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L’Encyclopédie de l’histoire du Québec / The Quebec History Encyclopedia
Joseph Papin Archambault, s.j.
[Cet article fut écrit par Richard Arès dans l'Action nationale en 1981. Pour la référence exacte, voir la fin du texte]
I- LE DÉFENSEUR DU FRANÇAIS
Au moment de sa mort, en octobre 1966, le Père J.-Papin Archambault a été salué à la fois comme bon serviteur de l'Église, pour avoir lancé et diffusé les Retraites fermées au Canada, comme l'apôtre des travailleurs et le pionnier du catholicisme social, pour avoir fondé et maintenu, durant près de soixante ans, les Semaines sociales du Canada et avoir dirigé, trente ans durant, l'institution qui portait alors le nom d'École sociale populaire.
Certes, le Père J.-Papin Archambault a été tout cela: initiateur et apôtre des Retraites fermées, défenseur et apôtre des travailleurs catholiques, pionnier et promoteur du catholicisme social, mais, en plus de ces domaines où le P. Archambault a tenu un rôle de premier plan, il en est un autre auquel le Père a été intimement mêlé dès sa jeunesse et auquel il n'a jamais cessé, même plus âgé, de constamment s'intéresser: la défense et la promotion de la langue française.
Quelqu'un qui l'a bien connu et avec qui il s'est toujours plu à collaborer, l'abbé Lionel Groulx - tous deux presque contemporains, l'un étant né en 1878 et l'autre en 1880, l'un devant survivre plus de six mois à l'autre - pouvait ramasser ses souvenirs et rendre hommage au P. Archambault en un texte intitulé L'animateur de l'Action française que publia la revue Relations (novembre 1966), texte qu'il convient vraiment de reproduire dans l'Action nationale d'aujourd'hui. Le voici:
C'est en ces termes que, quelques mois avant de mourir, le chanoine Lionel Groulx tint à rendre hommage à celui qui avait été à l'origine de la Ligue des droits du français, laquelle devait donner naissance à la Ligue de l'Action française et engendrer la revue du même nom, dont il fut nommé directeur et, comme il le dit lui-même dans l'hommage qu'on vient de lire, y « vécut dix ans d'une vie ardente ».
Pour revenir au Père J.-Papin Archambault, il importe de le mieux connaître et de nous interroger à la fois sur ses origines familiales, ses études collégiales et ses premières années de formation dans la Compagnie de Jésus. Peut-être y découvrirons-nous là le point de départ de son zèle pour la défense et la cause du français.
II - SES ORIGINES FAMILIALES
Au moment de sa mort, en octobre 1966, on a publié à son sujet des notes biographiques, lesquelles commençaient par ces mots: « Le Père est né à Montréal, le 13 août 1880, de Gaspard Archambault, médecin, et de Marie-Louise Papin. » Les Archambault et les Papin sont deux noms de familles dont le Père a toujours été très fier et à qui il s'est intéressé toute sa vie. Il avait même entrepris de dresser son arbre généalogique, c'est-à-dire de remonter à la source, au premier ancêtre de l'une ou l'autre famille, venu de France s'établir au Canada.
La famille Archambault
Après de longues recherches et une correspondance assez élaborée avec l'Institut Drouin de généalogie, il avait pu déterminer que le premier Archambault, du prénom de Jacques, était arrivé au Canada en 1646; il lui avait été relativement facile d'établir sa lignée jusqu'à son propre grand-père. En réalité, partout où, au Québec, au Canada, aux États-Unis et même en France, il entendait parler qu'il existât un Archambault, il lui écrivait pour demander des renseignements et connaître ses liens de parenté avec les autres du même nom. Dans la liasse de documents qu'il a laissés après sa mort, il doit y avoir une liste d'environ 50 à 60 Archambault, avec leurs postes, fonctions et adresses, surtout quand il s'agit d'ecclésiastiques.
Quelques années avant sa mort, soit vers 1960, le Père rédigea lui-même certaines notes biographiques se rapportant à sa propre famille. Les voici, telles qu'on les retrouve encore aux Archives de la Compagnie de Jésus, à la maison de Saint-Jérôme:
Telles sont les notes biographiques que le Père a lui-même rédigées sur sa propre famille Archambault, mais à côté de ces notes, une autre famille, celle de sa mère, l'intéressait grandement.
La famille Papin
Dans ces mêmes archives de la Compagnie de Jésus, à Saint-Jérôme, se retrouvent trois dossiers: l'un sur les Papin, l'autre sur les Pépin et le troisième sur les Pepin. Le premier surtout l'intéressait: c'était le nom de sa mère et lui-même portait le nom de Papin. En 1953, il avait rassemblé assez de documents pour prononcer une conférence sur « La famille Papin », conférence qu'il publia par la suite dans l'Oeuvre des Tracts, en décembre 1953, No 404. Il y faisait remonter l'arrivée du premier Papin au Canada parmi les membres de « La grande recrue de 1653 », à la suite du voyage en France de Chomedey de Maisonneuve pour y chercher du secours. Remontant ensuite le cours des siècles, il parvenait à la septième génération des Papin, celle de son grand-père Joseph, ancien député de l'Assomption, qui vécut de 1825 à 1862.
Élu député aux élections de 1854, puissant tribun, il ne tarda pas à se lier avec le groupe de l'Institut canadien hostile à l'Église et protagoniste de la libre-pensée. Défait aux élections de 1857, Joseph Papin retourna sagement à la pratique de sa profession d'avocat. Quelque temps après, atteint d'un cancer, il revenait à la foi de son enfance et, le 23 février 1862, rendait son âme à Dieu.
La petite brochure de l'Oeuvre des Tracts consacrée à « La famille Papin » se termine par ces mots qui décrivent la liaison entre les deux familles dont il vient d'être question: « Marié le 18 novembre à Sophie Homier, Joseph Papin, ne laissait qu'une fille, Marie-Louise, âgée de neuf ans. Ses études terminées chez les religieuses du Sacré-Coeur, au Sault-au-Récollet, celle-ci épousa, le 14 mai 1878, à la cathédrale Montréal, le docteur Gaspard Archambault . ... Elle mourut le 30 août 1899, à l'âge de 46 ans, remerciant le ciel qu'une vocation religieuse, dont elle fut la discrète inspiratrice, ait germé parmi ses enfants. »
Allusion passagère et respectueuse à celle qui avait été sa mère, alors disparue déjà depuis plus d'un demi-siècle.
III - SES ÉTUDES COLLÉGIALES
Comme son grand-père Camille qui, du Collège de l'Assomption, y était venu terminer ses études et comme son père Gaspard qui y avait fait tout son cours, le jeune Papin - seul prénom qu'il porte alors, en hommage à sa mère et à son grand-père maternel - fait son entrée au Collège Sainte-Marie au début de septembre 1891.
C'est une institution fondée et dirigée par les Jésuites depuis 1848, une institution qui fait aussi quelque peu bande à part parmi les autres collèges et séminaires qui existent alors au Québec. Ceux-ci, en effet, ont pour premier objectif de former des jeunes en vue de développer en eux des vocations sacerdotales et religieuses. Les fondateurs du Collège Sainte-Marie, Jésuites venus de France à la prière de Mgr Bourget, évêque de Montréal, s'étaient donné, eux, un objectif général: l'éducation et la formation de la jeunesse. Pas de n'importe quelle jeunesse, mais bien celle de l'époque et du milieu montréalais. C'est-à-dire que, pour eux aussi, le problème de la langue de l'enseignement n'a pas tardé à se poser: devaient-ils enseigner en français ou en anglais, ou encore utiliser les deux langues?
Le Collège Sainte-Marie au milieu et à la fin du XIX e siècle.
Pour mieux saisir l'ampleur du problème auquel ont eu à faire face les premiers recteurs européens du Collège, il importe de rappeler deux faits dont ils durent tenir compte dès leur arrivée au Canada: le fait d'une nombreuse présence anglophone à Montréal et le fait que les Jésuites d'alors appartenaient à la même mission qu'à celle de New-York, les deux régions étant alors jumelées.
Le premier fait à rappeler est le suivant: au moment où les Jésuites ouvrent leur collège, la ville de Montréal présente encore une majorité anglophone. En 1851, les Canadiens d'origine française y sont minoritaires et ne forment que 45% de la population. En 1871, le groupe français se chiffre à 56,856 et détient une faible majorité de 53%, alors que l'ensemble des groupes britanniques: anglais, irlandais, écossais, se montent à 48,221 et ne forment plus qu'une puissante minorité de 43%. Le plus important pour le Collège était qu'il y avait alors à Montréal deux fois plus d'Irlandais que d'Anglais proprement dits. Où ces jeunes anglophones, en particulier ces Irlandais, catholiques pour la plupart, iraient-ils se faire instruire si le Collège Sainte-Marie leur fermait ses portes? Encore fallait-il que ce Collège recrute des professeurs qui puissent enseigner en anglais.
La ville de Montréal, cependant, grandissait rapidement: alors qu'au moment de la Confédération de 1867, elle comptait à peine 100,000 âmes, sa population devait s'élever à plus de 200,000 quelque vingt ans plus tard, soit au recensement 1891, l'année même où le jeune Papin Archambault faisait son entrée au Collège Sainte-Marie.
Un deuxième fait dont il faut tenir compte pour bien saisir la situation qui existe alors au Collège est que les Jésuites venus de France en Amérique, c'est-à-dire à la fois à New-York et à Montréal, ont longtemps appartenu à la même mission, dénommée alors mission New-York-Canada, dont le supérieur résidait à New-York même. La conséquence en fut que celui qui allait donner des instructions et des directives aux premiers recteurs du Collège Sainte-Marie ne résidait pas sur place à Montréal mais bien à New-York et, de ce lieu était porté à donner ses préférences à l'enseignement de l'anglais.
Quoiqu'il en soit, au moment où le jeune Papin entre au Collège, la situation est encore quelque peu ambivalente: les classes sont doublées selon le nombre d'élèves de chaque langue qui se présentent au début de l'année. Ainsi, si l'on consulte l'annuaire du Collège de 1891, il y a dans la première année, c'est-à-dire aux Éléments-Latins, trois classes ou sections pour les francophones, et deux pour les anglophones, situation dont on retrouve à peu près l'équivalent dans les autres classes supérieures.
Le collégien
Lorsqu'au début de septembre 1891 le jeune Papin fait son entrée au Collège Sainte-Marie, un autre Archambault de la même famille y étudie déjà: Joseph, son frère aîné.
Chez les Jésuites du Canada, des changements importants viennent de se produire: ils n'appartiennent plus à la mission de New-York, mais, depuis 1888, forment une province canadienne autonome, dont le premier supérieur, après avoir résidé quelque temps au scolasticat de l'Immaculée-Conception, maintient sa résidence permanente au Collège Sainte-Marie depuis 1891.
En consultant les annuaires du Collège, on peut parvenir à dresser un tableau des classes qu'a fréquentées et même une liste des prix qu'a remportés le jeune Papin durant tout son cours au Collège. La première année, son nom se retrouve dans la classe des Éléments-Latins "A", section "A" dans laquelle il se maintiendra jusqu'à la fin de son cours. Lors de la distribution des prix, l'annuaire du Collège attribue au jeune Papin une troisième place en Excellence et une cinquième en Thème latin. L'année suivante, c'est-à-dire en Syntaxe, il obtient le deuxième accessit en Instruction religieuse et un prix de six accessits.
En classe de Versification, on retrouve le nom du jeune collégien dans la colonne des prix de Diligence ainsi que dans celle des prix d'Élocution. L'année suivante, en classe de Belles-Lettres, les résultats à la fin de l'année sont les mêmes: prix en Diligence et en Élocution. Â la fin de sa classe de Rhétorique, il obtient un accessit en Diligence, un premier prix en Discours français ainsi qu'en Élocution.
C'en est maintenant fini de l'étudiant au Collège Sainte-Marie: dans l'annuaire de 1897-1898, on ne retrouve pas son nom. Après quelques mois de vacances, il va se décider à entrer chez les Jésuites au noviciat du Sault-au-Récollet. Du Collège il emportera le goût du travail et une certaine fierté de la langue française, comme en témoignent les prix obtenus à la fin de ses classes de Belles-Lettres et de Rhétorique.
Coïncidence peut-être: la même année où il quitte le Collège Sainte-Marie, qui a longtemps maintenu des classes parallèles, l'une en français, l'autre en anglais, les Jésuites de Montréal ouvrent un autre collège, Loyola, lequel commencera à accueillir ceux qui, tout en étant catholiques mais non de langue française, avaient dû jusqu'alors faire leur cours classique au Collège Sainte-Marie.
Aussi est-ce un collège entièrement renouvelé, réservé d'abord et avant tout aux francophones, que le jeune Papin, devenu jésuite, retrouvera quand il viendra y faire ses années de régence au début du XX e siècle.
IV - PREMIÈRES ANNÉES CHEZ LES JÉSUITES
Après avoir terminé sa classe de Rhétorique au Collège Sainte-Marie, le jeune Papin Archambault décide de ne pas rentrer au Collège et, le 31 octobre 1897, il se présente au noviciat des Jésuites, alors établi au Sault-au-Récollet. Une fois accepté, il commence à suivre le régime de vie et de formation propre aux scolastiques de ce temps-là, soit deux ans de noviciat, deux ans de juvénat, puis trois ans de philosophie au scolasticat de l'Immaculée-Conception sur la rue Rachel, trois ans parce qu'il n'avait pas fait ses classes de philosophie avant son entrée dans la Compagnie de Jésus.
A la fin de juillet 1904, il est nommé pour enseigner la classe de Méthode au Collège Sainte-Marie, là même où il avait déjà étudié. Il y fera toute sa « régence », enseignant deux années en classe de Méthode et trois en classe de Belles-Lettres. Depuis son départ en 1897, la figure interne du Collège avait grandement changé, dû d'abord au fait que la plupart des classes anglophones d'autrefois s'étaient transportées au nouveau Collège Loyola et que maintenant l'atmosphère collégiale à Sainte-Marie était presque entièrement francophone. De plus, au printemps de la même année 1904, un groupe d'élèves des classes supérieures, avec l'appui de leur professeur de philosophie, le P. Samuel Bellavance, viennent de lancer une invitation aux jeunes de toute la Province de venir participer à un congrès qui allait jeter les bases de l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française (l'A.C.J.C.). Parmi les élèves du Collège qui y participèrent mentionnons seulement les noms de Joseph Versailles, Albert Benoît, Ernest Roby, Armand Dugas, Henri Bernard, Rosario Genest, etc.
Dans ce milieu transformé et provisoirement surchauffé, le jeune scolastique Papin Archambault, après deux ans d'enseignement en classe de Méthode, se voit en 1906 transposé en classe de Belles-Lettres avec le titre de modérateur de l'académie, c'est-à-dire du cercle local d'études, Cercle Sainte-Marie de la nouvelle Association venant de se fonder au Collège même. C'est là surtout qu'il entra en contact avec l'élite des jeunes collégiens de Montréal et que lui vint la pensée d'organiser pour eux une expérience toute nouvelle au Canada, c'est-à-dire une retraite fermée pour les jeunes du Cercle Sainte-Marie. Expérience dont il devait raconter l'histoire dans des articles parus d'abord dans Le Semeur et Le Messager du Sacré-Coeur , puis réunis en brochure sous le titre L'Oeuvre qui nous sauvera, brochure portant en sous-titre « La régénération de l'individu et de la société par les retraites fermées. »
Ayant achevé ses années de « régence » ou d'enseignement au Collège Sainte-Marie, le jeune professeur retourne au scolasticat de l'Immaculée-Conception pour y entreprendre ses études théologiques. Dans l'intervalle, un fait nouveau s'est produit: les Jésuites travaillant au Canada, qui avaient commencé par dépendre de la Province de France, puis de celle de Champagne, pour ensuite faire partie de la mission autonome New-York-Canada, être rattachés à la Province d'Angleterre, former une mission autonome canadienne en 1888, viennent tout juste, le 15 août 1907, d'être érigés en province canadienne.
Je signale, en passant, que les catalogues jésuites qui, à partir de son premier séjour au scolasticat pour ses études en philosophie, le présentaient sous son double prénom Joseph-P., ne le présentent plus que sous le nom de Joseph Archambault et laissent tomber l'autre prénom de Papin. Quoi qu'il soit, en 1909, il commence sa première année de théologie au scolasticat de l'Immaculée-Conception.
L'année suivante, en 1910, un événement religieux important se produit qui va attirer les yeux de l'ensemble du monde catholique sur la ville de Montréal: le Congrès eucharistique international, au cours duquel Henri Bourassa, alors dans la force de l'âge, répondant le samedi 10 janvier 1910, au discours de Mgr Bourne, archevêque de Westminster, qui avait par trop insisté sur l'importance pour les catholiques canadiens d'apprendre et de parler l'anglais en vue de mieux servir la cause du catholicisme au Canada, s'était attiré des applaudissements nombreux de la part d'un auditoire en majorité francophone et d'avance préparé à entendre un tel discours. Le jeune étudiant en théologie, Archambault, était-il présent lors de cette fulgurante réplique? L'histoire écrite jusqu'à maintenant ne le dit pas, mais je sais qu'il en avait gardé un profond et vivace souvenir et que déjà dans sa pensée se préparait la série d'articles en faveur du français qui allait paraître dans le Devoir de 1912-1913.
En attendant, il lui fallait poursuivre sa deuxième année de théologie. En 1911 se produit un autre événement, moins spectaculaire que le premier mais qui aura sur sa personne et son avenir des conséquences plus directes: la fondation de l'École sociale populaire au cours d'un congrès inter-diocésain organisé par la Fédération générale des Ligues du Sacré-Coeur, en janvier 1911, dans le but d'étudier la question de l'organisation ouvrière dans la province de Québec. À cette réunion, le jeune P. Archambault est présent et, le 25 janvier 1911, y lit un travail qu'il publiera par la suite dans le premier numéro des brochures de l'École sociale populaire sous le titre L'organisation catholique ouvrière catholique en Hollande.
En septembre 1911, il entreprend sa troisième année de théologie, fort importante pour lui puisqu'à la fin de l'année scolaire il sera ordonné prêtre, soit le 28 juillet 1912, importante aussi pour la cause du français puisqu'au mois de mars 1912 va commencer la série d'articles publiés dans le Devoir qui vont donner naissance à la future Ligue des droits du français. Pour le moment, il importe de dire quelques mots sur ses dernières années de formation jésuite.
Il lui reste encore à entreprendre ce que, dans leur langage familier, les Jésuites dénomment le troisième an, c'est-à-dire, avant de se lancer dans l'action, une année supplémentaire de spiritualité et d'ascétisme. Comme il n'existe pas encore au Canada une maison jésuite répondant à cette fin, le Père part pour la France où une telle maison existe et où, avant lui, ont passé la plupart des Jésuites canadiens. Il y arrive au moment où va se tenir, au mois d'août 1913, la Semaine sociale de Versailles sur le thème « La responsabilité ». Il y entendra des conférenciers et des orateurs qui l'impressionneront grandement et qui feront germer en lui l'idée d'importer au Canada une institution du même genre.
De cette visite à la Semaine sociale de Versailles, il rapportera plusieurs photographies, dont l'une montre les quatre Canadiens présents: les Pères Jésuites Archambault et Hingston, l'abbé Camille Roy et Ernest Grégoire, alors étudiant en Belgique et qui plus tard deviendra maire de Québec.
V - PREMIER APPEL (1912)
Revenu en 1909 au scolasticat de l'Immaculée-Conception pour entreprendre ses études théologiques, le jeune Père Archambault reste encore marqué du temps où il enseignait au Collège Sainte-Marie et où l'Association catholique de la jeunesse canadienne, familièrement appelée l'A.C.J.C., venait tout juste d'être fondée et dont il avait dirigé durant trois ans le premier cercle d'études, dit Cercle Sainte-Marie. Pour l'encourager dans cette même ligne, il avait pris connaissance, en 1910, - s'il ne l'avait pas lui-même entendu sur place - du fameux discours prononcé à l'église Notre-Dame par Henri Bourassa défendant la cause du maintien du français au Canada. En 1912, en plein milieu de sa troisième année de théologie, il suit avec un intérêt toujours grandissant les annonces dans les journaux, surtout dans le Devoir, du prochain Congrès de la langue française devant se tenir au mois de juin dans la ville de Québec. Stimulé par l'annonce de ce grand événement et par les remous qu'il provoque déjà, non seulement dans la province de Québec et dans tout le Canada français, mais en Nouvelle-Angleterre où ont émigré une foule de Canadiens-Français, le jeune étudiant en théologie décide de faire sa part, d'apporter sa contribution à la préparation de ce Congrès et, le 16 mars 1912, il fait paraître, en première page du journal le Devoir, un article intitulé La langue française et le commerce avec sous-titre: Un petit examen de conscience. Prudent et encore discret, - il n'est qu'en troisième année de théologie et ne sera ordonné prêtre qu'au milieu de l'été suivant, - il signe son article d'un pseudonyme: Pierre Homier, en partie emprunté au nom de famille de sa grand-mère, Sophie Homier, épouse de son grand-père, Joseph Papin, ancien député de l'Assomption.
Bien que se référant à un événement passé, cet article, qui allait être suivi de plusieurs autres, n'en décrit pas moins une situation longtemps prédominante à Montréal, comme on peut en juger d'après les extraits suivants:
Ce n'était là qu'un premier article. Un deuxième devait paraître, toujours en première page du Devoir, le lundi 8 avril 1912, sur le même sujet La langue française et le commerce, portant cette fois sur Les noms des compagnies. Pierre Homier se réjouissait de ce qu'une compagnie avait décidé de franciser son nom et il en profitait pour en inviter d'autres à suivre cet exemple.
VI - LA LIGUE DES DROITS DU FRANÇAIS (1913)
Ces premiers articles publiés dans le journal Le Devoir des mois de mars et d'avril 1912 devaient être suivis de plusieurs autres jusqu'au mois de juin 1913, réclamant toujours une meilleure place à la langue française dans les affaires au Québec, à Montréal en particulier. Pierre Homier, - pseudonyme du P. Archambault, - qui les signait, achevait alors sa quatrième année de théologie et avait commencé à recevoir une quantité de lettres, les unes l'approuvant, d'autres lui signalant des cas de manquements au français. L'idée lui vint alors d'établir un secrétariat où seraient acheminées toutes ces lettres et qui pourrait se charger d'y répondre. Parlant de son projet, lui-même s'en expliquait dans un article de l'Action française de janvier 1921, intitulé Les origines de l'Action française. En voici les principaux extraits:
VII - L'ACTION FRANÇAISE (1917)
Dès sa fondation, en mars 1913, la Ligue des Droits du français avait décidé de lancer un manifeste indiquant la raison d'être et les moyens d'action de la Ligue. Ce manifeste parlait aussi de prochaines publications. Au mois de juin de la même année paraissait sous le titre: La langue française au Canada. (Faits et réflexions), une brochure d'une centaine de pages, préfacée par le docteur Gauvreau et contenant la série d'articles publiés dans le Devoir.
Écrivant dans la revue l'Action nationale de mars-avril 1963, le directeur d'alors, M. François-Albert Angers parlait de ces articles du P. Archambault comme ayant demandé beaucoup de courage pour l'époque et préparé un meilleur avenir pour la cause du français:
Le docteur Joseph Gauvreau avait accepté de préfacer la brochure de Pierre Homier: La langue française au Canada (Faits et réflexions); de cette préface, écrite le 24 juin 1913, il convient de citer au moins cet extrait:
En 1917, la Ligue des Droits du français lance la revue L'Action française et décide de demander au gouvernement provincial une charte d'incorporation sous le nom de Ligue d'Action française. Parmi les neuf membres qui ont signé cette requête d'incorporation, on relève les noms des abbés Philippe Perrier et Lionel Groulx et du Père Joseph-Papin Archambault. Ce dernier va continuer, dans la nouvelle revue qui vient de se fonder, toujours sous le même pseudonyme de Pierre Homier, à publier une chronique mensuelle dite À travers la vie courante, dans laquelle il poursuit le même objectif qu'il avait poursuivi autrefois dans la série d'articles publiés dans le journal le Devoir de 1912 et de 1913, c'est-à-dire la défense de la langue française, ou, pour employer l'expression même qu'emploiera plus tard l'abbé Groulx en 1966, il mène « sa petite guerre » pour sauver et défendre la langue française au Canada, et d'abord au Québec, tout particulièrement à Montréal.
Au début, le groupe se réunissait dans un petit local que la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal avait mis à leur disposition au Monument national (1182, rue St-Laurent, Montréal) sous l'escalier d'entrée. Quelques années plus tard, il devait transporter son lieu de réunion et son bureau au neuvième étage du nouvel édifice Dandurand. Pierre Homier écrit à ce sujet:
Et le Père Archambault d'ajouter en note au bas de la page:
En 1921, cependant, il devait peu à peu abandonner sa chronique mensuelle A travers la vie courante, puisqu'il venait de quitter Montréal pour se rendre à Québec et prendre en charge une autre maison jésuite de retraites fermées, la Villa Manrèse. Mais la revue n'en continua pas moins à publier la même chronique signée d'un autre pseudonyme LE VEILLEUR.
Le 12 décembre 1926, la Ligue d'Action française fêtait son dixième anniversaire de fondation, journée que la revue elle-même, dans son numéro du même mois, a décrit comme « une fête du souvenir et une journée d'étude... En une même pensée fervente et dévouée, l'avenir et le passé étaient unis par l'évocation des initiateurs de notre oeuvre et l'étude d'un problème dont dépend demain. »
Ce même numéro de décembre 1926 contient le texte des allocutions prononcées au cours du banquet au soir de ce Dixième anniversaire: celles du R.P. J.-P. Archambault, de M. Anatole Vanier et de M. René Chaloult. Parlant de la première allocution, le rapporteur disait: « Quel charme ce fut quand le R.P. Papin Archambault, S.J. fit défiler, délicatement dessinées les silhouettes des bons artisans de la première heure! Que de rêves caressés, que de projets formés, que d'idées émises par la phalange des directeurs de la période héroïque!... »
Ce soir-là, le P. Archambault avait intitulé son allocution, LES PIONNIERS. Reprenant et complétant son article de janvier 1921 sur Les origines de l'Action française , il commençait par faire l'éloge de ses premiers compagnons en particulier de ceux qui avaient fondé la revue, Omer Héroux, Joseph Gauvreau, Anatole Vanier, etc.; puis, il révélait, entre autres choses, que lors de l'absence du directeur de la revue, l'abbé Groulx, pour un an en Europe, il avait fait partie d'un trio, d'une sorte de triumvirat, chargé de diriger la revue. Dès le mois de juillet 1921, en effet, celle-ci avait annoncé que « le directeur de l'Action française, M. l'abbé Lionel Groulx, s'embarquera le 6 août prochain, pour un long voyage d'études en Europe. Il ne reviendra pas au pays avant un an. En son absence, un comité de rédaction dirigera la revue. »
Le texte de l'annonce en question ne donne aucun nom. Pour connaître les membres de ce comité, il faut se référer à l'allocution du P. Archambault du 12 décembre 1926, lors de la fête dite du Dixième anniversaire de l'Action française. Après avoir relaté des faits déjà connus, l'orateur en révélait aussi quelques-uns encore ignorés du grand public. Il disait:
(Suivent deux paragraphes dans lesquels l'orateur trace le portrait et fait l'éloge des deux compagnons qui, avec lui, ont pendant un an dirigé la revue: Antonio Perrault et Joseph Blain.).
En terminant, l'orateur évoquait une dernière figure du « groupe des premières années de l'Action française, qui s'étend de 1917 à 1922 »: l'abbé Philippe Perrier. Chez lui se réunissaient souvent les membres de la Ligue:
Le texte de cette allocution que publia la revue en décembre 1926 allait se révéler l'une des dernières contributions du Père Archambault à l'Action française. Désormais, il devra se restreindre et concentrer surtout ses activités sur deux autres oeuvres qui l'ont toujours attiré et dont toute sa vie il conservera la charge: le souci des maisons de retraites fermées et la promotion intensive du catholicisme social, en particulier des Semaines sociales du Canada qu'il avait fondées en 1921 et dont il assuma la présidence durant près de quarante ans, ensuite de l'École sociale populaire, dont il deviendra le directeur en 1929 et le restera jusqu'en 1959.
Durant cette longue période, il se gardera bien d'oublier ses premières et anciennes amours avec ses collègues d'autrefois et, après la disparition de l'Action française à la fin de 1928, il s'emploiera, à son retour à Montréal en 1929, à relancer, une autre ligue du même genre, appelée Ligue d'Action nationale, dont il acceptera de faire partie, toujours sous le traditionnel pseudonyme de Pierre Homier, ensuite une revue destinée à continuer l'oeuvre de l'ancienne et dont le premier numéro paraîtra en janvier 1933, sous le nom de l'Action nationale, contenant à la fois un article signé du nom de Joseph-Papin Archambault et une chronique sur La vie courante se rapportant à la toujours actuelle et nécessaire francisation du Québec, mais signée du pseudonyme Pierre Homier.
Au maintien de la nouvelle Ligue ainsi qu'au succès de la revue, le Père Archambault ne cessera de s'intéresser jusqu'à la fin de sa vie. Désormais, cependant, le gros de son activité se portera ailleurs, notamment dans le domaine social.
En guise de conclusion à cette première partie sur l'oeuvre du Père Archambault pour la défense de la langue française, il convient de citer le témoignage que lui rendit Me Antonio Perrault dans l'Avant-Propos de la brochurette Consignes de demain, publiée en 1921. Après avoir énuméré les ouvriers de la première heure qui avaient participé à la fondation de la Ligue des Droits du français, puis de la Ligue d'Action française, l'avocat montréalais écrivait:
Source : Richard ARÈS, s.j., « Un défenseur du Français : le père Joseph-Papin Archambault, s.j. », dans l'Action nationale , Vol LXX, No. 8 (avril 1981) : 637-644; Vol. LXX, No. 9 (mai 1981) : 757-764; Vol. LXX, No 10 (juin 1981) : 843-856. |
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Claude Bélanger, Marianopolis College |