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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Histoire de la littérature canadienne-françaiseLe journalisme
I. Période d'essais (1764-1820)
[Ce texte a été publié en 1954. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.] CARACTÈRES GÉNÉRAUX. — Si les oeuvres publiées sous le régime français forment ce que l'on a appelé, d'un terme si juste, la littérature pré-canadienne, celles qui ont vu le jour de 1764 à 1820 pourraient fort bien se grouper sous le titre de littérature embryonnaire. Les oeuvres d'alors, peu nombreuses, sont indigentes quant aux sujets traités, gauches et quelquefois nulles de style, souvent incorrectes sous le rapport de la phraséologie.
Par contre, elles ont une réelle valeur documentaire; elles nous font connaître l'attitude et l'état d'esprit des Canadiens au début du nouveau régime, état d'esprit complexe comme la situation qui l'engendre. Il semble qu'on puisse l'exprimer ainsi : loyauté politique des nouveaux sujets envers l'Angleterre, qui a reçu leur allégeance, et obéissance à ses lois ; fidélité intellectuelle à la France, due au désir tenace de conserver la langue, les coutumes et les traditions françaises.
Ces ébauches littéraires peuvent se classer sous trois rubriques : Journalisme, Éloquence, Poésie.
1. Journalisme (1760-1820)
Le journalisme marque les débuts de notre littérature. Nos premiers journaux ont un format restreint et ne paraissent d'abord qu'une fois la semaine. Les articles de fond proviennent des journaux d'Europe. Les nouvelles de première main y sont peu fréquentes, vu la rareté des moyens de communication. En hiver, la matière manque presque totalement ; les éditeurs tâchent d'y suppléer en faisant appel aux écrivains du pays. Les articles sont presque toujours anonymes ; ou bien on les signe d'un pseudonyme : Spectateur tranquille, Canadien curieux, Ingénu. La politique n'y a pas droit de cité tout d'abord ; ce n'est qu'après 1792, et surtout à partir de 1806, que nos journaux entrent, pour n'en plus sortir, dans le champ des luttes politiques.
BILINGUISME. — Fait à noter, nos premiers journaux s'impriment en anglais et en français afin de recueillir un plus grand nombre d'abonnements ; l'intérêt favorise ainsi le bilinguisme, au moment même où l'Angleterre veut angliciser sa nouvelle colonie. Les articles français sont souvent la traduction littérale de l'anglais, depuis les expressions papier-nouvelles (journal), Magasin de Québec (titre d'un journal), jusqu'aux avertissements ou avis (annonces) ; il y a là une transcription assez saugrenue des mots anglais Newspapers, Quebec Magazine, advertisements. Et c'est l'une des multiples portes par où les anglicismes ne se feront pas faute de passer nombreux, pour s'installer à demeure.
PROGRAMME. — Les fondateurs, propriétaires ou éditeurs, présentent leurs journaux dans un article-programme où ils s'efforcent de convaincre le peuple de la nécessité de cette publication. La lecture de ces longues périodes, qui promettent ordinairement beaucoup plus que leurs auteurs ne sont capables de donner, peut nous faire sourire aujourd'hui; mais si l'on se reporte au temps où ils vivaient, si l'on songe aux moyens rudimentaires dont ils disposaient, l'on ne peut s'empêcher d'apprécier leurs bonnes intentions et d'admirer leurs efforts pour frayer cette voie nouvelle.
N.-E. Dionne, dans son Inventaire chronologique des livres, brochures, journaux et revues publiés dans la province de Québec de 1764 à 1904 (M.S.R.C.) mentionne dix-neuf titres de journaux pour la période de 1764 à 1819. La plupart de ces journaux ne durèrent que quelques années ou même quelques mois. L'un d'eux ne parut qu'une fois.
La Gazette de Québec est le premier. Fondé par un Écossais, William Brown, ce journal insignifiant, qualifié par l'auteur lui-même d'« innocente gazette », ne compte guère dans notre histoire littéraire que comme marquant le point de départ du journalisme canadien. En 1789, sous la direction de J. Neilson, il devint plus intéressant et vécut jusqu'en 1874.
La Gazette littéraire, fondée à Montréal en 1778 par Joseph Fleury Mesplet et Valentin Jautard, fut supprimée an bout d'un an, par ordre du gouverneur Haldimand, en raison des critiques contre le gouvernement dont ce journal s'était fait l'écho.
La Gazette de Montréal, imprimée en 1785 par le même Fleury Mesplet, fut un journal d'information politique. Elle paraît encore de nos jours, mais elle est devenue exclusivement anglaise.
Le Magasin de Québec, commencé en août 1792 par une société de gens de lettres, avait les proportions d'un recueil. Chaque livraison contenait 68 pages. Ce journal ne dura que deux ou trois ans.
Le Canadien, hebdomadaire fondé en 1806 par Pierre Bédard, Jean-Antoine Panet et autres patriotes, s'appliquait à réfuter les accusations de déloyauté portées à tort par le Mercury contre les Canadiens. II servait tout haut les intérêts du pays. Le grave et le léger se mêlaient dans ses colonnes mordantes et railleuses, mais toujours ennemies de l'exagération. Supprimé en 1810 par ordre du gouverneur Craig, il ne tarda pas à revivre (1823) sous l'impulsion de son meilleur rédacteur Étienne Parent.
Le Courrier de Québec, fondé en 1807 par le juge de Bonne et ses partisans, parut jusqu'à la fin de 1809. Tendant à un but tout différent de celui du Canadien, le Courrier de Québec s'efforçait de faire comprendre aux Canadiens français qu'ils avaient tout à gagner sous la domination de l'Angleterre. Il faut dire cependant, à sa louange qu'il défendit les Canadiens français contre les insultes du Mercury, et qu'il présenta souvent à ses lecteurs d'utiles études historiques et littéraires. Le docteur Jacques Labrie y publia les premiers chapitres d'une Histoire du Canada qui furent très goûtés de ses contemporains, mais dont les autres périrent en 1837 dans l'incendie de Saint-Benoît.
Le Spectateur, sous la direction de Charles Pasteur, parut à Montréal en 1815, après la suppression violente du Canadien. Il contenait des poésies et des articles instructifs, en général bien rédigés.
L'Aurore des Canadas, publiée par Michel Bibaud en 1815, traitait aussi de sciences et de lettres. Ce journal finit par se fondre avec Le Spectateur, en 1819, sous la direction du même Michel Bibaud.
Des dix-neuf journaux publiés de 1774 à 1820, peu ont survécu. Les revenus précaires dont ils vivaient n'étaient guère suffisants pour une oeuvre qui exige, avec de la compétence et du dévouement, beaucoup d'argent. Cet argent provient surtout des abonnements et des annonces ; or, en ce temps, les abonnés ne dépassaient guère deux ou trois centaines et les annonces étaient rares.
2. Journalisme (1820-1860)
N.-E. Dionne, dans son Inventaire déjà cité, énumère plus d'une centaine de journaux pour la période de 1820 à 1860. Il y en a de tous les genres, de toutes les couleurs et de tous les titres :
Le plus grand nombre étaient des journaux populaires et politiques, pas tous irréprochables sous le rapport des principes. Ainsi l'on trouve, par exemple, dans les Mélanges religieux (2e année — vol. III) toute une polémique entre cette revue et l’Aurore des Canadas (1839-1848), fondée à Montréal par F. Cinq-Mars. C'est que ce journal jetait le blâme sur Grégoire XVI, pape alors régnant, et sur Mgr Lartigue, premier évêque de Montréal.
Parmi les journaux politiques se distinguèrent le Courrier de Saint-Hyacinthe, fondé en 1852 et qui paraît encore ; la Minerve (1826-1899), fondée par Ludger Duvernay pour être le porte-parole de Papineau et des patriotes ; le Courrier du Canada (1857-1901), qui eut pour fondateur Joseph-Charles Taché (1821-1894) et pour dernier rédacteur Thomas Chapais ; le Canadien, ressuscité et passé, en 1823, sous la direction d'Étienne Parent.
C'est dans ces journaux que nos premiers littérateurs se sont exercés à écrire ; qu'ils ont exprimé leurs pensées sur les grandes questions de notre vie nationale ; qu'ils ont lutté, comme on le faisait au parlement, contre un pouvoir oppresseur pour conserver nos libertés les plus chères. Par leur nombre, par leur caractère le plus souvent scientifique et littéraire, les journaux témoignent de l'activité intellectuelle à cette époque, du goût de nos pères pour les choses de l'esprit.
ÉTIENNE PARENT (1802-1874) devint à 21 ans rédacteur en chef du Canadien. Il en garda la rédaction jusqu'en 1825, époque où ce journal fut suspendu par suite d'un article imprudent contre Mgr Plessis; il la reprit en 1831.
Étienne Parent fut admis au Barreau en 1829, mais la pratique du droit ne l'attirait guère ; ses goûts le portaient plutôt vers la discussion des idées et les polémiques du journalisme.
SA CARRIÈRE DE JOURNALISTE. — Quand le Canadien rentra dans l'arène, ce fut sous la haute direction de ce publiciste déjà si favorablement connu. Il donna pour devise au journal ressuscité : Nos institutions, notre langue et nos lois, un programme dont il ne s'écarta jamais.
Dans sa première étape, de 1806 à 1810, le Canadien avait publié des articles de fond pour instruire le peuple, et des couplets pour inspirer l'amour du pays. Sa seconde étape, de 1819 à 1825, fut moitié politique et moitié littéraire. Lorsqu'il parut pour la troisième fois, il devint une arme puissante constamment dirigée contre le parti anglais. Une lutte vigoureuse se livra sur le terrain des écoles et de la langue française que les Anglais voulaient alors proscrire, afin d'identifier notre nationalité à la leur. Personne, mieux que le rédacteur du Canadien, ne savait dire ce qu'il fallait dire, revendiquer avec plus d'énergie et de dignité le droit menacé, diriger en somme le parti canadien-français. Sa prose est substantielle, nourrie d'idées, de pensées originales ; incisive et mordante dans l'attaque ou la défense, elle demeure toujours dans les bornes d'une juste modération.
Les conférences d'Étienne Parent sont, comme ses articles de journaux, l'oeuvre d'un penseur, d'un écrivain pondéré, sinon toujours clair et correct. Son nom reste dans notre histoire littéraire comme celui du journaliste le plus éclairé de son époque.
LUDGER DUVERNAY (1799-1832), né à Verchères, fonda, à 18 ans, la Gazette des Trois-Rivières, qu'il rédigea pendant cinq ans; puis le Constitutionnel pendant deux ans ; enfin l'Argus. En 1827, avec Augustin-Norbert Morin, il fonda la Minerve, dont les colonnes exhalaient le plus ardent patriotisme.
Duvernay avait son franc parler ; ses articles courageux maltraitèrent ceux qu'il était convenu d'appeler les oligarchiques, les bureaucrates. Il ne ménageait guère non plus les Canadiens insoucieux de leurs droits. Trois fois emprisonné pour avoir soutenu la bonne cause, il fut l'objet d'enthousiastes ovations de la part de ses concitoyens.
Duvernay, comme la plupart des chefs patriotes, fut contraint de s'expatrier en 1837. De retour au pays après quatre ans, il ressuscita la Minerve, avec le secours de Raymond Fabre.
3. Journalisme de 1860-1900
La vogue du journalisme ne se ralentit pas à cette époque ; N.-E. Dionne cite près de 660 titres de journaux et de revues pour les années de 1860 à 1900. Comme dans les périodes précédentes, un grand nombre ont une durée éphémère; d'autres — telles la Gazette des Campagnes, la Revue Canadienne — ont paru respectivement 34 et 59 ans ; enfin quelques-uns paraissent encore.
Ce qui frappe surtout dans cette longue nomenclature, c'est la variété des genres, des études et des sujets, que se proposent de traiter les éditeurs et rédacteurs ; tout ce qui peut intéresser l'esprit humain semble y avoir sa place marquée. Pour les classer avec tant soit peu d'ordre, il faudrait de nombreuses divisions; contentons-nous de ces deux catégories : Journaux et Revues.
JOURNAUX. — Le plus grand nombre des quotidiens et hebdomadaires sont des journaux de parti ; ils soutiennent l'un ou l'autre des deux grands partis qui, à chaque élection, se disputent le pouvoir. Leurs articles ne sont que la répétition, la suite ou l'amplification des discours politiques. Quant aux nouvelles et aux faits divers, il arrive souvent qu'on y donne trop d'importance aux scènes scandaleuses, aux aventures romanesques, aux descriptions de crimes et aux procès.
Du point de vue littéraire, cette masse de papier imprimé contient plus de banalités, de lieux communs et d'insignifiances que de modèles de style; toutefois, on trouve dans quelques journaux des articles bien rédigés et intéressants, en ce sens qu'ils nous font assister à certaines polémiques et connaître l'état d'esprit qui dominait à cette époque.
Ces journaux ne furent pas toujours irréprochables du point de vue moral ; il y en eut qui encoururent une condamnation épiscopale rendue publique par une circulaire lue du haut de la chaire.
II y a au moins un journal indépendant, La Vérité, dont le programme est de « dire toujours la vérité, rien autre chose que la vérité », de combattre « toutes les erreurs politiques et sociales d'où qu'elles viennent et sous quelque forme qu'elles puissent se présenter ».
JOURNAUX POLITIQUES. — Le Pionnier de Sherbrooke — L'Événement — La Gazette officielle de Québec — L'Opinion publique — Le Nord — La Patrie — L'Électeur — La Tribune — L'Étendard — La Presse — La Justice — Le Soleil.
PÉRIODIQUES RÉGIONALIS'T'ES. — La Gazette des Campagnes — Le Journal des Trois-Rivières — Le Journal de Lévis — L'Union des Cantons de l'Est — Le Journal d'Arthabaska — Le Courrier de Maskinongé — Le Progrès de Valleyfield — Le Journal de Waterloo — Le Sorelois — L'Étoile du Nord — Le Progrès du Saguenay — La Gazette de Berthier — L'Écho des Bois Francs — L'Avenir du Nord.
REVUES. — Les revues, comme les journaux, sont nombreuses et variées. Quelques-unes méritent une mention spéciale, tels La Semaine religieuse de Montréal, L'Enseignement primaire, Le Bulletin des Recherches historiques, La Revue canadienne et quelques autres revues littéraires. Le premier fascicule de La Semaine religieuse de Montréal, paru le samedi 13 janvier 1883, annonce qu'elle « sera une publication purement religieuse ; nous n'y ferons ni polémique ni politique ». Nouvelles de Rome, du Pape, persécutions contre les catholiques, réveil de la foi, événements religieux à l'étranger, faits religieux du diocèse et du Canada, récits des Missions Étrangères, voilà quelques-uns des sujets que l'on mettra — et que l'on a mis de fait — sous les yeux des lecteurs. Une revue similaire fut fondée dans le diocèse de Québec en 1888.
L'Enseignement primaire paraît depuis 1880. Sauf pendant les trois années de 1937 à 1940, où la revue se donnait comme le Bulletin officiel du Département de l'Instruction publique paraissant quatre fois par année, L'Enseignement primaire a toujours été une revue pédagogique mensuelle; il contient, avec différents articles intéressant les instituteurs de la province, de nombreux sujets de composition sur les diverses matières du programme des écoles.
Le Bulletin des Recherches historiques paraît pour la première fois en janvier 1895. Ainsi que son titre le suggère, il a pour but de « renseigner sur quelques points d'histoire du Canada, sur des questions de biographie ou de bibliographie ». Et de fait, les quelque 56 volumes parus renferment une abondante documentation, que les chercheurs et les amateurs de la petite histoire consultent avec intérêt et profit.
Les revues littéraires présentent tontes un prospectus alléchant où domine la note patriotique: L'Écho du Cabinet de lecture paroissial (1859) veut surtout offrir « des productions du sol canadien ». Le Foyer canadien (1863) se qualifie d'oeuvre « nationale et désintéressée ». Les éditeurs de La Revue de Montréal (1877) publient un long avis de plus de trente pages qu'ils terminent en disant qu'ils veulent faire de la Revue « une oeuvre paroissiale dans toute la force de l'expression ». Les Nouvelles Soirées canadiennes (1882), destinées à faire revivre Les Soirées canadiennes de 1861, « seront avant tout et toujours canadiennes et catholiques, c'est-à-dire qu'elles seront essentiellement nationales ».
La Revue canadienne occupe une place considérable dans l'histoire des périodiques canadiens-français : par sa durée d'abord ; fondée en 1864, elle fut publiée sans interruption pendant près de soixante ans, jusqu'en 1922 ; par ses articles qui, dès le début, furent sérieux, variés et bien écrits ; plus tard, par sa typographie sur papier glacé, par des illustrations artistiques, reproductions de tableaux de maîtres, dessins gracieux et de bon goût, par des chroniques de grand intérêt sur l'actualité et sur les Revues. En un mot, les éditeurs voulaient, ainsi qu'ils le disent dans leur prospectus de 1864, que La Revue canadienne ressemblât d'aussi près que possible aux « grandes publications de ce genre en Europe et en Amérique ».
Si l'on veut juger de l'ampleur et de l'importance de la presse au XIXe siècle, il n'est que de lire la Lettre pastorale des Pères du premier Concile provincial de Montréal sur la Presse, datée du 9 octobre 1895. Ce document de 36 pages parle des devoirs, des abus de la presse, des droits de l'Église et de l'État ainsi que des devoirs des fidèles à l'égard de la presse. Écrite avec la dignité sereine qui caractérise ce genre de, littérature, cette Lettre est d'une actualité saisissante et pourrait tout aussi bien être datée d'aujourd'hui.
JULES-PAUL TARDIVEL (1851-1905) débuta dans la carrière de journaliste par sa collaboration au Courrier de Saint-Hyacinthe (1873) et à la Minerve de Montréal. En 1874, il se fixa à Québec et devint l'un des rédacteurs du Canadien. Il montra dès lors l'accord d'un talent supérieur et d'un noble caractère, celui-ci pénétré de catholicisme et trempé pour la lutte. Tardivel rêvait de fonder un journal qui fût bien à lui, reflétant une pensée libre et saine, préoccupé uniquement de vérité. En 1881, il donnait naissance à La Vérité, journal hebdomadaire consacré à la défense des intérêts de l'Église et au triomphe des idées canadiennes-françaises. Tardivel fut toujours fidèle à ses principes.
APPRÉCIATION. — Mgr Bruchesi, archevêque de Montréal, écrivait à propos de La Vérité : « Elle ne paraît qu'une fois la semaine ; je voudrais qu'elle parût tous les jours ... Elle est une oeuvre et non pas une affaire d'argent. Avant tout, elle veut servir l'Église et défendre ses intérêts ... Je ne connais pas de journaliste qui, dans notre pays, ait reçu autant de témoignages d'estime et d'admiration que Jules-Paul Tardivel. »
La Vérité se tint toujours au premier rang dans la lutte en matière de morale, d'éducation, de droit chrétien, de tout ce qui touche de près ou de loin à l'Église catholique. On a nommé son vaillant rédacteur le Louis Veuillot du Canada. Comme tous les journalistes de combat, il a rencontré, au hasard des polémiques, de nombreux adversaires, mais il n'a pas eu de réels ennemis. On pardonnait à son intransigeance pour la beauté de son dévouement et la sincérité de ses convictions.
SES OUVRAGES. — Tardivel a enrichi la littérature canadienne de plusieurs ouvrages : trois volumes de Mélanges, réunion de ses articles de journaux; une Biographie de Pie IX ; Notes de voyage, récit de son premier voyage en Europe ; La Situation religieuse aux Etats-Unis ; un roman, Pour la Patrie, inspiré par les invraisemblables révélations que contient Le Diable au XIXe siècle par Léo Taxil.
HECTOR FABRE (1834-1910) collaborait au Pays à 18 ans. En 1863, on le voit à la rédaction du Canadien. Il voulut posséder en propre un journal qu'il rédigerait selon ses goûts et ses idées ; L'Événement, en 1867, fut l'exécution de ce rêve.
Sa plume était déliée, son style original ; il avait le goût pur, le trait satirique et fin. Douze ans durant, il tint ses lecteurs sous le charme de son esprit étincelant. Chaque jour, tout Québec attendait l'article de Fabre pour s'en délecter.
En 1880, Fabre accepta la mission de représenter le Canada en France. Pour aider et compléter son oeuvre de Commissaire, il fonda le Paris-Canada (1882). Ses articles dans ce journal forment un des meilleurs recueils de prose canadienne-française.
OSCAR DUNN (1845-1885) était, à 17 ans, rédacteur en chef du Courrier de Saint-Hyacinthe. Il fit son droit à Montréal ; mais il abandonna la toge pour la plume et revint au journalisme où il sut défendre, à l'occasion, la cause de la religion.
Dunn passa un an en France et collabora au Journal de Paris. De retour au pays, il fut rédacteur à la Minerve ; il dirigea aussi l'Opinion publique, revue hebdomadaire, la Revue canadienne et collabora au Journal de Québec. Ses articles parus dans la Minerve furent réunis en volume sous le titre Dix ans de Journalisme (1876). Son style est clair, précis ; sa phrase a de l'ampleur sans emphase. Il a une manière vive, sérieuse et simple de penser et d'écrire.
En 1877, il publia, à l'usage des écoles, Lectures pour tous, où il avait réuni de belles pages d'auteurs canadiens. Il fit paraître un Glossaire franco-canadien (1880), contenant un relevé de plus de 1750 mots. Il réclame pour nous le droit « de créer des mots et de conserver les expressions pleines de pittoresque quoique peu modernes ». Il demande grâce pour nos mots du terroir : bordée de neige, poudrerie, notre chef-d'oeuvre, dit-il, brunante, capot d'étoffe, etc.
THOMAS CHAPAIS (1858-1948) prenait, en 1884, la direction du Courrier du Canada et mettait au service de ce journal son tempérament d'écrivain formé à l'école des maîtres.
Joseph-Charles Taché, premier rédacteur de cette feuille, lui avait écrit, le 2 avril 1883: « Sachons aimer la vérité et nous passionner pour le bien. Moi, je m'en vais. Beaucoup d'autres lutteurs des bons combats vieillissent aussi : c'est à vous, jeunes gens, de reprendre la lutte ... »
Pendant longtemps, Thomas Chapais donna à la Revue canadienne une chronique mensuelle sous le titre : A travers les faits et les oeuvres. En 1916, l'Université Laval lui confia la chaire d'histoire du Canada.
Thomas Chapais a excellé dans tous les genres littéraires où s'est exercé son talent. Il a été debater de première valeur, élégant et vigoureux journaliste, docte et brillant conférencier.
« Ses discours et ses conférences sont d'une inspiration toujours haute, d'une pensée toujours sûre d'elle-même, d'une forme très soigneusement préparée » (Mgr C. Roy).
4. Journalisme de 1900 à 1950
La presse contemporaine a pris une extension et une importance telles qu'il est devenu presque banal d'affirmer qu'elle mène le monde. Grâce à des moyens de communication nombreux, variés et rapides, elle reçoit en quelques minutes les nouvelles de tous les pays et les transmet aussi vite jusqu'aux campagnes les plus reculées.
Or, il ne semble pas exagéré de dire que la lecture du journal fait partie de la vie quotidienne du peuple, tout comme le boire et le manger. Le développement intellectuel et la formation morale de la plupart des gens dépendent donc en grande partie de la qualité et de la valeur des journaux. « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. »
JOURNAUX. — On ne peut dresser un classement rigoureux de nos journaux de langue française ; mais tous rentrent dans une triple catégorie :
a. Le journal de parti travaille au triomphe du parti politique dont il est l'organe. Pour atteindre ce but, il joue de toutes les cordes ; il en vient même à prouver à ses lecteurs que le noir est blanc et qu'un acte douteux devient honnête pourvu qu'il soit accompli par ses patrons.
b. Le journal d'information est surtout une entreprise commerciale ; les propriétaires désirent d'abord en retirer de gros bénéfices. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons ; l'un de ceux qui remportent le plus de succès, hélas ! c'est l'exploitation de la curiosité malsaine de la foule.
Journaux politiques et journaux d'information, dont plusieurs méritent l'appellation peu honorable de journaux jaunes, sont à peu près nuls du point de vue littéraire ; à peine respectent-ils la correction grammaticale.
c) Les journaux libres sont peu nombreux et, de par leur nature même, beaucoup moins répandus que ceux des deux autres groupes. Ils ne soutiennent aucun parti politique ; ils ne sont la chose ni d'un financier ni d'une compagnie d'hommes d'affaires. Ils défendent la religion et la morale, placent le bien public au-dessus de l'intérêt particulier, la patrie avant le parti. Leur rédaction est généralement soignée. Si tous les articles ne sont pas des modèles de littérature, bon nombre pourtant — surtout les articles de fond — dénotent chez leurs auteurs les qualités propres à l'esprit français : clarté, précision, propriété des termes, mesure, logique. A cause des principes qu'ils soutiennent, des idées saines qu'ils répandent, des faits importants qu'ils racontent, plusieurs de ces articles mériteraient d'être réunis en volume.
Les groupes canadiens-français disséminés dans les autres provinces de la Confédération et jusqu'aux États-Unis ont voulu, eux aussi, exploiter le moyen de propagande efficace qu'est le journal. La plupart: Le Droit d'Ottawa, L'Évangéline de Moncton, La Liberté de Winnipeg, Le Patriote de l'Ouest de Prince-Albert, La Survivance d'Edmonton, L'Indépendant de Fall River, Le Travailleur de Worcester, L'Avenir national de Manchester, L'Étoile de Lowell appartiennent à la classe des journaux libres.
REVUES. — Nombreux sont les périodiques et les revues de langue française publiés dans le pays depuis une quarantaine d'années. Les oeuvres, les organismes de toutes sortes, les métiers, les professions, les institutions, les mouvements de jeunesse et d'Action catholique se sont rendu compte que le meilleur agent de publicité, c'est encore l'imprimé ; il se glisse partout, excite la curiosité, sollicite silencieusement l'attention. Dans ces revues et périodiques, on n'applique pas un programme proprement littéraire ; les éditeurs se piquent pourtant d'y publier des articles écrits en bon français, dans un style simple, clair et précis.
A côté de ces revues diverses, dont le titre indique souvent le but, se placent quelques revues d'intérêt général, telles que : La Revue dominicaine, L'Action nationale, Le Canada français, Les Carnets Viatoriens, Culture, Mes Fiches, Lectures.
La Revue dominicaine, intitulée d'abord le Rosaire, paraît depuis une cinquantaine d'années ; ce n'est qu'en 1915 qu'elle prit son nouveau nom. Dans le fascicule de janvier 1934, le R. P. M.-A. Lamarche, à propos d'une « nouvelle étape » — la quatrième — franchie par la revue, fournit quelques précisions sur l'allure de ce périodique : « Notre revue demeure ce qu'elle était, une revue religieuse doctrinale. Elle se propose néanmoins de pousser plus au large dans le domaine intellectuel. » Un peu plus loin, le R. Père cite « le mot d'ordre donné par Pie XI dans son encyclique sur saint François de Sales, patron des journalistes : Veiller à la forme et à la beauté du style, relever et parer les idées de l'éclat du langage, de manière à rendre la vérité attrayante au lecteur ».
L'Action nationale, dont le premier numéro porte la date de janvier 1933, ressuscite, par l'esprit qui l'anime et par son programme, L'Action française de 1917, devenue L'Action canadienne-française en 1928, année même de sa disparition. Dans la présentation de L'Action nationale, son premier directeur, M. Harry Bernard, fait cette déclaration de principes : « L'Action nationale n'aura rien d'une chapelle littéraire ni d'un monde fermé ... La revue a l'ambition d'embrasser, dans la mesure du possible, toute la vie intellectuelle au Canada français, de lui imprimer au besoin l'orientation que requiert notre idéal national. » Puis il ouvre la porte aux collaborateurs : « Tous ceux qui ont quelque chose à dire chez nous, qui peuvent aider au développement intellectuel des nôtres, à leur progrès religieux, social, économique,à la création d'un sens national averti, robuste, militant, chez notre peuple, seront tour à tour invités à prendre la parole. »
Le Canada français, « publication de l'Université Laval », paraît depuis septembre 1918. Voici quelques phrases glanées dans son « article-programme » : « Notre revue succède au Parler français (1902) et à la Nouvelle-France (1902) ; elle unit et fusionne ces deux périodiques, et elle essaiera de continuer leur oeuvre, de l'accroître si possible, de la fortifier aussi, en concentrant en un seul foyer leurs énergies dispersées. Religion, philosophie, histoire, sciences, lettres, beaux-arts, tel est le domaine vaste et multiple où doit travailler et s'enrichir l'âme d'une race ; tel est celui où le Canada français entend porter son activité ... Nous inviterons nos poètes à sillonner de leurs courses aériennes le ciel canadien. » Depuis sa fondation, les éditeurs de la revue travaillent à développer ce programme avec une ampleur sans cesse accrue. Les collaborateurs canadiens ou étrangers abordent les genres les plus divers, depuis la nouvelle, le conte et la poésie légère jusqu'aux hautes spéculations philosophiques, en passant par les sciences, la philologie, l'histoire, la critique, l'actualité. Les articles de fond, pleins de substance, enrichissent l'esprit, en même temps qu'ils procurent une jouissance esthétique par leur belle tenue littéraire.
A sa séance de mai 1910, l'Académie française, « le plus haut tribunal littéraire qui soit en France », a couronné le Bulletin du Parler français ; cet honneur fait partie de l'héritage recueilli par Le Canada français. En juin 1946, le Canada français cesse de paraître pour être remplacé par La Revue de l'Université Laval.
La Revue trimestrielle canadienne paraît quatre fois l'an, depuis 1915, en fascicules de plus d'une centaine de pages. C'est une revue universitaire :
Les Carnets du Théologue, qui paraissent depuis 1936, deviennent, en 1939, Les Carnets Victoriens. C'est « une revue d'intérêt général. Ils accordent toutefois une attention particulière aux questions de science religieuse, d'apostolat (clérical ou laïc), d'éducation et de liturgie. Tout en s'efforçant d'intéresser le grand public, ils veulent s'adresser tout spécialement aux milieux d'enseignement primaire, secondaire et universitaire ».
La revue Culture est publiée par l'Association de recherches sur les sciences religieuses et profanes au Canada. Elle renferme des articles d'intérêt général, des Bulletins sur les sciences religieuses et profanes, des Mélanges, une Chronique des principaux événements du pays. La revue a des collaborateurs de langue anglaise et publie leurs Essais. Un répertoire bibliographique se trouve à la fin de chaque fascicule.
Le Service de Bibliographie et de Documentation de Fides publie, depuis 1937, la revue Mes Fiches, seul bulletin français du genre au Canada. La revue est formée de feuilles mobiles contenant chacune le résumé d'un livre ou d'un article de périodique. Chaque fiche porte en vedette un titre-sujet et une cote décimale qui permettent de la classer et de la retrouver au besoin.
Afin « de poser dans toute son ampleur le problème des lectures », le même Service de Bibliographie et de Documentation a lancé, en 1946, la revue Lectures, « revue spécialisée au but bien défini : donner à tous ceux qui sont conscients des dangers exceptionnels de l'heure, un moyen pratique de se guider et de guider les autres dans le tourbillon des publications actuelles ».
Avec la livraison d'octobre 1947 (14e année), « l'Action Universitaire, revue des Diplômés de l'Université de Montréal, devient trimestrielle. Elle entend apporter sa contribution sans réserve à la vie de l'esprit au Canada français . . . »
HENRI BOURASSA fonda Le Devoir en 1910 et en demeura le directeur jusqu'à 1932. Durant ces quelque vingt ans, il fut probablement l'un des hommes les plus lus et les plus discutés. Presque toute son oeuvre écrite s'identifie avec son oeuvre politique.
Henri Bourassa est un homme de doctrine et il a le courage de ses convictions. Les sujets qu'il traite, il les prend de haut ; il remonte à leurs sources ; à la lumière des principes, il les voit sous leur vrai jour. C'est de ces hauteurs qu'il descend aux applications : elles éclairent la nocivité de tel projet, la part de vérité et d'erreur que contient telle loi, le bien ou le mal qui découlera de telle initiative, l'avantage ou les mauvais effets de tel acte posé par le gouvernement. Ses articles ont une valeur doctrinale telle que leur tenue littéraire passe souvent inaperçue.
Celle-ci est pourtant réelle ; M. Bourassa écrit en une langue dépouillée, pressée, nerveuse, assaisonnée parfois d'ironie, où abondent les mots frappants. Parfois aussi, des expressions paradoxales enflent l'idée, pour en mieux faire ressortir la fausseté ou pour la tuer par le ridicule. Par ailleurs, rien d'inutile n'y distrait l'attention ; ni long préambule, ni circonlocution, ni phraséologie pompeuse.
M. Bourassa a réuni un certain nombre de ses articles en brochures ; il a aussi publié quelques volumes : Que devons-nous à l'Angleterre? Hier, aujourd'hui, demain, Le Pape arbitre de la paix, Le Canada apostolique, Le Pape infaillible (en collaboration).
JULES DORION (1870-1939) faisait, comme il le dit lui-même, « du journalisme de plus en plus actif dans un hebdomadaire de Québec, La Libre Parole », lorsque fut décidée la fondation du journal l'Action sociale devenu par la suite l'Action catholique.
Les fondateurs lui offrirent le poste de directeur qu'il agréa. C'était abandonner le certain pour l'incertain. Il explique ainsi son geste : « Je ne regardai plus autour de moi, mais uniquement en haut. J'acceptai. » Il se consacra dès lors tout entier à la tâche ardue qui lui était confiée et il y demeura attaché pendant 31 ans, jusqu'à sa mort.
Cette tâche, il la considéra comme un apostolat chrétien, un enseignement national, une mission sociale. Son esprit religieux, sa valeur morale, la culture générale qu'il possédait lui permirent de s'en acquitter noblement. Ses articles, aussi courtois de forme que solides de fond, tendent tout particulièrement à « former les esprits à la doctrine du Christ et à engager les fidèles à suivre les directions de l'Église ». Il ne se désintéresse cependant pas des questions patriotiques, scolaires, politiques, économiques ; mais il les traite toujours en fonction du bien général. Sa vaillante plume ne blesse jamais, bien qu'elle n'ait pas peur de dire la vérité et qu'elle la dise toujours avec assurance et vigueur. Elle exprime des idées claires qu'enchaîne une puissante logique.
Le style est d'une simplicité si remarquable que l'auteur s'excuse d'avoir coiffé un de ses articles d'un titre « un peu théâtral » : Ave Caesar, morituri te salutant (L'Action catholique — 29 juillet 1933). On rencontre bien ici ou là certaines expressions figurées, quelques allusions, des comparaisons ou des contrastes ; mais ces figures ne donnent nullement l'impression qu'on a voulu produire de l'effet.
OLIVAR ASSELIN (1874-1937) séjourna dix ans aux États-Unis et y collabora à divers journaux franco-américains. Rentré en Canada, il exerça différents emplois, mais il revint toujours au journalisme où d'ailleurs il excellait. Plusieurs journaux qu'il fonda (v.g. l'Action) eurent une durée éphémère, comme tout ce qui est violent.
Ses attaques emportées et ses critiques acerbes lui suscitèrent des ennemis. On lui a reproché, non pas de vouloir secouer notre apathie ni d'exagérer la longue liste de nos erreurs et de nos défauts, mais de donner l'impression que ces maux sont l'apanage des Canadiens français. D'après Asselin, ils seraient même si généralisés qu'il y a presque lieu de désespérer de les guérir. Un tel pessimisme déprime; il est rarement éveilleur d'énergie.
Cependant, si la parole et l'action d'Olivar Asselin n'ont pas toujours atteint le but auquel il tendait, et cela parce qu'il n'a pas suffisamment tenu compte des circonstances et des réalités quotidiennes, et qu'il a souvent manqué de mesure et de sérénité, elles n'ont pas été complètement stériles. Son patriotisme, appliqué surtout à la défense de la langue française, fut digne d'admiration et sa connaissance comme son respect de la langue en font l'un des maîtres du journalisme au Canada français.
JULES FOURNIER (1884-1918), impatient d'entrer dans le journalisme, quitta le collège de Valleyfield avant d'avoir complété ses études. Après un premier stage à La Presse et un autre de quatre ans au Canada, il passa au Nationaliste, dont il finit par être le directeur. L'un des rédacteurs du Devoir dès la fondation de ce quotidien, il le quitta après quelques semaines. Avec Asselin, il fonda l'Action, qu'il maintint durant cinq ans et où il put donner libre cours à son humeur de pamphlétaire satirique et mordant.
Jules Fournier n'a publié lui-même que Souvenirs de prison ; il y raconte, avec une verve piquante, le séjour qu'il avait dû faire à la prison de Québec à la suite d'une condamnation pour outrage à un député. Une Anthologie des poètes canadiens, qu'il avait préparée, a paru après sa mort par les soins de son ami Olivar Asselin. En 1922, sa femme a réuni en deux volumes, sous le titre de Mon encrier, quelques-uns de ses principaux articles ; elle y a joint deux morceaux inédits de plus longue haleine, malheureusement inachevés.
Le peu que Jules Fournier nous a laissé témoigne d'un des talents les plus souples que le Canada français ait connus. On ne saurait trop regretter que le temps et les circonstances ne lui aient pas permis de donner sa pleine mesure.
OMER HÉROUX débutait dans le journalisme vers 1896 au Trifluvien. Il est rédacteur en chef du Devoir depuis 1932.
Les questions traitées dans ses milliers d'articles sont variées comme les événements qui les font naître. Malgré leur diversité, ses écrits se rattachent tous, directement ou indirectement, soit à la grande histoire canadienne, soit à l'histoire régionale ou paroissiale. La plupart ont pour idée directrice la nécessité, pour tous les groupes de race et de langue françaises dispersés sur le continent nord-américain, d'entrer en relations les uns avec les autres pour prendre conscience de leur nombre, de leur valeur, de leur puissance d'action.
Un collègue d'Omer Héroux dit qu'il est « à lui seul une école complète de journalisme ». Ses écrits attestent qu'il possède une vaste culture générale, une information étendue et le sens aigu de l'observation. Il sait voir et mettre en relief le détail intéressant qui donne de l'importance à un fait ou à un document. Il a toujours à la mémoire quelque souvenir dont il se sert pour illustrer sa thèse, donner plus d'autorité à son argumentation, « enfoncer le clou », selon sa propre expression.
Le patriotisme d'Omer Héroux tend à éveiller les endormis, à secouer les apathiques, mais sans violence, sans blesser qui que ce soit. Sa fierté nationale ne produit jamais grand fracas : des mots simples et modestes, quelques phrases mesurées et sans recherche lui suffisent. En deux ou trois lignes, au fil du récit, il peint un tableau plein de couleur locale, dont les traits saillent sous l'habile coup de crayon.
Optimiste et enthousiaste, Omer Héroux fait confiance aux jeunes ; il les invite à travailler, à maintenir nos traditions chrétiennes et françaises. Rarement il termine un article sans exprimer un espoir, énoncer un voeu, donner un conseil d'énergie persévérante.
GEORGES PELLETIER, d'abord rédacteur à l'Action catholique, passa au Devoir lors de la fondation de ce quotidien. Devenu directeur-gérant en 1932, il le demeura jusqu'à sa mort en 1947.
Georges Pelletier connaissait à fond la pratique du journalisme, qu'il professa pendant de nombreuses années à l'École des sciences sociales, économiques et politiques, de l'Université de Montréal. Les principes et les règles, la méthode et les procédés qu'il enseignait à ses disciples, il les appliquait lui-même dans les articles qu'il rédigeait avec une réelle maîtrise.
Ces articles traitent de la politique internationale, nationale ou provinciale, des événements importants qui se déroulent à l'étranger ou en Canada. Sous les yeux du journaliste passent tour à tour les pays et les hommes ; ces derniers, il les juge à leurs paroles et à leurs actes. Grâce à une extrême précision, il parvient à condenser en quelques paragraphes les problèmes qui fixent l'attention du monde.
Georges Pelletier avait l'amour de son métier ; il savait quelles en sont les ressources et les exploitait à plein. La lecture de ses articles ouvre de nouveaux horizons à l'intelligence, enrichit l'esprit de connaissances précieuses et lui apprend à respecter l'échelle des valeurs.
Le style est vigoureux et énergique ; les phrases sont ordinairement courtes ; quelques-unes, d'une concision lapidaire. Les mots parfois rendent un son métallique ; ils sont drus, pressés ; ils se précipitent, s'accumulent comme s'ils ne suffisaient pas à exprimer la pensée. Souvent, une forte expression chrétienne fait appel à la foi, redonne confiance et espoir.
Georges Pelletier a publié, en 1926, sous le pseudonyme Paul Dulac, des Silhouettes d'aujourd'hui qui l'apparentent à Cormenin. En 1937, il publia, dans le Devoir, une série de Notes de voyage. Elles décrivent ses impressions sur une Europe qu'il avait visitée avec le désir de se documenter sur les affaires politiques, d'observer sur place les difficultés qu'engendrent les relations entre grandes puissances.
LOUIS DUPIRE (1888-1942) entra au Devoir aux premières années de la fondation et y demeura jusqu'à sa mort.
Ses articles de fond ont d'ordinaire pour objet les problèmes de la ville de Montréal: administration municipale, état financier, port, urbanisme et maints autres sujets qui s'y rattachent plus ou moins directement. Les affaires municipales sont un thème plutôt aride ; l'imagination n'a rien à y voir non plus que la rhétorique. Aussi les articles de Louis Dupire là-dessus valent par le souci de renseigner exactement le public, de l'éclairer, de faire corriger des abus, de rectifier des erreurs. S'il dénonce les déficiences, il ménage les personnes et s'applique à donner à chacun son mérite. Ses raisonnements sont simples, à la portée de tout le monde ; cependant il choisit avec soin ses arguments pour défendre une thèse.
Louis Dupire a signé, de son nom ou d'un pseudonyme, de nombreux Billets du Soir, des Actualités ou d'autres courts articles. Il y exerce sa verve fine et joyeuse, son talent de conteur. II a un don qui n'est qu’à lui de narrer une anecdote, de dessiner de petits tableaux, de peindre en pied un personnage, en le faisant parler et agir, de mettre en lumière le trait marquant d'une physionomie physique ou morale. Souvent, sous sa plume, se rencontrent la repartie plaisante, le mot savoureux, l'expression populaire de bon aloi.
CHARLES GAUTIER, venu de France en 1910, entra à la rédaction du Droit et en devint le directeur. Ce quotidien de langue française, fondé à Ottawa en 1913, se qualifie lui-même de « journal indépendant en politique et totalement dévoué aux intérêts de l'Église et de la patrie ».
Charles Gautier consacra sa plume attentive, alerte, infatigable, au service du droit des parents à l'éducation de leurs enfants ; il soutint toutes les causes qui intéressent la nationalité canadienne-française en Ontario. Ses articles d'une rare vigueur furent toujours pondérés et courtois.
Une équipe de jeunes journalistes s'est formée à l'école des maîtres dont il vient d'être parlé. Elle leur emboîte le pas dans tous les domaines, sur tous les sujets d'importance vitale ; au Devoir, Gérard Filion, directeur, André Laurendeau, Pierre Vigeant ; Louis-Philippe Roy, rédacteur en chef de l’Action catholique. Léopold Richer est directeur de Notre Temps fondé en 1945. Cet hebdomadaire a « mis en tête de son programme le ferme désir de travailler à l'établissement d'un ordre social chrétien, à la lumière de l'enseignement de l'Église ».
Durant les quarante dernières années, des femmes, sans être des journalistes de carrière, ont collaboré à des journaux ou à des revues ; quelques-unes en ont même fondé.
Mme Raoul Dandurand a été l'une des premières à mettre sa plume au service de la presse. Mlle Robertine Barry (Françoise), Mme Huguenin (Madeleine), Mlle Georgiana Lefebvre (Ginevra), Mme Maurice Saint-Jacques (Fadette), Mme Léo-Paul Desrosiers (Michelle Le Normand), Mlle Claire Daveluy et d'autres ont signé maintes chroniques fort intéressantes dans l'un ou l'autre de nos quotidiens. Plusieurs d'entre elles ont aussi à leur actif des volumes aussi sains de pensée qu'agréables d'expression.
MME CORINNE ROCHELEAU-ROULEAU, née aux États-Unis, a reçu sa formation à l'Institution des Sourdes-Muettes de Montréal. Elle collabora à la Revue canadienne et à diverses autres revues. Ainsi, elle publia dans la Revue d'Histoire de l'Amérique française — juin 1949 — un Mémoire d'une douzaine de pages : La Feuille de route d'un galonné français, Guadeloupe, États-Unis, Canada. Elle écrivit aussi de nombreux articles dans les journaux. Elle a raconté dans Hors de sa prison l'émouvante histoire de Ludivine Lachance, sourde, muette, aveugle. Ce livre, préfacé par Mgr E.-A. Deschamps, alors aumônier de l'Institution des Sourdes-Muettes, a été traduit en braille par l'« Association Valentin Haüy » de Paris.
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Source: SŒURS DE SAINTE-ANNE, « Journalisme », Histoire des littératures française et canadienne, Lachine, procure des Missions Mont Sainte-Anne, 1954, 602p., pp. 369-371, 384-386, 404-409, 452-462. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |