895,
il voyagea et suivit entre temps des cours de littérature à
l'Institut catholique et à la Sorbonne de Paris. J'eus l'honneur
d'être là son condisciple. A l'automne de 1896, revenu
à Montréal, il fut de nouveau nommé secrétaire
de l'Université Laval, et il occupa ce haut poste huit ans, de
1896 à 1904, sous le vice-rectorat de Mgr Racicot et sous celui
de Mgr Archambeault. En avril 1904, il devenait enfin curé de
Saint-Louis de France. Et c'est là qu'il mourut, à la
suite d'un banal accident, le 20 novembre de la même année,
à 44 ans.
Docteur en droit de Rome, docteur ès-lettres de Québec,
doyen de la faculté des lettres de Montréal, membre de
la Société Royale du Canada et de plusieurs autres sociétés
savantes, curé d'une importante paroisse dans la grande ville,
jouissant partout d'un rare prestige, et encore au midi de sa vie, il
semblait pourtant promis à un avenir qui eût été
peut-être encore plus brillant. Mais l'heure de Dieu, dont les
desseins nous restent impénétrables, avait sonné,
et il partit, plein de foi et de confiance, comme il avait vécu,
pour le voyage d'où l'on ne revient plus.
Au premier abord, l'abbé Bourassa paraissait bien un peu fier
et distant. Mais, pour qui le connaissait à fond, comme il était
vraiment bon ! De taille plus élevée que la moyenne, de
figure aristocratique et fine, les cheveux très noirs, coupés
courts, le front large, les yeux tranquilles, rayonnant sous le binocle,
le nez droit et fort, la bouche ferme avec de très belles dents,
de port noble et de manières dégagées, toujours
poli et affable, mais plutôt froid et réservé, il
y avait en lui tout ensemble du grand seigneur, de l'homme fait pour
dominer, du penseur qui réfléchit, du critique qui se
plaît à railler à ses heures, mais aussi du ministre
de l'autel qui attire, du bon prêtre qui inspire confiance et
du directeur d'âmes qui invite à la confidence.
Il aimait à discuter, mais excellait à le faire avec
élégance et cordialité. Il tenait à ses
idées, mais se montrait accueillant à celles des autres.
Un brin libéral et large de vues, il savait écouter, ce
qui n'est pas commun, et il temporisait volontiers, même avec
ceux qui l'offusquaient ou traitaient trop librement devant lui de questions
religieuses. Mais sa science éclairée protégeait
son orthodoxie, et, en dépit de sa courtoisie innée, il
ne dépassait jamais en concessions les limites permises. Avec
tous, c'était un gentilhomme et un homme de bonne compagnie.
Mais c'était également un prêtre vivant sa croyance
et soutenant ses principes, avec parfois un sourire sarcastique qui
désarmait ses contradicteurs.
Très cultivé, il parlait avec une correction parfaite,
jusque dans la plus simple conversation. En chaire où à
la tribune du conférencier, il s'exprimait posément, souvent
avec chaleur, jamais avec emportement. Son éloquence, très
réelle, était de celles qui portent la conviction dans
les âmes plutôt qu'elles ne les émeuvent. Son enseignement
était une persuasion. Sa plume, pareillement, était sans
conteste l'une des mieux taillées que nous ayons eues. Il avait
l'adresse d'écrire, comme de dire, des vérités
dures à entendre, mais utiles à ses lecteurs aussi bien
qu'à ses auditeurs, sans irriter et sans froisser personne. Et
ce n'est pas là un talent d'un mérite ordinaire.
Sa piété, qui ne se révélait peut-être
pas très expansive — en cela comme en toutes choses il
avait l'horreur de l'étalage — était pourtant solide,
inspirée par une foi très vive. « J'ai la foi d'un
charbonnier », disait-il lui-même, et, en le voyant célébrer
la sainte messe avec tant de dignité, faire ses prières
au pied de l'autel si dévotement, ou réciter modestement
son chapelet à la Vierge Marie, ses intimes n'en doutaient pas.
Et puis, surtout, ce prêtre grand seigneur, qui ne fut jamais
guère embarrassé avec les soucis d'argent, était
charitable, profondément charitable, avec une délicatesse
et une discrétion dans ses moyens d'aider les miséreux
auxquelles seuls ses assistés étaient en mesure de rendre
hommage. Chez lui, la gauche ignorait toujours ce que faisait la droite.
Il n'en était pas moins généreux, quasi jusqu'à
la prodigalité.
On a dit que, à l'Université, les étudiants le
craignaient un peu et que sa froideur apparente en éloignait
quelques-uns. Pour le juger ainsi, il fallait le juger de loin. Je pense,
au contraire, que tous ceux qui l'ont approché et l'ont connu
tel qu'il était, les étudiants comme les autres, n'ont
jamais plus oublié la grande bonté d'âme de cet
abbé élégant, qui avait au coeur l'amour du bien
et du beau, sous toutes les formes, et n'avait pas d'autre ambition
que de les répandre et de les faire aimer, autour de lui, le
plus et le mieux qu'il lui était possible.
Alors qu'il était secrétaire de l'Université,
et aussi quand il fut devenu curé de Saint-Louis de France, M.
Bourassa s'occupa, avec un rare dévouement, de la communauté
naissante des Soeurs de l'Immaculée-Conception, fondée
en juin 1902, à Notre-Dame des Neiges, à Montréal,
par Mère Marie du Saint-Esprit (née Marie-Délia
Tétreault, de Marieville). Cette oeuvre admirable groupe aujourd'hui
pas loin de cinq cents religieuses et novices, réparties en une
trentaine d'établissements, dont la bonne moitié se trouve
en Chine, au Japon et aux Philippines,
L'abbé Bourassa a laissé, dans nos revues, la Revue canadienne
par exemple, ou dans des opuscules détachés, nombre d'études
ou d'articles, supérieurement écrits, très personnels,
curieux. et intéressants, sur Mgr Bourget, sur Mère Gamelin,
sur Chauveau, ou sur les fables de Lafontaine, sur l'hôtel Rembouillet,
sur Montalembert, et d'autres encore, qu'on ne relit pas sans charme
et sans profit. Son volume de Conférences et Discours compte,
avec ceux du juge Routhier, de Mgr Paul-Eugène Roy et de M. le
sénateur Chapais, parmi les meilleurs, en ce genre, qui aient
été publiés chez nous.
Source : Abbé Elie-J. AUCLAIR, Figures canadiennes. Première
série, Montréal, éditions Albert Lévesque,
1933, 201p., pp. 168-175. |