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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Horatio Walker(1858-1938)Troisième partie
[Ce texte a été rédigé par Paul Lavoie en 1938. Pour la référence exacte, voir la fin du document.] Et quelles connaissances sa vaste culture ne lui procurait-elle pas! Il distinguait son tempérament et celui d'autrui. Il aimait la diversité d'inspiration de ses collègues doués comme lui du don divin d'exprimer la Beauté. Les écoles d'art, nous le savons, il les avait étudiées, depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'aux cénacles les plus "up to date". D'une insatiable curiosité d'esprit, il se tenait constamment à la page. Il avait l'inquiétude quotidienne de trahir sa haute mission sociale en ne comprenant pas son temps. Il s'informait avec précision et sympathie du mouvement des idées à travers le monde. Avec quel humour ne se traitait-il pas de "old moss back"! Et avec quel sourire plein de finesse n'invitait-il pas ironiquement ses amis à le visiter pour lui "secouer la poussière des épaules" !
Et quelle amitié n'entretenait-il pas à l'égard de ses confrères canadiens chez qui il s'honorait de penser que la baguette magique des naïades des chutes Montmorency lui avait créé des émules!
Quelques-uns d'entre eux l'eussent, sans doute, approché plus souvent, s'ils n'eussent craint de le déranger. Certes, Walker défendait sa solitude. Il la savait indispensable à tout artiste qui veut produire. Mais quel honnête homme, depuis ses chers "Habitants", qu'il plaçait au-dessus de tous, jusqu'à l'artiste le plus fameux ou le plus ignore, s'est jamais vu refuser l'entrée de son studio? Et quelles causeries exquises n'avait-il pas, aux heures de détente, avec les chers amis qu'il considérait comme des frères par leur "beau métier" ou par leurs efforts soutenus pour y atteindre! Faut-il ici en faire la liste? Privilégiés, ils le furent tous, si nous n'avons pas l'avantage de pouvoir les nommer tous: les Clarence Gagnon, les Suzor Côté, les St-Charles, les Eugène HameI, les Maurice Cullen, les Charles Huot, les Rodolphe Duguay et bien d'autres. Et avec quelle sympathie ne cherchait-il pas, par des questions toujours au point, à découvrir ceux qu'il ne connaissait pas personnellement: les Ozias Leduc, les Guido Nincheri, les Octave Bélanger, les Robert Pilot, les Georges Duquette, les Gordon Pfeiffer et toute la pléiade des jeunes qui s'estompe à la ligne d'horizon de notre aurore naissante! Sa culture ne connaissait pas les oeillères et ses sentiments généreux ignoraient toute mesquinerie.
Et quel intérêt profond ne portait-il pas, redisons-le, à l'éclosion de l'Art au Canada! Il fallait voir l'enthousiasme, la compétence et le désintéressement qu'il mettait à suivre, avec une condescendance sans borne, les premiers vagissements de nos écoles des beaux-arts. Avec quelle ferveur n'en souhaitait-il pas le progrès! Avec quel patriotisme ne sacrifia-t-il pas, sans même y penser, des heures précieuses à aiguiller ceux qui eurent l'heur de le consulter! La glace était vite rompue devant la chaleur communicative de l'accueil. Son dévouement à l'éducation artistique de ses concitoyens n'eut pas de limites et s'il connut parfois la douleur de l'ingratitude inconsciente et le refroidissement de l'indifférence calculée, il eut aussi la consolation pleine d'espoirs de n'avoir pas jeté en vain la semence au sillon qu'il avait si largement ouvert. L'histoire, il faut le souhaiter, fixera la vérité sur tout cela. Résumons la haute leçon qui s'en dégage déjà en affirmant, face à la vérité, qu'Horatio Walker n'a jamais refusé un service, qu'il s'est toujours fait un point d'honneur de répondre, de toute la sincérité de son âme, à l'attente de ceux qui sollicitaient, avec ou sans arrière-pensée, sa collaboration. Combien lui en a-t-il coûté financièrement, pour assurer, par sa libre préférence, que quelques-unes de ses toiles restassent dans sa chère Province? Qui devinera, en regardant ses tableaux au Musée de Québec, l'étendue de son renoncement personnel? Qui dira à la présente génération ce que lui a coûté de patience bienveillante, de temps perdu pour l'atelier, son acceptation gratuite de la direction temporaire de l'Ecole des beaux-arts de Québec (mai-novembre 1931)? Qui saura jamais ce que lui ont coûté en monnaie courante les frais d'expédition et de réexpédition des originaux qu'il avait, naguère, signés et livrés aux Etats-Unis et qu'il voulut revoir à loisir, chez lui, afin de les mieux reproduire dans le volume L'Ile d'Orléans, publié sous les auspices de la Commission des Monuments historiques?
