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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Histoire de la littérature canadienne-françaiseLe roman
[Ce texte a été publié en 1954. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du texte.]
Le roman canadien-français eut des débuts plus que modestes ; à peine peut-on constater son existence en cette période de notre histoire littéraire. Les raisons qui expliquent cette carence ne sont pas difficiles à trouver. Le roman est un genre littéraire de luxe, peut-on dire, puisqu'il a surtout pour fin de plaire et d'amuser. Or, si les amusements sont utiles, ils ne sont pas nécessaires. Et c'est la nécessité, plus encore que le goût et la vocation, qui poussait nos hommes publics à cultiver l'éloquence, nos écrivains à faire du journalisme et même à raconter l'histoire ; mais rien ne les contraignait à produire des romans. D'ailleurs, ce genre de composition exige chez celui qui s'y livre des dons nombreux et variés : imagination créatrice et féconde, sensibilité vibrante, intelligence lucide, esprit d'observation aiguë, connaissance profonde du coeur humain. Le romancier doit créer des personnages vrais et naturels, les animer, les faire vivre sons nos yeux en sorte qu'on les voie agir, qu'on les entende parler, qu'on s'identifie avec eux. Cette culture littéraire, aboutissement d'une longue formation, manquait à nos écrivains. Aussi, bien peu d'entre eux se risquèrent-ils dans cette voie difficile.
ESSAIS. — Nouvelles et récits plutôt que romans proprement dits, plusieurs sont reproduits dans l'un ou l'autre des quatre volumes du Répertoire national compilé par J. Huston : La Fille du Brigand par Eugène L'Écuyer. La Terre paternelle par Patrice Lacombe, Caroline par Amédée Papineau, Françoise Brunon par C.-V. Dupont, La Lucarne d'un vieux garçon par N. Aubin.
Ces essais n'ont pas d'originalité ; ils ne sont spécifiquement canadiens ni par la forme ni par le fond. Le style est lourd, sans précision et sans justesse ; il s'y rencontre des termes impropres, de même que beaucoup d'incorrections syntaxiques. La Terre paternelle mérite pourtant une bonne note : c'est une esquisse de moeurs canadiennes. P.-J.-O. Chauveau a voulu peindre à son tour nos coutumes et nos traditions dans son roman Charles Guérin ; mais il n'avait pas assez vécu de la vie du paysan, du cultivateur, pour en saisir tous les détails intimes ; son livre n'est qu'une ébauche, une oeuvre imparfaite, manifestation d'un talent non mûri. Par cet ouvrage, publié en 1853, Chauveau fut néanmoins le précurseur du roman de moeurs.
PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ (1814-1841), fils de l'auteur des Anciens Canadiens, publia en 1837 le premier roman canadien paru en volume : Le Chercheur de trésor ou l'Influence d'un livre. L'auteur déclare, dans la préface, qu' « il lui a fallu se contenter de peindre les hommes tels qu'ils se rencontrent dans la vie usuelle ». Cette affirmation ne correspond pas à la réalité : le héros du roman est un alchimiste ignorant et ridicule ; un second personnage est un monstre d'une cruauté bestiale ; les autres sont des figurants d'une importance nulle, sans personnalité bien définie ; il est difficile d'admettre que ce sont là « des hommes tels qu'ils se rencontrent dans la vie usuelle ». On chercherait en vain le tableau de la vie ordinaire de nos « habitants » dans les aventures racontées : meurtre commis avec une brutalité révoltante, autopsie de cadavres, chasse à des contrebandiers, visite nocturne d'une caverne ; et la plupart de ces faits s'accomplissent pendant une « tempête qui règne dans toute son horreur ».
Période de 1860-1900
C'est pendant cette période de l'histoire de notre littérature qu'apparaissent les premiers ouvrages canadiens-français auxquels on puisse attacher l'étiquette de roman. Ils forment un groupe d'une douzaine de titres environ, et presque tous s'inspirent de notre histoire : ainsi se fait sentir l'influence de notre historien national sur le mouvement littéraire de 1860. Les écrivains s'avisèrent, en lisant l'Histoire du Canada de Garneau, que nos annales sont si riches et si pleines qu'on peut les exploiter de différentes manières sans crainte de les épuiser. En marge de la grande histoire, ils découvrirent la petite : vies de personnages qui n'ont pas tenu un rôle principal, mais dont les actions eurent pourtant du retentissement sur les destinées de la nation ; détails demeurés inconnus ou inaperçus dans la vie sacrifiée de nos missionnaires on de quelques-uns de nos héros ; vieux usages et vieilles coutumes, traditions et légendes qui donnent à notre peuple sa note caractéristique et sa physionomie propre. Ce sont ces événements locaux, ces menus faits de tous les jours, « ces délicieuses histoires du peuple » (Nodier) que nos premiers romanciers ont voulu graver dans la mémoire de leurs contemporains. Aussi l'intrigue occupe-t-elle une place si minime dans leurs oeuvres qu'elle y semble un simple épisode.
Les Anciens Canadiens sont à la fois un roman historique et un roman de moeurs, tandis que Jean Rivard est plutôt un roman d'économie sociale, mais les deux agrémentés d'une idylle amoureuse. Jacques et Marie, greffé sur le fait de la dispersion des Acadiens, est aussi un roman historique ; il comporte une intrigue beaucoup plus développée que dans les deux autres. Une de perdue, deux de trouvées raconte des aventures louisianaises toutes plus terribles les unes que les autres, avec, çà et là, quelques chapitres sur la rébellion de 1837. Pour la Patrie (1895) est un roman futuriste ; il dénonce les menées occultes de la franc-maçonnerie et décrit l'état politique et religieux du Canada de 1945. Les discussions qui remplissent les pages du livre justifient l'appellation de « roman chrétien de combat » que l'auteur emploie lui-même dans l'Avant-propos. Ici encore, l'intrigue est secondaire et ne s'insère dans le récit que pour en atténuer le caractère combatif.
Les romanciers de cette époque n'ont nul souci des complications sentimentales ni des analyses psychologiques. Le style, en général, est simple et naturel ; mais il ne brille ni par la précision ni par la concision, des digressions et même de petites dissertations détournant l'esprit et ralentissant l'intérêt. Dans quelques-uns, des tableaux vivants évoquent des faits, des moeurs et des personnages réels. Presque tous sont d'une lecture agréable et méritent un bonne place dans nos bibliothèques.
PHILIPPE-AUBERT DE GASPÉ (1786-1871), né à Québec, appartenait à l'ancienne noblesse du pays. Son enfance et une bonne partie de sa vie s'écoulèrent au manoir de sa famille, à Saint-Jean-Port-Joli. Ses études terminées au Séminaire de Québec, il fit son droit et fut reçu avocat ; au bout de quelques années, il préféra à l'exercice de sa profession le poste de shérif de Québec, qui lui fut offert, ce fut pour son malheur ; cette situation favorisa son amour du plaisir et des fêtes. Entouré de nombreux amis, qui profitaient de ses libéralités, il mena une vie joyeuse et large, mêla à ses ressources personnelles celles de l'État, creusant un abîme sous ses pas. Quand il voulut se rendre compte de ses affaires, il était défalcataire de 26,000 louis, par conséquent ruiné. Ses créanciers le trouvant insolvable le firent condamner à quatre ans d'emprisonnement.
Mûri par le malheur, de Gaspé revint, après sa captivité, à son manoir de Saint-Jean-Port-Joli, comme à une douce retraite. II y coula, au milieu de sa famille, une vie simple et tranquille, bien éloignée des habitudes de luxe de sa jeunesse. Ses meilleures distractions y furent ses livres, ses souvenirs, les visites à ses chers censitaires et la contemplation de la nature.
Le mouvement littéraire inauguré par les Soirées canadiennes excita au plus haut point son intérêt. L'épigraphe de cette revue le frappa singulièrement ; c'était cette phrase égarée dans les Contes fantastiques de Charles Nodier : « Hâtons-nous de raconter les délicieuses histoires du peuple avant qu'il les ait oubliées. » La mémoire de Philippe-Aubert de Gaspé était remplie de traditions et d'histoires chères au peuple canadien ; ne devait-il pas les raconter avant de descendre dans la tombe ? Il fit appel à ses souvenirs et commença à écrire à l'âge où la plume échappe aux mains des plus rudes ouvriers de la pensée : il avait 75 ans.
Il en sortit, en 1863, un livre exquis où revit tout notre passé : Les Anciens Canadiens. Il n'y eut qu'un cri d'admiration devant la fraîcheur de l'imagination et la naïveté du style ; le roman nouveau devint tout de suite le plus populaire de nos ouvrages. Les Mémoires qui suivirent, en 1866, obtinrent un succès moins brillant, mais non moins solide, de même que le recueil intitulé Divers. C’est ainsi que la gloire auréola la vieillesse laborieuse et digne de Philippe-Aubert de Gaspé.
LES ANCIENS CANADIENS.— Jules d'Haberville et Archibald de Locheill se lient d'amitié profonde au Collège des Jésuites, à Québec, où ils font ensemble leurs études. Le premier a pour père un riche seigneur canadien. Le second est un jeune Écossais, fils d'une mère française, qu'il perdit à l'âge de quatre ans, et d'un chef de clan, mort à la bataille de Culloden, si fatale à l'indépendance de l'Écosse. Un oncle maternel, jésuite, s'est chargé de l'éducation de l'orphelin et l'a placé au Collège de Québec. Chaque année, Jules d'Haberville emmène, pour les grandes vacances, son ami Archibald au manoir paternel de Saint-Jean-Port-Joli. La famille aime de toute son âme le jeune Écossais qu'elle reçoit comme son enfant ; celui-ci la paie de retour en s'attachant à elle comme à la sienne.
Les années d'études s'écoulent. En 1757, Archibald retourne en Angleterre où il prend du service. Jules s'en va commencer en France sa carrière militaire. La guerre éclate entre l'Angleterre et la France, et l'enjeu est le Canada. Les deux amis d'autrefois se retrouvent ici sous des drapeaux ennemis. Archibald, devenu officier de l'année anglaise, forcé par des ordres souverains, incendie le manoir des d'Haberville et ravage la campagne de Saint-Jean-Port-Joli. Un mur de séparation s'élève maintenant entre lui et ses anciens bienfaiteurs; ceux-ci ne prononcent son nom qu'avec horreur.
Plusieurs années après la cession, grâce à son ami Jules, qui comprend les exigences de la guerre, Archibald recouvre les bonnes grâces des hôtes du manoir reconstruit. Il sollicite la main de Blanche, l'aimable soeur de Jules, dont il connaît depuis longtemps le mérite. Blanche refuse d'épouser celui qui incendia la maison de ses parents. « Est-ce une d'Haberville disait-elle, « qui sera la première à donner l'exemple d'un double joug aux nobles filles du Canada ? Jules épousa une jeune Anglaise et continua au manoir les traditions de sa famille. Blanche et Archibald s'aimèrent d'un amour fraternel sans unir leurs destinées.
APPRÉCIATION. — Dans ce roman, de Gaspé semble n'avoir d'autre but que de peindre les moeurs des anciens seigneurs du Canada et de leurs censitaires. Visiblement, il a emprunté ses types aux classiques, à Walter Scott en particulier ; mais ces types, il les a si bien vêtus « à la mode canadienne » qu'ils symbolisent parfaitement nos ancêtres, roture comme noblesse.
L'idylle y tient peu de place, ce n'est qu'un accessoire. L'auteur prend occasion de tout soit pour raconter les légendes et les contes populaires : les Sorciers de l'île d'Orléans, la Corriveau, Marie la sorcière, la Dîme, soit pour décrire des scènes du pays, telles que la Débâcle, un Souper chez un seigneur canadien, la Plantation du mai. Le récit regorge de verve et de naturel. Souvent une vieille chanson bien connue réveille de joyeux souvenirs.
Ce roman, le premier de notre littérature et le chef-d'oeuvre de l'époque, est aujourd'hui encore l'un de nos romans les plus estimés.
ANTOINE GÉRIN-LAJOIE (1824-1882) fréquenta l'école de son village jusqu'à l'âge de douze ans. Son curé, devinant le talent de l'enfant, poussa son père à le placer au Collège de Nicolet, s'offrant à payer, chaque année, le premier trimestre de sa pension.
Durant ses années d'études, Gérin-Lajoie composa quelques poésies. L'une est une naïve ballade, devenue la plus populaire des chansons ; tout Canadien français connaît et chante Un Canadien errant. Une deuxième est une tragédie en trois actes, intitulée Le Jeune Latour. Cette pièce renferme des scènes bien frappées ; elle fait s'agiter des passions d'une façon qui étonne chez un adolescent absolument étranger au théâtre.
Au sortir du collège, Gérin-Lajoie voulut étudier le droit ; mais sans ressources suffisantes pour payer ses études, il dut renoncer à son dessein. Plus tard, il reprit ses études de droit et fut admis au Barreau en 1848. Mais d'un caractère timide et paisible, il semblait peu fait pour les chicanes du Palais et sa scrupuleuse honnêteté lui faisait refuser la défense de bien des causes. Il s'accommoda beaucoup mieux de la charge de traducteur à l'Assemblée législative de Québec. En 1856, il devint bibliothécaire au parlement fédéral. « Par un bienfait de la Providence, écrit-il dans ses Mémoires, je me trouve précisément dans la position qui convient le mieux à mes goûts. »
A Québec, où le parlement vint se fixer en 1859, Gérin-Lajoie se joignit aux écrivains qui se préoccupaient de notre littérature; il fut l'un des fondateurs des Soirées canadiennes, puis du Foyer canadien. Sa collaboration à des revues nous valut un livre franchement régionaliste : Jean Rivard.
ROMAN A THÈSE. — Gérin-Lajoie, dans la composition de Jean Rivard, a cherché à démontrer, aux jeunes gens de sa race, qu'ils parviendront plus sûrement à la richesse et au bonheur en s'emparant du sol qu'en désertant les campagnes pour se fixer dans les villes, où ils végètent le plus souvent. C'est là ce qu'on appelle un roman à thèse. Cette vérité qu'il veut faire pénétrer dans les intelligences, l'auteur la répète, pour ainsi dire, à chaque page de son livre, en racontant la prospérité où son héros parvient graduellement à travers un grand nombre de circonstances plus ou moins heureuses ou mêmes tragiques. C'est ce récit qui doit produire la conviction dans l'âme des lecteurs et leur faire accepter les conclusions pratiques voulues par l'auteur.
Jean Rivard est surtout un roman social. L'auteur y oppose l'une à l'autre deux situations : celle du jeune citadin désoeuvré, qui gaspille sa vie et s'ennuie; celle du défricheur courageux, pour qui les journées ne sont pas assez longues et qui vit heureux au sein de la nature. Gérin-Lajoie y trouve l'occasion de traiter de l'art du défrichement et de tracer le code de l'agriculteur; par là, il compte inspirer l'amour de la terre et attirer des colons vers les plaines incultes du pays.
SUJET. — Ce roman se divise en deux parties : Jean Rivard, défricheur, Jean Rivard, économiste. Le héros créé par Gérin-Lajoie est fils d'un cultivateur. Il a commencé ses études classiques et touche à sa rhétorique lorsque son père meurt, lui laissant 50 louis et la responsabilité d'une famille. Après de mûres délibérations, le jeune homme s'en va vers la terre ; il sera colon dans les Cantons de l'Est. Que de misères, que de privations dans le rude métier de défricheur ! Rien ne le décourage.
Le succès lui sourit dès les premières moissons. Au bout de quelques années, il se construit une maison convenable et y introduit celle qu'il a choisie pour femme, Louise Routier qui égaiera et peuplera sa solitude. Des compatriotes viennent le rejoindre et s'établir autour de lui. Il est maintenant un cultivateur à l'aise.
La forêt ayant reculé devant l'intelligence et le travail de Rivard, déjà un groupe d'habitations s'est formé autour de la petite chapelle. Cette minime colonie devient une véritable paroisse dont le curé, Octave Doucet, est un ancien compagnon de collège de Jean Rivard. Le village, traversé par une voie ferrée, s'accroît en un bourg commercial, celui de Rivardville, avec Jean Rivard pour maire. Plus tard, on envoie le maire siéger au parlement, mais il n'y reste que quatre ans ; rien ne l'attire comme les travaux des champs et la vie calme au milieu des siens.
LE STYLE. — Rarement l'auteur vise à l'effet littéraire. On trouve chez lui ce bon sens, cette justesse d'idées, cette morale pure, cette élévation de pensée qu'on prise dans les auteurs du XVIIe siècle. Il ne se soucie guère des couleurs, des hardiesses et des intempérances des écrivains du XIXe siècle. Ce n'est pas qu'il dédaigne Lamartine ou Chateaubriand ; il a parfois imité leur art de peindre la nature (Description du matin à Rivardville — incendie de forêt).
L'expression de sa pensée est simple et naturelle. Il a surtout le souci du mot propre, du terme qui donne la vision directe des choses, des locutions pittoresques familières aux gens du peuple.
Gérin-Lajoie a laissé à sa mort, en manuscrit, Dix ans d'histoire du Canada (1840-1850), édité par l'abbé Casgrain. C'est l'étude la plus commode que nous ayons sur l'établissement du gouvernement responsable, à cause surtout de l'abondance des documents parlementaires qu'elle reproduit textuellement, en les reliant par un léger fil.
GEORGES DE BOUCHERVILLE (1814-1898) étudia le droit et fut reçu avocat. Sa profession ne l'empêcha pas de cultiver les lettres avec succès. Il fit paraître dans la Revue canadienne, en 1864 et 1865, un roman d'aventures intitulé Une de perdue, deux de trouvées. Ce roman, plein de récits émouvants, intéressa vivement le public et fit la réputation littéraire de l'auteur.
JOSEPH MARMETTE (1844-1895), petit-fils d'Étienne-Pascal Taché, fut nommé en 1882 archiviste du gouvernement fédéral à Paris ; c'était la réalisation d'un beau rêve. Il n'y demeura que dix-huit mois. Pendant ce court espace de temps, il parvint à cataloguer plus de 1,200 volumes concernant le Canada. A son retour au pays, il fut nommé directeur-adjoint des archives fédérales.
Joseph Marmette s'est cantonné dans le roman historique. Ses huit romans ont pour titres : Charles et Éva (1867), François de Bienville (1868), histoire du siège de Québec par Phipps ; L'Intendant Bigot (1870), faits et gestes de ce concussionnaire à l'époque la plus malheureuse de la Nouvelle-France; Le Chevalier de Mornac (1873), tableau des misères de la jeune colonie française ; La Fiancée du Rebelle (1875), récit attristé du siège de Québec par les Bostonnais en 1775 ; Le Tomahawk et l'Épée (1877), Les Machabées de la Nouvelle-France, Héroïsme et trahison (1878).
Joseph Marmette voulait faire revivre le passé de notre pays, avec ses héroïsmes et ses misères. A la vérité historique, il mêla des intrigues qui plaisent, des dialogues vifs et animés, des descriptions fidèles des moeurs et des sites canadiens. Son but patriotique fut atteint ; Marmette demeure chez nous un des maîtres du roman historique. Il a aussi laissé un volume de Récits et Souvenirs.
NAPOLÉON BOURASSA (1827-1916), artiste, a donné à l'art la meilleure part de son activité (1). Littérateur, il fut l'un des fondateurs et le premier rédacteur de la Revue canadienne. Il y publia de nombreux articles sur l'histoire et sur l'art, ainsi qu'un roman d'une réelle valeur : Jacques et Marie, épisode de la dispersion des Acadiens.
SUJET DU ROMAN. — Le récit commence en 1749, six ans avant la déportation des Acadiens. Plusieurs familles acadiennes de Grand-Pré, ne pouvant plus supporter la domination anglaise, se retirent à Beaubassin encore sous le sceptre de la France. De ce nombre se trouve la famille de Jacques Hébert, robuste garçon de vingt ans, fiancé à Marie Landry, qu'il doit épouser l'année suivante. Il part en promettant de revenir de temps à autre ; son absence dure néanmoins cinq ans. Marie, qui l'attend toujours, refuse sa main à un jeune officier anglais, George Gordon. Pendant ce temps, les deux frères de Jacques ont été tués par le capitaine Gordon, frère de George. Après la proscription du 5 septembre 1755, celui-ci écrit au père Landry et lui assure la tranquillité si le père consent à lui accorder la main de Marie. Pour sauver les jours de son père, celle-ci consent à épouser l'Anglais, mais le père Landry s'oppose à ce sacrifice. Jacques Hébert, accusé de rébellion et condamné à être fusillé sur la ferme même de Marie Landry, échappe providentiellement à la mort. II rencontre son rival à la bataille de Sainte-Foy et le tue. Puis il retrouve Marie à la Petite-Cache où il l'épouse.
APPRÉCIATION. — « Un goût sûr, beaucoup d'esprit, une science profonde des sentiments qui germent dans le coeur de l'homme remplacent, dans ce roman, la grandeur des conceptions, l'ampleur de l'intrigue et l'élévation dans le langage ... C'est un beau livre pouvant être lu par tout le monde ; il peut passer des mains de l'écolier à celles de la jeune fille » (E. Lareau).
NOUVELLE ET CHRONIQUE. — En littérature, la Nouvelle est une histoire fictive, beaucoup moins étendue que le roman ; la Chronique est une histoire vraie, générale ou particulière, rédigée dans l'ordre du temps. Elle est le premier élément de l'histoire; elle relate les événements sans se préoccuper d'y chercher l'enchaînement entre les effets et les causes. Elle se rapproche des Mémoires en ce qu'elle est généralement écrite par des témoins oculaires, contemporains des événements.
HUBERT LARUE (1833-1881) a contribué pour une large part au mouvement littéraire de 1860. Ses écrits parurent dans les Soirées canadiennes, le Foyer canadien, la Ruche littéraire, plusieurs sous le nom de plume d'Isidore de Méplats.
On cite de cet auteur : Voyage autour de l'Isle d'Orléans (1861), Chansons populaires et historiques du Canada (1863 et 1865), Voyage sentimental sur la rue Saint-Jean : départ en 1860, retour en 1880 (1879). La plupart des travaux littéraires du docteur Larue étaient restés épars jusqu'en 1870 ; il a réuni en deux volumes ceux qui avaient paru jusqu'alors, sous le titre de Mélanges historiques, littéraires et d'économie politique.
Observateur fidèle, Hubert Larue excelle surtout dans la peinture des moeurs.
JOSEPH-CHARLES TACHÉ (1821-1894) fonda et rédigea le Courrier du Canada. Commissaire du Canada à l'Exposition universelle de Paris (1855), il distribua gratuitement son Esquisse sur le Canada publiée aux frais de la province. Il y rassemble, en quelques centaines de pages, tous les renseignements intéressants sur notre pays : géographie, histoire, géologie, météorologie, productions naturelles et manufacturées, voies de communication, institutions politiques et civiles, éducation, culte, finances, arts, littérature. Par cette Esquisse et par son activité intelligente dans l'accomplissement de son mandat, Joseph-Charles Taché a popularisé le Canada en France et l'a fait aimer.
Cet auteur a beaucoup écrit et sa plume a produit chaque fois des oeuvres de mérite. Trois légendes de mon pays ou l'Évangile ignoré, l'Évangile prêché, l'Évangile accepté sont l'un de ses meilleurs ouvrages. Son étude de moeurs, Forestiers et Voyageurs, raconte les aventures pittoresques de nos « coureurs de bois » ; elle a été réimprimée en 1948.
HENRI-EDMOND FAUCHER DE SAINT-MAURICE (1844-1897) interrompit à vingt ans ses études de droit pour faire, comme volontaire, la campagne du Mexique. A partir de 1881, il se tourna vers la politique et batailla avec entrain dans le Journal de Québec, puis dans le Canadien.
L'ÉCRIVAIN. — Faucher de Saint-Maurice est l'un de nos écrivains les plus pétillants. Il se distingue par l'originalité et par une facilité qui le rend apte à réussir en plusieurs genres. Son style châtié vise à l'élégance et l'atteint le plus souvent.
Parmi ses ouvrages, quelques-uns se rattachent à son séjour au Mexique : De Québec à Mexico, Deux ans au Mexique, Notes pour servir à l'histoire de l'empereur Maximilien. D’autres ont trait au Canada : A la Veillée, A la brunante, contes et récits ; De tribord à bâbord, trois croisières dans le golfe Saint-Laurent ; En route, sept jours dans les provinces maritimes ; La Gaspésie, Promenade dans le Golfe, Choses et autres.
Faucher de Saint-Maurice, qui a visité Terre-Neuve, les États-Unis, la France, l'Italie, l'Algérie, fait connaître ses impressions de voyage dans : Loin du pays, Joies et tristesses de la mer, exploits ou naufrages de marins canadiens. Il discute avec maîtrise nos problèmes d'avenir dans Resterons-nous Français ?
ARTHUR BUIES (1840-1901) eut une jeunesse accidentée. Ses, parents allèrent se fixer dans la Guyane anglaise, le laissant tout jeune encore aux soins de deux tantes. Il s'en fut étudier à Paris malgré son père et devint soldat garibaldien en 1859. Revenu au pays et admis au Barreau en 1866, il se livra surtout au journalisme ; il fonda quelques journaux, La Lanterne notamment, où il se montra voltairien et révolutionnaire. Plus tard, ses chroniques ont fait la meilleure part de sa réputation ; incisif, plein de verve, railleur, parfois éloquent, original surtout, voilà comment il s'y révèle. Il a laissé : Chroniques, Humeurs et caprices, Petites Chroniques pour 1877.
Des écrits d'un autre genre sont inspirés par un profond amour de son pays, études monographiques sur les régions de colonisation de la province de Québec : Le Saguenay et le bassin du Lac Saint-Jean, L'Outaouais supérieur, Récits de voyages, Le Témiscouata, Le Portique des Laurentides, La Vallée de la Matapédia. « Ses monographies sont des ouvrages aussi littéraires que scientifiques et historiques : elles sont le poème du défricheur » (C.-J. Magnan).
Buies, qui a grandement aimé la langue française, a contribué à l'épurer par une brochure Anglicismes et canadianismes.
NAPOLÉON LEGENDRE (1841-1907) publia en 1872, dans l'Album de la Minerve, un roman Sabre et Scalpel. Mais ce n'était pas dans le roman qu'il devait donner la mesure de son talent ; car il manquait d'imagination et de psychologie. Il devait réussir davantage dans les nouvelles, les courtes études et chroniques écrites au fil des jours et sous le choc des événements. Il fit du journalisme en amateur presque toute sa vie.
Il a réuni la plupart de ses articles dans : A mes Enfants, Échos de Québec (2 vol.), Mélanges, prose et vers. Il a aussi publié : Notre Constitution et nos Institutions, La province de Québec et la Langue française, La Race française en Amérique, A propos de la littérature nationale, Nos écoles, Frontenac ; Les Perce-neige, premières poésies.
ERNEST GAGNON (1834-1915), qui se fit connaître surtout par son talent musical, est aussi un excellent écrivain. Avec ses articles de journaux et de revues, il a formé les Choses d'autrefois (1905). Nous avons de lui encore : Lettres de voyage, Feuilles volantes et Pages d'histoire. Le Fort et le Château Saint-Louis est une monographie qui fait défiler sous nos yeux une procession d'illustrations canadiennes : gouverneurs, gouvernantes, seigneurs féodaux, hommes d'armes, missionnaires, fondatrices d'établissements religieux. Louis Jolliet, paru en 1902 et réédité en 1946, est une très instructive monographie, écrite en un style alerte et imagé. Ce livre contient des renseignements historiques précis ; un souffle patriotique et chrétien anime chaque page.
Ernest Gagnon fit paraître en 1865 les Chansons populaires du Canada. Il voulut par là conserver à la nation canadienne des souvenirs qui divertissaient nos pères au milieu de leurs travaux comme dans leurs rares loisirs. Antoine Gérin-Lajoie disait un jour que, s'il était condamné à l'exil et qu'il eût le privilège d'emporter avec lui un seul livre, son choix tomberait sur les Chansons populaires d'Ernest Gagnon. « Mieux que tout autre », disait-il, « ce volume me rappellerait la patrie absente. »
ADOLPHE-BASILE ROUTHIER (1839-1920) a une oeuvre littéraire en prose considérable, d'inspiration variée et de style élégant.
Les Causeries du Dimanche (1871) portent sur la religion et l'histoire de l'Église. Ces causeries ont suscité des polémiques ; c'est à leur occasion que Louis Fréchette écrivit contre l'auteur ses spirituelles Lettres à Basile. Les écrits subséquents de Routhier, sans être d'une teinte religieuse aussi prononcée que les Causeries du Dimanche, révèlent toujours chez lui un homme de foi profonde. Portraits et Pastels; A travers l'Europe, 2 vol. (1881 et 1883), En canot (1881), A travers l'Espagne (1889), De Québec à Victoria (1893), La Reine Victoria et son Jubilé (1898), Québec et Lévis (1900) ; ces six derniers ouvrages renferment les souvenirs de voyage de l'auteur. Les Grands Drames, 2 vol. (1889), ouvrage de critique littéraire; De l'Homme à Dieu (1913), oeuvre d'apologétique ; Le Centurion, Paulina, romans.
Adolphe Routhier a aussi publié des poésies fugitives dans les journaux et revues ; il les a réunies en volume : Les Échos. La meilleure, celle qui suffirait à illustrer son nom, est devenue notre hymne national : O Canada, terre de nos aïeux.
ERNEST MYRAND (1854-1921) a publié Une Fête de Noël sous Jacques Cartier (1888), livre plein de saveur canadienne. L'année suivante, il fit paraître Noëls anciens de la Nouvelle-France, avec ces vers de Musset pour exergue :
« Que de jolies choses, de trouvailles curieuses, de rapprochements amusants nous valent les recherches de M. Ernest Myrand ! Ce volume d'érudition se lit comme un feuilleton, grâce à l'entrain, aux anecdotes qu'y prodigue l'auteur. C'est un véritable cours d'art comparé, d'une vie puissante, et d'un charme très prenant » (Le Correspondant de Paris).
Le Roman de 1900 à 1950
Le roman suit une progression constante au cours de cette période. Il prend de plus en plus l'allure d'un genre bien défini. L'affabulation n'est plus un simple accessoire ; elle tend à faire corps avec le sujet, ou mieux elle constitue le sujet propre, ce qui est tout bénéfice pour l'unité de l'oeuvre.
C'est surtout en ces dernières années que les productions romanesques se sont multipliées à un rythme accéléré. Leur groupement offrirait presque le panorama de la vie canadienne : gestes de nos ancêtres héroïques, des coureurs de bois, des défricheurs, des patriotes de 1837, des défenseurs de nos droits ; vie des émigrants de l'Ouest ou des États-Unis, des habitants des vieilles terres, de la société bourgeoise, du monde ouvrier ; efforts de nos industriels et de nos intellectuels.
Plusieurs de nos romanciers ont la claire vision des choses. Ils savent, en quelques coups de pinceau, brosser des portraits de chez nous et les encadrer d'une atmosphère franchement canadienne. Quelques-uns ont le coup d'oeil moins juste ; leurs décors, sans pittoresque ni relief, ne nous laissent qu'une impression vague et banale. La même remarque s'applique aux personnages : à côté d'un certain nombre d'écrivains créateurs qui animent leurs héros, les font penser, sentir, parler, agir et réagir selon les lois de la vie et du mouvement, d'autres mettent en scène non des êtres de chair et d'os, mais des pantins dont ils tirent plus ou moins habilement les ficelles.
Des romanciers — de la jeune génération pour la plupart — semblent s'être mis à la remorque de certains auteurs français pour qui les valeurs chrétiennes n'ont aucun sens. Croient-ils que seuls le péché et les bas instincts de l'homme sont matière d'art, et que l'on ne saurait faire un beau livre avec de « bons sentiments » ?
La langue de nos romanciers a gagné en correction, en pureté, en élégance. Chez quelques-uns, elle est de première qualité ; il en reste encore pourtant qui ne sont pas assez familiers avec les règles de la grammaire. On se heurte chez eux à des termes qui choquent l'oeil et dénotent pour le moins la négligence, à des phrases mal construites qui prouvent que l'on suit trop souvent la loi du moindre effort. Il arrive enfin que des romanciers, pour donner une impression plus complète de couleur locale, mettent dans la bouche de leurs personnages le langage syncopé que parlent les gens du commun. Cet usage, s'il se généralisait, propagerait une vulgarité déplaisante, contraire aux règles de l'art et du bon goût.
Somme toute, le roman canadien-français a la vente bonne ; quelques ouvrages ont eu des rééditions de plusieurs milliers d'exemplaires. D'autres sont traduits en langues étrangères. Quelques auteurs se font éditer en France. Ils suscitent ainsi à l'étranger, autour de leur oeuvre, une publicité qui profite, d'une certaine manière, à toute notre vie littéraire. Si le chef-d'oeuvre attendu d'un Canadien français n'a pas encore vu le jour, de louables efforts le préparent ; la critique se plaît à reconnaître qu'il y a progrès sensible d'un livre à l'autre.
LOUIS HÉMON (1880-1913) est un écrivain français qui passa quelques années en Angleterre avant de s'embarquer pour le Canada en 1911. A son arrivée à Québec, il fut surpris et charmé par la physionomie si française de la ville et des campagnes qui l'entourent. Il se rendit compte du parti qu'il pourrait tirer, pour un ouvrage qu'il projetait, de la survivance des traditions et coutumes françaises sur ce morceau de terre d'Amérique.
A l'été de 1912, il travaille comme « homme engagé » chez Samuel Bédard à Péribonka, dans la région du Lac-Saint-jean ; c'est là qu'il puisa la matière de son célèbre roman Maria Chapdelaine. Son manuscrit achevé, il l'expédie à sa famille en France ; mais la mort ne lui laisse pas le temps de publier son oeuvre lui-même. Elle paraît pour la première fois en 1914 dans le Temps de Paris ; l'édition canadienne date de 1916. A ce moment, Louis Hémon repose depuis trois ans dans le cimetière de Chapleau dans la province d'Ontario. Le 8 juillet 1913, parti de la gare de cette petite ville, il marchait sur la voie ferrée lorsqu'il fut frappé par un train et tué presque instantanément.
Maria Chapdelaine a été diversement apprécié chez nous. Les uns l'ont loué sans réserve ; les autres l'ont assez vertement blâmé, en considérant comme inexacte la peinture du médecin et du curé de campagne canadienne. De plus, l'expression « pays de Québec », que l'auteur emploie constamment au cours du récit, fait naître, chez le lecteur étranger, l'illusion que les paysages décrits, les existences racontées sont le tableau en raccourci de la nature et de la vie de toute notre province. Ces divergences d'opinions n'ont pourtant pas nui au succès du roman, succès immense tant en France qu'au Canada.
Ce roman est une oeuvre uniquement littéraire : c'est ce qui le met à part des productions romanesques parues avant lui. L'auteur ne veut ni dramatiser un épisode de notre histoire, ni illustrer un enseignement, ni soutenir une thèse, ni faire triompher une vérité. Il a le goût de peindre et de raconter ; il fait l'un et l'autre et ne fait que cela, comme le fleuve coule, comme l'oiseau vole.
Cet ouvrage a un autre mérite ; il prouve aux auteurs canadiens-français que les matériaux dont ils ont besoin sont à leur portée ; ils n'ont qu'à regarder pour les voir et à s'en emparer pour bâtir un roman spécifiquement canadien-français. C'est une veine bien de chez nous que Louis Hémon a su découvrir et exploiter ; il y a mis une habileté telle que la plupart des critiques ont qualifié son livre de chef-d'oeuvre.
ERNEST CHOQUETTE (1862-1941) a publié quelques romans dont « plusieurs pages sont saturées des parfums du terroir » : Les Ribaud (1898), Claude Paysan (1899), La Terre (1916). Mgr Émile Chartier, dans la Revue canadienne (octobre 1916), écrit que « le roman La Terre paraît pécher par la base. Celle-ci ne soutient pas le rêve de l'architecte ». Malgré cela, le livre a des mérites : quelques tableaux seront accrochés dans nos recueils de lectures canadiennes. Parmi ceux-là figureront la femme d'habitant, le rachat du vieux cheval, la mise en grange, les deux plaidoyers aussi éloquents l'un que l'autre de Lucas contre la terre et d'Yves pour la terre, la double visite du père de Beaumont chez le docteur Duvert et du docteur Duvert chez le père de Beaumont, la romance d'Yves. » Les Carabinades sont des souvenirs parfois épicés de l'étudiant en médecine.
PÈRE ADÉLARD DUGRÉ, s.j. a écrit un roman de moeurs, à thèse sociale et patriotique, La Campagne canadienne (1925). Cette oeuvre, dont l'action se déroule à la Pointe-du-Lac, est un éloquent plaidoyer en faveur de la fidélité au sol natal et contre le mariage mixte. Elle contient des descriptions champêtres d'un art très vrai et des évocations de la vie paysanne d'un sain réalisme. Ses mérites lui ont valu une édition en France.
CHANOINE LIONEL GROULX a publié, sous le pseudonyme Alonié de Lestres, deux romans : L'Appel de la Race (1923), Au Cap Blomidon (1932). Le premier a été l'objet de vives discussions. La thèse, développée avec vigueur, est audacieuse ; c'est l'expression de toute une doctrine nationale et l'exposé de l'un de nos plus douloureux problèmes : le mariage mixte et ses conséquences sociales. Le volume s'apparente ainsi, pour une part, à La Campagne canadienne du Père Dugré.
Au Cap Blomidon reconstitue un épisode émouvant, aux scènes parfois dramatiques, de la renaissance acadienne. L'auteur, tout vibrant de patriotisme, le raconte en cette langue chaude et colorée qui caractérise sa manière. On a reproché au héros d'avoir trop de « panache », aux personnages acadiens des traits qui sont de préférence ceux des Canadiens.
HARRY BERNARD a publié, de 1924 à 1932, une bonne demi-douzaine de romans, qui lui ont mérité son élection à la Société royale en 1943. Deux de ces ouvrages, L'Homme tombé, La Maison vide, sont des romans de moeurs qui n'ont guère de canadien que le cadre : Saint-Hyacinthe et Ottawa. La Terre vivante est un roman paysan ; certaines scènes donnent l'impression de choses vécues ; l'on y retrouve les allures de nos habitants et les coutumes villageoises. Dans La Ferme des Pins, l'auteur dramatise l'une des causes de la conquête pacifique des Cantons de l'Est par les Canadiens français sur les Loyalistes.
Ses deux oeuvres, Juana, mon aimée et Dolorès, se ressemblent à tel point qu'on les dirait construites d'après un plan uniforme. Par contre, elles diffèrent complètement des ouvrages précédents : l'intrigue amoureuse y est au premier plan et excite l'intérêt et la curiosité jusqu'au bout. Dans Juana, mon aimée, l'auteur nous présente un tableau vrai et coloré de l'Ouest canadien, de la région dite des Prairies. Dans Dolorès, c'est un coin de la forêt laurentienne qu'il se plaît à peindre. La critique reconnaît que ces deux derniers romans marquent un réel progrès sur les précédents : personnages réels et vivants, style sobre et imagé, langue correcte et bien française.
Harry Bernard a présenté (1949), en vue de l'obtention du doctorat ès lettres, une thèse de 400 pages et de haute valeur sur Le Roman régionaliste aux États-Unis (1913-1940). Dans son Avant-propos, l'auteur nous avertit que « traitant de littérature américaine, le livre que voici veut être d'abord canadien. Il fut conçu, pensé, écrit en fonction des lettres canadiennes-françaises, dans l'intention même de leur rendre service, si possible » (p. IX). Et ce service, M. Bernard le précise à la fin du volume. « Les écrivains des États-Unis nous donnent une leçon d'américanisme conscient qui invite au canadianisme conscient. Leçon d'américanisme qui s'appuie sur la décentralisation et le régionalisme, mais un régionalisme assez ample pour qu'il n'exclue pas l'humain et permette d'atteindre à l'universel » (p. 356).
ROBERT DE ROQUEBRUNE a publié Les Habits Rouges (1923), roman taillé à même l'histoire des troubles de 1837-38. D'un Océan à l'autre (1927) est, pour ainsi dire, le roman de l'irrésistible poussée de la civilisation vers l'Ouest, avec ses retards et son succès définitif ; l'auteur essaie d'y reconstituer l'épisode mémorable de la révolte des Métis. Les Dames Le Marchand (1927) racontent un drame de famille dont « l'intérêt réside dans le combat silencieux de deux femmes pour l'avenir d'un enfant ». Tous ces livres ont paru à Paris, où l'auteur a demeuré jusqu'à la guerre.
La critique canadienne est d'accord avec la critique française pour louer le style de Robert de Roquebrune.
DAMASE POTVIN est journaliste et écrivain fécond. Il a publié : Restons chez nous (1908), Le Membre (1916), roman de moeurs politiques, L'Appel de la Terre (1919), Le Français (1925), La Baie (1925), récit d'un vieux colon, Sur la Grand'Route (1926), La Mission des Ilets Jérémie (1927), récits légendaires et historiques, Le Plaisant Pays du Saguenay (1931), La Robe Noire (1932), La Rivière-à-Mars (1934), Peter McLeod (1937), Sous le Signe du Quartz — Histoire romancée des mines du nord-ouest du Québec (1940). M. Potvin est un régionaliste ; toute son oeuvre de romancier et de conteur a pour objet le royaume du Saguenay, sa petite patrie. Il l'aime d'un coeur filial, ce qui donne à ses livres un accent de fidélité et de sincérité qui attire la sympathie du lecteur. Il fait connaître l'histoire, les légendes, les beautés naturelles de cette immense région, qui vient de fêter le centenaire de sa colonisation.
Quelques-uns de ses romans et nouvelles racontent la lutte entreprise par l'homme contre la forêt pour « faire de la terre neuve ». Plusieurs contiennent des tableaux de vie rustique, des descriptions de travaux champêtres, bien observés et écrits avec vérité. On reproche à l'auteur des négligences dans la composition et la rédaction de ses ouvrages, dont la valeur littéraire se trouve ainsi diminuée.
M. Potvin a publié, en 1938, la biographie de Puyjalon, le Solitaire de l'île à la Chasse.
GEORGES BUGNET, venu de France vers 1905, habite l'Ouest canadien. Il a si bien adopté le Canada comme sa patrie qu'il parle couramment de « cette terre vaste et neuve qui est nôtre a mari usque ad mare », de « nos » grands fleuves, de « notre » littérature, de « nos » écrivains. Ses principales oeuvres d'imagination sont : Le Pin du Maskeg, paru en 1924 dans le Canada français, Le Lys de Sang, Nipsya, Siraf (1934), La Forêt (1935).
L'auteur, dans un article écrit pour le Canada français — janvier 1940 — fait connaître, à propos de son livre La Forêt, l'idée qui l'a guidé dans la composition de ses romans. En Canada, l'homme est en face d'une nature grandiose, tellement puissante et violente qu'il se trouve désarmé devant elle ; malgré toute son ambition de la dominer, il se rend bientôt compte de sa petitesse et de son impuissance. Cette opposition entre la nature « silencieuse, fermée, pleine de mystères », et l'homme qui l'aime mais n'arrive jamais à s'en rendre complètement maître, forme le principal élément de notre littérature et la différencie nettement de la littérature européenne, même de l'anglo-américaine.
Siraf n'est pourtant pas brodé sur ce canevas. Avec ce livre, on entre en plein royaume de la fantaisie, de la satire et du paradoxe. Siraf est un esprit qui vient révéler « ce qu'on pense de nous par delà la lune »: de ses conversations avec l'auteur, il ressort que la civilisation moderne n'a guère fait avancer l'humanité, parce qu'elle ne l'a rendue ni plus heureuse ni meilleure.
M. Bugnet a publié, en 1938, un volume de vers, Voix de la Solitude, y a inséré Le Pin du Maskeg, conte en prose, que l'auteur « considère encore comme son oeuvre la plus caractéristique, la plus distinctement canadienne ».
Une phrase discrètement élogieuse du R. P. Albert Saint-Pierre, o.p. apprécie avec à-propos le style de M. Bugnet : « Je me demande lequel est le plus limpide et le plus enchanteur, du sommet bleu d'une colline réfléchie par l'onde pure d'un lac ou de la manière d'écrire de M. ,Georges Bugnet. »
LÉO-PAUL DESROSIERS a publié en 1922 Âmes et Paysages, nouvelles agréables à lire, quoique deux ou trois n'aient pas de dénouement et que certains personnages soient plutôt estompés que vraiment dessinés. Il a groupé sept autres nouvelles dans Le Livre des Mystères (1936), livre un peu triste et douloureux, comme il fallait s'y attendre, puisque l'auteur nous y met en face du mystère de la vie, de l'art, de l'amour, de la mort.
Son oeuvre capitale est toutefois : Nord-Sud (1931, réédité en 1943), qui nous reporte aux années 1848-49, où ce fut « la grande pitié du Canada français ». Les Engagés du Grand-Portage nous font remonter jusque vers 1800 ; ils évoquent la vie pleine de risques et de dangers menée par les engagés des Compagnies de pelleteries. C'est peut-être le récit le plus exact de la grande aventure de la Traite au Canada. Longue épopée tragique où se rencontrent des misères de toutes sortes : faim, soif, épuisement des hommes, persécutions, révoltes, meurtres parfois. Les Opiniâtres (1941), ce sont les premiers colons de la Nouvelle-France, « soumis pendant vingt-cinq ans à un destin effroyable — les trois premières guerres iroquoises — et qui s'enracinent en attendant que la France puisse leur porter aide. Leur intrépidité relève du fonds commun de l'héroïsme colonial français ... » (page 5).
Dans son dernier roman, Sources (1942), M. Desrosiers ramène ses lecteurs à l'époque moderne. Nicole de Rencontre, l'un des principaux personnages du roman, est la lointaine descendante de Pierre et d'Ysabau, les Opiniâtres venus s'établir aux Trois-Rivières, il y a trois cents ans ; mais l'auteur laisse entrevoir cette ascendance paysanne plutôt qu'il ne la précise. Ce récit ne ressemble en rien à ce qu'on est convenu d'appeler le classique roman d'amour ou encore le roman régionaliste, bien que l'amour et la campagne canadienne en soient le thème.
Une première lecture étonne : certains incidents paraissent invraisemblables, tel le mariage de Nicole, fille d'un riche médecin de Montréal, qui devient du jour au lendemain femme d'habitant ; mais elle s'adapte si bien à la vie campagnarde qu'on finit par la croire sincère et franchement heureuse.
M. Desrosiers, surtout dans ses trois premiers romans, ne choisit pas des sujets de gracieuse fantaisie, mais d'un âpre réalisme ; il les adoucit par des descriptions pittoresques ou poétiques de la nature canadienne, par l'évocation fréquente des coutumes de nos campagnes : mouture du grain au moulin banal, brayage du lin, corvées. Les personnages sont bien campés ; certains portraits, typiques.
Dans Sources, le style, tantôt ramassé et nerveux, se moule sur les personnages ; tantôt riche, souple et abondant, il donne de la couleur aux scènes et aux travaux les plus ordinaires de la vie des champs. Et le livre se ferme sur un tableau aux traits nets et réels avec une teinte de lyrisme qui le poétise.
CLAUDE-HENRI GRIGNON a publié, en 1928, Le Secret de Lindbergh ; ce volume, débordant d'imagination et d'enthousiasme, décrit l'envolée du célèbre aviateur au-dessus de l'Atlantique. Un Homme et son péché (1933, réédité en 1935) est l'un des rares, sinon le seul roman de caractère de la littérature canadienne-française. L'Homme, c'est un riche paysan ; son péché, c'est l'avarice, mais l'avarice poussée jusqu'aux limites de l'invraisemblable. Ce vice le conduit à faire mourir sa femme tout comme, inversement, la futilité de Madame Bovary entraîne la mort de son mari médecin.
L'auteur a un style personnel, réaliste, vigoureux ; connaissant à fond la région du nord qu'il habite, il la peint, ainsi que ses habitants, avec des couleurs fortes et vraies. L'esprit se laisse emporter par le récit jusqu'au dernier mot de l'avare : « C'est moi qui brûle », cri du coeur où transparaît la monstruosité de sa passion et qui synthétise ainsi tout le livre.
M. Grignon est un rural ; il aime la terre canadienne comme une mère nourricière et il lui chante des poèmes à sa façon dans Le Déserteur (1934) qui contient six nouvelles. Toutes proclament que la vie paysanne est, en dépit de ses misères et de ses difficultés, la vie la plus saine et la plus heureuse qu'on puisse mener. Encore ici, le style est à l'unisson des faits racontés. Les narrations sont courtes, mais elles contiennent tout ce qu'il faut pour intéresser. M. Grignon fait grand usage du parler populaire et semble même y prendre un malin plaisir ; il n'en reste pas moins vrai que la belle langue française, correctement parlée et écrite, ne dépare jamais une conversation ni un livre.
RINGUET (Docteur Philippe Panneton) a publié, en 1938, un roman intitulé 30 arpents. Ce titre original semble être, par son imprécision voulue, une amorce à la curiosité du lecteur. Pour en déterminer le sens, on pourrait ajouter en sous-titre : histoire d'une famille paysanne. Car c'est bien l'histoire simple et sans relief de deux, sinon trois, générations de Moisan que l'auteur raconte tout le long de ces pages.
On chemine avec lui à travers les menus faits de la vie quotidienne. Leur monotonie finirait par ennuyer, si l'esprit n'était saisi, dès le début, par un personnage qui grandit sans cesse en importance : ce personnage, c'est la Terre, la grande maîtresse, celle à qui tout se rapporte. Les hommes qui la possèdent sont ses fidèles serviteurs ; ils ne pensent qu'à elle, ne parlent que d'elle, n'agissent que pour elle. L'auteur, qui a fait de la terre le noeud de l'action, s'applique à n'en pas détourner l'attention du lecteur ; son style tire de la glèbe sa saveur et sa richesse. Quelle abondance d'expressions heureuses, de figures et de comparaisons précises et vraies, qui font partie intégrante du sujet parce qu'elles décrivent comme lui la terre et y puisent leur sève et leur beauté !
APPRÉCIATION. — Si la langue de Ringuet est d'un artiste, celle que parlent ses paysans dépasse en incorrection toute commune mesure. On se demande quel intérêt et quelle valeur ajoutent au roman ces mots vulgaires et plus que vulgaires, ces jurons qui s'étalent à plaisir en maints endroits, certaine description et quelques détails déplaisants dont on n'a que faire. Ne manque-t-il pas aussi à la physionomie morale de ces terriens canadiens-français un trait caractéristique : le sens religieux ? Si la religion n'est pas complètement absente du roman, elle y apparaît tellement appauvrie, si bien vidée de son contenu spirituel qu'elle n'a aucun retentissement dans les âmes et qu'elle n'est plus qu'une affaire de routine. Certains personnages, entre autres le prêtre issu de la famille, s'en trouvent manqués.
Il reste pourtant que 30 arpents est une oeuvre forte, qui donne, dans l'ensemble, une idée assez juste, quoique teintée de pessimisme, de la paysannerie québécoise.
Le nouveau grand roman de Ringuet, Le Poids du four (1949), a pour personnage central « un homme, rien qu'un homme qui vit comme tous les hommes » (Jacques Tremblay, Relations, mars 1950, p. 86). L'auteur a choisi pour décors une petite ville de province. Il accompagne ensuite son héros dans la métropole et présente le tableau de la société bourgeoise où Michel Garneau s'est conquis une place. Jugé sévèrement par quelques critiques, loué par d'autres, cet ouvrage est considéré tantôt comme « un énorme effort, une immense déception » (Jean Le Moyne, Revue Dominicaine, février 1950, p. 86), tantôt comme « un authentique grand roman, et canadien » (Jacques Tremblay, Relations).
Outre ses deux ouvrages de longue haleine, Ringuet a écrit un volume de contes, L'héritage (1946) et un court roman, Fausse Monnaie (1947). Ce dernier livre, comme 30 Arpents et Le Poids du jour, met sous les yeux du lecteur une tranche de vie triste, sans véritable joie, parce qu'il y manque la présence de Dieu.
En 1943, Ringuet a fait paraître un ouvrage de vulgarisation scientifique : Un Monde était leur empire ce volume de 350 pages raconte la préhistoire du continent américain et l'histoire de ses premiers habitants.
MGR FÉLIX-ANTOINE SAVARD a écrit Menaud Maître-draveur (1937). Sur ce roman, l'auteur porte lui-même ce témoignage : « ... un petit livre à nom étrange, demi-barbare, dont bien des pages, un peu comme celles de notre destin, furent écrites par une sorte de nécessité de mon cœur, le long des rivières torrentielles de chez nous » (Le Canada français — 1939 — p. 960).
Deux phrases de Maria Chapdelaine paraissent être le leitmotiv de ce roman : « Des gens sont venus; ils ont pris presque tout le pouvoir. . . » «Ces gens sont d'une race qui ne sait pas mourir. » Le héros applique, jusqu'à son écroulement dans la folie, toute l'ardeur de ses désirs, toute la force de sa volonté, a secouer le joug de l'étranger et à « délivrer la liberté ». Il s'y applique tant qu'il semble dépasser, dans son rôle, les bornes de la vraisemblance. Si l'auteur a voulu le faire sortir ainsi de la réalité, c'est sans doute afin de lui donner valeur de symbole.
Ce livre est plus un poème qu'un roman ; les images y suscitent l'enchantement par leur nouveauté et par les visions chaudes, lumineuses et colorées, qu'elles font passer devant les yeux. Certaines pages : la mort de Joson, l'enlisement de Menaud dans la neige, pour ne citer que celles-là, sont d'une exceptionnelle beauté. L'emploi d'un vocabulaire peu familier au lecteur et le mode de composition adopté par le romancier exigent un certain effort de compréhension. C'est pourquoi il faut lire cet ouvrage plus d'une fois, si on veut le comprendre pleinement, en goûter le lyrisme, en apprécier les charmes et le mérite.
Missionnaire colonisateur en Abitibi durant un certain temps, Mgr Savard a voulu fixer dans un volume L'Abatis (1943) les souvenirs recueillis an cours des années passées aux confins du monde civilisé, sous la tente et dans les bois. ll aime, avec son cœur de prêtre, ces hommes rustiques qu'il avait recrutés un peu partout dans la province ; il veut en faire de vrais colons attachés à la terre défrichée de leurs mains.
Apôtre et patriote, Mgr Savard est en plus un écrivain de grande classe et un poète. Ces notes caractéristiques se retrouvent à chaque page de L'Abatis où il a voulu « rendre hommage à tant d'obscurs travailleurs que tout le monde affecte de méconnaître, exalter une oeuvre d'une indiscutable beauté et la plus expressive, peut-être, de notre infatigable génie français ».
Dans La Minuit (1948), Mgr Savard raconte la vie de tous les jours d'un petit groupe humain isolé dans son vallon de Saint-Basque et ignorant tout ce qui se passe par delà les montagnes et les bois qui lui barrent l'horizon. Bien que de publication récente, La Minuit n'a rien qui l'apparente au roman moderne. L'on songe plutôt à quelque chanson de geste médiévale, petite épopée charmante de simplicité et débordante de poésie.
Il y a la douce Geneviève, qui cueille des plantes médicinales avec ses enfants, Savoyane et Pivart. Il y a Corneau le tentateur. Il y a François le Bigorne, le charitable vieillard, qui « n'a que de saintes paroles », Gabriel, le mari de Geneviève, et le fils aisé qui sont aux chantiers, où ils bûchent « d'une étoile à l'autre ». Geneviève les attend pour la fête de Noël, la Minuit.
Le récit baigne dans une atmosphère chrétienne qui agit sur ces âmes frustes et leur apporte « cette grâce de Noël qui semblait étendre sur leurs biens une paix immense et définitive ». La Minuit, comme Menaud et L'Abatis, est une oeuvre d'art. On y retrouve la langue savoureuse de l'auteur, ses descriptions aux riches couleurs, la musicalité de sa prose poétique.
« Mgr Savard continue à montrer triomphalement qu'on peut faire de la littérature admirable sans le concours obligé du péché et des pires faiblesses de l'homme » (Bertrand Lombard, Revue de l'Université Laval, janvier 1949, p. 446). Son oeuvre vivra parce qu'elle fait vibrer ce qu'il y a de plus profond chez un peuple : l'âme de la race.
ANTONIN PROULX est l'auteur d'un roman psychologique de forme épistolaire, Le Coeur est le maître (1930). Ce genre de roman est difficile à réussir ; outre que les lettres sont exposées à manquer souvent de spontanéité, elles risquent d'engendrer à la longue la monotonie. De plus, dans celui-ci, l'affabulation paraît assez artificielle et sort ainsi du domaine de la vie réelle.
LAURE CONAN (1845-1924), nom de plume de Mlle Félicité Angers, ouvre au Canada français l'ère de la littérature féminine. Elle a écrit des romans : Un Amour vrai (1879), réédité en 1897 sous le titre de Larmes d'amour, Angéline de Montbrun (1884), A l'oeuvre et à l'épreuve (1891), L'Oublié (1902), La Sève immortelle ; ce dernier fut publié en 1925, après la mort de l'auteur ; de courtes monographies historiques, réunies en un volume intitulé Silhouettes canadiennes (1922), une plaquette consacrée à Elizabeth Seton, fondatrice des Soeurs de la Charité aux États-Unis ; enfin des opuscules de divers genres, dont deux en forme de journal : L'Obscure Souffrance (1919), La Vaine (1921), un autre en forme de dialogue : Si les Canadiennes le voulaient (1886). Plusieurs de ces ouvrage s'inspirent directement de l'histoire du Canada ; d'autres ont un but ou pratiotique, ou franchement moral.
APPRÉCIATION. — Laure Conan avait l'âme haute, des sentiments nobles et délicats, l'esprit cultivé, un patriotisme éclairé, ardent et actif ; tous ces traits se reflètent dans ses écrits. Les personnages qu'elle met en scène ne sont jamais ni vulgaires ni médiocres ; elle les élève à sa hauteur ; elle les pare de qualités physiques et morales avec tant d'abondance qu'on se dit que de tels exemplaires d'humanité sont exceptionnels. Elle parle beaucoup d'amour, mais en termes si raffinés que ce sentiment semble plus éthéré que terrestre. Comme on le voit, Laure Conan se forme l'image d'un monde pas toujours conforme à la réalité quotidienne.
Tout d'abord, il se dégage de ses oeuvres d'imagination une impression de profonde mélancolie. Cette impression s'atténue pourtant du fait que les personnages, par l'effet de leur esprit chrétien, comprennent peu à peu le sens de la souffrance et finissent par l'accepter, quelquefois même avec joie et amour ; ils s'établissent ainsi dans une paix sereine.
Laure Conan paraît aimer mieux décrire des états d'âme que des paysages ; toutefois, elle peint, quand elle le veut, de gracieux tableaux. Nulle part, dans ses ouvrages, on ne rencontre quoi que ce soit de choquant et de heurté. Le style limpide, harmonieux et distingué, s'adapte naturellement aux pensées pures et généreuses qu'elle exprime.
MICHELLE LE NORMAND a publié : Autour de la Maison (1916, réédité en 1930 et en 1939) ; Couleur du Temps (1919), recueil d'articles donnés aux journaux ; Le Nom dans le Bronze (1934), La plus belle Chose du Monde (1937, rééditée en 1939) ; La Maison aux Phlox (1941). Autour de la Maison est exquis ; l'auteur y ranime « d'anciennes images, des visions de son enfance ». Sans recherche ni pédantisme, elle sème à l'occasion des grains de sagesse et fait entendre la note morale et religieuse.
Le Nom dans le Bronze soulève une fois de plus le problème toujours délicat du mariage entre futurs de nationalité et de religion différentes. La plus belle Chose du Monde met en scène quatre adolescentes. Au seuil de la jeunesse, elles projettent leurs regards sur l'avenir et se posent la question que l'auteur a prise pour titre. Chacune choisit sa voie et y chemine, jusqu'à ce que le livre se ferme sans qu'on ait une réponse bien précise à l'énigme : où est le bonheur sur la terre, là où il n'y a rien d'absolu ? Ce roman, bien qu'il sorte des sentiers battus ou peut-être à cause de cela, intéresse par ses personnages si spontanés, si humains, si près de nous. Dans La Maison aux Phlox, le lecteur retrouve des billets et des nouvelles que l'auteur a signés dans quelques journaux et revues. Parce qu'elles expriment des sentiments justes et vrais, parce qu'elles sont empreintes d'esprit chrétien, ces pages susciteront longtemps un vif intérêt.
Michelle Le Normand a beaucoup d'optimisme ; elle aime la lumière ; elle chante la beauté et le bonheur de vivre. Son style est d'une simplicité et d'un naturel charmants ; sa prose court, limpide comme l'eau de la « rivière qu'elle regardait au soir du jour de sa première communion ».
GERMAINE GUÉVREMONT est l'auteur de deux romans : Le Survenant (1945) et Marie-Didace (1947). Le Survenant, héros du premier roman, est un étranger, un inconnu. Il s'impose à la famille Beauchemin par son robuste physique, son habileté manuelle, son esprit d'aventure, surtout par le mystère qui l'entoure. Il repartira au bout d'un an comme il était venu, sans avoir même dit son nom.
Marie-Didace est la suite du Survenant. Bien que le mystérieux personnage ait repris la route sans que personne sache vers quel horizon, son souvenir reste vivace au Chenal du Moine, dans la région de Sorel. La seconde femme du père Didace, l'Acayenne, qui a connu le grand-dieu-des-routes, lui conserve une présence réelle.
Vus sous un certain angle, ces deux romans peuvent être dits régionalistes, mais d'un régionalisme large qui n'exclut pas l'universel : les sentiments et les réactions des personnages, en face des conflits et des drames locaux qui les mettent aux prises sont vraiment humains. L'auteur a le don d'animer ses héros, de les plonger en plein réalisme, sans tomber dans la vulgarité. Marie-Amanda, la fille du père Didace, est une des figures les plus attachantes de ces deux romans. Charitable et compréhensive, elle pense sans cesse aux autres, pour leur rendre service, leur faire plaisir ou les consoler. Ses réponses et ses reparties, simples comme sa vie de terrienne, sont frappantes d'à-propos et de profondeur. Le portrait de la petite Marie-Didace est dessiné avec sympathie et vérité.
On ne peut lire sans émotion le récit de la mort du vieux Didace, ni non plus le dialogue qui s'établit entre Pierre-Côme et les voisins réunis à la maison Beauchemin, après les malheurs qui viennent de fondre sur la famille.
Sans mièvrerie ni lyrisme exagéré, Mme Guévremont a écrit deux ouvrages substantiels, où se reflètent fidèlement la vie paroissiale et les traditions de nos campagnes canadiennes.
GABRIELLE ROY a d'abord vécu au Manitoba, où elle a fait ses études. Venue à Montréal en 1939, elle a voulu écrire l'histoire d'une famille ouvrière. Elle a choisi le quartier de Saint-Henri pour en faire le cadre de son roman Bonheur d'occasion. Il s'agit donc de la classe besogneuse qui vit dans la banlieue surpeuplée de la grande ville.
L'intrigue est simple. Une jeune fille, Florentine Lacasse, serveuse dans un restaurant, aime un jeune ouvrier ambitieux et sans scrupule. Il abuse d'elle, puis la dédaigne et disparaît. Florentine épousera le soldat Emmanuel, qui part peu après pour l'Europe. Rose-Anna, la mère, est le personnage le plus sympathique du roman. C'est la femme du peuple, simple, dévouée, courageuse, qui travaille de toutes ses forces pour « joindre les deux bouts », et de tout son coeur, sans jamais penser à elle-même.
L'auteur, qui sait voir et écouter, a le don de traduire ce qu'elle entend et de peindre ce qu'elle voit. Aussi l'intérêt vient-il, pour une bonne part, de la description exacte et pittoresque du milieu dans lequel évoluent les personnages. Telle est cette courte scène qui anime quelques instants une rue obscure et silencieuse. « Une porte s'ouvre, un peu de clarté se répand sur le trottoir enneigé, un bruit de voix perce au loin, Le passant disparaît, la porte claque et il n'y a plus dans la rue déserte, entre le feu pâle des lampes familiales d'un côté et les sombres murailles qui bordent le canal de l'autre qu'une grande puissance nocturne.»
Bonheur d'occasion a été un événement littéraire à cause de sa valeur réelle d'abord, puis par l'unanimité des éloges que la critique lui a décernés, enfin par les distinctions honorifiques qu'il a values à son auteur. Après qu'il eut été traduit en anglais et édité à New-York sous le titre de The Tin Flute, il fut choisi comme livre du mois par une société littéraire américaine. Publié à Montréal en 1945, puis édité à Paris en 1947, il a reçu le Prix Femina, l'un des grands prix accordés à une oeuvre littéraire.
Mme Roy vient de publier un autre roman La Petite Poule d'Eau (1950). Elle y raconte, dans une première partie, l'histoire d'une famille manitobaine. La seconde partie, Le capucin de Toutes-Aides, met en relief le dévouement et la charité d'un missionnaire.
ROMANS POUR ENFANTS. — Écrire pour les enfants n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait le croire. Ce genre suppose chez l'écrivain, en plus du don littéraire, une connaissance approfondie de la psychologie enfantine, beaucoup de tact et doigté, une grande simplicité, une imagination habile à varier les sujets et, cela va de soi, un grand amour des enfants. Les petits lecteurs doivent aimer d'instinct et comprendre du premier coup les personnages que l'auteur fait vivre devant eux ; il faut qu'ils saisissent d'eux-mêmes la leçon de religion, de morale, de patriotisme ou autre, qui se dégage du récit.
Depuis près de trente ans, bon nombre d'auteurs, sans se livrer exclusivement à la littérature pour enfants, ont néanmoins publié plusieurs ouvrages pour les jeunes. Ces écrivains ont fait oeuvre excellente.
En 1948, Mlle Béatrice Clément a fondé l'« Association des Écrivains pour enfants ». Cette Association s'est assigné un double but : 1° multiplier les livres écrits pour la jeunesse canadienne ; 2° encourager et aider de façon pratique les écrivains canadiens de livres pour les jeunes. Les « Éditions Jeunesse » sont l'une de ses premières initiatives et non la moindre.
A l'heure actuelle (1950), une trentaine de nos écrivains consacrent leur temps et leurs talents à l'enfance. Leurs oeuvres, dont quelques-unes sont des modèles du genre, sont variées de fond et de forme, en sorte que tous les goûts y trouvent leur compte.
MLLE MARIE-CLAIRE DAVELUY fut certainement l'une des pionnières parmi les auteurs qui ont travaillé à intéresser les petits Canadiens. Avant leur publication en volume, ses ouvrages avaient paru par tranches dans la revue L'Oiseau Bleu : Les Aventures de Perrine et de Charlot, Le Filleul du Roi Grolo, Sur les Ailes de l'Oiseau Bleu, Une Révolte au Pays des Fées, Perrine et Charlot à Ville-Marie, La Captivité de Charlot, Charlot à la Mission des Martyrs, L'Idylle de Charlot, Le Richelieu héroïque, Michel et Josephte, Le Mariage de Josephte Précourt.
Ces ouvrages se classent en deux catégories. Les uns nous font voyager « à travers les nombreuses et belles régions enchantées » où vivent les fées, les bons et mauvais génies, les gnomes, les sorciers, toute la gent merveilleuse en un mot. Les autres nous racontent les aventures de quelques petits personnages que l'auteur fait vivre à certaines époques dramatiques de notre histoire. Ces contes, tout comme les voyages romancés, sont écrits en une langue correcte et souple, en un style simple et élégant, avec le respect de la vérité historique ou du moins de la vraisemblance.
L'auteur ne se substitue jamais à ses personnages ; elle les laisse parler et agir selon leur tempérament, leur caractère et les circonstances où ils se trouvent placés. Les petits lecteurs tirent eux-mêmes les conséquences des faits et gestes des héros. La lecture de ces livres leur procure ainsi des avantages de toutes sortes.
Mlle Daveluy a aussi fait oeuvre d'historien. Désireuse de mettre en lumière le rôle joué par la femme, et notamment par la religieuse, dans l'histoire du Canada, elle a réuni en volume une série de courtes monographies : Dix fondatrices canadiennes (1925) ; d'autres sont éparses dans la revue L'Action française. Mais c'est surtout sa biographie de Jeanne Mance (1934), volume compact de plus de 400 pages, qui consacre sa réputation d'historien consciencieux.
Ajoutons à cette liste : L'Orphelinat catholique de Montréal — Édition du Centenaire (1933), récit émouvant où se retrouve la soucieuse exactitude des détails qui distingue l'auteur.
MAXINE a, elle aussi, largement contribué à l'enrichissement des bibliothèques enfantines. Elle a publié : Fées de la Terre canadienne (1928), Le Petit Page de Frontenac (1930), Les Orphelins de Grand-Pré (1931), Jean la Tourte (1932), La Fée des Castors (1933), Le Pêcheur d'Éperlan (1933), L'Orge de Niagara (1933), Les Trois Fées du Bois d'Épinette (1936), Le Vendeur de Paniers (1936), La Cache aux Canots (1938), L'Aiglon Blanc les Illinois (1939), Le Saut du Gouffre (1940).
Ces volumes exploitent des filons divers de forme et de matière. Ce qui fait leur unité, c'est le but poursuivi par l'auteur : faire connaître aux petits Canadiens français leur vaste pays, avec ses légendes, son histoire, ses héros, ses abondantes ressources minérales, végétales et animales.
Quelques autres écrivains ont publié de ces contes et récits destinés aux enfants :
L'abbé J.-G. Gélinas : En veillant avec les petits de chez nous (1919)
Claude Melançon : Par Terre et par Eau (1928), Charmants voisins
Marie-Rose Turcot : Le Carrousel (1928), Au Pays des Géants et des Fées (1937)
Marie-Louise d'Auteuil : Les Mémoires d'une Souris canadienne (1932), Le Serment de Jacques (1932)
Fadette : Contes de la Lune (1932)
Marjolaine : Contes pour Enfants canadiens, Au Coin du Feu, En veillant (1931) Un Frère Mariste : Chez les Sauvages (1931)
Albert Saint-Pierre, o.p.: deux romans scouts : Pointe-au-Chêne (1937), Seul dans le Bois désert (1939)
Béatrice Clément : La plus belle de toutes les histoires (1944), Sainte-Bernadette (1945), Les découvertes de Michel (1950)
Odette Oligny : Le Cheval d'Or (1950)
Des revues, François, Hérauts, copieusement illustrées et contenant de belles histoires, sont aussi offertes aux jeunes. On s'efforce de les rendre de plus en plus intéressantes afin d'amener les petits lecteurs à délaisser d'eux-mêmes les affreux comics, qui risquent de détraquer leur imagination et de gâter leur esprit et leur coeur.
(1) L'architecture et la peinture lui doivent, dans ce pays, des oeuvres de bon goût, comme la décoration intérieure de l'église de la Rivière-du-Loup on celle de la chapelle Nazareth à Montréal, comme aussi la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes à Montréal encore et le monastère des Dominicains de Saint-Hyacinthe.
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Source: SŒURS DE SAINTE-ANNE, « Romans », Histoire des littératures française et canadienne, Lachine, procure des Missions Mont Sainte-Anne, 1954, 602p., pp. 392-394, 415-425, 484-502. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |