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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Histoire de la littérature canadienne-françaiseFolklore
[Ce texte a été publié en 1954. Pour la référence bibliographique précise, voir la fin du document.]
Le mot folklore (de l'anglais folk, peuple, et lore, science), dans un sens large, désigne les coutumes et les moeurs, les superstitions, les fêtes et amusements, les contes et chansons, les arts, métiers, costumes, enfin tout ce qui forme le cadre pittoresque de la vie du peuple, surtout à la campagne parmi les gens illettrés. Dans un sens restreint, le folklore peut se définir : l'étude méthodique des traditions, coutumes et usages populaires transmis oralement d'une génération à l'autre. Par les documents précieux qu'il met au jour, le folklore rend de réels et importants services à l'ethnographie, à l'histoire et à la littérature.
Le folklore abondant du Canada français est caractéristique, bien qu'il soit encore peu connu. Ce n'est que vers 1914 que M. Marius Barbeau s'est donné la tâche de le découvrir d'abord, de le compiler, de le classer, puis d'en faire l'objet d'une étude scientifique. Ses travaux, disséminés dans les Mémoires de la Société royale du Canada, dans diverses revues, quelquefois aussi réunis en volumes, ouvrent de vastes perspectives sur ce coin peu exploré de notre littérature nationale.
VEILLÉES DU BON VIEUX TEMPS. —M. Barbeau a parcouru la province dans tous les sens, particulièrement les régions les plus isolées, celles que le tourisme et la villégiature n'ont pas encore eu le temps de défigurer. Dans Au Coeur de Québec (1934), il raconte l'un de ses voyages de découvertes dans le comté de Charlevoix, en 1916. Son hôtesse lui proposa de présider une veillée où conteurs et chanteurs des environs feraient entendre leurs récits et leurs chansons. Cet événement excita la curiosité des villégiateurs. Pour la satisfaire, M. Barbeau organisa ce que l'on a appelé depuis une Veillée du bon vieux temps.
«Louis l'Aveugle fut l'artiste en vedette ; c'était un personnage fameux dans tout le district. Son violon sous le bras, il passait d'un village à l'autre et de maison en maison, non pas comme un vulgaire quêteux, le mot l'aurait insulté, mais comme un nomade dans son droit de naissance. » Il se tira fort bien de son rôle ; les auditeurs, surtout les citadins, se plurent aux airs du terroir. (Cf. Au Coeur de Québec, pages 38, 48, 51)
CONTES. — M. Barbeau recueillit de la bouche des vieux paysans, des grand-mères, des voyageurs, une ample moisson de contes, de chansons, de récits de toutes sortes. Ces collections sont déposées au Musée national d'Ottawa, dont M. Barbeau est le conservateur. Dans une étude présentée devant la Société royale du Canada — mars 1916 — M. Barbeau indique comment peuvent se classer les contes de notre folklore: « La fiction populaire canadienne est de nature complexe. La forme varie ; on y trouve la prose et les vers, les genres descriptifs et lyriques. Quant à la nature même du sujet traité, plusieurs catégories se dégagent assez nettement, à savoir :
M. Marius Barbeau a publié deux recueils de contes : Grand-mère raconte (1935), L'Arbre des Rêves (1947) ; un roman : Le Rêve de Kamalmouk, qui est en même temps une étude documentaire sur la vie contemporaine des Indiens du Canada. II a réuni, dans un magnifique album, la reproduction photographique des Madones canadiennes (1944). La description de chaque Madone est accompagnée d'un commentaire de Mlle Rina Lasnier.
CHANSONS. — M. Barbeau nous dit ailleurs — Action Nationale, juin 1938 — que, pendant le seul été 1916, il enregistra 500 chansons inédites. Il conclut: «Donc le répertoire oral chez nous était encore vivant, inépuisé, peut-être inépuisable ... Dans la cueillette, il y avait partout, cette fois, l'impression de la vraie richesse et de la beauté ... Plusieurs de ces chansons sont des chefs-d'oeuvre. » Pour en faire la preuve, M. Barbeau a publié Romancero du Canada (1937), recueil de 50 chansons populaires choisies parmi les milliers de textes que renferme le Musée national.
ARTISANAT. — Bien que l'artisanat, comme tel, n'appartienne pas au folklore, il semble pourtant qu'on puisse en parler ici, d'abord parce que M. Barbeau en a inventorié les richesses surtout à titre de folkloriste; ensuite, parce que ces richesses, peu connues du public et même dédaignées d'un bon nombre, sont en train de se perdre.
M. Barbeau a consigné une partie de cet inventaire dans un volume Maîtres Artisans de chez nous (1942) où il parle de Jeanne Leber, sainte artisane — Anciens orfèvres — Bâtisseurs d'habitations — Constructeurs de navires — Manufacturiers de machines agricoles — Potiers et colporteurs — Tisseuses de ceintures fléchées — Animaliers — Sculpteurs de totems.
AUTRES FOLKLORISTES. — Il se rencontre dans les oeuvres de quelques-uns de nos écrivains, tels Philippe-Aubert de Gaspé, Louis Fréchette, Honoré Beaugrand, Louvigny de Montigny et autres, des légendes, des anecdotes, des histoires de chantier surtout, où il est parlé de loups-garous, de revenants, de sorciers, de diablotins et autres superstitions populaires. Ces narrations, par certains côtés, appartiennent au folklore. D'autre part, elles sont situées par les conteurs dans le temps et dans l'espace et ne perdent jamais complètement contact avec la vie réelle ; par là, elles se distinguent des contes de fées et des récits merveilleux où n'apparaît aucune relation de temps et de lieu. Les métamorphoses, les prodiges et les enchantements qui en forment la trame leur enlèvent toute vraisemblance.
ÉTUDES SUR LES CHANTS POPULAIRES ET HISTORIQUES. — Dans Le Foyer Canadien — années 1863 et 1865 — Hubert Larue a publié deux longues études sur Les Chansons populaires et historiques du Canada.
En 1865 également, Ernest Gagnon compilait une centaine de Chansons populaires du Canada, qu'il accompagnait de quelques explications. Ce recueil a été réédité pour la cinquième fois en 1908 à l'occasion du troisième centenaire de la fondation de Québec.
M. Victor Morin a aussi publié, dans les Mémoires de la Société royale du Canada — mai 1927 — une intéressante étude sur La Chanson canadienne. Après en avoir recherché l'origine lointaine, il en suit l'évolution pour aboutir aux chansons populaires dues à des auteurs contemporains. Il note au passage le travail efficace accompli par deux de nos folkloristes les plus compétents :
M. Morin conclut son étude en disant que « cette revue sommaire de la chanson canadienne... devra suffire à nous convaincre que le folklore canadien est une mine dont on ignore toute la richesse ». Cette richesse est exploitée même à l'étranger : Mgr Émile Chartier, dans son livre La Vie de l'esprit — page 30 —, note que Van Lennep a présenté à l'Université de Nimègue en Hollande une thèse sur Le folklore canadien-français, incorporée depuis dans un grand ouvrage en quatre volumes (Picard, Paris).
ARTS. — Les Arts — dessin, peinture, sculpture — ont aussi contribué à l'enrichissement de notre folklore. Plusieurs artistes ont dessiné, peint ou sculpté sur bois, des personnages typiques de la race canadienne-française, des scènes caractéristiques de la vie campagnarde. Parmi ces artistes, Edmond Massicotte (1875-1929) est bien l'un de ceux qui ont le mieux réussi, semble-t-il, à fixer pour la postérité le souvenir des coutumes et traditions.
Par ses nombreuses compositions, frappantes de vérité et dont tous les détails sont d'une minutieuse exactitude, M. Massicotte a reconstitué la vie rurale d'autrefois et ses manifestations les plus diverses : fêtes religieuses, travaux des champs, travaux de la maison, scènes de la vie familiale, danses, jeux et divertissements. On a pu dire qu'il a dessiné une galerie de « portraits de famille que tout vrai Canadien reconnaîtra sans peine ».
M. AEgidius Fauteux, commentant un des tableaux d'Edmond Massicotte, juge ainsi l'ensemble de ses compositions : « L'oeuvre de Massicotte est d'un poète autant que d'un artiste. Ses tableaux sont comme autant de chants de ce que nous pourrions appeler les Géorgiques canadiennes. Nul jusqu'ici n'a pu évoquer avec une aussi émouvante fidélité l'existence à la fois grave et joyeuse de nos paysans d'autrefois. Ce que d'habiles écrivains n'ont pu rendre qu'à demi avec le secours des mots, il le fait revivre au complet par la vertu souveraine de l'image. Nous lui devons d'avoir sauvé de l'oubli quelques-uns de nos usages les plus respectables, en train de disparaître ou déjà disparus. » Retour à la page sur l'histoire de la littérature québécoise
SŒURS DE SAINTE-ANNE, « Folklore », Histoire des littératures française et canadienne, Lachine, procure des Missions Mont Sainte-Anne, 1954, 602p., pp. 545-549.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |