Quebec History Marianopolis College


Date Published:
Juin 2006

L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia

 

 

L'Éducation nationale - A l'Université

(1935)

 

[Ce texte a ét rédigé par Esdras Minville en 1935.Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]

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Avec l'Université, foyer de pensée et de culture, centre de directives sociales et de formation des élites, nous touchons au sommet, à la clef de voûte de l'enseignement, donc à l'une des institutions maîtresses de la nation.

 

Au point de vue éducation nationale, l'Université peut exercer une double influence: une influence directe par ses directives et ses exemples, par ses attitudes sur les questions d'intérêt national; une influence indirecte, plus persistante et incompara­blement plus profonde, par la qualité des chefs qu'elle donne à la nation.

 

On nous fera peut-être observer tout de suite que l'Université n'est pas à proprement parler un centre d'éducation, que son rôle ne consiste pas à former les caractères, mais à compléter, en la spé­cialisant, la formation des intelligences. A cela nous répondrons: 1) si l'Université n'a pas pour mission expresse de former des hommes, elle a cependant la mission plus haute de former des chefs—ce qui implique que l'éducation, commencée au degré primaire et au degré secondaire de l'ensei­gnement, doit recevoir son couronnement au degré universitaire; 2) s'il est vrai, ainsi qu'on l'a écrit, que l'élite doit son caractère moins peut-être à son savoir qu'à son dévouement à la chose publique, le rôle de l'Université, au point de vue éducation nationale, l'emporte d'emblée sur celui de n'importe quelle autre institution.

 

Et s'il en est ainsi, nous nous croyons fondé à écrire que le premier devoir national de l'Univer­sité c'est de s'affirmer nettement, ouvertement, sans l'ombre même d'une équivoque, comme une institution nationale. En effet:

 

1) Foyer de pensée et de culture, l'Université doit incarner une doctrine.  « Le mot ‘Université’, dans son sens original, suppose que toutes les sciences y sont enseignées. Mais il implique en outre que les sciences particulières sont considérées comme les branches d'un même arbre intellectuel, rattachées au même tronc, reliées aux mêmes raci­nes, nourries par la même sève. Ce n'est pas une université qu'une collection hétéroclite de profes­seurs plongés chacun dans sa spécialité, ignorant tout de ce qui s'enseigne à côté de lui, ne prenant pas la peine de rattacher ses recherches particu­lières à une vue synthétique de tout le savoir. Une telle université, c'est la vivante incarnation de l'anarchie intellectuelle ».

 

2) Centre de directives sociales et de formation des élites, l'Université doit s'adapter strictement aux besoins de la population à qui elle a pour mis­sion expresse de donner des chefs; elle doit repro­duire en quelque sorte dans sa propre physionomie les traits distinctifs, ce par quoi se manifeste l'ori­ginalité de cette population. Elle doit donc tenir compte de la situation particulière du peuple dont elle veut ainsi exprimer les plus hautes aspirations, de ses origines, de sa vocation historique, de ses aptitudes, de ses moyens, bref de tout ce qui fait que ce peuple est ce qu'il est, de tout ce qui lui trace une voie différente de celle des autres peu­ples. Là-dessus nous avons l'exemple des plus fameuses universités du monde: anglaises, fran­çaises, allemandes et même américaines, qui, foyers de culture de rayonnement universel, n'en accusent pas moins en un vigoureux relief leurs caractères nationaux respectifs.

 

Sans une telle adaptation, l'université aura beau briller par le génie de ses professeurs et l'éclat de son enseignement, elle ne répondra jamais à la fin pour laquelle elle existe d'abord: éclairer et guider la nation, la doter d'une élite.

 

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Or notre peuple est français par l'origine et l'esprit; il est catholique par la foi religieuse. Ce sont là les deux traits saillants de sa physionomie, les deux caractères qui l'identifient, en font une entité à part dans l'ensemble de la population nord-américaine. Et ces deux caractères sont intimement liés: l'un ne saurait s'estomper et disparaître sans que l'autre en soit amoindri et compromis. Conserver notre tour d'esprit français et notre foi religieuse et progresser dans le sens de ces deux lignes maîtresses: tel est en bref tout notre problème national.

 

De plus, entité à part, notre peuple est, à cause de cela même, dans une situation à part.

 

1. Plus nombreux qu'autrefois nous formons dans la province de Québec la grande majorité de la population. Mais dans l'ensemble du pays nous ne sommes qu'une minorité et, dans l'ensemble du continent, qu'une infime, qu'une minuscule minorité. Or, les forces qui s'exercent sur nous s'amorcent en vérité des quatre coins du continent: nous devons craindre au moins autant l'infiltration américaine, que l'influence britannisante de la masse anglo-canadienne.

 

2. Plus riches que nos ancêtres, nous le sommes cependant beaucoup moins que les populations qui nous entourent. Nous continuons ainsi, aux époques de prospérité, à subir la sujétion du riche sur le moins riche, cependant qu'aux heures de crise nous sommes entraînés dans le désarroi uni­versel. Cet envoûtement et cette dépendance ont ceci de pernicieux que, dans un cas comme dans l'autre, ils énervent les forces spirituelles, notre grand, notre unique préservatif tout au long de notre histoire.

 

3. Nous avons sur les générations précédentes un immense avantage: notre situation politique s'est améliorée au point de remettre presque entiè­rement entre nos mains l'organisation et l'orienta­tion de notre vie collective. Mais, entité distincte, nous ne pouvons cependant pas nous retrancher dans des frontières nettement délimitées. Même dans la province de Québec nous devons partager notre territoire et notre autonomie législative et administrative. Il nous manque donc, pour résis­ter à la pression de l'entourage, l'inappréciable stimulant de l'indépendance totale, la puissance de redressement et de rebondissement, l'ardeur défensive et offensive que les peuples libres puisent dans la liberté elle-même.

 

On le voit, en dépit du contentement de soi, du béat optimisme qui, hélas, est la règle de haut en bas de notre société, il n'est pas de peuple au monde qui "vive plus périlleusement" que le nôtre.

 

Certes, et nous l'avons dit, nous avons des be­soins multiples et d'ordre très divers: il nous faut, par exemple, raffermir une situation économique dont la précarité va jusqu'à compromettre la sta­bilité sociale et l'influence politique du groupe. Mais qui n'admettra que l'impérieuse nécessité

de l'heure c'est, avant tout, de ressaisir et de gal­vaniser nos forces spirituelles: la foi en la culture française si tristement atteinte par l'anglomanie sous toutes ses formes; l'attachement à notre croyance religieuse si profondément ébranlée, en dépit des apparences, par les influences matéria­lisantes et avilissantes de notre milieu et de notre époque. — Forces spirituelles sans lesquelles les autres pourraient tout aussi bien se retourner contre nous, se transformer en forces de désagrégation et de déchéance. Car il ne faut cesser de le répéter: nous vivrons par l'esprit ou nous disparaîtrons.

 

Or nous le demandons: à quelle institution sinon à l'Université, centre encore une fois, de direc­tives sociales et de formation des élites, incombe-t-il de veiller sur ces forces spirituelles, d'incarner aux yeux de la multitude le prestige intellectuel fran­çais et la fidélité à la foi catholique ? D'où parti­ront les exemples et les mots d'ordre capables d'imprimer l'impulsion et l'orientation aux degrés inférieurs de l'enseignement et, par ceux-ci, à toutes les classes de la société, sinon de la tête, de l'Université ? En fait, de l'Université devrait jaillir spontanément le plus puissant acte de foi en la culture française reprise et vivifiée par l'esprit catholique, car c'est par là et par là seulement qu'elle s'affirmera elle-même et qu'elle se haussera au niveau de sa mission.

 

Mais on en conviendra: une telle adaptation de l'Université au caractère et aux besoins essentiels de notre peuple ne saurait résulter entièrement du choix des méthodes et de la langue de l'enseignement. Elle suppose bien davantage: un esprit qui donne la vie à l'institution, une certaine hiérarchie en même temps qu'une certaine orientation des divers enseignements coordonnés et ordonnés à une fin précise, bref un mode d'organisation générale où se reconnaisse la touche de notre esprit, la volonté de répondre aux besoins à la fois les plus profonds et les plus impérieux de notre peuple. Ce que l'on est en droit de chercher à l'Université, c'est d'abord une ambiance, une atmosphère qui ferait qu'un Canadien français s'y sentirait chez Oui, éprouverait en quelque sorte la sensation de se trouver dans un milieu où l'on ne se contente pas "d'apprendre des métiers et de former des spécia­listes murés dans leurs spécialités", mais où l'on tâche avant tout de former des hommes, de former des chefs. Atmosphère qui ne peut être autre chose qu'une émanation de l'esprit même de l'institution.

 

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Cela étant dit, il est facile, il nous semble, d'in­diquer dans ses grandes lignes l'organisation la plus propre à conférer à l'Université canadienne-fran­çaise sa véritable physionomie, reflet, encore une fois, de la physionomie de notre peuple lui-même.

 

En premier lieu, et sur le pied d'égalité, comme les deux maîtres-piliers de l'institution: a) une faculté des lettres qui serait, ou qui, en tout cas, tendrait de toutes ses forces à devenir le plus grand centre de langue et de littérature françaises en Amérique; b) une faculté de philosophie catholique (nous ne parlons pas de la faculté de théologie forcément inaccessible au grand public) qui, elle aussi, tâcherait de se hisser à la tête des institutions du même genre, sinon en Amérique, du moins au Canada.

 

Remarquons bien qu'en ce qui concerne la langue et la littérature françaises, nous seuls pouvons créer un tel centre d'études parce que nous seuls formons, de ce côté-ci de l'Atlantique, un groupement distinct d'origine, d'expression et d'esprit français. Nous répéterions volontiers la même chose de la philosophie catholique, sinon pour tout le continent américain, du moins pour le Canada, car les Anglo-Canadiens de foi catholique sont une minorité et n'ont pas leur université propre. Nous le pouvons et nous le devons. Nous nous le devons d'abord à nous-mêmes, il va sans dire, puisque, encore une fois, c'est par l'esprit que nous vivrons, par l'attachement à notre culture et à notre foi. Mais, nous le devons aussi — nous l'ajoutons pour ceux qui ne savent se décider en rien sans se demander ce que pensent les voisins — aux populations qui nous entourent, notamment aux Anglo-Canadiens, car ceux-ci ont jusqu'à un certain point le droit de s'attendre à ce que nous enrichissions le pays d'institutions d'enseignement qui soient autre chose qu'une caricature des leurs. Nous avons des droits au Canada, nous avons aussi des devoirs. Et le premier c'est de respecter l'engagement pris de rester nous-mêmes et de con­tribuer à notre manière et par nos ressources pro­pres au progrès de la nation. Il n'y a pas, en vérité, une seule bonne raison pour que ceux qui, non seu­lement au Canada français, mais même au Canada anglais et aux États-Unis, désirent acquérir une connaissance approfondie de la langue et de la littérature françaises et de la philosophie catholique, ne se tournent pas naturellement vers nos univer­sités comme vers les grands centres de ces deux bran­ches du savoir humain en Amérique.

 

En second lieu, le droit constitue en quelque sorte une catégorie de l'esprit français. Or, dans une Amérique vouée tout entière au Common Law, nous sommes les seuls à nous réclamer des lois civiles françaises, à ordonner notre vie confor­mément à ces lois. A la faculté des lettres et à la faculté de philosophie, s'adjoint donc tout naturel­lement une faculté de droit. Mais une faculté de droit surélevée, autre chose qu'une simple école professionnelle: un véritable centre de culture juri­dique. Ici encore, et pour les raisons déjà énumérées, nous seuls sommes en état de créer au Canada et même en Amérique un tel foyer de culture.

 

En troisième lieu, peuple jeune, peuple qui en est encore à la toute première phase de son organisa­tion, par un paradoxe comme l'histoire en présente peu d'exemples, nous sommes pourtant aux prises avec les mêmes problèmes économiques et sociaux que les peuples qui ont derrière eux huit ou dix siècles d'histoire. L'avenir nous sollicite et du même coup nous inquiète, car le présent n'est pas sans confusion. Mais en même temps, peuple catholique, nous avons pour nous guider une doc­trine sociale à la réalisation de laquelle notre propre sécurité nous commande de travailler. Greffée sur la faculté de philosophie, une école de sciences économiques, politiques et sociales s'inspirant ouver­tement de la doctrine de Rome compléterait donc, dans ses grandes lignes, l'organisation de l'Uni­versité canadienne-française. A cette école nos hommes de profession, nos hommes d'affaires, la multitude de ceux qui ont un rôle à jouer dans la société, iraient chercher un complément de cul­ture et la formation sociale dont la plupart de nos dirigeants actuels sont si désastreusement dépourvus.

 

S'il est vrai que l'Université doit incarner une doctrine et s'adapter au caractère de la popula­tion qu'elle a pour mission d'éclairer et de guider, nous ne voyons pas, en vérité, que notre Université puisse, dans les données essentielles de son orga­nisation, s'écarter beaucoup de la formule que nous venons d'énoncer sans compromettre son caractère d'Université canadienne-française. Elle ne peut se contenter de n'importe quelle doctrine ni se donner une organisation en désaccord avec le génie du peuple dont elle est censée exprimer l'âme et les plus hautes aspirations. Le succès de l'Université elle-même l'exige, et cela pour plusieurs raisons. La première—et cette considération nous paraît moins futile que d'aucuns n'affectent de le penser c'est que, chez nous, l'Université est la création d'un peuple que la fortune n'a jamais gâté et qu'elle dispose de moyens pécuniaires plus que modestes. Or les quatre facultés énumérées ci-dessus sont précisément celles dont l'organisation et l'entretien exigent le moins de déboursés. En second lieu, si l'Université canadienne-française veut s'assurer un prestige comparable à celui de n'importe quelle autre université américaine, il est clair qu'elle doit se singulariser. Et comment y parviendrait-elle sinon en s'adaptant strictement au caractère et aux besoins de notre peuple — peuple différent ? Enfin n'est-il pas désirable, pour l'Université elle-même, qu'elle apparaisse aux yeux de la multitude, pour autre chose qu'une institution de luxe, dont il serait d'autant plus facile de se passer que les universités anglo-cana­diennes, établies à nos portes et chargées de prestige, sont apparemment en état de nous rendre a moins de frais les mêmes services? D'une part, l'Université n'exercera d'action véritable que si elle se présente de telle façon que personne ne doute, de son caractère et de son esprit; d'autre part elle n'a chance de vivre et de grandir que si elle se met en état d'agir avec fruit.

 

Est-ce a dire que, dans une telle université, les autres branches du savoir seraient ignorées ou négligées ? Evidemment non, et l'enseignement professionnel: médecine, génie civil, etc., recevrait l'attention qu'il mérite. Sur l'enseignement des sciences en particulier porterait tout l'effort dont nous sommes capables, en premier lieu parce que cet enseignement est nécessaire a nos progrès de tous ordres comme peuple; en second lieu parce qu'il est indispensable au progrès même des facultés dont nous avons parlé plus haut. Nous prétendons seulement que, dans l'état actuel des choses, notre Université n'est pas en état de rivaliser dans ce domaine avec les autres universités du continent et qu'elle ne devra jamais aux sciences principalement son caractère propre d'Université canadienne-française. Le rôle qu'a notre avis — et notre avis est ici tout personnel — il conviendrait d'attribuer a la Faculté des Sciences, serait celui-ci: a) procurer au person­nel enseignant des universités, des écoles secon­daires, des écoles normales et primaires supérieu­res, la formation scientifique qui leur a trop manqué jusqu'ici: b) faciliter aux étudiants en philoso­phie, en sciences sociales, même en droit et en lettres, et, il va sans dire, en médecine, la prépara­tion scientifique dont ils ne sauraient se passer s'ils veulent pousser a fond leurs propres études; c) former les quelques techniciens et spécialistes que nos écoles professionnelles ne sauraient préparer et dont nous avons besoin, pour pratiquer, dans les administrations publiques, fonctionna­risme fédéral ou autres, la politique de la présence, et aussi, dirons-nous, pour nous préparer a une véri­table conquête économique. Mais expliquons-nous sur ce dernier point. Aussi longtemps que nous ne serons pas en état d'utiliser a notre profit les di­plômés de nos grandes écoles et que nous n'aurons pas trouvé les moyens d'orienter ces diplômés vers la création de l'entreprise personnelle, en somme vers un labeur de conquérants, nous ne voyons pas a quoi servirait la préparation de légions de techniciens dont le mieux que nous puissions attendre est qu'ils aillent nous représenter dans les entreprises étrangères. Cela peut être dit, cro­yons-nous, sans mettre en question l'utilité ou la nécessité d'un haut enseignement scientifique chez nous et sans nier pour autant les services de quelques-uns de nos hommes de sciences. Le tout n'est pas de fonder et de développer de grandes écoles ou facultés. Encore importe-t-il de savoir où elles nous mènent; si, pour le moment, elles sont destinées a nous servir ou a nous desservir.

 

Nous l'avons déjà écrit: c'est en bonne partie par son ambiance, par l'atmosphère qui y règne que l'Université agit sur les générations d'étudiants qui se succèdent dans ses murs. Et comment veut-on que cette atmosphère favorise l'éclosion et l'épanouissement du sens national dans l'âme des jeunes hommes — élite en formation — si l'Uni­versité ne s'affirme d'abord, par les- grandes lignes et les moindres détails de son organisation, par l'esprit qui anime et inspire chacun de ses mouve­ments comme une institution franchement natio­nale ? Comment veut-on que la fierté nationale s'éveille et s'épanouisse dans le coeur des étudiants, que la foi en la culture française se raffermisse dans leur esprit si par sa manière de se comporter l'Uni­versité ne donne d'abord l'exemple d'une telle fierté et d'une telle foi ? Non en vérité les méthodes et la langue de l'enseignement ne suffisent pas a créer une telle atmosphère. Il faut davantage.

 

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Le rôle de l'Université au point de vue qui nous occupe ne saurait évidemment s'arrêter au choix d'une formule d'organisation. Il faut que le reste — c'est-à-dire peut-être le plus important — procède de la même idée. Or il ne suffit pas d'enseigner ceci plutôt que cela ou ceci plus que cela; il faut que l'enseignement lui-même soit orienté vers la fin qu'on se propose: la formation d'une élite qui com­prenne son rôle et en accepte les responsabilités. Mais pour que l'élite soit véritablement a la hau­teur de sa mission, il faut qu'elle ait, avec la volonté d'agir, l'intelligence de l'oeuvre a accomplir. Autant dire que l'enseignement universitaire, de quelque spécialité qu'il s'agisse, ne peut produire tous les fruits que la société est en droit d'en attendre, s'il borne l'étudiant aux horizons de la tâche pro­fessionnelle, s'il se complaît, au point de vue na­tional, dans une prudente et débilitante neutralité. Comme il importe, au contraire, que l'enseignement converge vers les buts de la nation, qu'il se déroule autour des problèmes de tous ordres qui mettent en jeu notre avenir comme groupe! —problèmes que les étudiants d'aujourd'hui, devenus demain chefs de la collectivité, auront le devoir de résoudre.

 

Cette sorte de polarisation de l'enseignement dans bien des cas va pour ainsi dire de soi. La langue et la littérature françaises, par exemple, sont en elles-mêmes fin et moyen. Mais encore pour animer cet enseignement, lui conserver toute sa puissance éducatrice, conviendrait-il de souligner la richesse d'une littérature, la beauté et la finesse d'une langue dont on a dit qu'elles sont une des fleurs de la civilisation humaine. Nul sujet ne favorise plus naturellement l'éveil et le raffermis­sement de la foi en une culture par quoi nous som­mes ce que nous sommes, la seule par laquelle nous puissions espérer, comme individus ou comme grou­pe, atteindre au plein épanouissement de notre personnalité intellectuelle. A un autre point de vue, nous dirions volontiers la même chose de la philosophie.

 

Les autres branches de l'enseignement ne com­portent pas d'elles-mêmes une orientation aussi précise, Qu'il s'agisse de droit ou de sociologie, de sciences pures ou de sciences appliquées et de commerce, l'orientation doit résulter de l'agencement des programmes, mais surtout de la volonté des maîtres de dégager chaque fois que l'occasion s'en présente le point de vue national. Un ensei­gnement neutre, visant à meubler l'esprit sans l'orienter peut former des spécialistes, des hommes de culture et des savants, jamais des chefs so­ciaux et nationaux. Un tel enseignement peut en outre créer à l'Université l'atmosphère sans cha­leur d'un temple du savoir, jamais l'atmosphère dont nous parlions plus haut et qui, pénétrant tout l'homme, éveille et précise en lui le sens du devoir social, du devoir civique et patriotique, véritable apanage des élites. L'écolier quitte le collège où peut-être on s'est efforcé de dégager sa personnalité, de libérer l'homme de l'individu, peut-être même le patriote de l'homme. Il se dirige vers l'Université pour y acquérir le complé­ment de culture intellectuelle qui fera de lui, dans une sphère ou dans l'autre, un dirigeant. A ce complément de culture intellectuelle un complément d'éducation ne doit-il pas correspondre ? C'est donc à l'Université de lui apprendre son rôle de dirigeant, de le pénétrer de la conviction que, devenu médecin, avocat, notaire, ingénieur ou commerçant, c'est à lui qu'incombera la tâche de fournir les idées de direction, de ramener le pro­blème national à une vue totale, coordonnée. Et comment une telle conviction s'implanterait-elle dans son esprit si à l'Université un enseignement neutre, que ne traverse jamais le moindre souffle patriotique, ne le ramène sans cesse à l'as­pect national des multiples questions qui lui sont expliquées? Et cette conviction, comment les maîtres la communiqueraient-ils s'ils ne la pos­sèdent et si l'exemple de leur vie, toute de dévouement la chose publique, ne vient appuyer et confirmer leur enseignement oral?

 

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Un peuple vaut par son élite; une institution d'enseignement par son corps professoral. Autant dire que si le personnel universitaire comme groupe, et les professeurs individuellement sont convaincus ou se comportent comme s'ils avaient la convic­tion que le patriotisme, il en faut pour la masse, mais qu'un tel sentiment est indigne de l'homme de culture, l'université sera hors d'état non seulement de doter le peuple d'une élite, mais même d'exercer sur son esprit la moindre influence édu­catrice. Si au contraire ces mêmes professeurs ont une conscience nette de leur rôle et de leurs res­ponsabilités de dirigeants, leur effort tendra natu­rellement à communiquer la même conviction à leurs élèves et, par delà, à la multitude qui attend de ses chefs lumière et direction. C'est donc par eux, par leurs attitudes sur les questions de portée nationale, par leurs exemples de fidélité à l'idéal national que le public juge de l'esprit qui anime l'institution à laquelle ils sont attachés.

 

Nous le rappelions tout à l'heure, il y va bien de quelque intérêt pour l'Université que le peuple ne la regarde pas comme une institution de luxe, indifférente à ses préoccupations et à sa vie. Et ce n'est certes pas la seule qualité de centre d'étu­des professionnelles qui peut lui concilier les masses. On disait récemment que ce qui manque le plus à l'Université de Montréal, par exemple, c'est la confiance du public. Une petite enquête du côté que nous venons d'indiquer ne fournirait-elle pas un commencement d'explication à ce manque de confiance que l'on déplore si amèrement... et d'ailleurs avec tant de raison ?

 

Puisque entre le peuple et l'Université il y a partie liée, nous nous demandons pourquoi l'Université hésiterait à participer comme corps aux manifestations habituelles de la vie nationale. Nombre de problèmes se posent chez nous, problèmes inquiétants, dont nous continuons contre tout bon sens à abandonner la solution aux seuls politiciens. Et pourtant s'il est des hommes qui devraient indiquer les solutions et donner des directives par-dessus la tête des politiciens, ne sont-ce pas les universitaires? L'ont-ils tous com­pris autant que leur propre bien l'exigerait ? N'ont-ils pas plutôt tendance à se réfugier dans une hau­taine indifférence qui donne à la multitude l'im­pression qu'ils se croient étrangers à ses intérêts, à ses aspirations et à ses inquiétudes, et ne savent obéir qu'à des motifs du plus mesquin égoïsme?

 

Et puisque, ainsi qu'on aime à le redire, l'Uni­versité est une institution nationale, pourquoi par exemple ne participerait-elle pas officiellement à la célébration de la fête nationale ? Sa présence con­tribuerait à rehausser le caractère de ces manifes­tations? L'occasion serait magnifique d'ailleurs de fournir à la foule des idées propres à nourrir et à vivifier son patriotisme, à inspirer toute sa vie. Pourquoi de même négligerait-elle les occasions, hélas nombreuses, d'intervenir en faveur de la langue, des intérêts économiques, sociaux, politi­ques des Canadiens français? Par de telles initia­tives elle agirait sur l'esprit de la masse populaire et en même temps gagnerait sa confiance — ce qui ne ferait de tort ni au public ni à l'Université.

 

On a souvent proclamé la nécessité, pour nos universités, de collaborer avec les universités

anglo-canadiennes et même américaines — et nous ne nions pas l'utilité d'une telle collaboration. Mais nous croirions beaucoup plus fructueuse encore la collaboration des universités de langue française entre elles. Nous verrions avec plaisir nos uni­versités de Montréal et de Québec multiplier leurs relations, procéder sur le terrain national à des échanges de vues qui aboutiraient à la définition d'une doctrine dont elles s'inspireraient ensuite, ainsi que les institutions d'enseignement qui leur sont affiliées. Et puisque c'est l'esprit qui fléchit chez nous, pourquoi nos universités, en possession d'une doctrine nationale bien définie, n'iraient-elles pas jusqu'à organiser des cours de vacances sur l'éducation nationale — cours ouverts au public, mais préparés surtout à l'intention du personnel enseignant des écoles des degrés inférieurs? Si jamais ceux qui sont préposés à la formation de l'âme du peuple en arrivent à l'unité de pensée en tout ce qui touche aux questions nationales, le jour ne sera pas éloigné où l'indifférence dans laquelle la multitude est en voie de sombrer ne sera plus qu'un mauvais souvenir.

 

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Ce qu'il importe avant tout de ressaisir, c'est notre âme française. Avec elle tout est sauf, mais sans elle tout est perdu. Et ni la multiplication des laboratoires et des bibliothèques, ni le relèvement du niveau des études, ni les campagnes de refrancisation et d'exaltation patriotique n'y pour­ront rien. Tout cet enseignement continuera de porter à faux aussi longtemps que nous n'aurons pas tenté l'essentiel: réinstaller en nous cette âme que tant d'influences diverses ont minée et défigurée, rétablir dans l'esprit de nos classes dirigeantes, et, par elles, dans la conscience des foules la conviction que, fils de Français, c'est par la fidélité à nous-mêmes, à notre culture que nous survivrons et nous élèverons. Trop longtemps, en vérité, nous nous sommes bercés de vaines formules. Nous avons désormais besoin, impérieusement besoin, d'un enseignement qui saisisse l'âme tout entière pour la former par le dedans. Et si nos universités se refusent à la tâche, qui donc, nous le demandons, sera de taille à l'assumer ?

 

(1). F. Deschamps: « Une nouvelle université catholique en Autriche », La Vie Économique et Sociale, 15 octobre, 1934.

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Source : Esdras MINVILLE, « L’Éducation nationale – À l’université », dans l’Action nationale, Vol. V, No 5 (janvier 1935) : 5-25.

 

 
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