Qui dégagera la grande leçon d'humilité et de désintéressement que comporta son refus courtois de la direction générale des beaux-arts, que l'honorable monsieur Athanase David et monsieur Charles-Joseph Simard étaient venus lui offrir en toute discrétion, confiance et sincérité? Dévoué foncièrement à son pays d'élection, il était convaincu qu'un autre ferait mieux que lui à un poste de responsabilités aussi lourdes. Et qui dira sa douleur lorsqu'il eut, en 1931, à déplorer la perte de son ami, le sous-secrétaire provincial qu'il avait désigné de préférence à lui-même pour ces fonctions nouvelles en notre jeune pays? Et qui pourra jamais décrire, pour l'éducation de notre petite élite et l'édification de notre bon peuple, la scène, si souvent renouvelée en son studio, aux portes mêmes de Québec, de ces jurys américains qui ne voulurent pas accepter sa démission comme membre actif et toujours présent de leurs institutions d'art et qui, pendant la dernière décade de la vie du maître, venaient régulièrement, des endroits les plus éloignés de la République voisine, le consulter, s'en remettre à ses décisions, s'incliner devant sa compétence si parfaitement honnête! Horatio Walker, patriote: ses quatre vingts années de vie sont là pour prouver qu'il le fut, qu'il a voulu l'être, sans défaillance comme sans vain orgueil. Si cet artiste éminent avait conscience de sa valeur, il avait aussi la certitude sincère qu'un autre était mieux qualifié que lui, pouvait plus que lui et assurerait des résultats plus brillants et non moins solides. Son étonnement fut grand de constater le refus unanime de ses démissions américaines, lors de ses soixante et dix ans révolus. Faut-il déplorer que l'étranger ait, mieux que nous, su puiser à la corne d'abondance pour le bénéfice d'un jeune peuple qui, de par le désir de son élite, ne veut pas croupir dans l'insignifiance des stagnations inconscientes? A des regrets stériles préférons l'espoir que nos dirigeants reprendront, dans la mesure du possible, le temps perdu et qu'ils feront le nécessaire pour assurer, avant qu'il soit trop tard, la pérennité spirituelle de la mémoire de l'artiste et la permanence nationale de l'enseignement de toute sa vie.
Nous ne pouvons pas souligner ici les angoisses de Walker devant certaines erreurs commises, de bonne foi nous voulons le croire, en dehors de la logique des directives préalables qu'il avait données, à la suite de démarches prudentes qui s'étaient exercées auprès de lui. Nous n'avons pas à faire ici le procès de certaines tendances dont l'histoire de l'évolution des idées en notre jeune pays devra tenir compte. Il s'agit, et c'est tout, de présenter le moins mal possible la vraie figure d'Horatio Walker à ses compatriotes. Ses oeuvres, comme ses actes, le défendent suffisamment et il n'est pas nécessaire de mettre en relief les ombres qui ont obscurci les dernières années de sa vie; vie paisible, certes, s'il en fut, mais qui, par le seul souci du bien commun et de l'avenir de l'Art au Canada, devenait, à certaines heures de méditation rétrospective, d'une inquiétude émouvante. Horatio Walker était l'honnêteté faite homme, la modestie incarnée, la simplicité même. Sa personnalité était marquée de cette vertu essentielle qui donne la clé de toute son âme. Aussi, ne faut-il pas s'étonner que, qualité fondamentale, elle se reflète dans la moindre de ses oeuvres comme elle s'est toujours révélée dans le moindre de ses actes. Ceux qui furent ses intimes en ont goûté le charme profond, comme ils ont apprécié, aussi, l'acuité de son sens critique qui s'exerçait avec autant de délicatesse que de précision lorsqu'il s'agissait de juger ses amis sur le terrain culturel. D'une aménité parfaite, d'une culture hors pair en ce pays et d'une candeur morale inexplicable à quiconque ne pouvait pénétrer dans les arcanes de sa psychologie de grand artiste, Horatio Walker était (il faut y revenir) l'ami par excellence de nos "Habitants". Il nous reste, pour n'être pas trop incomplet et pour essayer de ne pas "faire mentir" l'hommage fervent que nous nous devons de rendre à sa mémoire, à nous rendre compte de la manière dont il les a regardés, fréquentés, aimés et dont il a fixé en ses tableaux leurs traits si humains qui passeront à la postérité. Installé pendant cinquante ans dans son atelier, construit sur le bord de la grève, au bout de la pointe de Sainte-Pétronille, face à l'amphithéâtre grandiose des hauteurs de Lévis, du promontoire de Québec, de la côte de Beaupré et des sommets ondulés des Laurentides, protégé par ce mur de "pierres du pays" qui lui donnait figure de chevalier antique enfermé dans sa noble forteresse, Horatio Walker s'identifia avec ses chers insulaires du "Royaume de Bacchus" de Jacques Cartier. C'est en cet Eldorado, qu'il a appelé "le Temple sacré des Muses" et où la vie, disait-il, est "un don des dieux", qu'il s'est toujours plu à demeurer en contact intime avec nos terriens. Il contribua, et puissamment, par sa compréhension totale et par la magnitude de son art dont ils eurent le respect intuitif, à les enraciner davantage en ces hameaux de notre glèbe qui furent le berceau du peuple canadien. Ayant fait de son "Ile Sacrée" le lieu de prédilection de ses courses à pied et a cheval, il y puisa les thèmes immortels de son inspiration toujours vivante. "L'Habitant canadien-français, disait-il volontiers, est le type le plus merveilleux qui soit au monde et je recherche son commerce de préférence à celui de n'importe qui.» Walker a véritablement vécu la vie de nos "Habitants". Il a partagé leurs joies simples et faciles, s'est associé à leurs épreuves, à leurs deuils, à tous leurs chagrins. Pour cet étranger à leurs croyances et à leurs traditions, qui devint bientôt un grand ami, un parent en quelque sorte, les gens de l'île" éprouvaient une réelle vénération. Toujours il fut accueilli avec bonheur, reçu comme chez lui sous le toit hospitalier de ceux dont il a voulu faire les compagnons de sa vie, les collaborateurs son oeuvre. Ce contact intime et continu de l'artiste avec "nos gens" a fait qu'il est devenu le grand interprète de notre vie rurale. Dans l'innombrable collection de travaux du peintre si fidèle de nos "habitants ", qui ornent les musées publics et les collections privées des Etats-Unis, du Canada et même d'Europe, nous ne savons ce qu'il faut admirer le plus de la sympathie profonde ou de l'exactitude minutieuse qu'il a apportées à faire revivre, sans les photographier, par son crayon et son pinceau les détails de la vie des gens de chez-nous. Et si Horatio Walker a su comprendre l'âme de nos pères et fixer sur la toile les moments divers de leur rude existence, son art ne s'est cependant pas figé dans la reproduction des différents aspects de la vie d'autrefois. Ses premières impressions de jeunesse, il les a constamment rafraîchies en les renouvelant au contact quotidien des gens et des choses du folklore. Son oeuvre est le miroir de la vie de "l'Habitant " d'hier et d'aujourd'hui. Retour à la page d'Horatio Walker - Back to the Horatio Walker Page
Source : Paul Lavoie, «Horatio Walker, 1858-1938. Troisième partie », dans Le Devoir, le 10 novembre 1938, p. 2. Le texte a été reformaté et les erreurs typographiques ont été corrigées. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |