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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
La province de Québec et la minorité anglaise
par
Thomas Chapais
[Pour la référence bibliographique exacte de ce texte, voir la fin du document]
Notre histoire parlementaire et constitutionnelle est généralement trop peu connue. On est assez au courant des grandes lignes et des événements majeurs. Mais combien de détails sont ignorés, qui seraient cependant très utiles pour nous orienter et nous éclairer au milieu des luttes du présent.
Voici, par exemple, un épisode politique dont la connaissance nous paraît être d'un intérêt tout spécial en ce moment. Il nous montre quelle a été la genèse d'un des articles les plus importants de notre constitution canadienne. Et il fait ressortir avec quelle largeur d'esprit, quelle libéralité, quelle générosité, la majorité bas-canadienne a toujours agi envers la minorité anglaise et protestante de notre province. Nous voulons parler de la demande de privilèges additionnels, en matière d'éducation, formulée par cette minorité avant la confédération, de la manière dont elle fut accueillie, et de son résultat final. II nous semble opportun, à l'heure actuelle, de faire un historique aussi complet que possible de cet incident.
La dernière session de la dernière législature du Canada-Uni, en 1866, touchait à son terme, lorsqu'un membre du gouvernement d'alors présenta un bill qui provoqua aussitôt une vive émotion dans les cercles parlementaires. Pour bien comprendre quelle en était la portée, il faut rappeler ce qui s'était passé l'année précédente, lorsque les résolutions relatives à la confédération des provinces avaient été discutées et adoptées par les chambres.
La quarante-troisième résolution - nous parlons ici des résolutions originaires, qui servirent ultérieurement de base à l'acte impérial de 1867, connu sous le nom "d'Acte de l'Amérique Britannique du Nord" - se lisait comme suit : "Les législatures locales auront le pouvoir de faire des lois sur les sujets suivants : 6. l'éducation (sauf les droits et privilèges que les minorités catholiques ou protestantes dans les deux Canadas posséderont par rapport à leurs écoles séparées au moment de l'Union." (Débats sur la Confédération p. 4).
En discutant cette résolution devant l'Assemblée Législative, le 8 février 1865, l'honorable George Brown, le chef libéral qui s'était coalisé avec les chefs conservateurs pour faire la confédération, prononça ces paroles
M. Brown faisait ici allusion à certaines réclamations formulées par quelques-uns des représentants de la minorité protestante du Bas-Canada. D'après cet article quarante-troisième des résolutions, disaient-ils, la législature provinciale aura juridiction exclusive sur l'éducation. La minorité non-catholique se trouvera donc dépendante de la majorité catholique, dans le Bas-Canada. Sans doute il est dit que la législature ne pourra toucher aux "droits et privilèges que la minorité possédera par rapport aux écoles séparées au moment de l'Union." Mais, dans l'état actuel des choses, nous croyons avoir droit à certaines franchises, à certains avantages, que nous ne possédons pas encore. Et si nous ne les obtenons pas, si la législature du Canada-Uni ne nous les accorde pas avant que la confédération devienne un fait accompli, nous pourrons être exposés à ne pas les avoir sous le nouveau régime. La législature de la nouvelle province ne sera constitutionnellement tenue qu'à respecter les droits dont nous jouirons au moment où la constitution fédérale entrera en vigueur. Donc il importe que des amendements soient faits, avant la confédération, à la loi scolaire, dans le sens de nos réclamations.
Voilà quelle était l'attitude de la minorité protestante dans le Bas-Canada, au moment où se discutait le projet de confédération. Dans les cantons de l'Est principalement, il y avait eu quelque fermentation au sein de l'opinion anglaise. Des semeurs de préjugés avaient jeté le cri que la minorité non-catholique allait être livrée pieds et poings liés à la majorité catholique. Pour prévenir un mouvement qui aurait pu prendre des proportions dangereuses, M. Galt, ministre des finances, et représentant reconnu de l'élément anglais bas-canadien, promit solennellement, dans un discours prononcé à Sherbrooke, après la conférence de Québec de 1864, que le gouvernement ferait adopter sans délai des amendements à la loi scolaire, satisfaisants pour la minorité.
Au cours des débats sur les résolutions fédérales, cette question revint plusieurs fois sur le tapis, et la promesse de M. Galt fut rappelée. Le 8 mars 1865, M. Holton posait à ce dernier la question suivante :
A une séance précédente, celle du 22 février 1865, M. Rose, député de Montréal-Centre, avait précisé les desiderata de la minorité protestante. II avait prononcé les paroles suivantes :
La session de 1865 se termina sans qu'une mesure fût proposée pour amender la loi scolaire conformément aux promesses de M. Galt et à celles de M. Cartier. Les débats sur la confédération avaient été longs, et l'on jugea qu'il valait mieux attendre à l'année suivante, pour ne pas retarder la prorogation.
Mais en 1866, il n'y avait plus d'ajournement possible. Cette session était la dernière du régime de l'Union, et si la minorité protestante du Bas-Canada devait obtenir, avant la confédération, les garanties additionnelles qu'elle avait réclamées, c'était le temps ou jamais. Le gouvernement n'avait nullement l'intention d'éluder ses promesses. Un projet de loi fut préparé avec tout le soin que demandait un sujet de cette importance. Nous lisons à ce propos dans une lettre de sir John Macdonald à lord Monck : "Galt, le représentant des Anglais du Bas-Canada, a pris le meilleur moyen possible de régler la question éducationnelle, pour cette section. Il a demandé au juge Day, l'un des hommes les plus capables et des meilleurs juges qui ait siégé sur le banc dans le Bas-Canada, de rédiger un bill pour la protection de la minorité anglaise et protestante. M. Day, quoique protestant, a la confiance des Canadiens français. II est ici à l'oeuvre, et je suis sûr qu'il va préparer une mesure satisfaisante". (Memoirs of Sir John Macdonald, par Joseph Pope, vol. 1, p. 300).
Le projet de loi en question fut enfin présenté le 31 juillet 1866. C'était l'honorable M. Hector Langevin, alors solliciteur-général, qui en était chargé. Il était intitulé : "Bill pour amender le chapitre 15 des Statuts Refondus du Bas-Canada, concernant l'allocation provinciale en faveur de l'éducation supérieure, et les écoles normales et communes."
Ce titre indiquait très imparfaitement la véritable nature et l'exacte portée de la mesure proposée. Les journaux du temps en donnaient une analyse complète. Voici quelles en étaient les dispositions principales. D'après ce bill, deux députés-surintendants devaient être nommés, l'un catholique, l'autre protestant. Le conseil de l'instruction publique restait composé de dix-sept membres, dont cinq protestants. Lorsque quatre des membres protestants émettraient, sous leur signature, l'avis que la direction des écoles protestantes devrait être séparée de celle des écoles catholiques, le gouvernement, dans un délai de trois mois, adopterait un arrêté en conseil décrétant cette division, et donnant au député-surintendant protestant la direction des écoles protestantes. Comme corollaire, les membres protestants du conseil de l'instruction publique seraient alors, avec une ou deux additions, constitués en conseil séparé et distinct. D'autres articles accordaient à la minorité dissidente des sauvegardes plus explicites quant au paiement des taxes scolaires, à la répartition des taxes payées par les compagnies, pourvoyaient à ce que les minorités de deux municipalités adjacentes les pussent s'unir, et à ce que tout chef de famille dissidente, dans une municipalité où il n'y avait pas d'école séparée, pût payer ses taxes à l'école séparée d'une municipalité voisine. Telles étaient les grandes lignes du projet. C'était le loyal accomplissement des promesses faites par M. Galt à la minorité protestante du Bas-Canada, et ratifiées pour ses collègues.
Mais à peine le bill était-il présenté qu'il se produisit une complication extrêmement dangereuse pour le gouvernement. Les catholiques du Haut-Canada se dirent : "Pourquoi n'obtiendrions-nous pas les mêmes avantages que les protestants du Bas-Canada?" Et ils réclamèrent une législation analogue.
Le jour même où le bill fut soumis à. la Chambre, l'honorable Monsieur A.-A. Dorion se leva et demanda au ministère s'il se proposait de présenter une mesure semblable en faveur de la minorité catholique du Haut-Canada. Ce fut l'honorable John-A. Macdonald (plus tard sir John Macdonald) qui répondit au nom du gouvernement. Il déclara que celui-ci ne se proposait ni de présenter ni de faire présenter un bill de cette nature. Mais il ajouta très énergiquement et très nettement que si un tel projet de loi était présenté il voterait en sa faveur. Cette courageuse parole fit bondir M. Mackenzie (qui devait être premier ministre en 1874). "J'avertis, s'écria-t-il, les membres réformistes du cabinet que si un bill est présenté par un député ministériel pour augmenter les privilèges de la minorité catholique dans le Haut-Canada, il ne leur suffira pas de voter contre ce bill pour éviter l'indignation de leurs constituants. Une telle mesure serait une intervention tyrannique dans les droits du Haut-Canada". (Débats parlementaires, Ottawa Times, 1er août 1866).
Pour bien comprendre la situation, il faut se rappeler que le gouvernement du jour était un gouvernement de coalition, formé spécialement pour faire aboutir le projet de la confédération. En 1864, M. George Brown, le chef du parti grit-réformiste, s'était allié dans ce but à MM. Macdonald et Cartier. Lui et deux de ses amis, MM. Mowat et Macdougall, étaient entrés dans le cabinet. M. Mowat avait, peu de temps après, été nommé vice-chancelier du Haut-Canada; et, en 1865, M. Brown s'était retiré parce qu'il ne partageait pas les vues de ses collègues sur la question du traité de réciprocité avec les Etats-Unis. Mais deux autres libéraux haut-canadiens, MM. Ferguson Blair et Howland, les avaient remplacés. C'étaient spécialement les ministres réformistes que M. Mackenzie menaçait des foudres de leurs électeurs.
Le gouvernement se trouvait dans l'impossibilité de présenter une mesure comme celle que M. Dorion indiquait. D'abord la situation scolaire dans le Haut-Canada n'était pas identique à celle du Bas-Canada. Les deux systèmes n'étaient pas semblables. Dans une brochure publiée en 1865, M. Dawson, le principal de l'école normale McGill, faisait ressortir les différences, afin de démontrer que le cas de la minorité catholique du Haut-Canada ne pouvait être comparé à celui de la minorité protestante du Bas-Canada. "Sur ce sujet, disait-il, je crois que l'on commet généralement une grave erreur. On suppose que ce qui est bon et suffisant pour l'une de ces minorités doit nécessairement être bon et suffisant pour l'autre. Mais il n'existe pas de parité. La minorité du Bas-Canada désire des écoles publiques et non-confessionnelles ; la minorité du Haut-Canada réclame des écoles séparées. La majorité du Bas-Canada est en faveur d'un système fortement confessionnel et ecclésiastique; la majorité du Haut-Canada est en faveur d'un système d'écoles publiques et non confessionnelles .... En résumé la majorité du Haut-Canada et la minorité du Bas-Canada sont favorables au principe des écoles publiques, pour la meilleure diffusion de l'instruction élémentaire. La majorité du Bas-Canada et la minorité du Haut-Canada sont favorables au principe des écoles séparées. Et de la sorte, si politiquement les cas des deux minorités peuvent se ressembler, au point de vue éducationnel ils sont totalement différents." (On some points in the history and prospects of Protestant education in Lower Canada", par le principal Dawson, Montréal 1864, p: 9).
En outre, la loi des écoles séparées obtenue par la minorité catholique haut-canadienne en 1863, après bien des années d'une lutte ardente, avait été considérée et proclamée par un grand nombre comme le règlement final de cette question si violemment et si passionnément controversée. L'honorable M. McGee, l'éloquent représentant des Irlandais catholiques, disait à ce sujet, dans son discours sur la Confédération : "J'ai accepté comme final l'acte amendé de 1863, parce qu'il accordait tout, ce que les pétitionnaires avaient demandé." Les membres réformistes du ministère, en particulier, se trouvaient absolument liés au statu quo, et il leur était impossible de consentir à une nouvelle loi scolaire pour le Haut-Canada. Dans de telles conditions le gouvernement ne pouvait proposer une mesure de ce genre sans se disloquer, sans provoquer une crise formidable, et risquer l'avortement de la confédération.
Les choses en étaient là lorsqu'il se produisit une intervention très grave. Les évêques catholiques, qui suivaient d'un oeil attentif les événements, crurent devoir élever la voix pour demander que les deux minorités, celle du Haut et celle du Bas-Canada, fussent mises absolument sur le même pied. Et ils adressèrent au gouverneur en conseil une pétition dont nous croyons utile de donner ici le texte :
Nous donnons cette pétition telle que nous la trouvons dans les journaux français de l'époque ; c'est évidemment une mauvaise traduction d'un texte anglais.
Cette démarche du corps épiscopal lui était incontestablement dictée par l'amour de la justice. On ne pouvait en suspecter les motifs. Et, en même temps, elle faisait éclater au grand jour les difficultés de la situation. Malgré les arguments de circonstances et les différences de conditions que l'on pouvait faire valoir, comment, en stricte logique, refuser aux uns ce que l'on accordait aux autres? L'honorable John-A. Macdonald le comprenait bien, lorsqu'il déclarait qu'il voterait pour une mesure donnant à la minorité haut-canadienne les mêmes sauvegardes qu'à la minorité bas-canadienne.
La pétition épiscopale était datée du 30 juillet. Le 1er août, un député catholique du Haut-Canada, M. Bell, député de Russell, partisan de M. John-A. Macdonald, présenta un bill calqué sur celui de M. Langevin, et s'appliquant, mutatis mutandis, aux catholiques de cette province. Immédiatement la tempête éclata. George Brown, le parti grit, le Globe et les autres organes anti-ministériels, jetèrent feu et flamme contre ce projet de loi et contre le gouvernement, qu'ils accusèrent d'en être l'instigateur. Bien plus, le chef du département de l'instruction publique dans le Haut-Canada, celui que les protestants regardaient comme leur plus éminente autorité en matière d'éducation, le célèbre M. Egerton Ryerson, écrivit au secrétaire provincial une lettre dans laquelle il protestait énergiquement contre le projet de loi de M. Bell. "C'est, disait-il, le bill le plus déloyal, le plus partial et le plus détestable que l'on puisse concevoir .... Le bill de 1863 devait être accepté comme un règlement final de la question des écoles séparées pour le Haut-Canada... Et rien ne saurait être plus déshonorant, pour l'une ou l'autre partie à cette convention, que de remettre en cause ce règlement, et de chercher à le changer... Je désire ajouter que, si l'on ne peut exiger que le gouvernement empêche un simple député d'insulter le Haut-Canada par l'introduction d'un bill comme celui de M. Robert Bell, cependant j'estime que le peuple du Haut-Canada, aussi bien que celui du Bas-Canada, a le droit de demander protection au gouvernement."
D'autre part, les députés catholiques du Bas-Canada s'émurent et déclarèrent qu'ils voulaient bien voter en faveur du bill présenté par le solliciteur-général, au nom du ministère, mais à condition que celui de M. Bell fût aussi adopté. Déjà le Journal de Québec, rédigé par M. Cauchon, député de Montmorency, avait poussé un cri d'alarme. Commentant le projet de loi ministériel, cet homme public, dont la carrière a été si discutée, mais qui était un vigoureux lutteur, écrivait d'Ottawa
Comme on le voit, le gouvernement se trouvait placé entre deux feux.
Les deux bills scolaires, celui de M. Langevin et celui de M. Bell, étaient sur le feuilleton des ordres du jour. L'agitation s'accentuait, et l'on commençait à considérer, dans les cercles parlementaires, que la situation était extrêmement tendue. Quelques jours après la première lettre que nous avons citée, M. Cauchon écrivait encore à son journal :
Ces lignes, tout en dénotant chez M. Cauchon un grand amour de l'hyperbole, indiquait en même temps que la situation politique était pleine de périls. Qu'allait faire le ministère? [Note de l'éditeur: une correction a été faite dans la phrase qui précède puisque le texte original contenait une faute d'orthographe et aucune ponctuation] Il allait prendre le parti le plus prudent. L'attitude de la majorité protestante du Haut-Canada rendait impossible l'adoption du bill destiné à augmenter les garanties de la minorité protestante du Bas-Canada. Le gouvernement retira son bill, et aussitôt M. Bell retira le sien. Et les deux minorités demeurèrent dans le statu quo. L'honorable John-A. Macdonald, en expliquant le retrait des projets de loi, prononça les paroles suivantes dont il est inutile de souligner I'importance : " La minorité, dans chaque province, devra se reposer sur la justice et la générosité de la majorité.'' M. GaIt, dont la parole était engagée, crut qu'il lui incombait de donner sa démission, tout en continuant à appuyer le ministère.
La minorité protestante du Bas-Canada se résigna assez facilement à cet échec. M. Cartier avait solennellement promis de mettre tout en jeu pour lui faire accorder, par la future législature de la province de Québec, les avantages qui lui étaient conférés par le bill de M. Langevin. Dans un débat ultérieur, le 13 août, M. Stanfield Macdonald ayant fait allusion à cette promesse, M. Cartier fit la déclaration suivante :
Quelques mois plus tard, un grand banquet fut donné à Montréal, en l'honneur de M. Cartier. Il y prononça un important discours, où il traita les questions si graves dont se préoccupait l'opinion. Et il fit allusion en ces termes à l'engagement pris envers les protestants du Bas-Canada
Au mois de novembre 1866, MM John-A. Macdonald, Howland, McDougaIl, Cartier, Langevin et GaIt s'embarquèrent pour l'Angleterre; ils allaient, comme délégués du gouvernement canadien, rejoindre à Londres les délégués des provinces maritimes, pour préparer, de concert avec ces derniers et le gouvernement impérial, l'acte de la confédération, qui devait être adopté par le Parlement britannique.
Les représentants du Haut-Canada, du Bas-Canada, de la Nouvelle-Ecosse et du Nouveau-Brunswick, siégèrent en conférence au "Westminster Palace Hotel," du 4 au 24 décembre, et rédigèrent les résolutions qui devaient servir de base au bill impérial. Ces résolutions reproduisaient d'une manière générale celle qui avaient été adoptées par la législature canadienne en 1865. On se rappelle que l'article 43 de ces résolutions traitait des pouvoirs accordés aux législatures, spécialement en matière d'éducation. A la conférence de Londres, cet article 43 devint l'article 41. Nous en avons déjà donné le texte français. Nous allons maintenant donner le texte anglais tel qu'il fut adopté à la conférence de Londres, le 5 décembre 1866 :
En comparant ce texte avec celui de 1865, on y remarque deux variantes. Les mots "in any province" remplacent les mots "in both Canadas", parce qu'à Londres il s'agissait de toutes les provinces ; et les mots "by law", sont ajoutés après les mots "may have."
Mais ces deux variantes ne furent pas les seuls changements que subit alors cet article. Nous touchons ici à un incident très important, et qu'il convient de mettre en pleine lumière, eu égard aux événements qui ont eu lieu longtemps après les délibérations de 1866. Lorsque le texte reproduit plus haut eut été adopté, M. Galt proposa que les mots suivants fussent ajoutés à l'article :
C'est dans le livre de M. Joseph Pope, intitulé Confederation documents, que nous trouvons cette pièce. M. Pope reproduit le fac-simile du manuscrit même de M. Galt, conserve dans les papiers de sir John Macdonald. L'importance de cette constatation est manifeste. Ce surcroît de garanties, de sauvegardes pour les minorités, a donc été inséré dans notre constitution à la demande du représentant de la minorité anglaise et protestante du Bas-Canada. Ce ne sont pas nos chefs à nous qui ont demandé cela, ce ne sont pas eux qui ont exigé cette disposition supplémentaire, cette protection additionnelle pour leurs coreligionnaires des autres provinces. Ils croyaient suffisant l'article tel que rédigé. Mais évidemment les Anglais de la future province de Québec redoutaient la constitution nouvelle ; ils craignaient la domination de la majorité catholique et française qui serait maîtresse de la législature, et ils prenaient leurs précautions, ils s'armaient contre les éventualités, quelque problématiques qu'elles fussent. Et c'est grâce à l'intervention, à l'action directe de leur représentant dans la conférence de Londres, que l'appel au gouverneur général en conseil, et, comme corollaire, la juridiction "rémédiatrice" du Parlement fédéral en matière d'éducation, ont été inscrits dans l'Acte constitutionnel de 1867. L'histoire dira que la minorité anglaise et protestante, à la demande de laquelle ces garanties ont été stipulées, n'en a jamais eu besoin, tandis que d'autres minorités, qui en ont eu besoin, les ont vainement invoquées. Ces dispositions protectrices ne devaient-elles donc être valables que pour une minorité spéciale, et devenaient-elles lettre morte du moment que cette minorité se trouvait trop justement, trop généreusement traitée, pour être obligée d'y recourir?
L'article 43 des résolutions de 1865, transformé en l'article 41 des résolutions, en 1866, et augmenté de l'amendement Galt, devint finalement, avec quelques changements de rédaction, l'article 93 de l'Acte constitutionnel de 1867. Nous allons en reproduire le texte :
Voilà comment, de transformation en transformation, s'est élaboré ce fameux article de l'Acte de 1867, qui avait pour objet de donner à toutes les minorités une protection efficace.
Au mois de mai nos délégués revenaient au Canada et le 1er juillet suivant la confédération était inaugurée.
Le premier cabinet provincial de Québec fut formé par l'honorable M. P.-J.-O. Chauveau, qui, depuis plusieurs années, occupait le poste de surintendant de l'instruction publique pour le Bas-Canada. Les élections générales eurent lieu dans le cours de l'été, et la première session de notre première législature s'ouvrit à Québec le 27 décembre 1867.
Elle dura moins de deux mois, et fut très laborieuse. II y avait beaucoup de besogne urgente à expédier. II fallait agencer les rouages de la nouvelle machine gouvernementale, organiser le service civil et les divers départements, pourvoir à l'administration des finances provinciales, adopter des lois générales relatives à l'incorporation des compagnies, aux mines, à la colonisation, à l'inspection des prisons, aux hôpitaux, etc., [sic] De sorte qu'une loi relative à l'instruction publique ne put être proposée durant cette session.
Mais à la deuxième session de la législature, ouverte le 20 janvier 1869, le gouvernement Chauveau mit à l'étude un projet de loi d'une importance capitale. Les réclamations de la minorité protestante de la province de Québec, telles que formulées en 1866, n'avaient rien perdu de leur vivacité. Mais cette minorité ne relevait plus d'une législature en majorité protestante. C'était à des Chambres complètement dominées par l'élément catholique, qu'il lui fallait demander les privilèges sollicités par elle trois ans auparavant. La législature de Québec, en vertu de la constitution de 1867, était bien tenue constitutionnellement de respecter tous les droits éducationnels possédés par la minorité anglaise et protestante, au moment de la confédération. Mais elle n'était pas obligée de leur accorder davantage. Le cabinet provincial, en face des pétitions protestantes, était absolument libre, au point de vue légal et constitutionnel.
Pendant quelque temps on put se demander quelle attitude allait prendre le gouvernement. Mais l'incertitude cessa le 19 mars 1869, lorsque M. Chauveau présenta son bill. Nous allons en donner les grandes lignes d'après le texte qui devait être définitivement adopté.
L'article premier avait trait au Conseil de l'instruction publique, qui devait être composé de 21 membres, dont 14 catholiques et 7 protestants. L'article 2 se lisait comme suit :
L'article 5 disait que, si dix membres catholiques ou cinq membres protestants du Conseil enregistraient leurs votes en faveur d'une proposition déclarant désirable que la direction des écoles catholiques et protestantes fût distincte et séparée, le président du dit Conseil devrait convoquer une assemblée spéciale pour prendre ce vote en considération. L'article 6 décrétait que si, à cette assemblée, ce vote était confirmé par le même nombre de membres catholiques ou de membres protestants, selon le cas, le gouvernement devrait, sous un délai de trois mois, constituer les membres catholiques et les membres protestants en deux conseils séparés, ayant juridiction distincte en ce qui concernait l'éducation catholique et l'éducation protestante respectivement.
L'article 13 pourvoyait à ce que les taxes prélevées sur les propriétés des corporations et des compagnies investies de pouvoirs corporatifs fussent divisées entre les écoles de la majorité et les écoles dissidentes, dans la même proportion que l'allocation du gouvernement.
L'article 14 permettait aux syndics d'écoles dissidentes, dans deux municipalités adjacentes, qui seraient incapables d'entretenir une école dans chaque municipalité, de s'unir pour établir et administrer une école située aussi prés que possible des limites des deux municipalités.
L'article 15 déclarait que, dans toute municipalité où il n'y aurait pas d'école dissidente, tout chef de famille professant la religion de la minorité pourrait faire payer ses taxes aux syndics ou commissaires de la municipalité voisine, si celle-ci n'était pas à plus de trois milles de son domicile.
La loi contenait des dispositions spéciales pour les cités de Québec et de Montréal.
En somme, par le bill du gouvernement Chauveau, la minorité protestante obtenait les avantages et privilèges qu'elle avait demandés vainement en 1866. La parole de Cartier était tenue, en tant que le ministère provincial était concerné.
Mais qu'allait dire la Législature?
Au premier moment il y eut de l'hésitation et des murmures. La Minerve du 23 mars publiait les lignes suivantes dans sa correspondance parlementaire :
De son côté, le Journal de Québec laissait pressentir que le bill ne passerait pas comme une lettre à la poste. M. Cauchon écrivait le 20 mars: "Ce que nous trouvions mauvais, il y a trois ans, chez nos meilleurs amis personnels et politiques, nous ne saurions le trouver bon maintenant. Les positions et la doctrine restent les mêmes, et si, encore une fois, nous avons bien compris le bill, malheureusement elles se trouvent en conflit comme en 1865". M. Cauchon représentait le comté de Montmorency dans la chambre provinciale.
D'autre part, M. Hector Fabre faisait campagne dans l'Evénement en faveur de la mesure. II publiait le 23 mars, un article où se lisaient ces lignes :
Toute différente était la note que faisait entendre le Courrier du Canada. II estimait que le projet de loi poussait jusqu'à l'excès l'esprit de libéralité et de tolérance ; il s'écriait :
Comme on le voit, les opinions dans la presse étaient divergentes, et le projet de loi y soulevait de l'opposition. Dans la chambre il donna lieu à un intéressant débat.
En proposant la première lecture du projet de loi, M. Chauveau donna quelques explications sur sa nature et son objet. "Vous êtes appelés, dit-il, à étudier une question importante qui a occupé pendant longtemps l'attention du pays, et avant la Confédération et depuis l'introduction des institutions nouvelles. L'on en a parlé beaucoup pendant ces derniers temps et le gouvernement s'est décidé à la régler pour tranquilliser le peuple de la province de Québec. La majorité, animée des meilleurs sentiments, désire prouver qu'elle est libérale et donner un exemple qui, espérons-le, sera suivi à Ontario par la majorité à l'égard de la minorité catholique... Cette mesure est bien plus libérale que la loi d'Ontario et les lois de tous les autres pays où la société est composée comme la nôtre."
L'un des représentants de la minorité protestante, M. Carter, député de Montréal, prit ensuite la parole. "Je dois féliciter le ministère sur la résolution qu'il a prise et sur la mesure libérale qu'il présente, déclara-t-il... Le gouvernement est entré dans la bonne voie; j'ai lieu de croire que sa conduite recevra l'approbation du pays, et je crois que les difficultés seront tranchées".
M. Joly se leva à son tour, et, au nom de l'opposition, il fit la déclaration suivante : "Quelque faible que soit l'opposition, je dois dire qu'elle est heureuse en ce moment. Jamais je ne me suis levé avec autant de satisfaction. Les membres de l'opposition s'engagent à supporter le gouvernement en cette circonstance. Nous comprenons sa position difficile, nous voyons les intérêts en jeu et nous sommes décidés à ne pas créer d'embarras et à approuver sa politique libérale avec tout le pays."
L'honorable M. Langevin, secrétaire d'État dans le cabinet fédéral, félicita lui aussi le gouvernement provincial : "La mesure, dit-il, est libérale, car elle accorde aux protestants non seulement ce que la constitution leur donne, mais aussi plusieurs faveurs, des choses auxquelles ils n'avaient pas absolument droit, mais qui étaient nécessaires au bon fonctionnement du système."
Avec M. Cauchon, on n'entendit pas absolument la même note. II fit ses réserves, quant à certains dispositifs du bill, et laissa comprendre qu'il serait peut-être forcé de les combattre.
L'honorable M. Chapleau prononça un long discours. Sans se déclarer carrément hostile à la mesure, il en critiqua vivement la tendance. "Qu'avons-nous maintenant? s'écria-t-il. Une mesure que je ne veux pas aujourd'hui discuter ni juger, parce que nous ne l'avons pas devant nous préparée, rédigée, et que nous n'en connaissons pas encore assez bien les dispositions, mais une mesure qui, je le crains, M. l'Orateur, d'après l'exposé qui vient de nous en être fait, consacre une politique de favoritisme contraire à l'esprit de la constitution et dangereuse pour l'avenir. Cette mesure, nous a dit l'honorable premier-ministre, contient des dispositions qui sont bien en avant de la législature d'Ontario et des autres provinces. Elle consacre déjà des privilèges. Comme tous mes compatriotes, sur cette question, j'aime la libéralité, et certes, ce n'est pas moi qu'on accusera jamais de favoritisme ; mais il est des conditions, des circonstances, où la libéralité est dangereuse, où les privilèges deviennent odieux; c'est lorsque cette libéralité, ces privilèges, ouvrent la porte à des empiétements et donnent lieu à des récriminations. Et je crains, M. l'Orateur, que la présente mesure soit de nature à faire appréhender de pareils dangers."
Le prestige dont jouissait dès lors le jeune député, son éloquence qui faisait déjà de lui l'une des personnalités marquantes de la chambre, donnaient à son attitude peu favorable une spéciale importance. Et il n'était pas seul. Pendant deux ou trois jours, un grand malaise régna dans les rangs ministériels. On parla même d'une crise au sein du cabinet. La rumeur circula que MM. Ouimet et Archambault allaient démissionner. Cependant, après de nouvelles explications de la part de M. Chauveau, la députation se rallia au projet de loi. La seconde lecture proposée par le premier ministre, le 22 mars, fut ajournée au 23, pour permettre à la chambre de mieux comprendre la véritable portée et le véritable but de la mesure.
Le 23 mars, lorsque la motion pour la seconde lecture fut faite, M. Cauchon se leva et expliqua longuement sa position. II rappela les objections qu'il avait fait valoir contre le bill de M. Langevin en 1866, et déclara qu'à première vue ces objections lui avaient encore paru de mise aujourd'hui. Cependant, ajoutait-il, si le gouvernement modifiait la phraséologie de certains articles, il donnerait son appui au bill dans l'intérêt de la bonne entente. Les modifications indiquées par le député de Montmorency étaient de pure forme, et bien des gens trouvèrent que M. Cauchon avait joué une assez mauvaise comédie.
M. Langevin rappela ce qui s'était passé en 1866. Le but de la législation préparée alors était de protéger la minorité. Et la présente mesure avait le même objet. "La minorité souffre-t-elle? demanda M. Langevin. Est-elle persécutée? - Au contraire, les protestants n'ont-ils pas leur coudées franches? Je crois qu'à l'avenir, jamais ils n'auront raison de se plaindre plus qu'aujourd'hui. Le passé offre une garantie pour l'avenir. Je regrette que le chef de la majorité dans la province de Québec, sir G.-E. Cartier, ne soit pas au milieu de nous, car il verrait avec plaisir que l'on a tenu sa promesse. Quand le bill Langevin fut retiré, sir G.-E. Cartier déclara à la minorité du Bas-Canada qu'il s'engageait à faire passer une mesure analogue et que sa parole donnée valait la mesure."
L'opposition se fit de nouveau entendre par la bouche de MM. Marchand et Bachand; elle approuva le bill dont la deuxième lecture fut adoptée à l'unanimité. Voici comment la Minerve, un des journaux les plus importants de la province, apprécia ce résultat :
Après avoir traversé les phases ordinaires, le projet fut voté par les deux chambres et devint le chapitre 16 des Statuts de la province de Québec, année 1869. Cette loi a servi de base aux privilèges et aux prérogatives dont jouissent sans contestation, sans empiétement, sans récriminations d'aucune sorte, nos compatriotes de la minorité anglaise et protestante dans la province. L'autonomie scolaire, le dualisme administratif, la répartition proportionnelle des taxes prélevées sur les corporations, les facilités de dissidence, l'union facultative des municipalités scolaires, etc., etc., tout cela se trouve en principe dans la loi scolaire de 1869.
Or, ne nous lassons pas de le proclamer, cette loi, la législature de la province de Québec n'était pas obligée de l'adopter, d'après la constitution. L'article 93 de la loi impériale et organique de 1867 (l'Acte de l'Amérique britannique du Nord) ne garantissait à la minorité anglaise et protestante que les droits dont elle jouissait au moment de l'Union. Et, au moment de l'Union, il n'y avait pas pour les protestants d'autonomie scolaire, pas de dualisme administratif, pas de répartition proportionnelle de la taxe sur les corporations, pas d'union facultative des minorités dissidentes. Tout cela a été accordé, donné, garanti à la minorité de notre province comme un pur don, comme un témoignage de bon vouloir et de libéralité, comme un gage de concorde et d'harmonie, entre les croyances et les races. Et une fois donné, notre législature n'a pas essayé de le retirer, de le reprendre ; elle ne s'est pas repentie de sa générosité; au contraire, dans toutes les occasions, elle a fait preuve de la même tolérance et de la même largeur d'esprit.
Nous avons pensé qu'il était bon de retracer cette page d'histoire, au milieu des temps difficiles que nous traversons.
Source : Thomas CHAPAIS, "La Province de Québec et la minorité anglaise", dans La Nouvelle-France, Vol. XV, No 4 (avril 1916) : 145-164.
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Claude Bélanger, Marianopolis College |