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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Horatio Walker(1858-1938)
Deuxième partie
[Ce texte a été rédigé en 1938 par Paul Lavoie. Pour la référence exacte, voir la fin du document.]
Horatio Walker aborda toutes les techniques de son art: huiles, aquarelles, pastels, fusains, encres, et il les maîtrisa en d'innombrables tableaux, études, croquis traitant le portrait et les scènes pastorales d'animaux, de paysages de natures mortes. Pour qui sait comprendre et veut admettre qu'il n'est pas requis que la ressemblance photographique soit la qualité fondamentale d'une oeuvre d'art, les travaux du maître de l'Ile d'Orléans constituent plus et mieux que des jeux fantaisistes projetés sur toile polychrome. On lui a reproché en certains milieux et non sans une apparence d'acrimonie, de ne pas faire «canadien»! Nous nous interdisons de révoquer en doute la bonne foi de ces pseudo-critiques; mais comment ne pas reconnaître, sans parti pris d'ailleurs que ces réserves bien intentionnées décelaient d'ordinaire une ignorance complète de la technique du peintre et de la liaison intime de celle-ci avec son esthétique? «La technique de Walker est simple, parce qu'elle est en quelque sorte la sécrétion d'une vie simple elle-même, vécue de la même manière que celle des paysans. C'est du bon sens plein de finesse; c'est, avant tout, de l'équilibre, de la vérité saine. De l'équilibre!» (Douteau). Equilibre dans la distribution des masses, équilibre dans la précision du dessin, équilibre dans l'agencement du clair-obscur, équilibre dans l'énergie statique et le dynamisme conquérant de sa palette dont la force d'expression transcende la vérité de ses couleurs et la richesse de leur symbolisme jusqu'aux régions éthérées qui atteignent les hauteurs du sublime.
Mais comment exprimer l'inexprimable? Disons, en toute simplicité, que «le Géant Goliath de l'Art au Canada» (Guido Nincheri) use des couleurs avec discernement et qu'il n'abuse pas des contrastes violents. Le blanc de plomb, les cadmiums, toutes les ocres, la terre de Sienne brûlée, l'orange de Venise, le vert émeraude et le noir d'ivoire suffisent d'ordinaire à son métier dont la probité technique est le mérite essentiel. Le dessin exact, qualité fondamentale chez un peintre, est l'objet de toute son attention. L'artiste trace, d'ordinaire, des esquisses différentes de ses tableaux, il les laisse reposer pendant plusieurs jours, quelques semaines, quelques mois, plusieurs années même. - Ainsi son Moïse devant le Buisson ardent attendra dix-huit ans pour se développer dans une grande toile qui est un document d'histoire sainte autant qu'une oeuvre d'art. - Puis, il y revient, lorsque les muses l'y convient, afin de les étudier, de les comparer, de tracer son dessin définitif. Tel est le procédé ordinaire du maître qui nous disait un jour: «Autant d'artistes, autant de manières de faire différentes», exprimant ainsi que la liberté affranchie des routines académiques, l'initiative personnelle, le travail en profondeur de l'esprit à la recherche du vrai tel qu'il le conçoit et le ressent, est la première loi objective et la première condition subjective de l'art. («This of course, is only one way, and there are as many good ways as there are good artists»). Du soin qu'apporte Walker à préparer la base de ses tableaux, nous ne dirons rien sinon qu'il n'emploie que la «toile du pays» que lui confectionne une vieille fermière de Saint-Pierre-de-l'Ile. Il trempe dans l'eau la pièce, puis il la recouvre, à l'aide d'une lame de couteau, d'une couche de blanc de plomb. Il l'étend, ensuite, avec soin sur une surface plane pour qu'elle durcisse en séchant, pendant une année entière. Ainsi, l'huile ne pénètre pas le tissu de la toile mais adhère fortement au blanc de plomb et le tableau ne subira aucune atteinte par l'eau ou l'humidité. L'artiste avait fait une étude approfondie des tableaux des différentes écoles européennes et il s'était rendu un compte exact entre autres des détériorations des toiles de Léonard de Vinci, de sir Christopher Wren, de Munkacsy et de l'Ecole de Munich. C'est qu'aucun travail ne rebuta Horatio Walker.
Travailleur infatigable, il le fut inlassablement au cours de ses soixante ans de vie active, toutes consacrées à fixer, en des documents de rare valeur, «le geste auguste du semeur». L'amour de l'effort continu, le besoin de se remettre, chaque matin, à pied d'oeuvre, l'oubli volontaire des routines même les plus vénérables, l'application méthodique, mais non asservissante, des principes de son art, la répugnance instinctive du facile, du convenu, du chiqué, de toutes les outrances à fantaisie irraisonnée, la recherche constante du fini, l'insatisfaction de soi, la lutte héroïque pour atteindre à la perfection de ce qu'il appelait «la quatrième dimension» et où il campait dans la gloire tous les génies qu'il décorait du titre de Stars of the Galaxy : tel fut l'artiste-peintre et tel est l'enseignement qu'il laisse à ceux qui voudront se mettre à son école de travail et de probité. Plus sa réputation grandissait et plus le succès venait couronner ses efforts, mieux il travaillait. Jamais il ne se fia à sa facilité; modèle de ses chers «Habitants», toujours il bûcha, piocha le terreau, pourtant si riche, de son jardin d'esthète de la glèbe. Horatio Walker peintre, Horatio Walker technicien de son art: il faudrait un volume pour le révéler de pied en cap à ses compatriotes. Et, encore, nous en serions toujours à essayer de balbutier l'inexprimable. Que les «jeunes» qui auront le courage de suivre ses traces, comprennent le sens élevé de son oeuvre, la portée de la leçon posthume qu'elle recèle pour les générations montantes. Et que les autorités établies s'empressent, selon le voeu sincère de son très cher ami Clarence Gagnon, de faciliter le plus tôt possible la mise sur pied d'une grande rétrospective du vieux maître de l'Ile d'Orléans. Que tous, jeunes et vieux, hommes mûrs et adolescents, praticiens et amateurs, compatriotes de toutes professions et de tous métiers, intelligences à tous les niveaux, que toutes les âmes sincères méditent, afin de les bien comprendre, ces paroles que continue de leur adresser de l'Au-Delà celui qui, de tous les artistes du terroir, souhaita avec le plus de dévouement, que dis-je? avec le plus de renoncement, le progrès de l'enseignement, de la pratique, de la vie de l'Art au Canada: «J'ai parlé (disait-il lors d'une conférence à l'Ecole des Beaux-Arts de Québec, le 20 décembre 1924) de la part qui revient au génie individuel, à l'inspiration personnelle dans l'art. Cela existant au préalable, un élément accessoire, mais très important, doit s'ajouter, pour le compléter, au feu sacré qui anime, qui vivifie l'artiste: c'est la formation technique, la connaissance exacte qu'il doit avoir de son métier. Cette culture académique qui est indispensable, l'étudiant la trouve dans les écoles d'art. C'est elle qui le rendra apte à exprimer ses sentiments, à les concrétiser en quelque sorte dans la matière qu'il choisira comme médium d'expression de son émotion esthétique. C'est une vérité certaine qu'il faut à l'ouvrier d'art une connaissance telle des ressources de son métier qu'il en devienne en quelque sorte indépendant, s'en délivre, afin de pouvoir appliquer la tension de toutes ses facultés à l'expression adéquate de son idée, sans que le mode choisi de cette expression le gêne ni aucunement l'embarrasse. C'est là l'indispensable condition qui permettra au feu sacré de l'art de ne pas se consumer vainement. De même que le littérateur doit consacrer un long temps à ses études de grammaire et de syntaxe et faire preuve d'une grande persévérance pour maîtriser la langue dans laquelle il veut devenir capable d'écrire, de même que le musicien qui veut exceller dans son art - qui est la plus transcendante expression de l'âme humaine - doit apporter une patience infinie dans l'acquisition des qualités techniques qui feront de lui un maître, ainsi l'architecte, le sculpteur, le peintre et, en général, l'ouvrier de tout art proprement graphique, doit-il s'appliquer, se condamner volontairement au labeur obstiné qui fera de lui un professionnel compétent dans le domaine qui est le sien. Et cela doit s'entendre - bien qu'a un degré moindre si l'on veut - de l'amateur, du simple connaisseur désireux de compléter son éducation par la vue de larges horizons, de nouveaux et vastes champs de pensée qui, en le mettant à même de goûter le charme de la poésie des êtres et des choses, assureront l'intégrale harmonie, le parfait équilibre de sa culture intellectuelle et morale..., " (1). Citer quelques lignes de la pensée didactique de Walker suffit amplement à démontrer qu'il possédait la philosophie de son art qui s'avère d'évidence dans sa technique et qu'il s'y tenait résolument, sans parti pris comme sans fausse condescendance.
Certes, Walker ne peut être rangé dans la galerie des peintres modernes, futuristes, cubistes, dadaïstes qui sont pris du mal de la nouveauté pour le simple plaisir d'innover, peu importe pourquoi et peu importe comment. En face de ces partisans de toutes les outrances, il apparaît comme sagement traditionaliste. S'il n'éprouve, il est vrai, aucune sympathie pour les exagérations du modernisme en peinture, il apprécie cependant l'effort fait par les artistes de ces écoles nouvelles en vue d'éclairer leurs palettes par la recherche d'harmonies de couleurs qu'il a parfois qualifiées de trouvailles. Avec quelle bonhomie et quelle amitié n'a-t-il pas accueilli à son atelier et retenu à sa table des artistes modernes de la qualité de Maurice Denis, Georges Desvallières, Henri Charlier, Dom Paul Bellot, et j'en passe, qui eurent tôt fait d'entrer dans le sanctuaire de son intimité de grand esthète. Homme de son temps, Walker ne refusait à personne la liberté des préférences de chacun. Faut-il ajouter qu'il appréciait la critique, qu'il la recherchait volontiers, à condition qu'elle fût compétente, honnête, désintéressée, dépourvue de ces calculs mesquins qui, sous couvert de contributions au bien commun, décèlent parfois des arrière-pensées de gloriole personnelle ou la recherche clandestine de petits profits si confortables! C'est que pour l'honnête homme qu'était Walker, le devoir de l'artiste consistait à développer, cultiver, mûrir, faire rayonner son talent, non à l'exploiter. Un artiste qui travaille en pensant à l'argent disait-il, n'est pas un artiste, c'est un commerçant, un malaxeur de drogues, un brasseur de boue. Aussi ne s'occupait-il pas de vendre ses tableaux qu'on allait chercher à son atelier ou qu'on lui demandait dans la liberté absolue de son choix quant aux sujets d'inspiration et au temps requis pour leur facture. Walker travailla fortement mais sans entraves psychologiques ni financières, - ce lui fut un don des dieux! Et de tous les faiseurs, meneurs d' influences en coulisses, il avait une répulsion invincible. Il lui arriva même de lutter, glaive déployé, contre certains arrivistes et pique-assiettes qui, lors de la création des grands musées des Etats-Unis, essayèrent de se découper de bons fromages au détriment de l'intérêt public. Ame droite «comme l'Epée du Roy», il ne pouvait supporter qu'on ne fût à la hauteur de son diapason moral.
(1) Compte rendu dans dans Le Soleil de Québec, 22 décembre 1924. Retour à la page d'Horatio Walker - Back to the Horatio Walker Page
Source : Paul Lavoie, « Horatio Walker, 1858-1938. Deuxième partie », dans Le Devoir, le 5 novembre 1938, p. 14. Le texte a été reformaté et quelques erreurs typographiques ont été corrigées.
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© 2005
Claude Bélanger, Marianopolis College |