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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Histoire de la littérature canadienne-françaiseLa poésie
[Ce texte a été publié en 1954. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document]
Si la poésie est l'art d'exprimer le beau idéal et de produire le plaisir esthétique, il faut bien admettre que notre littérature, à cette époque, ne compte pas de vrais poètes. Aucun d'eux n'a laissé d'oeuvre remarquable ni n'a mis en volume ses modestes compositions. On les trouve surtout dans les Gazettes du temps ou dans le Répertoire national de Huston. Ce sont presque toujours des poésies légères : épîtres, satires, épigrammes, fables, idylles, églogues. Ajoutons-y les énigmes, les charades, les logogriphes, qui piquaient la curiosité des lecteurs et leur procuraient un divertissement sinon littéraire, du moins exempt de vulgarité.
Ces pièces, la plupart de la prose rimée, renferment plus de lieux communs, de clichés que de véritable inspiration et d'enthousiasme. Leurs auteurs sont assez familiers avec les dieux de l'Olympe : Mars, Pallas, Neptune, Apollon, Vénus, Pomone, Flore, les Dryades. Certaines expressions sont vides de sens parce qu'elles ne correspondent à aucune réalité du terroir : hameau, ormeau, « écoutez, Bergers, ma musette » .... « j'ai perdu mon chalumeau » ... « on m'a ravi ma houlette » ... « pleure, rossignolet sauvage » ... (Cf. Les Lettres canadiennes d'autrefois, par Séraphin Marion).
CHANSON. — Le genre que nos rimeurs ont cultivé avec le plus de succès, c'est peut-être la chanson. Le Canadien a hérité de ses ancêtres l'esprit gaulois et la gaieté française ; tous les événements, toutes les circonstances deviennent pour lui thèmes à chansons. Aussi son répertoire en contient-il de toutes sortes : chansons historiques, patriotiques, politiques, satiriques ; complaintes, chansons de fête, d'amour, de noces, du jour de l'an, chansons qui soutiennent les canotiers ou exaltent l'ardeur militaire, qui satisfont même certaines petites vengeances. Cependant, les traits méchants y sont rares.
Sous la naïveté du style, on découvre de la finesse d'observation, quelquefois de l'ironie innocente, de la couleur locale, de la verve et de l'entrain. Malgré leur facture assez libre, ces chants frustes ne manquent ni de charme ni de cadence.
La poésie, à cette époque, est surtout représentée par deux Français d'origine, devenus nos compatriotes par leur résidence dans notre pays et par les liaisons qu'ils y ont contractées. Ainsi s'explique l'inspiration nationale de plusieurs de leurs oeuvres. La critique ne leur décernera jamais le titre de grands poètes, et leurs productions littéraires ne vivront que dans nos archives et dans nos anthologies. Ce sont : Joseph Quesnel et Joseph Mermet.
JOSEPH QUESNEL (1749-1809) s'est signalé surtout dans la poésie légère : chansons, épigrammes, épîtres. Il y peint parfois la nature. « L'Épître à M. Généreux Labadie est l'une des oeuvres qui caractérisent le mieux sa facilité abondante et sa malice courtoise. »
JOSEPH MERMET (1775-1820), natif de Lyon, ne demeura que quelques années au Canada. Son ami Jacques Viger révéla son talent de poète ; Mermet lui confiait des pièces de vers que Viger faisait paraître dans le Spectateur ou gardait soigneusement pour les transmettre à la postérité. Le poème la Victoire de Châteauguay, écrit au lendemain de la fameuse bataille (1813), suscita un enthousiasme que l'on comprend mal aujourd'hui, mais qui rendit son nom populaire.
Ce poète a laissé une description en vers de la cataracte de Niagara. « Cette pièce », dit Mgr Roy, « mérite qu'on la signale et qu'on la conserve, puisqu'elle est le plus considérable effort que l'on ait tenté à cette époque pour peindre la nature canadienne. » Mentionnons seulement ses satires et ses pièces badines.
Joseph Mermet avait beaucoup d'esprit et le tour agréable. Son style est souvent médiocre, négligé même. Toutefois sa poésie, en provoquant l'admiration des Canadiens, fut une orientation pour nos poètes futurs.
Poésie (1820-1860)
Les productions poétiques de cette période ne sont pas encore des oeuvres d'art. Il ne faut pas s'en étonner ; l'ascension vers les sommets se fait lentement, non par bonds et par sauts. L'inspiration est surtout patriotique.
A partir de 1834, on sent que les poètes se mettent au diapason des passions politiques : liberté, tyrans, esclavage, patrie, chaînes, défenseurs de notre noble cause, autant de mots et d'expressions qui reviennent sans cesse dans les vers. Quelques années plus tôt, Augustin-Norbert Morin avait chanté :
Dans ma douce patrie, Je veux finir ma vie ; Si je quittais ces lieux chers à mon coeur, Je m'écrierais : J'ai perdu le bonheur !
Isidore Bédard, fils de Pierre, est l'auteur d'un hymne longtemps regardé comme national. Antoine Gérin-Lajoie, encore étudiant à Nicolet, compose Un Canadien errant et une tragédie en vers : Le jeune Latour. Chauveau stigmatise, dans deux cents lourds alexandrins, l'Union des deux Canadas qu'il appelle la fête des banquiers. F.-X. Garneau consacre aux exilés une longue élégie de cent huit vers où s'entassent les idées les plus disparates, quelques non-sens et beaucoup de chevilles : « leur présence adoucit la mort sur sa paupière — où sont nos caps dont l'aubépine comme une frange aime à couvrir les bords — vous boirez des bannis longtemps la coupe amère ... »
Les poètes de cette période n'osaient pas encore faire éditer leurs vers en volume, mais la plupart les signaient. Michel Bibaud seul eut la hardiesse de réunir, en un recueil publié en 1830, ses Épîtres, Satires, Chansons, Épigrammes et autres pièces de vers.
JOSEPH LENOIR (1822-1861) s'élève au-dessus des médiocrités de son temps de toute la hauteur du vrai talent. Ses poésies, dispersées dans différents périodiques, ont pu être recueillies par Casimir Hébert en un volume sous le titre de Poèmes épars (1916). Les vers sont harmonieux, mais il y a là plus de grâce et de charme que d'énergie et de hardiesse. En certains endroits, la poésie vibrante et délicate fait penser à celle de Lamartine.
FÊTE NATIONALE ET SOCIÉTÉ SAINT-JEAN-BAPTISTE. — Notre fête nationale a inspiré tant de discours, de chansons, de poèmes patriotiques, qu'elle mérite bien d'occuper une place dans nos annales littéraires. C'est Ludger Duvernay qui, le premier, conçut l'idée de choisir, parmi nos anciennes fêtes populaires, la Saint-Jean-Baptiste comme fête nationale du peuple canadien. Patriote avisé, sincère et ardent, il voulut ainsi donner aux Canadiens l'occasion de se connaître et de se grouper afin d'être plus forts pour résister à la bureaucratie anglaise devenue toute-puissante et agressive.
Dans le même esprit et avec un groupe déterminé, Duvernay fonda la Société Saint-Jean-Baptiste. Les membres — une soixantaine environ — se réunirent le 24 juin 1834, dans un banquet champêtre présidé par Jacques Viger, premier maire de Montréal. Viger y fut nommé président de la Société naissante, qui prit pour devise celle du journal Le Canadien : Nos institutions, notre langue et nos lois ; comme emblèmes, le castor et la feuille d'érable. Le castor rappelle le commerce des fourrures des premiers temps de la colonie et symbolise le travail. L'érable remplace le chêne de nos premiers ancêtres, les Gaulois ; il exprime la fixité à son sol de la nationalité canadienne.
Le pape Pie X, dans un Bref daté du 25 février 1908, proclamait, à la demande de Mgr Bégin, archevêque de Québec, « saint Jean-Baptiste patron spécial auprès de Dieu des fidèles franco-canadiens, tant de ceux qui sont au Canada que de ceux qui vivent sur une terre étrangère ».
Poésie (1860-1900)
La poésie, comme les autres genres littéraires, bénéficia de l'enthousiasme suscité par la publication de l'Histoire du Canada de Garneau. En révélant les gestes glorieux et héroïques de ses ancêtres, l'historien réveilla la fierté nationale et le sentiment patriotique du peuple ; il lui redonna confiance en lui-même. Puis « sur cette grandiose réalité », comme le dit l'abbé Casgrain, « les brillantes strophes de Crémazie, alors dans tout l'éclat de son talent, jetaient par intervalles leur manteau de gloire ».
Crémazie fit école. Ce n'est pas qu'il créa une nouvelle forme de poésie, que des disciples imiteraient avec plus ou moins de talent et de succès ; mais sa librairie devint un cénacle. Un petit groupe d'hommes, jeunes encore et qui le considéraient comme un maître, s'y assemblèrent autour de lui pour causer littérature, prendre contact avec les livres venus de France et lire leurs propres travaux.
La poésie canadienne-française est née, elle vit, elle prospère ; mais elle n'est pas complètement indépendante : si nos poètes traitent des sujets d'inspiration canadienne, ils sont, dans leurs procédés, largement tributaires de la France. De plus, ils n'adoptent les modes françaises que lorsqu'elles sont déjà détrônées dans leur pays d'origine. Ainsi, le romantisme qui, en France, atteignit l'apogée de son triomphe de 1830 à 1840, ne prit vraiment place dans notre poésie qu'à partir de 1855.
Les poètes de 1860 furent donc des romantiques. Quelques-uns pastichent leurs modèles français avec une telle servilité qu'ils en copient même les défauts : emphase, grandiloquence, dévergondage de l'imagination, exagération du sentiment. Mais on rencontre aussi dans leurs pièces des sentiments vrais, des vers bien frappés, des stances souples et harmonieuses, des scènes de moeurs canadiennes décrites avec art.
Les thèmes de leurs chants sont : la patrie, les exploits des aïeux, la nature, la vie des champs, le sentiment religieux. Leurs hymnes patriotiques contiennent presque toujours une ou plusieurs stances en l'honneur de la France.
OCTAVE CRÉMAZIE (1827-1879), épris d'idéal, avec un amour très vif de l'étude, semblait ne devoir vivre que pour la pensée. Il entra cependant dans le commerce, comme associé de ses frères, Jacques et Joseph, qui avaient ouvert une librairie. Les livres nouveaux abondèrent chez les Crémazie, les livres de France surtout, dont on avait été si longtemps privé.
La maison devint un centre d'attraction pour les lettrés les plus distingués de la vieille capitale ; c'est là que se donnaient rendez-vous l'historien Garneau, le penseur Étienne Parent, les abbés Ferland et Casgrain, J.-C. Taché, le docteur Hubert Larue, Antoine Gérin-Lajoie, les poètes Fréchette, Lemay, Alfred Garneau. Crémazie recevait ses amis dans une arrière-pièce de son magasin. On causait d'histoire, de journalisme, de poésie ; on feuilletait Chateaubriand, Lamartine, les écrivains français contemporains. Les jeunes poètes lisaient leurs timides essais, encouragés par une indulgente critique.
Toute cette élite s'excitait à produire de belles oeuvres littéraires, à l'honneur de la patrie canadienne. C'est ainsi que s'élaborait, dans le « petit cénacle crémazien », l'avenir des lettres dans notre Canada français. C'est de là que, dès 1861, partit l'initiative des Soirées canadiennes, puis du Foyer canadien, favorisant, par la publication de leurs écrits, les travailleurs de la plume, faisant connaître et aimer davantage le Canada.
Crémazie, tout entier à ses lectures favorites, à ses amis, à ses poésies qu'il composa toutes, excepté la Promenade de Trois Morts, dans la période de 1854 à 1863, ne s'occupait guère de trafic, de gain ou de perte. « Il oubliait de faire honneur à un billet pour courir après une rime qui lui échappait. » Rien de brutal comme les affaires ! Elles tournèrent mal pour le poète qui crut devoir s'expatrier. Pendant plus de dix ans, quelques intimes seuls connurent le lieu de sa retraite ; sous le nom d'emprunt de Jules Fontaine, il vécut à Paris et au Havre. Il mourut dans cette dernière ville, après une existence toute de privations et de chagrins.
SON ŒUVRE POÉTIQUE. — L'oeuvre connue de Crémazie n'est pas considérable ; elle compte présentement 37 pièces.
1.— Poèmes patriotiques : — Le Vieux Soldat canadien, composé à l'occasion de l'arrivée à Québec de la Capricieuse, corvette française envoyée par Napoléon III, en 1855, pour nouer des relations commerciales entre la France et le Canada. C'est dans ce poème que se trouve le vers qui peint si justement les Canadiens français d'alors : Albion a notre foi, la France, notre coeur. Le Drapeau de Carillon, populaire entre tous ; Le Canada : Il est sous le soleil un sol unique au monde, Deux centième anniversaire de l'arrivée de Mgr de Montmorency-Laval au Canada ; Fête nationale ; La Fiancée du marin, légende canadienne ; Les Mille-Isles, poème composé de deux parties sensiblement égales ; dans la première, le poète nous promène dans les pays et les villes au doux climat, aux merveilleuses richesses, aux souvenirs enchantés ; dans la seconde, il revient aux Mille-Isles, « ce paradis du Saint-Laurent » ; il les décrit et déclare qu'il les préfère aux contrées précédemment visitées.
Dans le Chant des Voyageurs, Crémazie fait allusion, en les poétisant, aux travaux des bûcherons dans les chantiers, à leur retour au village sur ces radeaux que les Canadiens appellent des « cages ».
2.— Poèmes inspirés par les événements contemporains : — La Guerre d'Orient, les Ruines de Sébastopol, Guerre d'Italie, Castelfidardo, qui célèbre les défenseurs de la Papauté.
3.— Poèmes divers — Les Morts, la Paix, l'Alouette, Un Soldat de l'Empire, dédié à la mémoire de M. Évanturel, soldat de Napoléon émigré au Canada et enterré à Sainte-Foy. A Monsieur et Madame Hector Bossange, bienfaiteurs de Crémazie sur la terre étrangère, au soixantième anniversaire de leur mariage.
APPRÉCIATION. — Crémazie est un disciple fervent du romantisme. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à lire la profession de foi qu'il écrit lui-même, le 29 janvier 1867, dans une longue lettre à l'abbé Gasgrain : « Pour moi, tout en admirant les immortels chefs-d'oeuvre du XVIIe siècle, j'aime de toutes mes forces cette école romantique qui a fait éprouver à mon âme les jouissances les plus douces et les plus pures qu'elle ait jamais senties. Et encore aujourd'hui, lorsque la mélancolie enveloppe mon âme comme un manteau de plomb, la lecture d'une méditation de Lamartine ou d'une nuit d'Alfred de Musset me donne plus de calme et de sérénité que je ne saurais en trouver dans toutes les tragédies de Corneille et de Racine » (Oeuvres complètes, éditées par la Librairie Beauchemin, p. 45).
L'abbé Casgrain, le fidèle ami de Crémazie, dit en parlant du poème des Trois Morts : « Il a le tort d'être venu après la Comédie de la mort de Théophile Gautier. C'est précisément le défaut que signale Crémazie à propos de nos romans historiques, qui auront toujours l'air de pastiches plus ou moins réussis de Fenimore Cooper. Pour me servir de l'expression de Crémazie lui-même, son poème d'outre-tombe a l'irréparable tort d'arriver le second, c'est-à-dire trop tard. Crémazie n'a été vraiment original que dans ses poésies patriotiques : c'est le secret de sa popularité, et son meilleur titre devant l'avenir » (Id. page 59).
CORRESPONDANCE DE CRÉMAZIE. — Crémazie écrit à sa mère et à ses frères ce qui se passe, dans cette France qu'il aime tant, pendant le siège de Paris en 1870, et leur raconte une foule de faits, de menus détails auxquels il mêle ses impressions. Dans sa correspondance littéraire avec l'abbé Casgrain, il apprécie les nouveautés canadiennes et nos hommes de lettres ; il analyse la situation intellectuelle du pays.
Toutes ses lettres, empreintes d'une vive affection pour sa famille, ses amis, sa patrie, révèlent la souffrance intense de l'exilé.
LOUIS-HONORÉ FRÉCHETTE (1839-1908) publia en 1864, son premier recueil de vers, Mes Loisirs, qui passa presque inaperçu. Il devint rédacteur du Journal de Lévis ; mais le propriétaire de cette feuille, effrayé de ses idées libérales, le congédia bientôt. C'est alors que, déçu, aigri, découragé, il s'expatria à Chicago (1866), où il collabora à l'Observateur, qui eut une existence éphémère, puis à l'Amérique, qui vécut trois ans. Sur la terre étrangère, il écrivit en vers la Voix d'un exilé, vraie diatribe contre les gouvernants de son pays, modelée sur les Châtiments de Victor Hugo. Plus tard, il regretta les violences de ce volume.
Son exil volontaire dura cinq ans. De retour à Québec, il se lança dans la politique. Plusieurs revers successifs l'en dégoûtèrent. D'ailleurs, la gloire venait à lui par un autre chemin, celui de la littérature ; il s'y cantonna.
SON OEUVRE POÉTlQUE. — Pêle-Mêle (1877) reçut du public un élogieux accueil. Trois ans plus tard, il obtint un succès retentissant par ses Fleurs boréales et Oiseaux de neige, couronnés par l'Académie française. Ce triomphe académique qui sacrait, pour ainsi dire, son talent aux yeux de tous, lui fit croire qu'il pouvait doter notre littérature d'une épopée. Admirateur et disciple de Victor Hugo, l'auteur de La Légende des Siècles, Fréchette présenta à ses compatriotes La Légende d'un peuple (1887). Le poète a voulu en faire une épopée moderne où il retrace certains faits de notre histoire. Elle comporte trois époques distinctes :
1. Les origines : Saint-Malo, le Saint-Laurent, la Forêt, Première Messe, Première Moisson, etc.
2. Les luttes héroïques pour conserver le Canada à la France : A la nage, le Dernier Drapeau blanc, les Plaines d'Abraham, le Dernier Coup de dé, etc.
3. Après la conquête : Châteauguay, Papineau, Saint-Denis. Dans Spes Ultima, le poète exprime, par la voix d'une vendeuse, « accorte et bonne vieille », l'espoir intime des Canadiens, longtemps même après la conquête : la reprise du Canada par la France.
« La Légende d'un peuple n'est pas un banal recueil de vers qui se fanent en une saison : ce livre est de ceux qui ajoutent une ligne, un chapitre à une histoire littéraire » (Jules Claretie).
Toutefois le bonheur ne sourit pas longtemps à Fréchette ; la critique s'acharna sur ses oeuvres et il en sentit vivement toutes les pointes aigries. Ses Feuilles volantes, qui parurent en 1891, attirèrent à peine l'attention du public. Ces disgrâces, après de si brillants succès, remplirent son âme d'amertume. Sa vie de famille, aimable et douce, compensait quelque peu les peines profondes de sa vie publique.
L'année même de sa mort, il réunit, sous le titre d'Épaves poétiques, les meilleures pièces qui avaient paru dans les volumes précédents et un certain nombre de poésies inédites ainsi qu'un drame en vers Véronica.
SON ŒUVRE EN PROSE. — Originaux et Détraqués présentent une galerie de types populaires d'un comique achevé ; du point de vue littéraire, ces récits canadiens n'en sont pas moins détestables. Marius Barbeau déclare que « nous n'avons nulle part ce langage artificiel et farci, mais comique et original, que Fréchette, Le Moine et leurs disciples mettent dans la bouche de leurs habitants ». Quelque justifiée que soit cette assertion, elle n'empêchera pas Fréchette d'être encore lu ; ce qui plaît le plus, c'est la vie gaie et, dans les contes de Fréchette, les personnages, pris sur le vif, font rire.
La Noël au Canada (1900) renferme quelques-uns des plus jolis contes de Fréchette ; deux drames : Félix Poutré, fondé sur la légende détruite par F.-J. Audet, et Papineau.
APPRÉCIATION. — Fréchette, lyrique surtout et patriote, a des accents sonores et vibrants. Il séduit l'imagination par le coloris des tableaux et les mots brillants. Chez lui, le sentiment personnel est l'élément prépondérant, ce qui rend le ton parfois déclamatoire. Cependant, il réussit presque à atteindre la grandeur épique quand il célèbre nos héros ; il devient toute grâce et délicatesse, lorsqu'il peint la vie intime et familiale ou qu'il s'adresse aux petits enfants.
PAMPHILE LEMAY (1837-1918) fut admis au Barreau à Québec, en même temps que Louis Fréchette, avec qui il se lia d'une amitié profonde et durable. Ne se sentant pas fait pour la terrible mêlée où sa profession l'entraînait, Pamphile Lemay fut tout heureux de se réfugier, en 1867, au poste de bibliothécaire de l'Assemblée législative. Il le garda vingt-cinq ans, y trouva de calmes loisirs et vécut là les années les plus fécondes de sa carrière littéraire.
SON OEUVRE POÉTIQUE. — Essais poétiques (1865), Évangéline (1870), traduction libre du poème de Longfellow, qui lui a mérité les éloges du grand barde américain ; Vengeances (1875), sorte de roman de moeurs canadiennes, réédité en 1888 sous le titre de Tonkourou, nom de l'un des principaux personnages ; Une Gerbe (1879), Fables canadiennes (1881) fort éloignées de celles de La Fontaine ; Petits Poèmes (1883), où se retrouvent, avec la traduction d'Évangéline, plusieurs pièces déjà parues : les Gouttelettes (1904), recueil de sonnets, le chef-d'oeuvre du poète ; les Épis (1914), Reflets d'antan (1916) renferment plusieurs poèmes inédits et d'autres anciens heureusement retouchés.
SON ŒUVRE EN PROSE. — Romans : Le Pèlerin de Sainte-Anne (1877), Pécounoc le maudit (1884), l'Affaire Sougraine (1884), reconstitution en forme de roman d'une cause célèbre de ce temps-là. Ces romans ne s'élèvent pas au-dessus de la médiocrité littéraire. Pamphile Lemay fut mieux inspiré quand il publia Fêtes et Corvées (1898) et Contes vrais (1899), où il présente, en vivants tableaux, les moeurs et usages du peuple canadien. Il composa quelques courtes comédies, recueillies en 1891 : Rouges et Bleus, piquante satire de nos moeurs politiques ; Sous les Bois, En livrée.
APPRÉCIATION. — « Lemay fut toujours un ami du terroir canadien, légèrement satirique parfois, rêveur aussi, affectueusement familial et chrétien. Il a aimé la vie des champs qui lui a fourni ses meilleures inspirations » (Adjutor Rivard).
Sa poésie ne possède pas l'ampleur et la sonorité de celle de Fréchette ; mais elle semble jaillir d'une inspiration plus vraie, plus profonde. Son style imagé possède un grand charme ; les sentiments, tendres et délicats, s'élèvent souvent jusqu'au lyrisme. Ce poète rime parfois avec trop peu de soin parce qu'il abuse de sa grande facilité.
WILLIAM CHAPMAN (1850-1917), né d'un père anglais et d'une mère canadienne-française, fit ses études au collège de Lévis et à l'Université Laval. Reçu avocat, il délaissa sa profession pour se livrer au journalisme et à la littérature. Successivement rédacteur à La Patrie puis à La Minerve, il fut fonctionnaire de l'État de 1890 à 1896. La mort le surprit avant qu'il eût terminé son Épopée canadienne, un grand ouvrage auquel il travaillait depuis longtemps.
SON ŒUVRE. — Chapman a laissé en vers : les Québecquoises (1876), les Feuilles d'érable (1890) ; les Aspirations (1904), couronnées par l'Académie française, renferment quelques-unes des pages les plus grandiloquentes de la littérature canadienne ; les Rayons du Nord (1910), les Fleurs de givre (1912). En prose, il écrivit : Les Mines d'or de la Beauce (1878), le Lauréat (1894), Les deux Copains.
William Chapman a chanté la patrie canadienne et sa foi catholique. Son inspiration, noble et délicate, a parfois des envolées qui provoquent l'admiration ; mais on lui reproche d'être verbeux et facilement redondant, surtout dans son Navis patriae où l'amphigourisme s'unit à l'emphase.
ADOLPHE POISSON (1849-1922) a publié quatre volumes de vers : Chants canadiens (1880), Heures perdues (1895), Sous les Pins (1902), Chants du soir (1917). Sa poésie, souvent harmonieuse, est saine et pénétrée du sentiment religieux.
L'abbé APOLLINAIRE GINGRAS (1847-1936), né poète, avait aussi l'éloquence de la parole ; il est regrettable que ses discours n'aient jamais été imprimés. Il a publié un recueil de poèmes et de chansons : Au Foyer de mon Presbytère (1881), où il condense le meilleur de son âme de poète, de prêtre et de patriote.
ALFRED GARNEAU (1836-1904), fils aîné de notre historien national, fut directeur de la traduction au Sénat ; il n'a rien publié lui-même Après sa mort, son fils Hector recueillit, avec un soin pieux, les poésies laissées par son père et présenta au public ces Fleurs d'Outre-tombe, en un volume de 220 pages.
SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA. — Fondée en 1882 par le marquis de Lorne, alors gouverneur général du Canada, elle a pour but de grouper ceux qui se livrent aux lettres, à l'histoire et aux sciences. Cette Société, qui comprenait quatre sections à l'origine, en a ajouté une cinquième en 1918 : 1. — Littérature française — Histoire — Archéologie — Sociologie — Économie politique et sujets connexes 2. — Littérature anglaise — Histoire — Archéologie, etc. 3. — Sciences mathématiques, chimiques et physiques 4.— Sciences géologiques, y compris la Minéralogie 5.— Sciences biologiques
Les sociétaires canadiens-français, confinés d'abord dans la première section, pénètrent de plus en plus chaque année dans les autres. La liste porte les noms de la plupart de nos travailleurs de l'esprit : philosophes, historiens, orateurs, conférenciers, chroniqueurs, sociologues, poètes, folkloristes, critiques, hommes de science. Leurs travaux, publiés chaque année dans les Mémoires de la Société royale du Canada, constituent une remarquable et importante contribution à notre histoire générale ou régionale, à la littérature et aux sciences.
Poésie (1900-1950)
La poésie occupe une place prépondérante dans l'histoire de la littérature actuelle au Canada français, tant par le nombre de ses adeptes que par la valeur de ses productions. L'un de ses traits caractéristiques, c'est qu'elle est cultivée pour elle-même ; on ne se contente plus de composer des pièces officielles ; on ne la considère plus comme un simple passe-temps pour les heures de loisir, un à-côté, un accessoire des autres genres littéraires, de l'histoire notamment. On est poète, comme d'autres sont historiens, romanciers, journalistes, par vocation.
La fondation, en 1895, de l'École littéraire de Montréal ouvre de nouveaux horizons à nos jeunes littérateurs. « Ce groupe résolu », dit Louis Dantin, « entreprit de raviver chez nous l'intérêt aux choses de l'esprit et d'apprendre à notre langage des formules plus neuves.»
On met au rancart le Romantisme démodé, avec ses phrases grandiloquentes et ses strophes oratoires. Nos poètes, vingt-cinq ans en retard comme d'habitude, découvrent le Parnasse et le Symbolisme. Depuis lors, ils ont brûlé les étapes et se sont mis à la page, puisque nous avons des poètes décadents, futuristes, vers-libristes, surréalistes.
CLASSIFICATION. — Toute classification d'écrivains est téméraire, plus particulièrement lorsqu'il s'agit de poètes : vouloir les placer dans des cadres à leur mesure, c'est tenter l'impossible. Toutefois, pour aider à mieux comprendre les poètes de cette période, on peut les grouper d'après les sujets traités, leurs tendances, leurs goûts et leurs procédés :
A. poésie objective B. poésie subjective C. poésie impersonnelle.
Dans la première catégorie entrent les poètes qui s'inspirent de notre histoire, de nos coutumes, de nos paysages ou de quelque autre objet concret. A cette poésie qui s'inspire du temps et de l'espace s'oppose une poésie subjective, celle des poètes qui se plaisent à décrire leurs sensations, à donner un corps à leurs rêves ; sensations et rêves qui se renouvellent sans cesse, bien qu'ils soient aussi vieux que l'humanité. Enfin, la troisième catégorie comprend les artistes qui ont surtout le culte de la forme et qui tendent à faire de leurs vers des joyaux bien ciselés. Ils aiment le mot rare et goûtent un plaisir raffiné à rendre, par des lignes souples et des couleurs harmonieuses, les visions de leur fantaisie ou celles de leurs yeux.
Ces divisions ne sauraient être définitives et ne peuvent avoir la prétention d'être classiques ni universelles. Plus d'un poète leur échappe sans doute, tandis que d'autres appartiennent à deux groupes ou même aux trois à la fois.
Plusieurs poètes et ... poétesses actuels éliminent complètement de leurs oeuvres le sentiment religieux. Le R. P. Lamarche les invite à écouter « l'immense poète Paul Claudel déclarer sans ambages que la poésie française ne peut être rénovée sans le recours à la liturgie catholique et à tout ce qu'elle effectue et symbolise » (Ébauches critiques, p. 100). Par ailleurs, d'antres, et non des moindres, sont franchement spiritualistes ; ils ont, comme le dit Mgr Émile Chartier de Nérée Beauchemin, « la hantise de ce monde plus beau, la hantise du ciel et des choses de Dieu, des pratiques et des croyances de l'Église romaine ».
En somme, la poésie canadienne-française du XXe siècle mérite une mention honorable et pour son inspiration variée, riche, abondante, quoique pas toujours personnelle et originale, et pour son expression qui produit généralement une vraie jouissance esthétique.
A. Poésie objective
NÉRÉE BEAUCHEMIN (1850-1931) est un poète à l'âme délicate et sensible. La profession de médecin qu'il exerça dans sa ville natale, Yamachiche, ne lui permit pas de publier un grand nombre d'oeuvres. Il n'a laissé que deux volumes de vers : Floraisons matutinales (1897), ouvrage que la critique a loué presque sans réserve ; Patrie intime (1928), recueil de poésies chrétiennes et mystiques, écrites à l'ombre du clocher natal et de la maison de famille. On a dit de la Cloche de Louisbourg, l'un des poèmes de Floraisons matutinales, qu'elle « est la perle de l'anthologie canadienne, un petit poème qui touche à la grandeur ».
Mgr Émile Chartier a consacré à Nérée Beauchemin une étude reproduite en Appendice dans son ouvrage La Vie de l'esprit (pp. 321-338). Voici quelques-uns des jugements qu'il porte sur ce « poète patriote et mystique », jugements qui résultent de « l'impression qu'a produite dans un esprit exempt de tout préjugé (il ne connaît pas personnellement le poète) l'étude d'une pensée patriotique, nourrie d'émotion religieuse, exprimée avec un art de haute valeur ... Gardons-nous d'appuyer sur cet art ; le poète lui-même n'y a vu qu'un moyen, non une fin. Quelque fascinant que soit cet art, ce n'est pas l'expression qui importe dans l'oeuvre de ce poète, pas plus à ses yeux qu'aux nôtres. Ses deux volumes valent surtout par leur inspiration, par les choses qu'ils évoquent et les sentiments qu'ils suscitent.
Que chante donc Nérée Beauchemin ? ... Beauchemin ne s'intéresse qu'à sa patrie, la grande et la petite. La majeure partie de ses chants est consacrée à cette noble dame, qu'il chérit comme une épouse et vénère comme une sainte ... Du sol trifluvien, sa poésie monte au ciel en passant par son coeur … Rien ne séduit ce poète comme notre petite histoire, celle que résume en elle sa paroisse natale... Si la patrie mérite à ce point d'être aimée et célébrée, elle le doit à la Survivance … Comme une sentinelle vigilante, cette fée merveilleuse protège en nos coeurs, avec l'attachement à notre sol, le respect de notre foi ... Ce poète, qui vit d'espérance céleste, croit fermement à la rédemption. Il reconnaît l'activité miraculeuse de Dieu et célèbre volontiers les lieux où, comme à Beaupré, cette action se manifeste. C'est pourquoi, plus que tout autre chez nous, Beauchemin est le poète mystique, l'apôtre par la voix de qui Le cri de notre sol chante le Dieu du ciel.
GONZALVE DESAULNIERS (1863-1934) est l'un des fondateurs de l'École littéraire de Montréal. Il a publié ses vers en une élégante édition de luxe : Les Bois qui chantent (1930).
L'abbé Élie Auclair, dans une notice écrite à l'occasion de la mort du poète, dit : « M. le juge Desaulniers était poète dans l'âme. Sa remarquable culture lui permettait de s'exprimer, en poésie comme en prose, dans une langue correcte et précise, élégante d'allure et riche d'images, naturelle absolument et singulièrement émouvante. »
CHARLES GILL (1871-1918), né à Sorel, partit à l'âge de 19 ans pour Paris où, pendant 5 ans, il étudia la peinture à l'École des Beaux-Arts. Il fréquenta les cénacles littéraires et y connut Verlaine.
Revenu au pays, il fut l'un des premiers membres de l'École littéraire de Montréal. Il y jouit d'un certain prestige, non seulement à cause de son talent, mais aussi parce que son séjour prolongé à Paris lui avait fourni l'occasion de rencontrer des poètes dont le nom et la réputation soulevaient l'enthousiasme des jeunes aèdes. Charles Gill avait le physique, le tempérament, les goûts, les qualités et les défauts de l'artiste et du bohème. Il fut peut-être plus poète que peintre.
Il avait rêvé d'écrire une sorte d'épopée canadienne en une dizaine de livres, contenant chacun plusieurs chants. Cette oeuvre, qui se serait intitulée Le Saint-Laurent, devait célébrer la beauté, la grandeur de nos « chemins qui marchent », décrire la nature grandiose et sauvage qui servit de cadre aux exploits des hardis navigateurs, des audacieux coureurs de bois et des vaillants défricheurs « qui firent notre pays ». Les Indiens, premiers habitants du pays, avaient aussi leur place marquée dans cette épopée. La mort ne lui permit pas de donner corps à son rêve.
Charles Gill laissa des manuscrits, dont quelques-uns furent publiés en 1919. Le volume intitulé Cap Éternité contient quelques fragments de l'oeuvre que le poète avait projeté d'exécuter à la gloire de son pays. A ces fragments, l'éditeur a ajouté des pièces isolées : Étoiles filantes et Traductions des Odes d'Horace.
On a dit de Charles Gill qu'il « avait le goût du vertige. Comme tous les esprits supérieurs, l'infini le tourmentait ». Ses yeux d'artiste admiraient les beautés naturelles du pays laurentien et son imagination de poète les reproduisait en des vers superbes. Si la magnificence soutenue et un peu déclamatoire de ces vers semble quelquefois forcée, ils donnent souvent la sensation de la grande poésie. Ses Traductions des Odes d'Horace, de l'Ode à Dellius surtout, sont d'une fermeté et d'une sonorité rares. Bien que Charles Gill se plaise à cultiver le genre sublime, il descend parfois des sommets pour écrire de jolies pièces pleines de charme et de fraîcheur, v.g. Les Anges ont des Ailes.
ALBERT FERLAND (1872-1943), né à Montréal, vécut plusieurs années de son enfance dans une campagne des Laurentides. Ce séjour en montagne et près de la forêt explique l'amour du poète pour les choses de la nature.
Son premier volume Mélodies poétiques (1893) est une oeuvre de jeunesse sans grande valeur littéraire. Dans Femmes rêvées (1899), il se manifeste déjà artiste du vers. Il semble pourtant que ce genre fantaisiste n'ait pas répondu pleinement aux aspirations du poète, puisqu'il l'abandonna sans retour.
Son troisième et dernier volume Le Canada chanté est formé de quatre fascicules : Les Horizons (1908), Le Terroir (1909), L'Âme des Bois (1909), La Fête du Christ à Ville-patrie (1910). Albert Ferland est un poète du terroir, un régionaliste, l'un des plus canadiens parmi les poètes contemporains. La qualité maîtresse, celle qui frappe d'abord chez ce poète, c'est la simplicité, simplicité qui est le contraire de la négligence et de la banalité tout autant que de la recherche et de la grandiloquence. Cette simplicité apparaît dans le choix des sujets et des titres, dans la facture du vers, dans les mots et les expressions. Albert Ferland n'abuse pas des épithètes ; il cherche le mot juste, l'expression exacte, et la phrase coule claire, limpide, lourde de sens sous la légèreté de la forme.
Albert Ferland est de plus un poète spiritualiste on mieux encore chrétien. Il ne se contente pas d'une religiosité vague, d'un verbalisme vide d'idée ; il vit sa foi et la laisse volontiers transparaître dans ses vers. Il fait lui-même ce qu'il conseille dans une de ses pièces :
Ce quatrain est extrait de La Muse te veut seul, petite pièce publiée en 1925 ainsi qu'une quinzaine d'autres dans Les Soirées de l'École littéraire de Montréal. Depuis 1928, M. Ferland, qui était membre de la Société royale du Canada, a publié presque chaque année dans les Mémoires de cette Société, quelques-unes de ses oeuvres.
ALPHONSE DESILETS a publié en 1910, sous le pseudonyme Jacquelin, un premier recueil de vers, Heures poétiques. Les deux autres qu'il fit paraître, Mon Pays, mes Amours (1913) et Dans la Brise du Terroir (1922), nous disent clairement par leur titre qu'ils ont pour thèmes la patrie et la vie simple et heureuse de la campagne canadienne. M. Desilets a écrit en prose : Au Pays des Érables (1923), Pour la Terre et le Foyer (1926), ouvrages consacrés aux problèmes d'économie sociale et domestique et aux questions éducationnelles. Il a aussi fait paraître une biographie : Histoire de Mère Saint-Raphaël, fondatrice de l'École ménagère agricole de Roberval (1932).
Dans Le Miracle de Saint-Damien (1946), Alphonse Desilets raconte l'histoire d'une paroisse rurale, Saint-Damien de Bellechasse, fondée, en 1882 et organisée par l'abbé Brousseau, « dont la vie fut toute consacrée au bien-être spirituel et matériel des autres ».
Alphonse Desilets est bien au courant des moeurs, des légendes, de l'histoire et du langage de son pays, qu'il observe et qu'il note au cours de ses voyages. Maître de sa langue et de son style, il anime ses poèmes comme sa prose d'un souffle patriotique, qui le range parmi les apôtres les plus ardents du nationalisme intellectuel.
L'ABBÉ ARTHUR LACASSE, qui vient de faire paraître une anthologie de ses oeuvres : Le Défilé des Heures (1938), la présente ainsi au lecteur : « Le cordial accueil fait à mes trois volumes de poésies : Heures Solitaires (1916), L'Envol des Heures (1919), Les Heures Sereines (1927), m'a engagé à rééditer, sous une toilette neuve, les moins mauvais des poèmes qui les composent. Les pièces inédites qui y sont incluses rajeuniront les anciennes. »
L'abbé Lacasse s'inspire des choses simples qui passent ou ont passé sous ses yeux. Il en compose un tableau exact et fidèle, agréable à regarder, même s'il manque de couleurs chaudes et vives. Les mots et les expressions, tout aussi éloignés de la recherche que de la vulgarité, sont à la portée du lecteur moyen. Plusieurs pièces d'inspiration religieuse et patriotique s'élèvent et nous élèvent avec elles ; elles contiennent de la beauté, sans perdre leur cachet de simplicité.
JEAN CHARBONNEAU se consacra de bonne heure aux lettres. A peine âgé de 20 ans, il fonda avec quelques amis l'École littéraire de Montréal, dont firent partie la plupart des écrivains du temps.
M. Charbonneau a publié en vers : Les Blessures du Coeur (1912), L'Âge de Sang (1921), Les Prédestinés (1923), L'Ombre dans le Miroir (1924), La Flamme ardente (1928), Tel qu'en sa Solitude (1940) ; en prose : Les Influences françaises au Canada, 3 volumes (1917, 1918, 1920), ouvrage couronné par l'Académie française en 1922 ; L'École littéraire de Montréal — Ses Origines, ses Animateurs, ses Influences (1935).
Jean Charbonneau est un métaphysicien aux vastes conceptions. L'une de ses oeuvres, L'Âge de Sang, paraît avoir été construite sur le plan de l'épopée. Ce n'est ni plus ni moins que l'histoire du monde que l'auteur veut résumer en quelque 80 poèmes. Il a parfois de grandes envolées, il sème habilement les images et n'est jamais à court d'inspiration et de souffle. Mais il semble être beaucoup plus dans sa voie lorsqu'il écrit de courtes pièces lyriques. Quelques-unes sont presque parfaites et leur lecture fait naître le plaisir esthétique que procure toujours la vraie poésie. Par ailleurs, il se rencontre dans les autres des obscurités, des alliances de mots qui étonnent, des métaphores incohérentes.
La poésie de M. Charbonneau ne rend pas un son chrétien. A certains moments même, l'évocation des dieux de l'Olympe, de la Fatalité, du Destin, fait qu'on respire une atmosphère franchement païenne. Cette aspiration du poète à « se mêler à l'âme universelle » s'éloigne de la doctrine philosophique sur l'âme humaine, substance spirituelle et immortelle, comme de l'enseignement de l'Église sur la vie future. Cette philosophie, vague et nuageuse, côtoie l'éloquence, et quelquefois même le verbalisme, plus qu'elle ne recherche les raisons profondes des choses.
BLANCHE LAMONTAGNE-BEAUREGARD, née aux Escoumins (Saguenay), parle ainsi d'elle-même : « Mon enfance s'est écoulée sur les rives du fleuve et je connus de bonne heure la vie des paysans. J'appris à les aimer ... Je coule des jours paisibles dans une campagne du Bas-Québec, non loin de la Gaspésie où j'ai vécu depuis l'âge de 8 ans. »
Mme Blanche Lamontagne présenta son premier recueil de vers Visions gaspésiennes au Congrès de la Langue française en 1912 et eut l'honneur d'être proclamée lauréate par la Société du Parler français. Ce premier volume, publié en 1913, fut suivi de : Par nos Champs et nos Rives (1917), La Vieille Maison (1920), Les Trois Lyres (1923), Ma Gaspésie (1928), Dans la Brousse (1935). Mme Lamontagne a exécuté son rêve et satisfait son ambition « de chanter la campagne canadienne et de devenir la poétesse des habitants ». Elle aime particulièrement le foyer et le chante avec amour.
Si la poésie de Mme Lamontagne n'a pas tout le fini qu'on souhaiterait, elle est par contre pleine de sincérité et de vérité. Beaucoup de ses strophes sont chargées d'émotion parfois discrète, mais réelle toujours : les sentiments exprimés sont passés par le coeur avant de venir sous la plume.
Enfin, sans pose, tout naturellement, l'auteur monte plus haut que la terre, jusqu'à « la Maison divine de Notre Père des Cieux ». Mme Lamontagne-Beauregard a publié deux volumes en prose : Récits et Légendes (1922), Un Coeur fidèle (1924), roman où l'auteur plaide une fois encore la cause de la campagne et de ses habitants.
ENGLEBERT GALLÈZE, pseudonyme de Lionel Léveillé, a publié : Les Chemins de l'Âme (1910), oeuvre délicate toute sortie du sol canadien ; La Claire Fontaine (1913), riche de vraie poésie ; Chante, Rossignol, Chante (1925), où le poète esquisse, eu de petits tableaux, ses impressions, ses visions du passé, ses mélancolies ; Vers la Lumière (1931), qui renferme, surtout dans la dernière partie, plusieurs poèmes religieux. Le poète ne craint pas d'y affirmer sa foi et de nous inviter à aimer « la Vérité, chemin âpre qui mène à Dieu ».
Lionel Léveillé n'est pas un poète de grande envergure ; il ne monte pas vers les sommets. Il écrit de petits poèmes faciles de compréhension, agréables à lire, simples et gracieux.
ÉMILE CODERRE se révèle, dans Les Signes sur le Sable (1922), poète délicat, harmonieux et sincère, bien qu'il lui échappe parfois des négligences de forme qui déparent de jolies pièces.
Depuis quelques années, Émile Coderre, sous le pseudonyme suggestif de Jean Narrache, semble se confiner dans un genre qui est inédit en littérature canadienne-française. Un peu à la manière de Jehan Rictus, tout en restant personnel et canadien, il personnifie l'ouvrier besogneux, pauvre d'argent, mais riche d'esprit mordant et assez souvent de saine philosophie. En cette qualité, il a écrit Quand j'parl' tout seul (1932) et J'parl' pour parler (1939), Bonjour, les gars ! (1948). Le poète y emprunte au langage populaire ses syllabes abrégées, ses muettes élidées, et remplacées par des apostrophes, ses mots du cru, ses expressions inconnues de l'Académie. Mais il n'est jamais vulgaire ; telles même de ses strophes donnent plus à réfléchir, selon la juste remarque d'un critique, que beaucoup de discours de la Saint-Jean-Baptiste. L'ironie est parfois si âpre qu'elle dépasse le ton simplement goguenard que prennent d'ordinaire nos gueux pour parler des riches.
L'abbé Émile Bégin, dans l'Enseignement secondaire — 1940 — page 577, nous invite à lire ou à relire les Méditations d'un gueux au pied de la Croix : « Ces méditations sont particulièrement émouvantes. Cependant, pour les comprendre, il faut la tendresse du coeur, la brave humilité du pécheur conscient de sa misère et qui ne se fie pas aux brimborions de la vanité humaine. Vous vous attendrirez à la suavité des images, au naturel des mots de douceur et d'amitié pour Notre-Seigneur vendu et cloué sur le Bois. »
En prose, et dans le même style, M. Coderre a écrit des Histoires du Canada : Vies ramanchées (1937).
ALFRED DESROCHERS est entré brillamment dans les lettres canadiennes par L'Offrande aux Vierges folles (1929) et A l'Ombre de l'Orford (1930), réédité en 1948.
D'après M. Séraphin Marion, « M. Desrochers excelle à extraire de la vie de nos défricheurs et de nos paysans les faits caractéristiques, les attitudes, les gestes susceptibles d'orchestration poétique. Il réussit merveilleusement à métamorphoser une scène apparemment prosaïque, un paysage plus ou moins banal, en une source pure d'émotions .esthétiques. L'imagination de M. Desrochers est d'une richesse exceptionnelle, une des plus riches qu'ait exhibées jusqu'à ce jour la littérature canadienne. Il communique la vie à ses métaphores et répand une lumière chaude sur ses créations plastiques. Presque tous ses vers sont des phrases musicales d'une souple fermeté, où l'on chercherait en vain des expressions ternies par l'usage ou le recours an vocabulaire fané du style abstrait. Il a écrit des alexandrins qu'on n'oublie plus dès qu'on les a lus une fois. Quelques-unes de ses strophes sont d'amples fresques au riche coloris, imprégnées d'une atmosphère de sonorités puissantes » (En feuilletant nos Écrivains, p. 169 et suiv.).
PÈRE GUSTAVE LAMARCHE, c.s.v. a été surtout un maître de la jeunesse laïque ou cléricale, ayant jusqu'à date (1950) consacré neuf ans de sa vie à l'enseignement classique et vingt à l'enseignement dans un scolasticat. A travers ces occupations, il a pourtant mené une véritable carrière d'écrivain.
On lui doit nombre d'articles de revue sur des sujets d'éducation, de littérature ou de spiritualité, surtout depuis la fondation des Carnets Victoriens (1936), brillante revue d'intérêt général qui lui doit son existence et en bonne partie sa vitalité. Il s'est révélé, en particulier, critique littéraire et critique d'art vigoureux, optimiste et impitoyable.
Mais le Père Lamarche est avant tout un poète, et nous voudrions ajouter : un poète de la grande tradition. Il prend son inspiration dans les régions les plus élevées de la pensée, tout en regardant avec amour ce qu'il y a de plus infime dans la création matérielle ou spirituelle. Il comprend que la poésie, à côté de la prière, est chargée de rapporter à Dieu l'univers.
Sa forme est originale. Rien de plus large, de plus indépendant, et pourtant de plus surveillé que sa technique du vers. On pourrait croire parfois à du caprice. Si l'on y regarde de plus près, on constate que le moindre détail a été fixé par choix, tantôt pour une raison musicale, tantôt pour un motif d'équilibre esthétique, tantôt pour une considération de rythmique oratoire. L'élan lyrique semble aussi remarquable, chez ce poète, que la discipline intellectuelle.
Le Père Lamarche a publié en 1944 un recueil de poèmes à la Vierge intitulé Palinods (nom donné au moyen âge à ce genre de poèmes). La louange à Marie y prend toutes les formes possibles et semble suivre son objet partout où il s'est manifesté, soit à découvert, comme dans les récits évangéliques, soit sous le voile transparent des figures. Le ton va de la simple canzone à la grande ode. Le poète a donné également, dans les périodiques, d'importants fragments de deux nouveaux recueils en préparation, intitulés respectivement Poèmes du Nombre et de la Vie et Énumération des Étoiles.
Ses oeuvres principales sont : Jonathas (1935), Tobie (1935), Le Drapeau de Carillon (1937), La Défaite de l'Enfer (1938), Celle-qui-voit (1939), Argonautes—40 (1940), Notre-Dame-des-Neiges (1942), Les Gracques (1945), Jonas (1945), Notre-Dame de la Couronne (1947). La plupart de ces ouvrages ont un élément choral important qui rappelle le choeur du drame antique, mais qui l'adapte aux conditions modernes de la vie des masses.
« Le Père Gustave Lamarche est le type accompli de l'humaniste chrétien. Critique, essayiste, historien, conteur, dramaturge, polémiste, poète, éducateur, sociologue, il n'est aucun domaine de la culture qu'il n'ait visité et labouré, où il n'ait apporté l'acuité d'un regard net, le trait d'une plume vigoureuse, l'émotion d'une âme vibrante, le vol d'un esprit pétri de la Sagesse de Dieu. » (Hilaire de la Pérade, Les Poètes de la Vierge, dans Marie, III, n° 5 (1950).
PAYSE, nom de plume de Mme L.-J. Saint-Pierre-Dugal, a publié D'Azur, de Lys, de Flamme (1923). Ce volume, qui porte en sous-titre Pensers en dentelles, a été préfacé par Mgr Camille Roy, qui nous en fait ainsi connaître le contenu : « De la musique, de l'harmonie, de la grâce, de la couleur, voilà de quoi est fait surtout ce livre nouveau. C'est l'un des plus jolis, des plus touchants et, pour tout dire d'un mot, c'est l'un des plus heureusement et complètement féminins qu'ait écrits, avec sa plume et surtout avec son coeur, la femme de chez nous ... Il résulte de l'ensemble de ces poèmes une impression à la fois esthétique et morale qui réjouit et réconforte. »
JEANNE L'ARCHEVÊQUE-DUGUAY, femme du peintre nicolétain Rodolphe Duguay et secrétaire du Cercle des Fermières de son village, a écrit en prose rythmée un volume de Cantilènes (1936). Elle s'y montre poète, femme d'artiste et amoureuse de « la vie salubre sur la colline ». Le volume se divise en quatre parties : Cantilènes des choses, Cantilènes des âmes, Cantilènes évangéliques, Cantilènes enfantines.
Ces poèmes tirent leur valeur de la profonde sincérité de l'auteur. Elle les a composés moins avec sa plume qu'avec son âme de femme canadienne-française, de chrétienne pieuse et convaincue, de mère aimante et dévouée. Leur charme vient aussi de leur exquise simplicité. Mme L'Archevêque-Duguay nous parle, sans recherche ni afféterie, de ce qui l'entoure. Elle jette de la lumière sur les choses les plus banales, sur les objets ordinaires, les menus incidents de la vie quotidienne, et les pare d'une beauté vraie. Elle prouve ainsi que les actions les plus vulgaires et les plus terre à terre peuvent être ennoblies et spiritualisées par la disposition d'esprit de ceux qui les accomplissent, qu'elles peuvent aussi devenir matière d'art.
Les Cantilènes évangéliques contiennent des leçons de foi et d'amour envers le Maître de la vie et se terminent par des prières humbles et confiantes. Les Cantilènes enfantines mettent sous nos yeux de petits tableaux d'une fraîcheur délicieuse, dessinés sous l'inspiration d'un coeur maternel.
En collaboration avec l'abbé Albert Tessier (Tavi), Mme L'Archevêque-Duguay a publié Comme nous sommes heureux (1940), sorte d'album d'une centaine de pages, qui renferme 40 photographies accompagnées de textes appropriés. Photographies et textes se complètent et forment un harmonieux ensemble, qui plaît à l'oeil autant qu'il satisfait l'esprit. Les leçons et les conseils qui y sont contenus sont de nature à faire réfléchir les adultes plus encore peut-être qu'ils n'intéresseront les enfants. L'auteur magnifie le travail manuel, met à l'honneur laboureurs, femmes des champs, cuisinières, et nous apprend à rendre grâces à Dieu de tous ses bienfaits.
Mater (1946) est un recueil d'une cinquantaine de poèmes en vers libres. Chaque poème évoque la Vierge, mère de l'Homme-Dieu et la nôtre aussi. L'auteur la mêle constamment à sa vie d'épouse et de mère et lui parle avec une familiarité aimante. Ici, comme dans ses autres ouvrages, Mme L'Archevêque-Dugnay se montre poète d'une sensibilité vibrante.
MME ALBERTE LANCTÔT a écrit deux volumes en prose rythmée : La Vie s'ouvre ... Intimités (1935), Les foies certaines (1942). Dans le premier, c'est une maman qui raconte, avec des mots charmants, avec des notations fines et légères et, à certains moments, avec des phrases bien senties et pleines d'émotion, « les menus faits d'une vie d'enfant, sa studieuse et attachante jeunesse ». Le second volume parle de
Ces poèmes apparaissent comme autant de croquis sans surcharge, d'une simplicité gracieuse, d'un charme exquis.
RINA LASNIER, « poète complet, personnel, inédit », selon l'expression de M. Victor Barbeau, a écrit trois oeuvres destinées à la scène : Féerie Indienne — Kateri Tekakwitha (1939), Le Jeu de la Voyagère (1941), Les Fiançailles d'Anne de Noué (1943).
Le Jeu de la Voyagère présente, en un tableau panoramique, la vie de Marguerite Bourgeoys. L'auteur, tout en respectant la vérité de l'histoire, associe à son héroïne réelle des personnages allégoriques qui donnent au Jeu une note de rêve et de poésie. A l'occasion, elle puise dans l'Évangile la matière des dialogues. Elle crée ainsi une atmosphère spirituelle et mystique qui cadre bien avec la figure surnaturelle de l'héroïne.
Les Fiançailles d'Anne de Nouë sont un autre jeu scénique qui a pour personnage central le jésuite Anne de Nouë qui mourut de froid, enseveli dans la neige, en se rendant au fort Richelieu. Le Père Gustave Lamarche, c.s.v. a préfacé l'oeuvre.
Images et Proses (1941) est un recueil écrit en prose rythmée, « illustré de 24 photographies dont 23 de Tavi ». Chaque Image inspire un ou deux petits poèmes, qui semblent naître spontanément, sans travail et sans effort. Leur simplicité, dépouillée de tout ornement superflu, fait leur richesse et leur beauté. Ainsi ces trois lignes finales du poème. Chanson :
Mlle Lasnier est une âme religieuse ; elle termine son recueil par un Chemin de Croix d'une originalité profonde, tout en rapprochements et en contrastes, comme la vie et la mort du Christ, Verbe fait chair. Dans cette poésie pieuse, sans banalité ni fadeur, chaque mot, gonflé de sens spirituel, appelle la réflexion et nourrit la piété.
Le Chant de la Montée (1947) réunit quinze poèmes d'inspiration biblique que l'auteur présente dans une préface qu'elle appelle un «avant-dire ». Dans ces poèmes, au style chargé de sens mystique et riche d'images, Mlle Lasnier fait surgir de l'Ancien Testament quelques figures de saintes femmes : Sara, Rébecca, Rachel. « Nulle d'entre elles n'atteignit à la perfection, mais chacune prophétisa quelque chose de cette excellence qui convenait à la seule immaculée. »
Le Client de la Montée a mérité cette appréciation d'un critique : « Je (le) mettrai sans trembler au sommet de la poésie féminine canadienne » (Bertrand Lombard, Le Chant de la Montée, dans La Revue de l'Université Laval, Il, (1948), p. 700).
B. Poésie subjective
ÉMILE NELLIGAN (1879-1941) est né à Montréal d'un père irlandais et d'une mère canadienne-française. Il ne put jamais s'astreindre à un travail suivi ; il abandonna à mi-chemin ses études. Nature vibrante et toute de sensibilité, il se heurta aux ennuis de la tâche journalière ; il n'eût voulu vivre que de la pensée. Le génie semblait l'avoir marqué de son sceau, mais la névrose en fit sa victime. A 19 ans, il « sombra dans l'abîme du rêve », selon sa propre expression.
Émile Nelligan est l'un des moins canadiens de nos poètes ; l'on chercherait en vain dans ses vers la moindre allusion aux choses de notre vie nationale. « Mais, dit Charles ab der Halden, avec lui, si la poésie de son pays perd en couleur locale, elle s'élargit en même temps qu'elle devient plus intime. »
Les poésies d'Émile Nelligan ont été recueillies sous le titre : Émile Nelligan et son oeuvre (1925). Louis Dantin, qui en est l'éditeur, termine sa préface par ce jugement sur le poète : « Émile Nelligan fut un poète prodigieusement doué, à qui il n'a manqué que le temps et le travail pour devenir un grand poète. Tel qu'il est, il aura merveilleusement reflété tout un coin du ciel de la poésie et conquis une place bien à lui dans notre anthologie canadienne. Il s'est dépeint lui-même tout entier, avec ses dons superbes, avec ses impuissances fatales, avec la catastrophe enfin qui l'a brisé en plein essor, dans ces vers qui pourraient être son épitaphe :
Ce vers superbe est de lui :
ALBERT LOZEAU (1878-1924) eut une enfance maladive. Il suppléa par des lectures personnelles à ses études imparfaites et s'instruisit seul. Forcément reclus, abandonné le plus souvent à ses propres pensées, Albert Lozeau qui sentait vibrer en son âme les cordes d'une lyre, puisa, dans la poésie ses meilleures consolations. Il risqua ses premières strophes ; mais, trop pauvre pour publier son œuvre, il s'adressa à sir Wilfrid Laurier. Quelques mois plus tard paraissait L'âme solitaire (1907). Ces poèmes suscitèrent l'étonnement et l'admiration ; le nom d'Albert Lozeau vola sur toutes les lèvres. Quel était ce poète nouveau qui, dans une phrase harmonieuse et souple, livrait au public les sentiments d'une âme toute en délicatesse et en nuances ?
Albert Lozeau continua de mûrir son talent et publia deux autres volumes : Le Miroir des Jours (1912), Lauriers et Feuilles d'Érable (1916), petits poèmes tout frémissants de patriotisme. Le poète avait révisé lui-même toute son oeuvre poétique en vue d'une réédition. La publication se fit en 1926, après sa mort. Elle porte le titre général de Poésies complètes et comprend trois volumes. Les deux premiers s'intitulent comme précédemment : L'Âme solitaire, Le Miroir des Jours ; le troisième, Les Images du Pays, contient Lauriers et Feuilles d'Érable et quelques poésies inédites.
La vie intérieure qu'il a su se créer et qu'il n'a jamais cessé de développer, sa sensibilité affinée, sa délicatesse de sentiment, son habileté technique ont fait d'Albert Lozeau l'un des meilleurs poètes de sa génération. Il avait une âme croyante et religieuse ; lorsqu'il parle de la souffrance, il le fait en chrétien. Il sait que la souffrance grandit l'homme qui la supporte vaillamment et qu'elle a en plus valeur de rachat.
Albert Lozeau écrivit, pour Le Devoir, de délicieux Billets du Soir réunis et publiés en volumes (1911, 1912, 1918).
LOUIS-JOSEPH DOUCET, tout jeune encore, dut délaisser l’école pour les travaux des champs. Il n'est donc pas étonnant de rencontrer, dans les écrits de M. Doucet, des incorrections de syntaxe, des phrases enchevêtrées et obscures. Ces défauts sont rachetés par de précieuses qualités : l'originalité, la sincérité, l'attendrissement, une franche saveur de terroir.
Son oeuvre poétique est considérable : La Chanson du Passant (1908). La Jonchée nouvelle, L'Ode au Christ (1910), Sur les Remparts (1911), Les Palais chimériques (1912), Les Grimoires (1913), Près de la Source. (1914), Les Sépulcres blanchis (1915), Les Palais d'Argile (1916), Idylles symboliques (1918), Vers les Heures passées (1918).
M. Doucet a publié en prose : Contes du Vieux Temps (1910), Pages d'histoire (1914), Campagnards de La Noraye et Moïse Joessin (1918).
ALBERT DREUX, pseudonyme d'Albert Maillé, a publié deux volumes de poésie : Les Soirs (1910), Le Mauvais Passant (1920). Parlant du dernier volume, dans les Poètes de l'Amérique française, Louis Dantin déclare que « ces poèmes, d'une indiscutable sincérité, révèlent en Albert Dreux le rêveur sensitif et l'artiste consciencieux que le volume des Soirs avait déjà fait entrevoir. »
ROBERT CHOQUETTE avait à peine 20 ans lorsqu'il publia A Travers les Vents (1925). L'apparition de ce volume révéla qu'un nouveau poète lyrique était né au Canada français. Dans un Prologue de quelques lignes, il dit son rêve de poète et manifeste son enthousiasme juvénile;il veut
Robert Choquette a fait paraître un second volume : Poésies Nouvelles (1933), dont le groupe principal s'intitule Metropolitan Museum. Ce titre à consonance étrangère semble un peu bizarre et l'on se demande quel genre de poèmes il annonce. L'auteur y synthétise, en décrivant les grandes capitales du monde actuel ou ancien, les formes diverses qu'a prises la civilisation depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Le poète se promène ainsi à travers les siècles et les empires ; il saisit tel aspect caractéristique d'une époque et d'un pays. Les images s'accumulent dans son esprit et le sollicitent ; il répond par l'écho sonore des mots ».
Grâce à son imagination puissante et féconde, on voit revivre Athènes avec son culte de la beauté ; la Rome antique étale sa force et son esprit de domination ; les siècles chrétiens défilent représentés par les martyrs, les croisés, les bâtisseurs de cathédrales.
Robert Choquette est un poète lyrique et il l'est constamment, qu'il entonne Le Chant de l'Aigle rouge, qu'il décrive la ville de New York, raconte le voyage de la Locomotive à travers l'Amérique on monte vers l'Idéal. Ses vers semblent composés plutôt pour être écoutés que pour être lus ; leur musicalité charme l'oreille, leur rythme plaît comme celui d'un chant harmonieux ; leur richesse verbale donne la sensation de la plénitude. Une lecture attentive laisse toutefois apercevoir des faiblesses : hiatus, obscurités, termes impropres, épithètes tantôt inexpressives, tantôt forcées, chutes dans le prosaïsme, trop grande facilité qui confine à la négligence.
M. Choquette a publié un roman, La Pension Leblanc (1928). Il a aussi édité trois volumes d'émissions radiophoniques : Le Fabuliste La Fontaine à Montréal (1935), Le Curé de Village (1936), La Pension Velder (1940). Le Fabuliste La Fontaine à Montréal contient des saynètes dont chacune adapte à une fable de La Fontaine des personnages de la société montréalaise contemporaine. Le Curé de Village, comme La Pension Velder, est un radio-roman à propos duquel le Père Lamarche, o.p. exprime ce souhait : « Pour que vive son Curé de Village, je souhaite au prince du folklore canadien de puiser longtemps encore à ces sources régionales d'inspiration poétique. »
M. Robert Choquette, auteur radiophonique et poète, vient d'être nommé (1948) membre de l'Académie Ronsard. Cette Académie, qui groupe les plus grands poètes de langue française, dit qu'elle considère M. Robert Choquette comme le poète le plus représentatif du Canada.
LUCIEN RAINIER, pseudonyme de l'abbé Joseph Melançon, fit partie de l'École littéraire de Montréal à ses débuts ; il la quitta pour le séminaire, sans pourtant dire un adieu définitif à la poésie.
Avec ma Vie (1931) est son seul volume de vers, bien que quelques pièces signées de son nom aient aussi paru dans les journaux et les revues. Le recueil se divise en trois parties bien distinctes : Saisons mystiques, où le poète se plaît à établir une relation symbolique entre la variété des heures, des jours et des saisons, et la diversité des états d'âme ; Stèles et Médaillons sonnets religieux et pièces patriotiques ; Le Chantier au bord du Rêve, dans lequel se fondent harmonieusement le rêve et la réalité. Lucien Rainier est un poète mystique au sens large du mot ; presque tous ses poèmes renferment une note spirituelle, une pensée religieuse. Quelques-uns se font prière ou se prolongent en méditation.
Toutes les pièces, ordinairement courtes, semblent jaillir d'un élan spontané, bien qu'elles soient toujours assujetties au « génie de la forme ». Même Le Chantier du Rêve n'a rien d'imprécis ni de vaporeux ; l'Illusion, en plus de sa fluidité et de son charme subtil, évoque un personnage aux contours bien définis.
Lucien Rainier possède le secret du rythme et de la cadence. Ses vers éveillent l'idée de tout ce qui est harmonie auditive et visuelle (cf. Aurore printanière) : musique, chant, danse légère et pleine de grâce. Leur lecture plaît à l'oreille autant qu'elle séduit l'esprit et élève l'âme.
SIMONE ROUTIER s'est fait connaître par L'Immortel Adolescent (1928). Cet adolescent, immortel dans ses rêves, c'est celui qu'elle a façonné elle-même, rempli de ses propres aspirations et qui devient un prétexte à ses confidences intimes :
Si le livre n'est pas parfait, songeons qu'il s'agit d'un premier essai et rangeons-nous à l'avis de M. Séraphin Marion, qui porte sur lui ce jugement: « Oeuvre remarquable par la technique savante qu'elle exhibe, par le talent poétique qu'elle révèle et par l'abondante moisson qu'elle promet, elle a déjà conduit son auteur jusqu'au seuil même du Temple de la Renommée » (En feuilletant nos Écrivains, p. 96). Mlle Routier a publié Ceux qui seront aimés (1931), plaquette de 30 pages où l'auteur ne renouvelle pas assez son inspiration, bien que sa pensée soit plus claire, plus spontanée et qu'on y sente moins l'effort ; la langue est plus correcte et plus pure. Les Tentations (1934) sont écrites en vers libres ; il s'y rencontre de jolies pièces, mais ce n'est pas encore le chef-d'oeuvre.
Mlle Simone Routier, fonctionnaire du Canada à Paris (1940), a dû quitter la ville à l'entrée des Allemands. Elle raconte son départ dans un livre intitulé Adieu Paris ! (1941), « qui contient nombre d'observations judicieuses et d'idées justes » sur l'état d'esprit en France au moment de la déclaration de la guerre et sur les souffrances effroyables qu'eurent à endurer les évacués et la population en général.
Mlle Simone Routier puise aux sources bibliques pour chanter les Psaumes du jardin clos (1947) où l'âme religieuse s'épanouit dans la quiétude et dans la joie. Mais il faut quitter le « jardin clos » ; et c'est Le long Voyage (1948)
« Oh ! non point dans la tristesse, mais dans la sérénité d'une âme tout entière immergée de soleil... »
Mlle Simone Routier est une poétesse exquise et religieuse. Les Psaumes du jardin clos et Le long Voyage prouvent une fois de plus, s'il en est besoin, qu'il n'y a nul antagonisme entre religion et poésie, et que des sentiments chrétiens peuvent s'exprimer en des vers d'une réelle beauté.
JOVETTE-ALICE BERNIER débuta dans les lettres par un volume de vers d'inspiration romantique, intitulé Roulades (1924), où se révèle une sensibilité délicate et profonde. Comme l'Oiseau (1926) chante le
Fatal amour, vain mal, tyran insatiable.
Tout n'est pas dit (1929) et Les Masques déchirés (1932) marquent l'ascension de l'auteur vers un art plus parfait. Les poèmes de Mlle Bernier ont des allures de confidences intimes. Le désenchantement, une tristesse morbide sont la note dominante de ses vers qui ne laissent filtrer aucun rayon d'espérance chrétienne, seule génératrice de joie et de paix. Si la facture des pièces de ces différents recueils accuse maintes défaillances, on ne saurait nier que l'auteur a le talent poétique.
Mlle Bernier a publié un roman dont le titre La Chair décevante (1931) laisse pressentir quelle sera l'intrigue. La sensualité et la passion y trouvent leur compte.
ALICE LEMIEUX a pris place parmi les poètes par les Heures effeuillées (1926) et Poèmes (1929). L'amour est le thème presque exclusif. Ce sentiment, avec son vocabulaire propre, envahit tout, même les pièces de Poèmes consacrées à exalter la Nature. Mlle Lemieux, qui écrit sur le mode lyrique, est quelquefois mièvre ; il lui arrive aussi d'employer, des expressions incohérentes, obscures. Par ailleurs, quelques-unes de ses pièces renferment des images pleines de fraîcheur, d'autres sont musicales, gracieuses comme des ailes d'oiseau. A la fin de son volume de Poèmes, l'auteur, en un langage vraiment chrétien, ce qui ne l'empêche pas d'être poétique, offre à Dieu.
Les vers que j'ai cueillis au jardin de ma vie.
ÉVA SENÉCAL est connue du public littéraire par son recueil de poèmes La Course dans l'Aurore (1929). L'auteur nous entraîne vers l'avenir miroitant, l'amour, l'illusion. Elle peint la nature d'une façon si brillante qu' « elle nous rend la surprise des bois, du soleil, des saisons. Tous les thèmes usés reverdissent en passant par une voix si jeune (Louis Dantin — Poètes de l'Amérique française). Mlle Senécal a publié un roman Dans les Ombres (1931), où il y a de l'invraisemblable et beaucoup de lyrisme ; elle peint de gracieux paysages et analyse des âmes, celle de l'héroïne surtout.
MEDJÉ VÉZINA s'est penchée sur le visage triste ou joyeux, sévère ou serein, des heures qui passent et le décrit dans Chaque Heure a son Visage (1934). Comme les heures ont un visage aussi divers que sont différentes les personnes qui les vivent, la poésie où elles défilent sous nos yeux est absolument subjective. L'auteur regarde au-dedans d'elle-même et traduit en vers tantôt violents, tantôt gracieux, voire magnifiques, ses impressions, ses sensations, ses rêves. Son oeuvre est certainement originale, belle et forte, malgré quelques faiblesses : mots audacieux, plus encore atmosphère sensuelle et païenne.
SAINT-DENYS GARNEAU (1912-1943) est, de l'avis unanime de la critique, un poète authentique, peut-être le plus grand qu'ait produit le Canada français. Mort prématurément, il ne publia qu'un mince recueil : Regards et Jeux dans l'espace (1937). Son oeuvre poétique vient d'être éditée dans la collection du Nénuphar, sous le titre de Poésies complètes : Regards et Jeux dans l'espace, Les Solitudes (1949).
Dans sa lumineuse Introduction, Robert Élie, l'un des deux éditeurs, étudie la personnalité du poète et marque les étapes de son ascension spirituelle ; elle s'achève par l'entier dépouillement, dans la solitude, dans le silence et la pensée de la mort. Par là s'explique le sens profond et symbolique de cette poésie un peu obscure et de lecture assez difficile à un lecteur non initié.
« L'oeuvre de Saint-Denys Garneau a cette beauté et cette noblesse particulières des témoignages vrais, et je n'en connais pas de plus émouvant ni de plus loyal » (Introduction, p. 11). « Cette poésie est la fraternelle confidence d'une âme que la douleur met à nu, le précieux témoignage de cette rencontre décisive d'un homme avec sa destinée, qui est déjà l'expérience de la mort.» (p. 13) « Saint-Denys Garneau a écrit son œuvre, du moins ce qui mérite d'y prendre place, en trois ans, de 1935 à 1938. » (p. 14) « La crise intérieure, qui se préparait depuis longtemps, mais qui éclate brusquement dans sa vingt-deuxième année, transforme sa vie et sa poésie en quelques mois. » (p. 15) « La foi et l'espérance, qui le soutenaient dans ces (ses) moments de « lucidité aiguë », le conduisaient vers le Christ qu'il ne savait pas si près. A son grand étonnement, il se découvrait profondément chrétien et ne pouvait concevoir d'autre amour que la charité. » (p. 17) « L'oeuvre de Saint-Denys Garneau est le fruit d'une méditation poétique assurée et fidèle à son objet le plus haut, assurée, bien qu'elle entraîne le poète dans cette nuit de l'esprit où il n'y a plus que la foi pour le soutenir, où non seulement la pensée de la mort, mais le moindre mouvement d'amour exige le don total de l'âme et se prélève sur l'être même.» (p. 23) « Il se taira bientôt ... il cherchera la paix dans une vie modeste, au contact de la nature et auprès de ceux qui peuvent l'aimer simplement. » (p. 28)
ALAIN GRANDBOIS est un poète au « chant âpre, passionné, lourdement volontaire ». Une phrase de Tolstoï, placée au début de Rivages de l'homme, nous fait connaître l'idée qui hante constamment l'esprit de ce poète, le thème à peu près unique de son oeuvre poétique Si un homme a appris à penser, peu importe à quoi il pense, il pense toujours au fond à sa propre mort. »
Le premier recueil de poèmes d'Alain Grandbois, Les Îles de la nuit, porte un titre qui n'éveille ni la joie, ni la lumière. Le second recueil, Rivages de l'homme, a valu à son auteur le prix Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Il nous transporte, lui aussi, en plein rêve, au delà du réel. Cette poésie, parce qu'elle est une recherche de l'absolu, suscite peu d'émotion ; le lecteur moyen la trouvera quelquefois absurde même, tandis qu'elle émerveille et exalte ceux qui aiment la poésie pour elle-même, la poésie pure.
Poète prestigieux, Alain Grandbois écrit aussi une prose de belle qualité. Il a fait paraître trois volumes : Né et Québec, Les Voyages de Marco Polo, Avant le Chaos. Le premier, publié à Paris en 1933, a été réédité en 1948, dans la collection du Nénuphar. C'est la biographie de Louis Jolliet, le premier Canadien à se classer parmi les grands explorateurs du continent nord-américain, au XVIIe siècle. Alain Grandbois n'est pas un historien au sens strict du mot. Tout en restant dans la vérité, il laisse aux érudits le soin de citer les documents sur lesquels ils s'appuient ; mais il condense toute l'histoire passionnante et tragique de notre pays, depuis la prise de Québec par les Kertk jusqu'aux exploits d'Iberville, un autre Canadien de naissance. La densité du style d'Alain Grandbois fait de ce récit synthétique une reconstitution exacte de la vie quotidienne de la Nouvelle-France d'alors. Dans Les Voyages de Marco Polo (1941), Alain Grandbois suit à la trace le voyageur vénitien du XIIIe siècle, qui se rendit jusqu'en Chine et qui raconta lui-même ses expéditions, extraordinaires pour l'époque. Les descriptions sont éclatantes de couleur et de pittoresque. Avant le Chaos (1945) contient le récit de quatre faits antérieurs au terrible conflit de 1939, d'où le titre de l'ouvrage. L'auteur, qui a beaucoup voyagé, promène ici le lecteur à travers le monde et décrit les pays qu'il a traversés avec des mots merveilleux, des images de beauté, qui révèlent le poète et l'artiste du verbe.
C. Poésie impersonnelle
PAUL MORIN, qui s'est livré pendant quelques années à l'enseignement universitaire, a publié une thèse de doctorat sur l'ouvre du poète américain Longfellow : Les Sources de l'Oeuvre de H.- W. Longfellow (1912). Mais ce qui consacre surtout sa réputation d'écrivain, ce sont ses deux recueils de poèmes : Le Paon d'Émail (1911) et Poèmes de Cendre et d'Or (1922). Le Paon d'Émail étonna le monde des lettres canadien-français. Rien encore n'était entré dans notre littérature, ni pour le fond ni pour la forme, de pareil à ce recueil, suite de petits tableaux d'inspiration païenne, avec un luxe de mots rares et sonores.
Poèmes de Cendre et d'Or sont ciselés avec un art encore plus parfait. Mais ces poèmes sont tellement divers d'inspiration, de facture, de forme et de style, que Louis Dantin, dans Poètes de l'Amérique française, a pu dire : « Il y a bien dans ce livre une douzaine de styles différents, qui se côtoient d'une pièce à l'autre et qu'on dirait l'effet d'une collaboration plutôt que le jet d'une seule plume... Chaque pièce garde bien son caractère dans un style ou dans l'autre, on est même étonné de tant de souplesse dans l'adaptation : mais où est l'unité totale ? » Ailleurs, le même critique résume ainsi son appréciation sur la poésie de Paul Morin : « L'élégance, en somme, même dans la force ou le caprice ; une tendresse délicate sans être brûlante ; un accent toujours pur dans ses intonations diverses ; une harmonie à la fois caressante et ordonnée : c'est bien le caractère de la poésie de Paul Morin. »
GUY DELAHAYE, pseudonyme du docteur Guillaume Lahaise, s'est affranchi, dans son recueil de vers Les Phases (1910), de toutes les Ecoles suivies par ses prédécesseurs. Il est notre premier poète symboliste. Il a exprimé ses rêves dans des triptyques mystérieux, dans des pièces étranges. Quelques-unes (v.g. Pressentiment) ne sont pas toujours intelligibles, soit parce que le poète emploie des mots inconnus, soit parce que l'esprit cherche en vain le sens caché sous les vers, soit parce que le fil qui relie les idées est si tenu qu'on ne l'aperçoit guère. Plusieurs poèmes frappent par leur concision : trois strophes de trois lignes chacune suffisent au poète pour dessiner le portrait physique et moral du Moine. Parfois l'image jaillit avec spontanéité ; il arrive aussi que les mots, par leur sonorité harmonieuse, suggèrent les choses qu'ils évoquent. Guy Delahaye a aussi publié une oeuvre fantaisiste, Mignonne, allons voir si la Rose (1912), où les pages à moitié blanches, les virgules ,et les points, tiennent souvent lieu de texte.
RENÉ CHOPIN se montre, dans les deux volumes de poésie qu'il a publiés : Coeur en exil (1913) et Dominantes (1933), un artiste épris de beauté.
Ployé sous son génie, exilé dans sa race, » il n'écrit pas pour la foule qui, de fait, n'apprécierait guère ce genre souvent limité à la richesse verbale. René Chopin a une imagination puissante ; il se promène à travers l'espace et décrit une Vision nocturne, des Paysages polaires, parle du Soleil, de la Lune, des Étoiles, raconte La Mort d'un Hêtre, dit Le Plaisir d'entendre les Grenouilles dans la Campagne. L'inspiration de ces vers est quelquefois voluptueuse et assez souvent païenne. Presque toutes les pièces exhalent la mélancolie, le pessimisme ; jamais la joie ni l'espérance n'y font entendre leur note lumineuse et pacifiante.
« Les vers de Dominantes sont brillants. La musique des mots, la sonorité des assonances, la précision des traits, jointes à ces demi-teintes .qui permettent l'envol du rêve, s'y rencontrent sans s'y heurter ; on a l'impression que l'auteur nage dans une immense richesse de rythmes, de figures et d'images » (A. Saint-Pierre, o.p. — Revue dominicaine — 1934).
JULES TREMBLAY (1879-1927), fils de l'écrivain Remi Tremblay, se lança dans le journalisme à 18 ans ; à sa mort, il était traducteur aux Communes, à Ottawa.
Jules Tremblay, qui fut membre de l'École littéraire de Montréal, est un poète parnassien. Il a écrit : Des Mots, des Vers (1911), Du Crépuscule aux Aubes (1917), Les Ferments (1917), Aromes du Terroir (1918), Les Ailes qui montent (1918). Écrivant en vers limpides, d'une belle facture, où l'on entend parfois la note patriotique et religieuse, il a le souci d'éviter la banalité et les lieux communs.
Jules Tremblay a écrit plusieurs ouvrages en prose : Les Trouées dans les Novales (1921), scènes canadiennes, niais où abondent les mots rares et difficiles ; Sainte-Anne d'Ottawa (1925), qui renferme des pages dignes de la grande histoire ; Autour du roman Les Anciens Canadiens (1926) et bon nombre d'opuscules.
ROSAIRE DION est un poète franco-américain. Son premier volume de vers En égrenant le Chapelet des fours (1925) est une promesse plus qu'un succès. Les Oasis (1930) contiennent cinquante sonnets où l'auteur fait preuve d'un effort persévérant vers la conquête de son idéal de beauté. Son troisième volume exalte un poète américain : Walt Whitman, ses meilleures pages traduites de l'anglais (1933). Le traducteur a su interpréter d'une façon originale le poète étranger et son travail est, au dire de la critique, une réussite littéraire. Vita (1940) montre que le poète est de plus en plus maître de sa langue et de la technique du vers.
Voici, à propos de Vita, une mise au point, sévère mais juste, de l'abbé Émile Bégin : « Vita, à cause de l'effronterie verbale de quelques poèmes, de certaines libertés que ces poèmes prennent avec la pudeur, devient un livre peu recommandable pour la jeunesse qui se respecte... La description de l'épanouissement de l'animal et de ses délectations dans les nourritures terrestres désordonnées ne peut qu'engendrer la mort chez les faibles. Chez les forts, elle provoque le recul devant le nid de reptiles. (Enseignement secondaire, 1940, p. 165).
ROGER BRIEN, poète prolifique, attira l'attention du public lettré et de la critique par un volume de vers Faust aux Enfers (1935). On lui reconnaît du talent et de l'inspiration ; il a de grandes envolées lyriques, mais il n'évite pas toujours l'écueil de l'emphase, de la grandiloquence et de l'incohérence. Sous les mots qui s'entassent, on cherche quelquefois le fond solide de la pensée ; le poète se laisse entraîner par sa facilité à écrire sans donner assez d'attention au sens des expressions, à la correction de la phrase et à la facture du vers. Si Les yeux sur nos temps souffrent des mêmes défauts, d'autres oeuvres, Salve Regina et Prière de Marie-des-Neiges à Notre-Dame de Montréal, font augurer pour l'avenir un maître du vers.
Roger Brien fut d'abord rédacteur de la revue Marie fondée en 1947. Cette revue, dont le but est de faire mieux connaître et mieux aimer la Vierge, a pour collaborateurs les personnalités les plus hautes : cardinaux, évêques, théologiens, artistes, poètes de tous pays. Devenu directeur de Marie en 1948, Roger Brien a reçu des lettres de félicitations et d'encouragements des évêques, archevêques et cardinaux. Il a été honoré d'une lettre autographe de Sa Sainteté le Pape Pie XII, le 16 janvier 1950. La revue a été aussi louée par le journal officieux du Vatican, l'Osservatore Romano.
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SŒURS DE SAINTE-ANNE, « Poésie », Histoire des littératures française et canadienne, Lachine, procure des Missions Mont Sainte-Anne, 1954, 602p., pp. 375-376, 394-395, 426-434, 516-541.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |