Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Août 2005

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

Le rôle de Briand

 

[Ce texte a été écrit par l'historien Gustave LANCTOT et fut publié en 1968. Pour la référence précise, voir la fin du document.]

 

Dès le 19 mai, Carleton avait appris par une dépêche de Gage que la guerre civile avait éclaté à Lexington Green et, le lende­main, le capitaine Hazen lui avait apporté la nouvelle que les Américains, après avoir enlevé Ticondéroga et Crown Point, avaient capturé la petite garnison de Saint-Jean et la sloupe royale. Le soir du même jour, un message lui annonce encore la descente et la fuite d'Ethan Allen. Une stupéfaction doublée d'une « consternation profonde et générale », secoue le pays: Il n'existe « aucune crainte de commotions intérieures », mais on sait que la province est dégarnie de troupes, ne comptant que six ou sept cents hommes sur pied, et que, depuis la paix, les milices étaient tombées dans une complète désorganisation. (1)

Dans cette difficile impasse, le gouverneur fait partir de Qué­bec des troupes sur deux bâtiments chargés d'artillerie et de mu­nitions, avec instruction de refortifier le poste de Saint-Jean. Il envoie, de plus, un premier détachement à Sartigan, à la tête de la Chaudière, un second à Saint-François-de-Beauce, afin de garder ces deux avenues, et un troisième au fort de la Galette (Ogdens­burg) sur le Saint-Laurent. Enfin, il donne l'ordre aux garnisons de Montréal et des Trois-Rivières de passer à Saint-Jean sous le major Preston. (2) 

En même temps, fidèle à sa conviction que le Canadien con­tinue d'être le plus soumis et docile des fils à la voix de l'Eglise, Carleton obtient de Mgr Briand un mandement au sujet des ir­ruptions américaines. Ce dernier, qui avait pressenti, après le traité de Paris, que « la religion elle-même pouvait gagner » au changement de domination, (3) avait déjà, des 1768, publié une lettre circulaire, pour mettre les Canadiens en garde contre les « faux rapports » et les « frivoles espérances » qu'on semait alors parmi eux d'une reprise du pays par la France (4). Après l'Acte de Québec, et devant la menace d'une invasion, il ne pouvaitêtre question pour lui d'un moment d'hésitation. L'Eglise n'enseignait-elle pas, sans équivoque possible, l'obéissance au pouvoir établi, donc au roi de la Grande-Bretagne, représentant de l'autorité suprême. Au dix-huitième siècle, le droit civil et la coutume ne tenaient pas un langage moins absolu ni moins catégorique. De plus, l'Eglise n'avait-elle pas reçu de Londres la quasi-plénitude de la liberté religieuse ? Mgr Briand venait justement d'écrire au nonce à Paris que, dans la province, « la religion y est parfaitement libre; j'y exerce mon ministère sans contrainte, le Gouverneur m'aime et m'estime, les Anglais m'honorent. » (5) Enfin, l'évêque, qui trouvait Carleton « le plus aimable des hommes », (6) n'avait-il pas obtenu du gouverneur de maintenir les Jésuites dans leurs biens, malgré la suppression de leur ordre par l'Angleterre et la France et son abolition par le pape? (7) 

Dans de telles circonstances, lorsque le gouverneur le pria d'émettre un mandement, au lieu de la lettre circulaire qu'il proposait, l'évêque ne put refuser. D'ailleurs, il se sentait « couvert de confusion » devant l'attitude des Canadiens, qu'il cherchait à excuser de s'être laissés séduire «par les mauvais raisonnements » répandus depuis deux ans par les Britanniques eux-mêmes. Aussi s'empresse-t-il de rédiger le document, avouant qu'il n'avait eu « que depuis 11 heures jusques à deux pour faire mon mandement et le faire transcrire ». (8) 

Dans sa brièveté, ce mandement du 22 mai 1775 se révèle très habile. Il rappelle que les envahisseurs sont des « sujets révoltés contre leur légitime Souverain qui est en même temps le nôtre ». Leur but est d'entraîner les Canadiens « dans leur révolte, ou au moins de vous engager à ne pas vous opposer à leur pernicieux dessein ». Devant ces appels intéressés, l'évêque les adjure de se souvenir de « la bonté singulière et la douceur» du présent gouvernement, et surtout « des faveurs récentes dont il vient de nous combler, en nous rendant l'usage de nos lois, le libre exercice de notre religion, et en nous faisant participer à tous les privilèges et avantages des sujets britanniques ». Enfin, il leur rappelle l'essentiel précepte catholique, « vos serments, votre religion, vous imposent une obligation indispensable de défendre de tout votre pouvoir votre patrie et votre Roi ». Il termine par un discret euphémisme au sujet du service militaire. « Il ne s'agit pas de porter la guerre dans les provinces éloignées, souligne-t-il; on vous demande seulement un coup de main pour repousser l'ennemi, et empêcher l'invasion dont cette province est menacée » (9). 

Tout en posant la doctrine de l'obligation du citoyen de défendre son pays et en faisant appel à la gratitude devant les faveurs reçues, ce mandement reste, tout de même, une simple exhortation au devoir. D'accord avec le lieutenant-gouverneur Cra­mahé, Mgr Briand s'abstient de le faire publier dans la paisible région de Québec, se contentant de l'adresser aux vicariats de Montréal et des Trois-Rivières, centres de la propagande américaine. Naturellement, les citoyens de la région québécoise en eurent vite connaissance. Ils ne se gênèrent pas de le critiquer sur tous les tons, si bien que l'évêque en fut profondément chagriné. « On a dit à cette occasion, écrivait-il, mille pauvretés qui font pitié et qui supposent bien peu d'esprit de religion ». (10) 

Dans l'ardeur de sa conviction, Mgr Briand avait prié « Mrs les curés de faire leur possible pour exciter le zèle de leurs paroissiens » à l'occasion de son mandement. (11) Répondant à cette demande, le grand-vicaire de la région montréalaise, M. de Mont­golfier, qui était aussi le supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, prépara un thème de sermon qui put servir aux curés relevant de sa direction. Ce sermon présente l'intérêt de révéler les arguments du clergé en faveur de la cause gouvernementale à l'encontre de la propagande américaine. M. de Montgolfier formule une doctrine en quatre points: 1° — comme patriote, le Canadien se doit de défendre sa patrie envahie; car rester neutre, c'est se déclarer pour l'ennemi; 2° — en qualité de sujet, par son serment, le citoyen ne peut se refuser d'obéir aux ordres sans manquer à la justice et à la fidélité qu'il doit au roi qui nous conserve l'exercice de notre religion et la propriété de nos biens; 3° — comme catholiques, les Canadiens doivent montrer que la religion, qui apprend à honorer Dieu, leur enseigne aussi à obéir à leur souverain; 4° — ils le doivent, enfin, par reconnaissance au roi, qui les a si bien traités, et au gouverneur, qui a si bien défendu leur cause. M. de Montgolfier passe ensuite aux objections qu'on pourrait faire à ses exhortations. Pourquoi, dira-t-on,nous mêler d'une querelle qui ne nous regarde pas? Si la mère patrie triomphe, il ne nous en reviendra aucun avantage. Si les colonies sont victorieuses, elles tireront vengeance de notre participation. Au contraire, répond en conclusion le grand vicaire; si la mère-patrie triomphe, ne serait-elle pas en droit de vous retirer toutes ses faveurs? Rappelez-vous l'exemple des Acadiens? La prudence, la probité, la reconnaissance et la religion vous dictent également la fidélité à votre roi. (12) 

(1) Const Docts, Carleton to Dartmouth, Montreal 7 June 1775, p. 453. 

(2) Invasion du Canada, Sansguinet, p. 33. 

(3) Ferland, Mgr J. O. Plessis, Québec, 1878, p. 38. 

(4) Mandements des évêques de Québec, II, Lettre circulaire, 15 octobre 1768, pp. 213-215. 

(5) Evêché de Québec, Lettres, Vol. IV, Briand au nonce à Paris, 10 mars 1775. 

(6) Ibid., Briand à St-Onge, mai 1775. 

(7) Ibid., Briand au nonce, 10 mars 1775. 

(8) Ibid., Briand à St-Onge, mai 1775. 

(9) Mandements des Evêques de Québec, Vol. II, Mandement de Mgr Briand, 22 mai 1775, pp. 264-265. 

(10) Evêché de Québec, Lettres, Vol. IV, Briand à St-Onge, mai 1775. 

(11) Ibid., Briand à St-Onge, 4 juin 1775. 

(12) Documents Saint-Sulpice. Sermon préparé pour expliquer le mandement du 22 mai 1775. Comme on sait, les Acadiens avaient été expulsés de leurs terres, à la suite de leur refus de prêter un serment d’allégeance, qui ne les exemptait pas du service militaire contre la France.      

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Source: Gustave LANCTOT, Le Canada et la révolution américaine, 1774-1783, Montréal, Beauchemin, 1968, 330p., pp. 63-66.

 

 

 

 

 

 

 

 
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