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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Charles Lawrence
LAWRENCE (Charles) (1709-60), enseigne, lieutenant, capitaine, major, conseiller, lieutenant-gouverneur, colonel, brigadier-général, cinquième gouverneur de la Nouvelle-Ecosse.
Son grand-oncle, le capitaine Richard, se distingua, en 1672, à la bataille de Solebay; son grand-père, le colonel Edward, favori de Charles II, s'appauvrit à défendre la cause des Stuarts; son père, le général John Lawrence, servait en Flandre sous le maréchal, duc de Marlborough. Charles naquit à Portsmouth le 14 décembre 1709. En 1727, il obtint le grade d'enseigne dans la garde à pied du colonel Edward Montague; en 1728, il suit son régiment à New-York, puis à Boston, ensuite en Virginie en 1732; enfin il est en garnison aux Antilles (1732-37). Promu lieutenant, en 1741, dans le 54' régiment, capitaine en 1743, il sert en Flandre en 1745 et est blessé À la bataille de Fontenoy, dans le Hainaut. Renvoyé A New-York en 1747, il passe à Louisbourg jusqu'après le traité d'Aix-la-Chapelle en 1748, suivant Hopson à Halifax à titre de membre du Conseil institué par Cornwallis : celui-ci l'employa à une guerre de guérillas contre les Français et les Sauvages. Promu major, il érigea en 1750, sur les ruines de Beaubassin, le fort Lawrence, séparé de celui de Beauséjour par la rivière Missagouèche. En 1752, le gouverneur Hopson le charge d'établir la colonie allemande à Lunenbourg, où ses violences suscitèrent une émeute et des désertions.
Le 26 octobre 1753, Peregrine Hopson lui confie, à son départ, l'administration coloniale comme président du Conseil : la commission de lieutenant-gouverneur lui fut octroyée à Londres, le 6 août 1754. Dès le 5 décembre précédent, Lawrence insinue aux Lords du Commerce que le refus de prêter le serment prive les Acadiens absolument du droit légal de posséder des terres en Nouvelle-Ecosse. La proposition est adoptée par les Lords, le 4 avril suivant. M. Lawrence exige aussitôt que « l'on fasse rentrer en Acadie ceux qui en sont sortis », les accusant « d'entêtement, de tricheries, de partialité envers les Français, d'ingratitude envers Sa Majesté britannique qui les comble de grâces et de protections : s'ils refusent le serment, mieux vaut qu'ils disparaissent ». Le lieutenant-gouverneur recommande l'expulsion en haut lieu et ordonne à ses subalternes de chaque district que, « pour ne pas apporter du bois pour le chauffage et les piquets du fort, nulle excuse ne sera acceptée; que les soldats s'empareront des maisons des Acadiens pour en faire du combustible ». La trame du complot est ourdie.
Le 27 septembre 1754, le gouverneur interdit sévèrement dans une proclamation toute exportation de blé. Et les Acadiens se soumettent à ces vexations. A Piziguit, Alexandre Murray, son séide, inaugure l'ère des dénonciations et des prétextes inventés à souhait. Il arrête l'abbé Daudin et cinq notables, qui sont dirigés, le 3 octobre, sur Halifax pour y subir interrogatoire, sentence, expulsion. En décembre, vient la réponse des Lords, entièrement conforme aux visées de Lawrence, mais sujette au bon plaisir préalable de Sa Majesté et à ses instructions, mettant en doute les droits de propriété des Acadiens que doit diriger une consultation du juriste Bostonnais, Jonathan Belcher : celui-ci remit un mémoire péremptoire contre les Acadiens, le 28 juillet 1755 (V. H. d'Arles, t. II). Au début de cette année, Charles Morris, arpenteur général, remet aussi à Lawrence un détail de son inspection intitulé : Réflexions sur les Neutres et Méthodes proposées pour les empêcher de s'échapper de la colonie (V. Em. Lauvrière, t. I).
Antérieurement, les deux comparses Lawrence et Shirley ont combiné leurs plans pour la levée des troupes et l'attaque des forts français Le 30 janvier 1755, le gouverneur de Halifax affirme au colonel Monckton « qu'il ne demandera à aucun Acadien de prêter un serment qui lui lierait les mains et l'empêcherait de chasser tous les habitants ». Ils résolurent alors la prise, au printemps, des forts Beauséjour, Gaspareau, Saint-Jean. Le 2 juin, débarquent devant le fort Lawrence, 2.000 volontaires américains, recrutés pour six mois par Shirley, commandés par le colonel Monckton et les majors Scott et Winslow : ils avaient ordre de confisquer armes et munitions des habitants français : le 10, respectueuse requête de ceux-ci à Lawrence, qui répond, le 24, que son Conseil la juge insultante et impertinente. Les quinze députés acadiens qui l'ont transmise sont internés à l'île George, près de Halifax, durant trois mois.
Le gouverneur Lawrence dispose de 1.000 réguliers, outre les 2.000 Américains de Shirley; sur mer, à l'escadre du commodore Keppel se joignent, le 8 juillet, celle du vice-amiral Boscawen et, le 11, celle du contre-amiral Mostyn. L'amiral Boscawen, outre des instructions secrètes signées du roi, était porteur d'une lettre du Secrétaire d'Etat Robinson, laquelle a disparu, et d'une circulaire adressée à tous les gouverneurs coloniaux. Le 14, Lawrence convoque le Conseil et tous les officiers de marine, « en vue de prendre toute mesure urgente pour la sécurité de la Province ». Le lendemain, à l'unanimité on décida que « c'est maintenant le moment le plus favorable pour obliger les habitants à prêter le serment ou à quitter le pays ». Le 18, M. Lawrence communique aux Lords la résolution qu'il a prise « de signifier aux Acadiens qu'on ne pouvait autrement les considérer comme sujets britanniques ». Le 23, parvint à Halifax la nouvelle du désastre de Bradstreet devant le fort Du Quesne, le 9 courant; écho non répandu au dehors, mais apte à enflammer de colère contre les innocents Acadiens. Le 28, le juge Belcher rédigea et lut au Conseil un Mémoire, qui concluait à la déportation immédiate. Puis, le même jour, se présentent 90 à 100 délégués Acadiens, qui formulent le refus absolu du serment en présence des conseillers. A l'unanimité, le sort des Français est scellé par leur dispersion dans les colonies anglaises d'Amérique. L'on se saisit des députés « à titre d'otages » et on les relègue à Pile George, privés de la liberté de recevoir de personne aucun secours, nourris d'un peu de mauvais pain et abreuvés de très mauvaise eau, empêchés de parler à qui que ce soit. Le gouverneur seul les visita pour leur proposer une dernière fois le serment qu'ils refusèrent tous de prendre. Dès lors, il assuma sur lui, confirmé dans sa résolution par les personnages consultés et par les circonstances éventuelles, la responsabilité du forfait dont son nom demeure souillé devant la postérité. Il ne parait pas évident que le roi ou le ministère de Londres l'ait approuvé officielle-ment c'est l'opinion de plusieurs historiens de nos jours.
Le 1er août, le Conseil de la Province commande d'abord l'arrestation et l'enlèvement des curés et missionnaires par trois détachements de 50 hommes. Déjà, le despote dénaturé s'est adressé à la Compagnie de transport, Apthorp et Handcock de Boston, pour noliser le nombre de voiliers nécessaires à l'embarquement des 13.000 victimes. En même temps il musela les publications sous peine grave, « si l'on osait discréditer les actes du gouvernement, donnant ses instructions précises à ses officiers : Monckton, Winslow, Murray, Handfleld, etc. Le 18 octobre, Lawrence écrit à Londres que la déportation va bon train et « qu'il ne restera plus un Français au pays à la fin du mois ». Sa curée personnelle dura deux mois. Il chargea un maquignon huguenot, Moïse des Deniers, de Jersey, de lui procurer six des meilleurs étalons; il fonda sur un territoire de 20.000 acres la ville de Lawrencetown qu'il pourvut généreusement du bétail enlevé.
Mais Lawrence, favorisé d'un salaire de 10.000 liv. st., eut à faire face aux frais de transports, à l'entretien des troupes, à l'établissement des nouveaux colons : il ne put satisfaire tout le monde, ni rassasier toutes les cupidités. Son autocratie fut dénoncée en haut lieu par ses administrés. Il osa traiter les marchands de Halifax de « tas de coquins et de banqueroutiers » et les conseillers de « bande de scélérats », défendre à tout Anglais de quitter la Province sans passeport et la ville sans laisser-passer. Son despotisme souleva l'esprit de révolte par ses abus de pouvoir, ses interventions en justice, ses malversations, et toutes sortes d'énormités. « Halifax n'est plus qu'une prison », écrivait-on. La métropole, en 1756, le récompensa du titre de gouverneur, l'attacha à l'état-major au siège de Louisbourg en 1758, l'ayant promu colonel, puis brigadier-général, lui accorda enfin, le 2 octobre 1758, la première Chambre législative au Canada.
Le 11 octobre 1760, il donna dans son palais un grand bal pour 300 invités. Le soir, un verre d'eau glacée détermina des crampes stomacales qui développèrent une inflammation pulmonaire, dont il mourut le 19. M. Lauvrière écrit qu'il rendit le dernier soupir en sortant du bal. La Chambre vota la somme de 2.000 liv. pour l'érection, dans l'église anglicane, d'un monument destiné à perpétuer sa mémoire.
Source : Louis LE JEUNE, «Charles lawrence», dans Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, mœurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Vol. II, Ottawa, Université d’Ottawa, 1931, 829p., pp. 117-119.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |