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Documents de l’histoire du Québec / Quebec History Documents
Henri-Raymond CasgrainPanorama militaire de Québec (1759)
[Ce texte a été rédigé par Casgrain; pour la référence précise, voir la fin du document] Le lendemain, au soleil levant, par une journée claire comme celle de la veille, Wolfe prit avec lui l'ingénieur en chef Mackeller, se fit escorter par quelques troupes légères, et remonta le fleuve jusqu'à l'extrémité de l'île d'Orléans, où il mit pied à terre.
Il n'a pas écrit, mais il est facile de deviner quelle fut sa première impression. Il avait devant lui un des plus beaux points de vue et une des positions stratégiques les mieux choisies de l'Amérique du Nord : à sa droite, la rivière et la cascade de Montmorency, formant une ligne de défense naturelle; à sa gauche, les falaises escarpées de Lévis; en face, à une lieue de distance, s'avançant comme la proue d'un immense navire, le promontoire de Québec dominant les deux rives. Il distinguait parfaitement les lignes du camp retranché se prolongeant en zigzags avec leurs batteries et leurs redans, depuis les cimes du Montmorency jusqu'à la rivière Saint-Charles; et en arrière de cette première ligne, tout le long du coteau, la double rangée de jolies maisons blanches bordant le chemin. Il ne savait pas encore que le groupe de tentes qu'il apercevait sur son extrême droite était le camp de son plus habile ennemi, le chevalier de Lévis, avec les meilleures troupes régulières et ces fameux coureurs de bois de Montréal, redoutés de ses soldats presque autant que les sauvages; qu'au centre de cette côte, le manoir seigneurial de Salaberry, entouré d'une multitude de tentes, était le quartier général de Montcalm; et que plus loin, vers la Canardière, se trouvait celui de Bougainville, qu'allait bientôt occuper le marquis de Vaudreuil.
Sur toute l'étendue de cette côte, il voyait les lignes blanches des régiments français et celles des troupes coloniales, qui allaient prendre leurs positions respectives. A l'entrée de la rivière Saint-Charles lui apparaissaient les lignes confuses des ponts fortifiés, et au loin dans la vallée, le clocher à peine visible de l'Hôpital-Général.
A l'aide du plan de Québec déroulé devant lui, il pouvait déterminer la position des principaux édifices de la ville, dont les flèches et les toitures dominaient les remparts : le Séminaire et l'Hôtel-Dieu au bord du cap, la cathédrale, le collège des jésuites, les monastères des ursulines et des récollets disposés au centre en quadrilatère irrégulier; sur la gauche, et couronnant le précipice, le château Saint-Louis vu de profil. Les deux grands bouquets d'arbres, surgissant du milieu des toits, indiquaient les jardins du Séminaire et du collège. Autour des crêtes palissadées de la montagne, s'alignaient les batteries du château Saint-Louis, du Séminaire, de l'hôpital; et au-dessous, allongeant leurs gueules à fleur d'eau, les batteries Saint-Charles, Dauphine, Royale et de Construction.
Mais ce qu'il ne pouvait voir du point où il était, ce que lui cachait le cap Diamant qui fermait l'horizon à l'ouest, c'étaient les deux chaînes de rochers à pic entre lesquelles, à partir d'une distance de plusieurs lieues, le fleuve se fraye un passage. Sans les avoir vues, il savait par les rapports les plus positifs, que du côté nord jusqu'au cap Rouge, trois lieues plus haut, la falaise est à peu près inabordable; que dans les rares endroits où elle est accessible, elle peut être facilement défendue par de petits corps d'armée, et qu'au delà, la rivière du Cap Rouge forme, par ses rives encaissées, un obstacle non moins difficile que celui de la rivière Montmorency. Aussi cette position n'entrait-elle dans ses plans d'attaque que comme un dernier moyen auquel il ne devait songer qu'après avoir épuisé tous les autres.
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Source: Montcalm et Lévis, II. Reproduit dans Camille ROY, ed., Morceaux choisis d’auteurs canadiens, 3ème édition, Montréal, éditions Beauchemin, 1942, 443p., pp. 66-67. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |