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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
L’assurance-chômage(1938)
[Sous le pseudonyme de Jacques Dumont, ce texte a été rédigé par Esdras Minville. Pour la référence bibliographique exacte, voir la fin du document] Retour à la page sur Esdras Minville Il se joue autour et en marge de la Commission Rowell une très grosse partie. Avec une inquiétante unanimité, les « piliers » de la finance, de l’industrie, de la politique, oubliant leur rivalité de clans, tentent de convaincre la population de la nécessité de réformer la constitution et de renforcer le pouvoir fédéral. Aujourd’hui c’est un ex-premier ministre conservateur, demain c’est un sénateur libéral; trois jours après, un ancien ministre bleu, un peu plus tard un grand banquier ou un industriel. Tous ces gens-là, bien entendu, font de la réforme de la constitution une question de dollars et cents.
Ceux d’entre nous qui croient qu’une telle question entraîne plus et mieux que des conséquences économiques feraient donc bien, non seulement de tenir l’oeil ouvert, mais d’agir, d’organiser la contre-propagande.
L’initiative la plus étonnante qui ait été prise à la même fin, c’est bien celle du gouvernement King proposant d’instituer immédiatement un système fédéral d’assurance-chômage. M. King, explique-t-on, a voulu courir au-devant du reproche qu’on lui aurait peut-être adressé de se servir de la Commission Rowell comme d’un paravent, de s’en faire un prétexte pour ajourner des tâches nécessaires. L’explication vaut ce qu’elle vaut: pas cher. L’institution de l’assurance-chômage, ayant attendu jusqu’ici, pouvait attendre encore quelques mois. Nous sommes même d’avis qu’elle pourrait attendre encore longtemps, et qu’en fait de tâches nécessaires il en est de plus pressantes et de mieux inspirées.
Nous nous demandons si cette manoeuvre n’avait pas simplement pour objet de brusquer les choses et d’ouvrir une première brèche dans la constitution et, à la faveur du précédent ainsi créé, de faire éventuellement passer ce que l’on voudrait. Le choix même de l’assurance-chômage le laisserait croire. En effet, une telle proposition a une incomparable valeur électorale. Elle était donc tout à fait propre à embarrasser les premiers ministres désireux de sauvegarder à la fois l’autonomie de leurs provinces respectives et le prestige de leur propre parti.
Chacun attendait naturellement avec beaucoup de curiosité et aussi un peu d’inquiétude la réponse de M. Duplessis. La province de Québec a, de tenir à son autonomie, des raisons qu’il est inutile de rappeler ici. L’abandon au gouvernement fédéral de la juridiction en matières sociales la priverait d’une de ses dernières prises sur l’économique. Depuis 30 ans notre province s’est dotée d’institutions uniques au Canada et qui sont l’ex-pression du particularisme à la fois ethnique et religieux de 80 p.c. de la population. Exemple: les Syndicats Catholiques et Nationaux, l’Union Catholique des Cultivateurs, groupements organisés selon l’esprit de la doctrine sociale de l’Eglise. Grâce aux instances des Syndicats, la province a inscrit dans ses statuts un faisceau de lois ouvrières d’une haute inspiration sociale et chrétienne. Exemple: la loi des syndicats professionnels et la loi d’extension juridique des conventions collectives de travail. Le syndicalisme catholique nous a ainsi rendu le service de corriger ce que notre droit civil avait de trop étroitement individualiste en introduisant dans quelques-unes des lois auxquelles il sert de fondement le point de vue social. Dans son domaine, l’Union Catholique des Cultivateurs, bien que de fondation récente, a déjà à son crédit une foule de réformes qui, pour n’avoir pas toujours la portée de celles que nous venons d’attribuer aux syndicats catholiques, n’en sont pas moins fort intéressantes. Tout cela constitue un commencement trop beau et trop prometteur pour qu’il nous soit permis d’y renoncer sous un vague prétexte d’économie.
Toute réforme politique ou sociale qui, directement ou indirectement, affecterait le régime juridique de la province de Québec ou limiterait l’influence sociale du catholicisme, atteindrait notre peuple dans deux de ses prérogatives essentielles, garanties par les lois et nécessaires à l’épanouissement normal de sa personnalité. Tel serait l’abandon au gouvernement fédéral du droit de légiférer en matières sociales. Et c’est pourquoi la province de Québec doit formellement refuser son adhésion à un pareil projet.
Heureusement la réponse de M. Duplessis a été telle qu’on s’y attendait dans les milieux où l’on connaît bien ses opinions. Depuis lors il a eu l’occasion à deux ou trois reprises de revenir sur le sujet, de réaffirmer sa décision de ne rien céder des droits de la province de Québec — tout en se déclarant disposé à collaborer avec le gouvernement fédéral dans l’intérêt de tous. Il est d’ailleurs appuyé dans son attitude par le Nouveau-Brunswick et l’Alberta — en ce qui a trait du moins à l’assurance-chômage. Nous espérons bien qu’il restera ferme sur ses positions, les seules logiques et défendables dans la province de Québec.
Il semble cependant, si l’on en croit les journaux, que le gouvernement King passera outre à l’opposition de MM. Duplessis et Dysart. Aucune attitude ne serait, à notre avis, plus dangereuse pour la Confédération. Les deux grands journaux de langue anglaise de Montréal, pourtant farouches partisans de la centralisation à Ottawa de toutes les commandes de la vie économique, n’ont pu s’empêcher de lui en donner l’avertissement. L’entendra-t-il?
La Commission Rowell continue son enquête, et l’on sait quelles propositions fantastiques les provinces de l’Ouest ont formulées. On sait également que de grands organismes comme la Chambre de Commerce canadienne, par exemple, distribuent des questionnaires conçus de façon à induire les gens à se prononcer en faveur de la centralisation à Ottawa de toutes les commandes de la vie économique et sociale. Question de piastres uniquement. On peut déjà pressentir les conclusions de l’enquête. Il est vrai d’autre part que l’entente Duplessis-Hepburn est de nature à faire réfléchir sérieusement les autorités fédérales. Il ne sera pas commode de céder trop aux pressions des centralisateurs. Mais l’entente Duplessis-Hepburn n’a porté que sur des questions économiques. Il y a le reste, et ce reste pour la province de Québec est capital.
Nous invitons donc tous les groupements nationaux à se joindre en une action concertée pour appuyer les autorités provinciales d’une part, d’autre part, pour présenter directement à la Commission Rowell les vues de la population canadienne-française, exprimer sa détermination de ne céder rien des privilèges que la constitution actuelle lui accorde.
Quant à l’assurance-chômage et autres mesures de protection ouvrière, nous n’y sommes pas opposés en principe. Mais nous croyons qu’une réadaptation de notre vie économique est nécessaire au préalable. Ce qui importe, dans un pays comme le nôtre, où tout reste à faire, c’est de créer des sources de travail en réapprenant à nos gens à vivre de l’exploitation intelligente de nos ressources. Notre vie économique a été bâtie à faux, sous l’impulsion d’une poignée de grands spéculateurs qui n’assignaient d’autre fin à leur activité que le bénéfice matériel immédiat. L’homme en tout cela n’a été qu’un vulgaire accessoire. Qu’on revienne à une conception plus humaine de la vie économique et le pays sera dispensé pour longtemps des coûteuses et toujours insuffisantes assurances sociales. Retour à la page sur Esdras Minville
Source : Jacques DUMONT (pseudonyme d’Esdras MINVILLE), « L’Assurance-chômage », dans Action nationale, Vol. XI (janvier 1938) : 56-60.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |